CE, 1re et 6e sous-sect. réunies, 16 juin 2004, n° 235176
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Mutuelle générale des services publics, Union fédérale des cadres des fonctions publiques CFE-CGC et de la Fédération générale CFTC des syndicats chrétiens de fonctionnaires, Agents de l'Etat et assimilés
Défendeur :
Mutualité fonction publique services et de la fédération nationale des mutuelles de la fonction publique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Stirn
Commissaire du gouvernement :
M. Stahl
Rapporteur :
M. Boulouis
Avocats :
SCP Parmentier, Didier, SCP Delaporte, Briard, Trichet.
LE CONSEIL : - Vu la décision du 13 janvier 2003 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux, avant de statuer sur les conclusions des requêtes de la Mutuelle générale des services publics, de l'Union générale des cadres des fonctions publiques CFE-CGC et de la Fédération générale CFTC des syndicats chrétiens de fonctionnaires, Agents de l'Etat et assimilés (FGF-CFTC) tendant à l'annulation du décret n° 2001-371 du 27 avril 2001 relatif aux modalités de la gestion des prestations d'action sociale interministérielles, a invité le Conseil de la concurrence à lui fournir tous éléments d'appréciation susceptibles de lui permettre de déterminer si la Mutualité fonction publique est placée, par l'effet de ce décret, en situation d'abuser d'une position dominante en particulier sur le marché des prestations sociales au profit des agents publics ; - Vu l'avis n° 03-A-21 du 31 décembre 2003 du Conseil de la concurrence ; - Vu les autres pièces des dossiers ; - Vu la note en délibéré présentée pour la Mutuelle générale des services publics, l'Union fédérale des cadres des fonctions publiques CFE-CGC et la Fédération générale des syndicats chrétiens de fonctionnaires et Agents de l'Etat et assimilés ; - Vu la note en délibéré présentée pour la Mutualité Fonction Publique Services ; - Vu le traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne ; - Vu le Code de la sécurité sociale ; - Vu le Code de commerce ; - Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, notamment son article 9 modifié par l'article 25 de la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 ; - Vu le Code de justice administrative ;
Considérant qu'aux termes de l'article 86 du traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne, devenu l'article 82 : Est incompatible avec le Marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le Marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci (...) ; qu'aux termes de l'article 90 de ce même traité, devenu l'article 86 : 1. Les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent traité, (...) ; qu'en vertu de l'article L. 420-2 du Code de commerce, est prohibée l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ; qu'aux termes des troisième et quatrième alinéas de l'article 9 de la loi du 13 juillet 1983, résultant de la loi du 3 janvier 2001 : Les prestations d'action sociale, individuelles ou collectives, sont distinctes de la rémunération visée à l'article 20 de la présente loi et sont attribuées indépendamment du grade, de l'emploi ou de la manière de servir. L'Etat, les collectivités locales et leurs établissements publics peuvent confier à titre exclusif la gestion de tout ou partie des prestations dont bénéficient les agents à des organismes à but non lucratif ou à des associations nationales ou locales régies par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association (...) ;
Considérant qu'ainsi que l'a d'ailleurs relevé le Conseil de la concurrence dans son avis du 31 décembre 2003 rendu à la suite de la décision avant-dire-droit du Conseil d'Etat statuant au contentieux du 13 janvier 2003, la légalité du décret attaqué au regard des stipulations et dispositions précitées doit être appréciée en prenant en compte ses effets sur chacune des activités de prestation à caractère économique de la Mutualité fonction publique, à laquelle ce décret confie, à titre exclusif, en application des dispositions précitées de l'article 9 de la loi du 13 juillet 1983, la gestion, parmi les prestations d'action sociale interministérielle instituées au bénéfice des agents de l'Etat, des chèques-vacances, de l'aide ménagère à domicile, de l'aide à l'amélioration de l'habitat et de l'aide et des prêts à l'installation ; que ce décret renvoie à une convention passée avec l'Etat les modalités de gestion de ces prestations par la Mutualité