Cass. com., 14 décembre 2004, n° 01-16.232
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Axia (Sté)
Défendeur :
Ergam Roneo 37 (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Rapporteur :
M. Sémériva
Avocats :
SCP Ghestin, Me Spinosi
LA COUR : - Attendu, selon les arrêts attaqués (Paris, 19 mars 1997 et 20 juin 2001), que la société Ergam Ronéo 37 (devenue la société Ronéo) a conclu le 29 mai 1991 un contrat de partenariat avec la société Axia; qu'une nouvelle convention a été passée le 22 juin 1992 et révisée le 17 septembre 1992, stipulant notamment que la société Axia devrait réaliser un chiffre d'affaires minimum, une exclusivité territoriale lui étant consentie, sauf en ce qui concerne divers clients, dits "comptes réservés" ; que ce partenariat ayant été dénoncé par la société Ronéo, pour non-réalisation des objectifs de vente, la société Axia a agi en paiement de dommages-intérêts pour dénonciation abusive de contrat et "concurrence déloyale"; que par arrêt du 19 mars 1997, la cour d'appel a décidé que la rupture du contrat n'était pas abusive, que la société Axia bénéficiait d'une exclusivité dans le département de la Seine et Marne, hors comptes réservés, du 1er avril 1992 au 30 septembre 1993, mais que la société Ronéo avait commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice en vendant directement à des clients ne figurant pas sur les comptes réservés, puis a ordonné une expertise, afin notamment d'examiner si les ventes effectuées par la société Ronéo dans la période ainsi déterminée l'avaient été en violation de l'exclusivité, et de chiffrer au besoin le préjudice consécutif pour la société Axia ; que par arrêt du 20 juin 2001, la cour d'appel a liquidé le montant de ce préjudice;
Sur le second moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société Axia fait grief à l'arrêt du 20 juin 2001 d'avoir rejeté des débats le rapport d'expertise comptable de M. Gomez, communiqué le 18 avril 2001, alors, selon le moyen, que le juge ne peut écarter des débats des pièces communiquées avant l'ordonnance de clôture sans préciser les circonstances particulières qui ont empêché de respecter le principe de la contradiction; que la cour d'appel qui n'a pas précisé les circonstance particulières qui auraient empêché la société Ronéo de prendre connaissance du rapport de l'expert Gomez communiqué quatre jours avant l'ordonnance de clôture, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 15, 16, 779 et 783 du nouveau Code de procédure civile;
Mais attendu qu'en constatant que ce document avait été communiqué, près de deux ans après le dépôt du rapport définitif de l'expert judiciaire, le 18 avril 2001, alors que l'ordonnance de clôture a été prononcée le 24 avril 2001, et qu'il n'avait pu être examiné par la partie adverse, la cour d'appel a caractérisé les circonstances particulières justifiant qu'il soit écarté des débats; que le moyen n'est pas fondé;
Sur le premier moyen du pourvoi incident : - Attendu que cette société fait grief à l'arrêt du 19 mars 1997 d'avoir décidé qu'elle avait commis des actes de concurrence déloyale, alors, selon le moyen, que la concurrence déloyale repose sur un fondement délictuel; qu'en se fondant sur le seul non-respect, à le supposer établi par la société Ronéo, d'un accord de partenariat commercial qui la liait à la société Axia et qui définissait une répartition de clientèle entre elles, la cour d'appel n'a caractérisé aucun acte de concurrence déloyale, et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil;
Mais attendu que, peu important la référence à la qualification, erronée, de concurrence déloyale, la cour d'appel, qui n'était saisie que d'une action prise de la méconnaissance d'un contrat, a constaté les manquements de la société Ronéo et fondé sa responsabilité, non sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil, mais sur les fautes ainsi commises dans l'exécution du contrat liant les parties;que le moyen est inopérant;
Et sur le second moyen du pourvoi incident : - Attendu que cette société fait grief à l'arrêt du 19 mars 1997 d'avoir décidé qu'elle avait commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Axia, en concluant une vente directement avec la Société générale de Lognes, alors, selon le moyen : 1°) que les parties ont transformé les relations existantes entre elles en signant le 17 septembre 1992 un protocole d'accord octroyant au profit d'Axia une clause d'exclusivité dont étaient expressément exclus certains clients représentant des "comptes réservés" dont la liste était énumérée en annexe; qu'aucune dérogation au principe de l'exclusion de ces comptes réservés du champ de l'application de la clause d'exclusivité n'était contenue ni dans le protocole d'accord ni dans son annexe; que la cour d'appel ne pouvait donc sans contradiction de motifs, d'une part, constater expressément que la clause d'exclusivité transformant les relations