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Décisions

CJCE, 26 février 1991, n° C-120/88

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République italienne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Mancini, O'Higgins, Rodríguez Iglesias

Avocat général :

M. Darmon

Juges :

MM. Kakouris, Joliet, Schockweiler

Avocat :

Me Favara.

CJCE n° C-120/88

26 février 1991

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 19 avril 1988, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 95 du traité en n'adoptant pas les mesures nécessaires pour permettre aux non-assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après "TVA ") qui importent dans cet État membre des biens déjà grevés de cette taxe dans un autre État membre, sans avoir pu en obtenir le remboursement, de déduire de la TVA due à l'importation le montant de la TVA acquittée dans l'État membre d'exportation encore incorporé dans la valeur des biens au moment de l'importation.

2 La Commission soutient que le défaut d'adoption par la République italienne de dispositions ouvrant ce droit à déduction aux non-assujettis, conformément à la jurisprudence de la Cour, engendre une situation de fait ambiguë, contraire au principe de sécurité juridique, et permet une double imposition incompatible avec l'interdiction des discriminations fiscales, principe directement applicable consacré par l'article 95, précité, tel qu'interprété par la Cour, dans la mesure où les livraisons de produits similaires effectuées par des non-assujettis à l'intérieur du territoire italien ne sont pas soumises à la TVA.

3 La République italienne fait valoir que le principe d'interdiction des doubles impositions n'est pas en soi suffisant pour résoudre tous les problèmes de technique fiscale inhérents à la matière et que la proposition de seizième directive du Conseil visant à établir un régime commun applicable à certains biens définitivement grevés de taxe sur la valeur ajoutée, importés par un consommateur final d'un État membre en provenance d'un autre État membre (JO 1986, C 96, p. 5), devrait être rapidement adoptée de manière à permettre la mise en œuvre de procédures et de modalités d'application uniformes. Par ailleurs, l'incertitude sur la portée de leurs droits dans laquelle sont maintenus les citoyens européens serait imputable à la réglementation communautaire et ne saurait être reprochée à la République italienne.

4 Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

5 Il convient de rappeler au préalable que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l'article 95 énonce une interdiction de discrimination fiscale des produits importés qui produit des effets directs et crée pour les particuliers des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder (voir, notamment, arrêt du 5 mai 1982, Gaston Schul I, point 46, 15-81, Rec. p. 1409).

6 Selon une jurisprudence également constante (voir arrêts du 21 mai 1985, Gaston Schul II, 47-84, Rec. p. 1491, et du 25 février 1988, Drexl, 299-86, Rec. p. 1213), l'article 95, précité, doit être interprété en ce sens que la TVA perçue par un État membre lors de l'importation, en provenance d'un autre État membre, d'un produit livré par un non-assujetti, alors que cette taxe n'est pas perçue lors de la livraison par un particulier de produits similaires à l'intérieur de l'État membre d'importation, doit être calculée compte tenu du montant de la TVA acquittée dans l'État membre d'exportation qui est encore incorporé dans la valeur du produit au moment de son importation, de manière telle que ce montant ne fasse pas partie de la base d'imposition et soit en outre déduit de la TVA due à l'importation.

7 Il s'ensuit que les dispositions communautaires pertinentes ne laissent pas, contrairement à ce que soutient la République italienne, les citoyens européens dans l'incertitude sur la portée de leurs droits au regard du principe de non-discrimination fiscale des produits importés.

8 Il est par ailleurs constant que les dispositions nationales en cause prévoient la perception de la TVA sur l'importation par les non-assujettis de biens déjà grevés de la TVA dans l'État membre d'exportation, sans permettre aux intéressés de déduire la TVA résiduelle du montant de la TVA perçue à l'importation, alors que les livraisons de produits similaires effectuées par des non-assujettis à l'intérieur du territoire italien ne sont pas soumises à la TVA.

9 De telles dispositions sont incompatibles avec l'interdiction des discriminations fiscales des produits importés en ce que, en dépit de l'effet direct de l'article 95, elles maintiennent les importateurs non assujettis dans un état d'incertitude quant à leur droit d'invoquer cet article et sont susceptibles d'inciter les agents de l'administration nationale chargés de la perception de la TVA à ne pas mettre en œuvre le principe de déduction de la TVA résiduelle.

10 En effet, la faculté offerte aux justiciables d'invoquer devant les juridictions nationales les dispositions directement applicables du traité ne constitue qu'une garantie minimale et ne suffit pas à assurer à elle seule l'application pleine et complète du traité (voir arrêt du 15 octobre 1986, Commission/Italie, point 11, 168-85, Rec. p. 2945).

11 Par ailleurs, les principes de sécurité juridique et de protection des particuliers exigent que, dans les domaines couverts par le droit communautaire, les règles de droit des États membres soient formulées d'une manière non équivoque qui permette aux personnes concernées de connaître leurs droits et obligations d'une manière claire et précise et aux juridictions nationales d'en assurer le respect (voir arrêt du 21 juin 1988, Commission/Italie, 257-86, Rec. p. 3249).

12 Le moyen de défense tiré par la République italienne de l'absence actuelle de régime commun de TVA applicable aux opérations d'importation en cause doit être rejeté.

13 Il suffit de rappeler à cet égard que, si la mise en place d'un régime commun de TVA applicable à ces opérations appartient au législateur communautaire, l'article 95, précité, s'oppose, aussi longtemps qu'un tel régime n'est pas instauré, à ce qu'un État membre puisse appliquer son régime de TVA aux produits importés d'une manière contraire au principe de non-discrimination fiscale (voir arrêt Gaston Schul I, précité).

14 En effet, la mise en œuvre de l'harmonisation des législations fiscales conformément à l'article 99 du traité ne saurait être érigée en préalable de l'application de l'article 95, qui impose aux États membres, avec effet immédiat, l'obligation d'appliquer de manière non discriminatoire leur législation fiscale dès avant toute harmonisation (voir arrêt du 27 février 1980, Commission/Danemark, 171-78, Rec. p. 447).

15 Il s'ensuit que les arguments de la République italienne ne sauraient être accueillis.

16 Compte tenu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 95 du traité CEE en n'adoptant pas les mesures nécessaires pour permettre aux non-assujettis à la TVA qui importent sur le territoire italien des biens déjà grevés de cette taxe dans un autre État membre, sans avoir pu en obtenir le remboursement, de déduire de la TVA due à l'importation le montant de la TVA acquittée dans l'État membre d'exportation encore incorporé dans la valeur des biens au moment de l'importation, alors que les livraisons de produits similaires effectuées par des non-assujettis à l'intérieur du territoire italien ne sont pas soumises à la TVA.

Sur les dépens

17 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La République italienne ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Déclare et arrête :

1) La République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 95 du traité CEE en n'adoptant pas les mesures nécessaires pour permettre aux non-assujettis à la TVA qui importent sur le territoire italien des biens déjà grevés de cette taxe dans un autre État membre, sans avoir pu en obtenir le remboursement, de déduire de la TVA due à l'importation le montant de la TVA acquittée dans l'État membre d'exportation encore incorporé dans la valeur des biens au moment de l'importation, alors que les livraisons de produits similaires effectuées par des non-assujettis à l'intérieur du territoire italien ne sont pas soumises à la TVA.

2) La République italienne est condamnée aux dépens.