fonction publique ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les tâches confiées par le décret attaqué à la Mutualité fonction publique consistent principalement dans le suivi des dossiers de demandes et le versement des prestations ainsi que dans des actions d'information sur celles-ci ;que de telles tâches n'étant pas propres à la gestion de prestations d'actions sociales interministérielles au bénéfice d'agents de l'Etat, les effets de ce décret doivent être appréciés sur le marché de la gestion des prestations d'action sociale de l'ensemble des agents publics dont il ne ressort pas des pièces du dossier que la Mutualité fonction publique y dispose d'une position dominante ;qu'en revanche, la Mutualité fonction publique et les mutuelles qu'elle regroupe ou qui lui sont associées disposent, de manière collective, d'une position dominante sur le marché de la protection complémentaire en matière de santé et de vieillesse des agents de l'Etat qui, du fait de la spécificité du régime de sécurité sociale de ces agents et des règles particulières de gestion des prestations légales de ce régime, constitue un marché distinct du marché de la protection complémentaire en matière de santé et de vieillesse de l'ensemble des assurés sociaux ;qu'il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que ces mutuelles seraient, par le simple exercice du droit exclusif de gestion de prestations d'action sociale interministérielles, conduites à abuser de leur position dominante sur ce marché ;qu'en particulier, ni la circonstance que la compétence de gestion à titre exclusif de prestations légales d'action sociale, ajoutée à celle que les articles L. 712-6 et suivants du Code de la sécurité sociale confient aux mutuelles de fonctionnaires de verser aux fonctionnaires de l'Etat et aux magistrats certaines prestations légales de sécurité sociale, serait susceptible de conduire à des confusions propres à fausser la concurrence sur la nature des différents types de prestations, légales ou complémentaires, et le rôle joué par ces mutuelles dans leur gestion, ni la circonstance que les coûts de gestion des différents types de prestations ne seraient pas comptablement distingués ne peuvent être regardées comme la conséquence directe de la mise en œuvre du décret attaqué ;qu'enfin la circonstance que la durée de l'exclusivité accordée à la Mutualité fonction publique ne soit fixée à trois ans renouvelables que par la convention passée avec l'Etat, et non par le décret lui-même, ne saurait être regardée comme mettant nécessairement cet organisme en situation d'abuser d'une position dominante dès lors que ce décret, relatif à l'organisation du service public, n'a pu, comme tel, créer, au profit de la Mutualité fonction publique, aucun droit à son maintien ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la Mutuelle générale des services publics, la Fédération générale CFTC des syndicats chrétiens de fonctionnaires Agents de l'Etat et assimilés et l'Union fédérale des cadres des fonctions publiques CFE-CGC ne sont pas fondées à demander l'annulation du décret attaqué ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, les sommes que demandent à ce titre la Mutuelle générale des services publics, la Fédération générale CFTC des syndicats chrétiens de fonctionnaires Agents de l'Etat et assimilés et l'Union fédérale des cadres des fonctions publiques CFE-CGC ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la Fédération générale CFTC des syndicats chrétiens de fonctionnaires Agents de l'Etat et assimilés et de l'Union fédérale des cadres des fonctions publiques CFE-CGC, la somme globale de 3 000 euros demandée par la Mutualité fonction publique à ce titre ;
DECIDE :
Article 1er : Les requêtes n°s 235176, 238290 et 238291 sont rejetées.
Article 2 : La Fédération générale CFTC des syndicats chrétiens de fonctionnaires Agents de l'Etat et assimilées et l'Union fédérale des cadres des fonctions publiques CFE-CGC verseront à la Mutualité fonction publique la somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Mutuelle générale des services publics, à la Fédération générale CFTC des syndicats chrétiens de fonctionnaires Agents de l'Etat et assimilés, à l'Union fédérale des cadres des fonctions publiques CFE-CGC, à la Mutualité fonction publique, au Premier ministre, au ministre de la Fonction publique et de la Réforme de l'Etat et au ministre d'Etat, ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie.