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Décisions

CJCE, 5 octobre 1994, n° C-280/93

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

République fédérale d'Allemagne, Royaume de Belgique, Royaume des Pays-Bas

Défendeur :

Conseil de l'Union européenne, Commission des Communautés européennes, République hellénique, Royaume d'Espagne, République française, République italienne, République portugaise, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Diez de Velasco, Edward

Avocat général :

M. Gulmann

Juges :

MM. Kakouris, Joliet, Schockweiler (rapporteur), Rodríguez Iglesias, Grévisse, Zuleeg, Kapteyn, Murray

Avocats :

Mes Sedemund, Anderson, Roeder.

CJCE n° C-280/93

5 octobre 1994

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 14 mai 1993, la République fédérale d'Allemagne a, en vertu de l'article 173, premier alinéa, du traité CEE, demandé l'annulation du titre IV et de l'article 21, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 404-93 du Conseil, du 13 février 1993, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane (JO L 47, p. 1, ci-après le "règlement").

2 Avant d'examiner les moyens d'annulation invoqués, il convient de rappeler brièvement le régime juridique antérieur à l'adoption du règlement et les dispositions pertinentes pour l'examen de la légalité de celui-ci.

Sur la situation antérieure au règlement

3 Pour retracer les circonstances dans lesquelles le règlement a été adopté, il est exposé au deuxième considérant:

"... il existait à ce jour, dans les États membres producteurs de bananes, des organisations nationales de marché visant à assurer aux producteurs l'écoulement de leur production sur le marché national ainsi qu'une recette qui soit en rapport avec les coûts de production; que ces organisations nationales de marché mettent en œuvre des restrictions quantitatives qui font obstacle à la réalisation du Marché commun des bananes; que, parmi les États membres non producteurs, certains assurent un écoulement privilégié aux bananes en provenance des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (États ACP), tandis que d'autres appliquent un système d'importation libérale, comportant même, pour l'un d'entre eux, une situation tarifaire privilégiée; que ces différents régimes portent atteinte à la libre circulation des bananes à l'intérieur de la Communauté et à la mise en œuvre d'un régime commun pour les échanges avec les pays tiers et que, en vue de la réalisation du marché intérieur, il est nécessaire de mettre en place une organisation commune de marché équilibrée et souple dans le secteur de la banane se substituant aux différents régimes nationaux".

4 Avant l'adoption du règlement, les importations de bananes dans les États du Benelux, au Danemark et en Irlande, essentiellement en provenance d'Amérique latine, n'étaient assujetties qu'à un droit de douane de 20 % consolidé dans le cadre du GATT. En France, au Royaume-Uni, en Italie, en Espagne, au Portugal et en Grèce, les marchés nationaux étaient protégés et la consommation était couverte soit par la production communautaire, soit par des importations en provenance des États ACP.

5 En raison des déficiences structurelles qui limitent la capacité compétitive des productions communautaires, mais aussi ACP, les coûts de production et les prix à la consommation des bananes communautaires et ACP excédaient sensiblement ceux des bananes pays tiers.

En ce qui concerne le protocole "bananes"

6 En vertu du protocole annexé à la convention d'application relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer à la Communauté, prévue à l'article 136 du traité (ci-après le "protocole bananes"), la République fédérale d'Allemagne a bénéficié d'un régime particulier lui permettant d'importer un contingent annuel de bananes en franchise de droits de douane, cela par référence à la quantité importée en 1956. Ce contingent de base devait, en fonction de la progression de la réalisation du Marché commun, être progressivement réduit. Les contingents annuels faisaient l'objet d'une augmentation, conformément aux règles de calcul prévues aux paragraphes 3 et 4. Dans le cas où les pays et territoires d'outre-mer se trouveraient dans l'impossibilité de fournir intégralement les quantités demandées par la République fédérale d'Allemagne, les États membres intéressés se déclaraient prêts, en vertu du paragraphe 6, à donner leur accord à une augmentation correspondante du contingent.

7 Aux termes du paragraphe 4, troisième alinéa, du protocole bananes,

"Sur proposition de la Commission, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, décide de la suppression ou de la modification de ce contingent."

8 Sur la base du protocole bananes, qui a continué à être appliqué bien que la convention d'association eût cessé d'être en vigueur à partir du 31 décembre 1962, la République fédérale d'Allemagne a importé, en 1992, en provenance d'États tiers, 1 371 000 tonnes de bananes en franchise de droits de douane, dont une quantité de 721 000 tonnes calculée conformément aux paragraphes 3 et 4 et un supplément de 650 000 tonnes demandé et accordé en application du paragraphe 6 de ce protocole.

En ce qui concerne la convention de Lomé

9 L'importation de bananes en provenance des États ACP est régie par la quatrième convention ACP-CEE, signée à Lomé le 15 décembre 1989, approuvée par décision du Conseil et de la Commission du 25 février 1991 (JO L 229, p. 1, ci-après la "convention de Lomé").

10 D'après l'article 168 de la convention de Lomé,

"1. Les produits originaires des États ACP sont admis à l'importation dans la Communauté en exemption de droits de douane et de taxes d'effet équivalent.

2. a) Les produits originaires des États ACP:

* énumérés dans la liste de l'annexe II du traité lorsqu'ils font l'objet d'une organisation commune des marchés au sens de l'article 40 du traité

ou

* soumis, à l'importation dans la Communauté, à une réglementation spécifique introduite comme conséquence de la mise en œuvre de la politique agricole commune

sont importés dans la Communauté, par dérogation au régime général en vigueur à l'égard des pays tiers, selon les dispositions suivantes:

i) sont admis en exemption de droits de douane les produits pour lesquels les dispositions communautaires en vigueur au moment de l'importation ne prévoient, en dehors des droits de douane, l'application d'aucune autre mesure concernant leur importation;

ii) pour les produits autres que ceux visés au point i), la Communauté prend les mesures nécessaires pour leur assurer un traitement plus favorable que celui accordé aux pays tiers bénéficiant de la clause de la nation la plus favorisée pour les mêmes produits..."

11 Le protocole n° 5 relatif aux bananes, annexé à la convention de Lomé (ci-après le "protocole n° 5"), énonce à l'article 1er:

"Pour ses exportations de bananes vers les marchés de la Communauté, aucun État ACP n'est placé, en ce qui concerne l'accès à ses marchés traditionnels et ses avantages sur ces marchés, dans une situation moins favorable que celle qu'il connaissait antérieurement ou qu'il connaît actuellement."

12 La déclaration commune sur le protocole n° 5, faisant l'objet de l'annexe LXXIV, prévoit:

"... l'article 1er du protocole n° 5 ne saurait empêcher la Communauté d'établir des règles communes pour les bananes, en pleine consultation avec les États ACP, pour autant qu'aucun État ACP, fournisseur traditionnel de la Communauté, ne soit placé, en ce qui concerne l'accès à la Communauté et ses avantages dans la Communauté, dans une situation moins favorable que celle qu'il connaissait antérieurement ou qu'il connaît actuellement..."

13 Dans une déclaration spécifique sur le protocole n° 5, faisant l'objet de l'annexe LXXV, la Communauté a consacré les droits particuliers des États ACP fournisseurs traditionnels.

En ce qui concerne le règlement attaqué

14 Aux termes du troisième considérant du règlement, l'organisation commune de marchés

"doit, dans le respect de la préférence communautaire et des diverses obligations internationales de la Communauté, permettre l'écoulement sur le Marché communautaire, à des prix équitables tant pour les producteurs que pour les consommateurs, des bananes produites dans la Communauté ainsi que celles originaires des États ACP, fournisseurs traditionnels, sans porter atteinte aux importations de bananes originaires des autres pays fournisseurs et ce, en assurant des revenus suffisants aux producteurs".

15 Le règlement fixe, dans les titres I et II, des normes communes de qualité et de commercialisation dans la Communauté et crée des organisations de producteurs et des mécanismes de concertation.

16 Le titre III institue un régime d'aide compensatoire de la perte éventuelle des recettes au profit des producteurs communautaires, dans la limite d'une quantité de 854 000 tonnes répartie entre les différentes régions productrices de la Communauté.

17 Le régime des échanges avec les pays tiers, figurant au titre IV, prévoit que les importations traditionnelles de bananes en provenance des États ACP peuvent continuer à être effectuées, en franchise de droits de douane, dans la Communauté. Une annexe au règlement fixe cette quantité à 857 700 tonnes et la répartit entre les États ACP, fournisseurs traditionnels.

18 Aux termes de l'article 18 du règlement,

"1. Un contingent tarifaire de 2 millions de tonnes/poids net est ouvert pour chaque année pour les importations des bananes pays tiers et des bananes non traditionnelles ACP.

Dans le cadre de ce contingent tarifaire, les importations des bananes pays tiers sont assujetties à la perception de 100 écus par tonne, les importations de bananes non traditionnelles ACP sont soumises à un droit nul.

...

2. En dehors du contingent visé au paragraphe 1:

° les importations de bananes non traditionnelles ACP sont assujetties à la perception de 750 écus par tonne,

° les importations de bananes des pays tiers sont assujetties à la perception de 850 écus par tonne..."

19 Aux termes de l'article 19, paragraphe 1,

"Le contingent tarifaire est ouvert, à partir du 1er juillet 1993, à concurrence de:

a) 66,5 % à la catégorie des opérateurs qui ont commercialisé des bananes pays tiers et/ou des bananes non traditionnelles ACP;

b) 30 % à la catégorie des opérateurs qui ont commercialisé des bananes communautaires et/ou des bananes traditionnelles ACP;

c) 3,5 % à la catégorie des opérateurs établis dans la Communauté qui ont commencé à commercialiser des bananes autres que les bananes communautaires et/ou traditionnelles ACP à partir de 1992..."

20 En vertu de l'article 16, il est dressé chaque année un bilan prévisionnel de la production et de la consommation de la Communauté ainsi que des importations et des exportations; ce bilan peut être révisé en cours de campagne en cas de nécessité.

21 L'article 18, paragraphe 1, quatrième alinéa, prévoit une augmentation du volume du contingent annuel sur la base du bilan prévisionnel visé à l'article 16.

22 L'article 20 consacre le principe de la transmissibilité des certificats d'importation et habilite la Commission à arrêter les conditions de cette transmissibilité.

23 Aux termes de l'article 21, paragraphe 2, le contingent tarifaire prévu au protocole bananes est supprimé.

24 Par ordonnance du 29 juin 1993, Allemagne/Conseil (C-280-93 R, Rec. p. I-3667), la Cour a rejeté la demande en référé introduite par la République fédérale d'Allemagne visant à permettre à cet État, jusqu'à ce que la Cour ait statué au principal, d'importer en franchise de droits de douane des bananes originaires de pays tiers dans les mêmes quantités annuelles qu'en 1992.

25 Par ordonnances du 13 juillet 1993, la République hellénique, le royaume d'Espagne, la République française, la République italienne, la République portugaise, le Royaume-Uni et la Commission ont été admis à intervenir dans l'affaire à l'appui des conclusions du Conseil; par ordonnances du même jour, le royaume de Belgique et le royaume des Pays-Bas ont été admis à intervenir dans l'affaire à l'appui des conclusions de la République fédérale d'Allemagne.

26 A l'appui de son recours, la République fédérale d'Allemagne invoque un certain nombre de moyens d'annulation tirés de la violation des formes substantielles, des règles de fond et des principes fondamentaux du droit communautaire, de la convention de Lomé, de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (ci-après le "GATT") et du protocole bananes.

Sur la violation des formes substantielles

27 A l'appui de ce moyen, la République fédérale d'Allemagne avance trois arguments.

28 La requérante soutient, en premier lieu, que la procédure d'adoption du règlement a été irrégulière en ce que le texte du règlement s'écarte de la proposition initiale de la Commission sans qu'il y ait eu une nouvelle proposition formellement adoptée par le collège des commissaires. Le droit de proposition, visé à l'article 43 du traité, constituerait un droit propre de la Commission de participer à la formation des actes du Conseil et il ne saurait être admis que le commissaire en charge d'un dossier se borne à entériner, au nom de la Commission, un compromis élaboré au sein du Conseil. L'article 27 du règlement intérieur de la Commission (JO 1963, 181, p. 63) ne permettrait une habilitation des membres de la Commission, par dérogation au principe de collégialité, que pour des mesures de gestion ou d'administration clairement définies.

29 La République fédérale d'Allemagne expose, en deuxième lieu, que le règlement est entaché d'un défaut de motivation en ce qu'il vise uniquement la première proposition de la Commission.

30 Elle fait valoir, en troisième lieu, qu'au regard du caractère substantiel des modifications intervenues dans la seconde proposition de la Commission, le Parlement européen aurait dû être consulté une nouvelle fois. A cet égard, la requérante fait état de deux modifications substantielles. Le droit de douane de 20 % ad valorem consolidé au sein du GATT, maintenu dans la première proposition, aurait été remplacé par un droit spécifique de 100 écus/tonne. Le sous-contingent tarifaire de 30 % de bananes pays tiers aurait été ouvert, dans la proposition initiale, aux importateurs de bananes pays tiers s'engageant à commercialiser une quantité déterminée de bananes communautaires et/ou de bananes traditionnelles ACP; de même, dans le système initial, les opérateurs "nouveaux venus" auraient pu participer à ce régime de partenariat, alors que désormais leur sous-quota serait limité à 3,5 % du contingent tarifaire.

31 Le Conseil, soutenu en particulier par la Commission, réplique que la procédure d'adoption du règlement a été régulière et que le Conseil était saisi d'une proposition modifiée de la Commission; il soutient que le règlement ne doit pas viser à la fois la proposition initiale de la Commission et les modifications ultérieures et que les modifications apportées n'ont pas imposé une nouvelle consultation du Parlement.

32 Pour examiner la régularité de la procédure d'adoption du règlement, il convient d'en rappeler le déroulement tel qu'il a été retracé dans les mémoires écrits et les observations formulées à l'audience par le Conseil et la Commission. D'après les déclarations de la Commission, non contredites par la partie requérante, le collège des commissaires a chargé le membre responsable de l'agriculture de négocier le dossier "bananes" au Conseil des ministres du 14 au 17 décembre 1992, dans le contexte d'un compromis global. A la suite de la session du Conseil, le commissaire responsable a informé le collège des commissaires des résultats de cette session, et notamment du compromis bananes, sans que le collège émît aucune objection ni quant à la procédure suivie ni quant au résultat des négociations.

33 Le 12 février 1993, le commissaire chargé du dossier a fait devant le Conseil la déclaration suivante:

"La Commission confirme que le texte qui est sous nos yeux reflète la proposition de la Commission telle que modifiée dans le compromis politique de décembre, tel que ce compromis politique a été transposé en dispositions juridiques dans le texte sur lequel le Conseil va voter."

34 Le 13 février 1993, le Conseil a adopté le règlement par un vote à la majorité qualifiée.

35 Il résulte du déroulement de la procédure, compte tenu notamment de la déclaration faite le 12 février 1993 devant le Conseil par le commissaire compétent, qu'au moment où il a définitivement statué, à savoir le 13 février, le Conseil était saisi d'une proposition de la Commission modifiée conformément au compromis politique accepté par le commissaire compétent au nom de la Commission lors de la session du Conseil du mois de décembre 1992 et entériné par le collège des commissaires.

36 Le fait que cette proposition modifiée n'ait pas revêtu une forme écrite ne porte pas à conséquence. L'article 149, paragraphe 3, du traité prévoit que tant que le Conseil n'a pas statué, la Commission peut modifier sa proposition tout au long des procédures mentionnées aux paragraphes 1 et 2, sans exiger que ces propositions modifiées prennent nécessairement une forme écrite. De telles propositions modifiées font partie du processus législatif communautaire qui se caractérise par une certaine souplesse, nécessaire pour atteindre une convergence de vues entre les institutions. Elles se distinguent fondamentalement des actes que la Commission adopte et qui concernent directement les particuliers. Dans ces conditions, on ne saurait exiger pour l'adoption de ces propositions le respect strict des formalités prescrites pour l'adoption des actes concernant directement les particuliers (voir arrêt de la Cour du 15 juin 1994, BASF, C-137-92 P, non encore publié au Recueil).

37 En ce qui concerne le défaut de visa de la prétendue seconde proposition, il faut constater qu'il n'y a pas eu une nouvelle proposition, mais simplement modification de la proposition initiale. Or, si l'article 190 du traité oblige de faire référence à la proposition de la Commission dans les actes qui ne peuvent être pris que sur proposition de la Commission, il n'impose pas de viser la modification que cette proposition a pu subir par la suite. Il n'en irait autrement que si la Commission avait retiré sa proposition et l'avait remplacée par une proposition nouvelle.

38 Pour apprécier le bien-fondé de l'argument tiré de l'absence d'une seconde consultation du Parlement européen, il y a lieu de rappeler qu'une nouvelle consultation du Parlement européen est exigée chaque fois que le texte finalement adopté, considéré dans son ensemble, s'écarte dans sa substance même de celui sur lequel le Parlement a déjà été consulté, à l'exception des cas où les amendements correspondent, pour l'essentiel, au souhait exprimé par le Parlement lui-même (arrêts du 16 juillet 1992, Parlement/Conseil, C-65-90, Rec. p. I-4593, point 16, et du 5 octobre 1993, Driessen e.a., C-13-92 à C-16-92, Rec. p. I-4751, point 23).

39 Il y a lieu dès lors d'examiner si les modifications, dont fait état la requérante, concernent la substance même du texte considéré dans son ensemble.

40 A cet égard, force est de constater que la proposition initiale de la Commission, de même que la proposition modifiée, ont prévu, en vue de maîtriser les importations, un contingent de 2 millions de tonnes pour les bananes pays tiers et non traditionnelles ACP. La substitution du droit de douane spécifique au droit ad valorem, tout en constituant une modification juridique, s'inscrit dans la poursuite de cet objectif. Il n'est pas établi que l'instauration du droit spécifique devait avoir pour effet d'accroître les restrictions à l'importation dans la Communauté de bananes pays tiers, étant donné que ce droit spécifique ne s'est pas traduit pour les importateurs par une charge financière plus importante que le droit ad valorem de 20 %. Il convient d'ajouter que ce droit ad valorem, quoique consolidé au sein du GATT, n'était applicable que dans certains États membres de la Communauté, alors que la plupart, à l'exception de la requérante, connaissaient des régimes d'importation plus restrictifs.

41 La répartition du contingent d'importation tant dans la proposition initiale que dans la proposition modifiée vise, ainsi que le relève le treizième considérant du règlement, à distinguer entre les opérateurs qui ont antérieurement commercialisé des bananes pays tiers et des bananes non traditionnelles ACP et les opérateurs qui ont commercialisé antérieurement des bananes produites dans la Communauté et des bananes ACP, tout en réservant une quantité disponible pour les nouveaux opérateurs. L'institution de sous-quotas pour les différentes catégories d'opérateurs économiques, de préférence au régime du partenariat initialement prévu, concerne uniquement une modalité technique pour opérer cette distinction que le Conseil a pu considérer comme indispensable en vue d'assurer l'écoulement des bananes communautaires et ACP et ne touche pas à l'économie fondamentale du règlement.

42 Les modifications apportées par la Commission à sa proposition n'ont donc pas affecté la substance même du règlement considéré dans son ensemble et n'ont dès lors pas exigé une nouvelle consultation du Parlement.

43 Pour toutes les considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le premier moyen tiré de la violation des formes substantielles.

Sur la violation des règles de fond du droit communautaire

44 La République fédérale d'Allemagne soutient que le titre IV du règlement contrevient aux articles 39 et suivants du traité relatifs à la politique agricole commune, aux règles de concurrence, à certains droits fondamentaux et au principe de proportionnalité.

45 Le Conseil réplique que le règlement est conforme aux objectifs de la politique agricole commune et aux règles du droit communautaire.

Quant à la violation de l'article 39 du traité

46 La République fédérale d'Allemagne soutient que les objectifs poursuivis par le règlement, à savoir la garantie d'une production communautaire et le maintien du revenu des producteurs communautaires, ne relèvent pas de l'article 39 du traité. La garantie des revenus de la population agricole ne saurait être assurée que par un accroissement de la productivité. L'inadéquation entre l'offre et la demande et l'augmentation importante des prix des bananes, en particulier sur le marché allemand, mettraient en évidence que le règlement, en violation de l'article 39, n'assure pas la stabilisation des marchés, la sécurité des approvisionnements et des prix raisonnables à la consommation.

47 Pour apprécier le bien-fondé de ces griefs, il convient de rappeler à titre liminaire que, conformément à la jurisprudence de la Cour, dans la poursuite des objectifs de la politique agricole commune, les institutions communautaires doivent assurer la conciliation permanente que peuvent exiger d'éventuelles contradictions entre ces objectifs considérés séparément et, le cas échéant, accorder à tel ou tel d'entre eux la prééminence temporaire qu'imposent les faits ou circonstances économiques au vu desquels elles arrêtent leurs décisions (arrêt du 19 mars 1992, Hierl, C-311-90, Rec. p. I-2061, point 13). La jurisprudence admet également que le législateur communautaire dispose, en matière de politique agricole commune, d'un large pouvoir d'appréciation, qui correspond aux responsabilités politiques que les articles 40 et 43 lui attribuent (voir arrêt du 21 février 1990, Wuidart e.a., C-267-88 à C-285-88, Rec. p. I-435, point 14, et arrêt Hierl, précité, point 13).

48 Il y a lieu de relever ensuite que l'article 39, paragraphe 1, du traité vise expressément, sous a), à accroître la productivité et, sous b), à assurer à la population agricole un niveau de vie équitable, et que l'article 40, paragraphe 3, prévoit un certain nombre d'instruments en vue de garantir la réalisation de ces objectifs, notamment des subventions à la production ou à la commercialisation et des mécanismes communs de stabilisation des importations, du type de ceux mis en œuvre par le règlement.

49 Il en résulte que le Conseil pouvait, sans contrevenir à l'article 39 du traité, viser à assurer le revenu des populations agricoles concernées en garantissant le niveau de la production communautaire existante et en prévoyant certains mécanismes aptes à accroître la productivité de la production communautaire, notamment des normes communes de qualité et des organisations de producteurs.

50 La requérante ne saurait davantage soutenir que le règlement contrevient aux objectifs de la politique agricole commune indiqués à l'article 39, paragraphe 1, sous c) et d), du traité, alors qu'il vise précisément à stabiliser le marché par la garantie d'une production communautaire et par la régulation des importations et qu'il assure par ces mêmes mécanismes, complétés par celui permettant d'augmenter en cas de besoin le contingent d'importation, la sécurité des approvisionnements.

51 En ce qui concerne le grief selon lequel le règlement s'est traduit, en particulier sur le marché de la partie requérante, par une augmentation des prix, contrairement à l'article 39, paragraphe 1, sous e), il convient de noter que la création d'une organisation commune des marchés, se substituant à des régimes nationaux caractérisés par d'importants écarts de prix, se traduit inéluctablement par une adaptation des prix dans toute la Communauté et que l'objectif de prix raisonnables pour le consommateur doit être considéré non pas sur chaque marché national mais dans l'ensemble du Marché commun. Il convient d'ajouter que, conformément à ce qui a été dit au point 47, les institutions communautaires peuvent, dans le cadre du pouvoir d'appréciation dont elles disposent pour la mise en œuvre d'une organisation commune des marchés, donner temporairement la prééminence à certains des objectifs de l'article 39 par rapport à d'autres.

52 Il résulte des considérations qui précèdent que le grief tiré d'une violation de l'article 39 n'est pas fondé.

Quant au dépassement des limites des articles 39, 42 et 43 du traité

53 La République fédérale d'Allemagne soutient qu'une politique de développement en faveur des États ACP, telle qu'elle est poursuivie par le règlement, ne peut pas être fondée sur les dispositions relatives à la politique agricole commune mais tout au plus sur les articles 235 ou 238 du traité.

54 A cet égard, il convient de rappeler, en premier lieu, que l'article 43 du traité constitue la base juridique appropriée pour toute réglementation concernant la production et la commercialisation des produits agricoles énumérés à l'annexe II du traité qui contribue à la réalisation d'un ou de plusieurs objectifs de la politique agricole commune énoncés à l'article 39 du traité. Par conséquent, même si ces réglementations visent à la fois des objectifs de la politique agricole et d'autres objectifs qui sont poursuivis sur la base d'autres dispositions du traité, on ne saurait tirer argument de l'existence de ces dispositions pour restreindre le champ d'application de l'article 43 du traité (voir arrêts du 23 février 1988, Royaume-Uni/Conseil, 68-86, Rec. p. 855, points 14 et 16, et du 16 novembre 1989, Commission/Conseil, C-131-87, Rec. p. 3743, points 10 et 11).

55 Il y a lieu de relever, en deuxième lieu, que la création d'une organisation commune des marchés exige, à côté de la réglementation de la production communautaire, l'instauration d'un régime d'importation en vue d'assurer la stabilisation des marchés et l'écoulement de la production communautaire si, comme en l'espèce, l'aspect interne et l'aspect externe de la politique commune sont indissociables.

56 Il faut noter, en troisième lieu, que dans le cadre de la mise en œuvre de politiques internes, notamment en matière agricole, les institutions communautaires ne sauraient faire abstraction des engagements internationaux pris par la Communauté en vertu de la convention de Lomé.

57 Il résulte de ce qui précède que le grief d'un dépassement des limites des articles 39, 42 et 43 du traité, en ce qui concerne le régime des importations en provenance des États ACP, n'est pas fondé.

Quant à la violation du principe d'une concurrence non faussée

58 La République fédérale d'Allemagne fait valoir que les modalités de répartition du contingent tarifaire contreviennent à l'objectif d'une concurrence non faussée prescrit par l'article 3, sous f), du traité en ce qu'elles opèrent, par un acte de puissance publique, une redistribution de parts de marché et de revenus au détriment des importateurs traditionnels de bananes pays tiers. L'impossibilité pour ces importateurs de s'approvisionner sur les marchés communautaire et ACP et l'obligation de racheter des certificats d'importation de bananes pays tiers auprès des opérateurs de bananes communautaires et ACP se traduirait par des avantages financiers gratuits au profit de ces derniers.

59 A cet égard, il convient de rappeler que l'établissement d'un régime de concurrence non faussée n'est pas le seul objectif mentionné à l'article 3 du traité, lequel prévoit aussi, notamment, l'instauration d'une politique agricole commune.

60 Les auteurs du traité, conscients de ce que la poursuite simultanée de ces deux objectifs pouvait se révéler difficile à certains moments et dans certaines circonstances, ont prévu à l'article 42, premier alinéa, du traité:

"Les dispositions du chapitre relatives aux règles de concurrence ne sont applicables à la production et au commerce des produits agricoles que dans la mesure déterminée par le Conseil dans le cadre des dispositions et conformément à la procédure prévues à l'article 43, paragraphes 2 et 3, compte tenu des objectifs énoncés à l'article 39."

61 Sont ainsi reconnus tout à la fois la primauté de la politique agricole par rapport aux objectifs du traité dans le domaine de la concurrence et le pouvoir du Conseil de décider dans quelle mesure les règles de concurrence trouvent à s'appliquer dans le secteur agricole.

62 Dans ces conditions, le grief d'une violation du principe d'une concurrence non faussée ne peut être retenu.

63 Les arguments invoqués à l'appui de ce grief tirés du préjudice causé aux importateurs de bananes pays tiers seront examinés ci-après dans le cadre de l'analyse du moyen relatif à la violation des droits fondamentaux et des principes généraux de droit.

Quant à la violation des droits fondamentaux et des principes généraux du droit

64 La République fédérale d'Allemagne soutient que la répartition du contingent tarifaire constitue une discrimination injustifiée au préjudice des opérateurs de bananes pays tiers. La perte de parts de marché que subissent ces opérateurs constituerait une atteinte à leur droit de propriété et au libre exercice de leurs activités professionnelles ainsi qu'à leurs droits acquis. L'instauration du contingent tarifaire, de sa clé de répartition ainsi que du taux prohibitif pour les importations dépassant le contingent tarifaire serait contraire au principe de proportionnalité, étant donné qu'un système d'aides directes aux producteurs aurait suffi pour assurer l'écoulement de la production communautaire et ACP.

65 S'agissant du grief tiré de la violation du principe de non-discrimination, la requérante fait valoir que la répartition du contingent tarifaire en faveur des importateurs de bananes communautaires et/ou traditionnelles ACP revient, en fait, à transférer à ceux-ci, par un acte de puissance publique, une part de 30 % du marché. Cette répartition au préjudice de la catégorie des opérateurs de bananes pays tiers constituerait, en l'absence de toute justification, une discrimination contraire au traité.

66 A cet égard, il y a lieu de rappeler qu'aux termes de l'article 40, paragraphe 3, deuxième alinéa, du traité, l'organisation commune des marchés agricoles à établir dans le cadre de la politique agricole commune "doit exclure toute discrimination entre producteurs ou consommateurs de la Communauté".

67 En vertu d'une jurisprudence constante, l'interdiction de discrimination édictée par cette disposition n'est que l'expression spécifique du principe général d'égalité qui fait partie des principes fondamentaux du droit communautaire (voir arrêts du 10 janvier 1992, Kuehn, C-177-90, Rec. p. I-35, point 18, et du 27 janvier 1994, Herbrink, C-98-91, Rec. p. I-223, point 27) et qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu'une différenciation ne soit objectivement justifiée (voir arrêt du 25 novembre 1986, Klensch e.a., 201-85 et 202-85, Rec. p. 3477, point 9, et arrêt Wuidart e.a., précité, point 13).

68 L'organisation commune des marchés dans le secteur de la banane regroupe des opérateurs économiques qui ne sont ni des producteurs ni des consommateurs. Toutefois, en raison de la généralité du principe de non-discrimination, l'interdiction de discrimination s'applique également à d'autres catégories d'opérateurs économiques soumis à une organisation commune des marchés.

69 Pour constater l'existence d'une discrimination, il faut dès lors examiner si le règlement attaqué a réservé un traitement différent à des situations comparables.

70 A cet égard, force est de constater qu'avant l'adoption du règlement, le secteur de la banane au niveau de la Communauté était caractérisé par la coexistence de marchés nationaux ouverts, soumis à des règles de surcroît divergentes, et de marchés nationaux protégés. Les régimes juridiques auxquels était soumise l'importation des bananes dans les différents États membres étaient largement identiques à ceux existant dans ces États avant la création de la Communauté ou avant leur adhésion à la Communauté.

71 Sur les marchés nationaux ouverts, les opérateurs économiques pouvaient s'approvisionner en bananes pays tiers sans être soumis à des restrictions quantitatives. Les importateurs sur le marché allemand bénéficiaient même d'une exemption des droits de douane à l'intérieur d'un contingent régulièrement adapté sur la base du protocole bananes. En revanche, sur les marchés nationaux protégés, les opérateurs économiques commercialisant des bananes communautaires et traditionnelles ACP étaient assurés de pouvoir écouler leurs produits sans être exposés à la concurrence des distributeurs de bananes pays tiers plus compétitives. Pour les raisons exposées au point 5 du présent arrêt, le prix de vente des bananes communautaires et ACP excédait, en effet, sensiblement celui des bananes pays tiers.

72 Force est dès lors de constater qu'avant l'adoption du règlement la situation des catégories d'opérateurs économiques entre lesquelles est opérée la répartition du contingent tarifaire n'était pas comparable.