entre les parties était entrée en application le 1er avril 1992, et d'autre part, faire état du courrier du 7 décembre 1991, antérieur à l'entrée en vigueur de la clause d'exclusivité pour estimer que des conditions dérogatoires permettaient à la société Axia de conclure une vente avec un client faisant partie de la liste des clients réservés, et partant violer l'article 455 du nouveau Code de procédure civile; 2°) que la cour d'appel a retenu que la clause d'exclusivité liant les parties s'était appliquée du 1er avril 1992 au 30 septembre 1993 et a relevé, pour justifier l'agrément de la société Ronéo à la poursuite d'une vente par la société Axia faite par un client relevant d'un "compte réservé", un télex adressé par la société Ronéo le 20 janvier 1992, soit antérieurement à la période d'application de la clause d'exclusivité; que la cour d'appel ne pouvait sans se contredire, d'une part, constater que la clause d'exclusivité n'avait reçu application qu'à partir du 1er avril 1992, et d'autre part, pour estimer que la société Ronéo avait donné son agrément à la société Axia pour conclure une vente avec un client figurant sur la liste "comptes réservés", faire état d'un acte antérieur à l'entrée en application de la clause d'exclusivité; que ce faisant, la cour d'appel a de plus fort violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;
Mais attendu que la société Ronéo faisait valoir dans ses conclusions d'appel que, nonobstant l'existence des comptes réservés, la société Axia soutenait qu'il lui était loisible d'intervenir sur ceux-ci en application d'une lettre du 13 décembre 1991, que c'était faire là une analyse inexacte de cette lettre puisqu'elle érigeait l'exception en principe en passant sous silence que la règle est l'absence de prospection sur les grands comptes, à l'exception des interventions ponctuelles sous réserves de l'agrément de Ronéo, et que la société Axia ne rapportait pas la preuve d'un quelconque agrément ; que le moyen, contraire à la thèse ainsi soutenue devant les juges du fond, dès lors qu'il suppose que la convention applicable à partir du 1er avril 1992, privait de valeur les dérogations accordées sous l'empire de celle passée le 29 mai 1991, est irrecevable en ses deux branches;
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche : - Vu les articles 1134 et 1147 du Code civil; - Attendu que pour rejeter la demande fondée sur la rupture abusive du contrat par la société Ronéo, l'arrêt du 19 mars 1997 retient que la société Axia ne peut justifier de la non-réalisation de son chiffre par le fait que la société Ronéo a pratiqué des ventes directes sur son secteur, dès lors que, comme l'indique le tribunal, le total des commandes qu'elle invoque s'élève à 621 837,40 francs TTC, tandis que la différence entre le chiffre réalisé et l'objectif s'élevait, fin février 1993, soit un mois avant le terme de la période de référence, à 2 800 000 francs au moins, d'où l'on peut déduire que l'insuffisance du chiffre a d'autres causes que celles qu'elle invoque, étant de surcroît observé que, sur les quatre ventes directes jugées fautives, deux au moins sont intervenues postérieurement au 31 mars 1993 et n'ont pu avoir aucune incidence sur le chiffre d'affaires réalisé avant cette date, que c'est à juste titre que la société Axia fait valoir que la société Ronéo a pu commettre d'autres actes de concurrence déloyale sans qu'elle en ait eu connaissance, de sorte qu'il y a lieu d'ordonner une expertise afin de vérifier les comptes et de chiffrer le préjudice, mais qu'à supposer que l'expertise mette en évidence d'autres ventes déloyales, l'importance du déficit d'objectif exclut qu'il puisse être comblé par des commandes dont le montant moyen est modeste;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle retenait, quelle qu'ait été l'évaluation proposée devant les premiers juges, que la société Axia indiquait à juste titre qu'elle pouvait n'avoir pas connaissance d'autres faits, et que cette circonstance devait conduire à ordonner une expertise, ce dont il suivait que le montant des ventes réalisées en méconnaissance de l'exclusivité consentie par la société Ronéo ne pouvait être évalué en l'état, la cour d'appel, en excluant que l'importance de ces sommes puisse se révéler propre à justifier le déficit en cause, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du premier moyen du pourvoi principal : Rejette le pourvoi en ce qu'il concerne l'arrêt du 20 juin 2001 [selon arrêt rectificatif du 12 février 2008]; Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a dit que la rupture du contrat liant les parties n'est pas abusive, et en ce qu'il a rejeté la demande formée par la société Axia au titre de l'indemnisation de cette rupture, l'arrêt rendu le 19 mars 1997 [selon arrêt rectificatif du 12 février 2008], entre les parties, par la Cour d'appel de Paris; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Reims.