73 Il est vrai qu'après l'entrée en vigueur du règlement ces catégories d'opérateurs économiques sont affectées de façon différente par les mesures adoptées. Les opérateurs qui se sont traditionnellement approvisionnés essentiellement en bananes pays tiers se voient dorénavant imposer des restrictions à leurs possibilités d'importations, alors que ceux obligés de commercialiser jusque-là essentiellement des bananes communautaires et ACP se voient accorder la possibilité d'importer des quantités déterminées de bananes pays tiers.

74 Un tel traitement différencié apparaît toutefois comme inhérent à l'objectif d'une intégration de marchés jusqu'alors cloisonnés, compte tenu de la situation différente dans laquelle se trouvaient les différentes catégories d'opérateurs économiques avant l'instauration de l'organisation commune des marchés. Le règlement vise en effet à garantir l'écoulement de la production communautaire et de la production traditionnelle ACP, ce qui implique l'établissement d'un certain équilibre entre les deux catégories d'opérateurs économiques concernés.

75 En conséquence le grief tiré de la violation du principe de non-discrimination doit être rejeté comme non fondé.

76 La légalité des mesures prises au regard des différentes catégories d'opérateurs économiques doit dès lors être examinée dans le cadre des autres griefs invoqués par la partie requérante.

77 En ce qui concerne l'atteinte au droit de propriété, la requérante fait valoir qu'en retirant à long terme des parts de marché aux opérateurs qui commercialisaient traditionnellement des bananes pays tiers le règlement attaqué a violé le droit de propriété de ces opérateurs et porté atteinte au libre exercice de leurs activités professionnelles.

78 A cet égard, il convient de relever que tant le droit de propriété que le libre exercice d'une activité professionnelle font partie des principes généraux du droit communautaire. Ces principes n'apparaissent toutefois pas comme des prérogatives absolues, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société. Par conséquent, des restrictions peuvent être apportées à l'usage du droit de propriété et au libre exercice des activités professionnelles, notamment dans le cadre d'une organisation commune des marchés, à condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général poursuivis par la Communauté et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (arrêts du 11 juillet 1989, Schraeder, 265-87, Rec. p. 2237, point 15, du 13 juillet 1989, Wachauf, 5-88, Rec. p. 2609, point 18, et arrêt Kuehn, précité, point 16).

79 Le droit de propriété des opérateurs de bananes pays tiers n'est pas mis en cause par l'instauration du contingent communautaire et les règles de répartition de celui-ci. En effet, aucun opérateur économique ne peut revendiquer un droit de propriété sur une part de marché qu'il détenait à un moment antérieur à l'instauration d'une organisation commune des marchés, une telle part de marché ne constituant qu'une position économique momentanée exposée aux aléas d'un changement de circonstances.

80 Un opérateur économique ne saurait davantage faire valoir un droit acquis ou même une confiance légitime dans le maintien d'une situation existante qui peut être modifiée par des décisions prises par les institutions communautaires dans le cadre de leur pouvoir d'appréciation (arrêt du 28 octobre 1982, Faust/Commission, 52-81, Rec. p. 3745, point 27), d'autant moins si la situation existante est contraire aux règles du Marché commun.

81 En ce qui concerne la prétendue atteinte au libre exercice des activités professionnelles, il y a lieu de relever que l'instauration du contingent tarifaire et du mécanisme de répartition de celui-ci modifie effectivement la position concurrentielle en particulier des opérateurs économiques sur le marché allemand, seuls jusqu'alors à pouvoir importer des bananes pays tiers en dehors de toute restriction tarifaire dans le cadre d'un contingent annuellement adapté aux besoins du marché. Encore faut-il examiner si les restrictions introduites par le règlement répondent à des objectifs d'intérêt général communautaire et ne portent pas atteinte à la substance même de ce droit.

82 La restriction à la faculté d'importer les bananes pays tiers imposée aux opérateurs économiques sur le marché allemand est inhérente à l'instauration d'une organisation commune des marchés qui vise à assurer la sauvegarde des objectifs de l'article 39 du traité et le respect des obligations internationales assumées par la Communauté en vertu de la convention de Lomé. En effet, la suppression des régimes nationaux divergents, en particulier du régime dérogatoire dont avaient continué à bénéficier les opérateurs sur le marché allemand ainsi que des régimes protecteurs dont avaient bénéficié sur d'autres marchés nationaux les opérateurs de bananes communautaires et traditionnelles ACP, rendait nécessaire une limitation du volume des importations des bananes pays tiers vers la Communauté. Il s'agissait en effet d'assurer la réalisation d'une organisation commune des marchés tout en évitant que, à la suite de la disparition des barrières protectrices assurant leur écoulement à l'abri de la concurrence des bananes pays tiers, les bananes communautaires et ACP ne soient écartées de l'ensemble du Marché commun.

83 La situation différente des opérateurs de bananes dans les divers États membres exigeait, de son côté, au regard de l'objectif de l'intégration des différents marchés nationaux, l'instauration d'un mécanisme de répartition du contingent tarifaire entre les différentes catégories d'opérateurs économiques concernés. Ce mécanisme vise à amener les opérateurs de bananes communautaires et traditionnelles ACP à s'approvisionner en bananes pays tiers au même titre qu'il tend à inciter les importateurs de bananes pays tiers à distribuer des bananes communautaires et ACP. Il doit d'ailleurs permettre, à long terme, aux opérateurs économiques ayant traditionnellement commercialisé des bananes pays tiers de participer, au niveau du contingent communautaire global, aux deux sous-contingents qui ont été instaurés.

84 En ce qui concerne en particulier la critique de la requérante selon laquelle l'application du règlement a donné lieu à un commerce de certificats d'importation entre les opérateurs de bananes communautaires et traditionnelles ACP et les importateurs traditionnels de bananes pays tiers, au détriment de ces derniers, il convient de rappeler que le règlement, à l'article 20, admet le principe de transmissibilité des certificats. Ce principe aboutit au résultat pratique que le détenteur d'un certificat, au lieu de procéder lui-même à l'importation et à la vente de bananes pays tiers, peut céder son droit d'importation à un autre opérateur économique qui veut procéder lui-même à l'importation.

85 Le principe de transmissibilité, dont le régime a été fixé dans le règlement (CEE) n° 1442-93 de la Commission, du 10 juin 1993, portant modalités d'application du régime d'importation de bananes dans la Communauté (JO L 142, p. 6), adopté après l'introduction du présent recours, n'est toutefois pas particulier à l'organisation commune des marchés dans le secteur de la banane, mais existe dans d'autres secteurs de la politique agricole, notamment en ce qui concerne les relations commerciales avec les pays tiers.

86 En outre, la cession des certificats d'importation constitue une faculté que le règlement permet aux différentes catégories d'opérateurs économiques d'exercer en fonction de leurs intérêts commerciaux. L'avantage financier que ce type de vente peut le cas échéant procurer aux opérateurs de bananes communautaires et traditionnelles ACP constitue une conséquence nécessaire du principe de la transmissibilité des certificats et doit être apprécié dans le contexte plus général de l'ensemble des mesures adoptées par le Conseil en vue de garantir l'écoulement des produits communautaires et traditionnels ACP. Dans ce contexte, il doit être considéré comme un moyen destiné à contribuer à la capacité concurrentielle des opérateurs économiques commercialisant les bananes communautaires et ACP et à faciliter l'intégration des marchés des États membres.

87 Il résulte de ce qui précède que l'atteinte au libre exercice des activités professionnelles des opérateurs traditionnels de bananes pays tiers opérée par le règlement répond à des objectifs d'intérêt général communautaire et n'affecte pas la substance même de ce droit.

88 La requérante fait encore valoir que le régime des échanges avec les pays tiers contrevient au principe de proportionnalité, en ce que l'objectif d'un soutien aux producteurs ACP ainsi que d'une garantie des revenus des producteurs communautaires aurait pu être atteint par des mesures affectant moins la concurrence et les intérêts de certaines catégories d'opérateurs économiques.

89 A cet égard, il convient de rappeler que le législateur communautaire dispose en matière de politique agricole commune d'un large pouvoir d'appréciation qui correspond aux responsabilités politiques que les articles 40 et 43 du traité lui attribuent.

90 La Cour a en effet jugé que seul le caractère manifestement inapproprié d'une mesure arrêtée dans ce domaine, par rapport à l'objectif que l'institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d'une telle mesure. Plus spécifiquement, lorsque, pour prendre une réglementation, le législateur communautaire est amené à apprécier les effets futurs de cette réglementation et que ces effets ne peuvent être prévus avec exactitude, son appréciation ne peut être censurée que si elle apparaît manifestement erronée au vu des éléments dont il disposait au moment de l'adoption de la réglementation (arrêt Wuidart e.a., précité, point 14, et arrêt du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C-331-88, Rec. p. I-4023, point 14).

91 Cette limitation du contrôle de la Cour s'impose particulièrement si, dans la réalisation d'une organisation commune des marchés, le Conseil est amené à opérer des arbitrages entre des intérêts divergents et à prendre ainsi des options dans le cadre des choix politiques relevant de ses responsabilités propres.

92 En l'espèce, il résulte des débats menés devant la Cour que le Conseil devait notamment concilier les intérêts opposés de certains États membres producteurs de bananes, soucieux d'assurer à leur population agricole vivant dans des régions économiquement défavorisées l'écoulement d'une production vitale pour celle-ci et d'éviter ainsi des troubles sociaux, et d'autres États membres non producteurs de bananes, soucieux avant tout d'assurer à leurs consommateurs un approvisionnement en bananes aux meilleures conditions de prix et un accès illimité à la production des pays tiers.

93 Le Gouvernement allemand indique que des mesures moins contraignantes, à savoir un régime d'aides plus développé aux producteurs communautaires et ACP associé à un mécanisme de prélèvements sur l'importation de bananes pays tiers permettant de financer ce régime d'aides, auraient permis de réaliser l'objectif poursuivi.

94 S'il n'est pas à exclure que d'autres moyens étaient envisageables pour aboutir au résultat recherché, la Cour ne saurait toutefois substituer son appréciation à celle du Conseil sur le caractère plus ou moins adéquat des mesures retenues par le législateur communautaire, dès lors que la preuve n'est pas rapportée que ces mesures étaient manifestement inappropriées pour réaliser l'objectif poursuivi.

95 Or, la requérante n'a pas établi que le Conseil a arrêté des mesures manifestement inappropriées ou s'est livré à une appréciation manifestement erronée des éléments dont il disposait au moment de l'adoption de la réglementation.

96 Il convient d'ajouter que le régime des échanges avec les pays tiers, en particulier l'instauration d'un contingent tarifaire et d'un mécanisme de répartition, ne constitue que l'un des instruments prévus par le règlement en vue de garantir notamment l'écoulement de la production communautaire, à côté de l'instauration de normes communes de qualité et de commercialisation et d'un régime d'aides.

97 Par ailleurs, il n'est pas évident que les mesures alternatives suggérées par la requérante soient aptes à réaliser l'objectif d'intégration des marchés qui est à la base de toute organisation commune des marchés.

98 Il en résulte que les griefs tirés d'une violation du droit de propriété, d'une méconnaissance des droits acquis, d'une atteinte au libre exercice des activités professionnelles et du non-respect du principe de proportionnalité doivent également être rejetés comme non fondés.

99 Compte tenu de l'ensemble des considérations qui précèdent, le moyen tiré de la violation des règles de fond du droit communautaire doit être rejeté.

Sur la violation de l'article 168 de la convention de Lomé

100 La République fédérale d'Allemagne soutient que l'article 168, paragraphe 1, de la convention de Lomé affranchit l'importation de produits ACP de tout droit de douane. Le Conseil ne saurait invoquer le paragraphe 2, sous a), de cet article pour opérer une différence de traitement entre les importations traditionnelles et non traditionnelles de bananes ACP.

101 A cet égard, il suffit de constater qu'au regard de l'instauration d'un contingent tarifaire l'importation de bananes en provenance des États ACP relève de l'article 168, paragraphe 2, sous a), ii), de la convention de Lomé, cité au point 10 du présent arrêt. Conformément au protocole n° 5, la Communauté n'est tenue d'admettre l'accès, en exemption de droits de douane, que des quantités de bananes effectivement importées "à droit zéro" en provenance de chaque État ACP, fournisseur traditionnel, au cours de la meilleure année antérieure à 1991. Les annexes LXXIV et LXXV relatives à ce protocole confirment d'ailleurs que la Communauté a pour seule obligation de maintenir, en ce qui concerne l'accès au Marché communautaire des bananes ACP, les avantages des États ACP antérieurs à la convention de Lomé.

102 Dans ces conditions, le moyen tiré de la violation de l'article 168 de la convention de Lomé doit être rejeté.

Sur la violation des règles du GATT

103 La République fédérale d'Allemagne soutient que le respect des règles du GATT conditionne la légalité des actes communautaires, abstraction faite de toute question relative à l'effet direct de l'Accord général, et que le règlement contrevient à certaines dispositions fondamentales de cet accord.

104 Le Conseil, soutenu en particulier par la Commission, réplique qu'au regard de sa nature particulière le GATT ne saurait être invoqué pour contester la légalité d'un acte communautaire, sauf dans le cas spécifique où les dispositions communautaires ont été adoptées pour mettre en œuvre des obligations contractées dans le cadre du GATT.

105 Pour décider si la requérante peut invoquer certaines dispositions du GATT afin de contester la légalité du règlement, il convient de rappeler que la Cour a reconnu que les dispositions de l'Accord général ont pour effet de lier la Communauté. Elle a toutefois également admis qu'en vue d'apprécier la portée du GATT dans l'ordre juridique communautaire, il convient d'envisager à la fois l'esprit, l'économie et les termes de l'Accord général.

106 A cet égard, la Cour a constaté dans une jurisprudence constante que le GATT, fondé, aux termes de son préambule, sur le principe de négociations entreprises sur "une base de réciprocité et d'avantages mutuels", est caractérisé par la grande souplesse de ses dispositions, notamment de celles qui concernent les possibilités de dérogation, les mesures pouvant être prises en présence de difficultés exceptionnelles et le règlement des différends entre les parties contractantes.

107 La Cour a reconnu que ces mesures englobent, pour le règlement des différends, selon le cas, des représentations ou propositions écrites à "examiner avec compréhension", des enquêtes éventuellement suivies de recommandations, de consultations ou de décisions des parties contractantes, y compris celle d'autoriser certaines parties contractantes à suspendre, à l'égard d'autres, l'application de toute concession ou autre obligation résultant de l'Accord général, et enfin, dans le cas d'une telle suspension, la faculté de la partie concernée de dénoncer cet accord.

108 Elle a noté que, pour le cas où, du fait d'un engagement assumé en vertu de l'Accord général ou d'une concession relative à une préférence, certains producteurs subissent ou risquent de subir un préjudice grave, l'article XIX prévoit la faculté pour une partie contractante de suspendre unilatéralement l'engagement ainsi que de retirer ou de modifier la concession, soit après consultation de la collectivité des parties contractantes et à défaut d'accord entre les parties contractantes intéressées, soit même, s'il y a urgence et à titre provisoire, sans consultation préalable (voir arrêts du 12 décembre 1972, International Fruit Company, 21-72 à 24-72, Rec. p. 1219, points 21, 25 et 26, du 24 octobre 1973, Schlueter, 9-73, Rec. p. 1135, point 29, du 16 mars 1983, SIOT, 266-81, Rec. p. 731, point 28, SPI et SAMI, 267-81, 268-81 et 269-81, Rec. p. 801, point 23).

109 Ces particularités de l'Accord général, relevées par la Cour pour constater qu'un justiciable de la Communauté ne peut pas s'en prévaloir en justice afin de contester la légalité d'un acte communautaire, s'opposent également à ce que la Cour prenne en considération les dispositions de l'Accord général pour apprécier la légalité d'un règlement dans le cadre d'un recours introduit par un État membre au titre de l'article 173, premier alinéa, du traité.

110 En effet, les différentes particularités relevées ci-dessus font apparaître que les règles de l'Accord général sont dépourvues de caractère inconditionnel et que l'obligation de leur reconnaître valeur de règles de droit international immédiatement applicables dans les ordres juridiques internes des parties contractantes ne peut pas être fondée sur l'esprit, l'économie ou les termes de l'Accord.

111 En l'absence d'une telle obligation découlant de l'Accord lui-même, ce n'est que dans l'hypothèse où la Communauté a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre du GATT ou dans celle où l'acte communautaire renvoie expressément à des dispositions précises de l'Accord général, qu'il appartient à la Cour de contrôler la légalité de l'acte communautaire en cause au regard des règles du GATT (voir arrêts du 22 juin 1989, Fediol, 70-87, Rec. p. 1781, et du 7 mai 1991, Nakajima/Conseil, C-69-89, Rec. p. I-2069).

112 Il résulte des développements qui précèdent que la République fédérale d'Allemagne ne saurait invoquer les dispositions du GATT pour contester la légalité de certaines dispositions du règlement.

Sur la violation du protocole bananes

113 La République fédérale d'Allemagne expose que le protocole bananes fait partie intégrante du traité et que toute modification de ce protocole aurait dû se faire dans le respect des conditions de l'article 236 du traité. La dérogation à la règle de l'unanimité, prévue au paragraphe 4 du protocole bananes, ne viserait que la possibilité de modifier un contingent annuel mais ne permettrait pas la suppression de ce protocole en tant que tel.

114 Il convient de reconnaître d'abord que le protocole bananes fait effectivement partie intégrante du traité, en tant qu'annexe à la convention d'application relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer à la Communauté, bien que cette convention ait cessé d'être en vigueur depuis le 31 décembre 1962.

115 Toutefois, ce protocole a été adopté à titre de mesure transitoire, en attendant l'uniformisation des conditions d'importation des bananes dans le Marché commun. Ce caractère transitoire est mis en évidence par l'indication des étapes successives dans la réalisation du Marché commun comportant à chaque fois une réduction du contingent par rapport aux importations de l'année de base 1956.

116 Dans cette logique, le protocole prévoit, à son point 4, troisième alinéa, que, sur proposition de la Commission, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, décide de la suppression ou de la modification de ce contingent, sans faire aucune réserve quant à la portée dans le temps d'une décision de suppression.

117 Il convient de noter, par ailleurs, qu'accepter le point de vue défendu par la requérante aboutirait à rendre impossible la création d'une organisation commune des marchés dans le secteur de la banane, dans les conditions prévues à l'article 43, paragraphe 2, du traité. Or, le protocole ne saurait avoir pour effet de déroger à une disposition fondamentale du traité.

118 Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la violation du protocole bananes doit être rejeté.

119 Aucun moyen d'annulation n'ayant pu être accueilli, il convient de rejeter le recours de la République fédérale d'Allemagne dans son ensemble.

Sur les dépens

120 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La République fédérale d'Allemagne ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux relatifs à la procédure en référé. Conformément à l'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, les États membres et la Commission qui sont intervenus au litige supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) La requérante est condamnée aux dépens, y compris ceux relatifs à la procédure en référé.

3) Les parties intervenantes supporteront leurs propres dépens.