TPICE, 5e ch., 9 novembre 2004, n° T-252/03
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Fédération nationale de l'industrie et des commerces en gros des viandes, République française
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lindh
Juges :
MM. García-Valdecasas, Cooke
Avocats :
Mes Abegg, Prigent.
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),
Cadre juridique
1 Conformément à l'article 225, paragraphe 1, CE et à l'article 230 CE, le Tribunal contrôle la légalité, notamment, des décisions adoptées par la Commission et est compétent, à cet effet, pour se prononcer sur les recours pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du traité CE ou de toute règle de droit relative à son application, ou détournement de pouvoir, formés notamment par toute personne physique ou morale destinataire de ces décisions.
2 En vertu de l'article 230, cinquième alinéa, CE, le recours en annulation doit être formé dans un délai de deux mois à compter de la notification au requérant de la décision attaquée. Selon l'article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, le délai pour l'introduction d'un recours contre un acte d'une institution est augmenté d'un délai de distance forfaitaire de dix jours.
3 En vertu de l'article 229 CE, " [l]es règlements arrêtés conjointement par le Parlement européen et le Conseil, et par le Conseil en vertu des dispositions du [...] traité [CE] peuvent attribuer à la Cour de justice une compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions prévues dans ces règlements ".
4 Aux termes de l'article 17 du règlement nº 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), " [l]a Cour de justice statue avec compétence de pleine juridiction au sens de l'article [229 CE] sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende ou une astreinte; elle peut supprimer, réduire, ou majorer l'amende ou l'astreinte infligée ".
Faits à l'origine du litige
5 Par décision 2003-600-CE, du 2 avril 2003, relative à une procédure d'application de l'article 81 du traité CE (affaire COMP/C.38.279/F3 - Viandes bovines françaises) (JO L 209, p. 12, ci-après la "décision litigieuse"), la Commission a constaté que la requérante, une fédération représentant des abatteurs de bovins en France, avait enfreint l'article 81, paragraphe 1, CE en concluant, avec d'autres organisations du secteur de la viande bovine en France, des accords ayant pour objet de suspendre les importations de viande bovine en France et de fixer un prix minimal pour certaines catégories de viande bovine (article 1er de la décision litigieuse). Le montant de l'amende infligée à la requérante a été fixé à 720 000 euro (article 3 de la décision litigieuse).
Procédure et conclusions des parties
6 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 juillet 2003, la requérante a introduit le présent recours.
7 Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit une demande en référé visant à obtenir le sursis, d'une part, de l'exécution de la décision litigieuse et, d'autre part, de l'obligation de constituer une garantie bancaire comme condition du non-recouvrement de l'amende imposée.
8 Le 17 juillet 2003, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité du recours au principal et de la demande en référé.
9 Le 18 juillet 2003, la requérante a présenté ses observations sur l'exception d'irrecevabilité.
10 Le 7 octobre 2003, la République française a introduit une demande d'intervention au soutien des conclusions de la requérante. Par ordonnance du 20 novembre 2003, le président de la cinquième chambre du Tribunal a admis l'intervention de la République française. Le 23 décembre 2003, la République française a présenté un mémoire en intervention.
11 Par ordonnance du président du Tribunal du 21 janvier 2004, la demande en référé a été rejetée.
12 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- rejeter l'exception d'irrecevabilité ;
- à titre principal, annuler l'amende qui lui est infligée par la décision litigieuse ;
- à titre subsidiaire, diminuer très sensiblement le montant de ladite amende ;
- condamner la Commission aux dépens.
13 La République française, intervenant au soutien de la requérante, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- annuler la décision litigieuse ;
- condamner la Commission aux dépens.
14 La Commission conclut au rejet du recours comme manifestement irrecevable.
Sur la recevabilité
Arguments des parties
15 La Commission fait valoir que le recours est manifestement irrecevable, puisqu'il a été introduit après l'expiration du délai de recours de deux mois et dix jours prévu par les dispositions combinées de l'article 230, cinquième alinéa, CE et de l'article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure.
16 La requérante fait remarquer que le recours qu'elle a introduit à l'encontre de la décision litigieuse est un " recours de pleine juridiction ", fondé sur l'article 229 CE. En effet, par son recours, elle ne contesterait ni le principe de l'infraction ni celui de la condamnation. Elle se limiterait à contester l'amende imposée, qui lui paraît inadaptée et excessive. À cet égard, la requérante soutient que le " recours de pleine juridiction " n'est soumis à aucune condition de délai.
Appréciation du Tribunal
17 Aux termes de l'article 114 du règlement de procédure, lorsqu'une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l'irrecevabilité sans engager le débat au fond, dans les conditions prévues par les paragraphes 3 et 4 de cet article. En l'espèce, le Tribunal s'estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide de statuer sans ouvrir la procédure orale et sans engager le débat au fond.
18 La requérante fait, en substance, valoir que son recours a pour fondement l'article 229 CE. Par conséquent, il ne serait pas soumis au délai de deux mois, prévu à peine de forclusion à l'article 230, cinquième alinéa, CE, ce dernier étant uniquement applicable aux recours en annulation visés à l'article 230 CE.
19 Cette argumentation ne saurait être accueillie.
20 En vertu de l'article 220 CE, la Cour de justice et le Tribunal de première instance assurent le respect du droit dans l'interprétation et l'application du traité dans le cadre de leurs compétences respectives.
21 L'article 225, paragraphe 1, CE, dans sa rédaction issue du traité de Nice, énumère les recours qui ressortissent à la compétence du Tribunal. Cette disposition ne contient aucune référence à l'article 229 CE, alors qu'elle mentionne expressément les articles 230 CE (recours en annulation), 232 CE (recours en carence), 235 CE (recours en indemnité), 236 CE (recours en matière de fonction publique) et 238 CE (recours introduits sur la base de clauses compromissoires contenues dans des contrats passés pour la Communauté ou pour le compte de celle-ci). L'article 229 CE ne figure donc pas parmi les voies de recours ressortissant à la compétence du Tribunal.
22 Contrairement à la thèse soutenue par la requérante, le traité ne consacre pas comme voie de recours autonome le " recours de pleine juridiction ". L'article 229 CE se limite à prévoir que les règlements arrêtés en vertu des dispositions du traité CE peuvent attribuer aux juridictions communautaires une compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions prévues dans ces règlements.
23 Sur le fondement de l'article 229 CE, divers règlements ont attribué aux juridictions communautaires une compétence de pleine juridiction en matière de sanctions. En particulier, l'article 17 du règlement nº 17 prévoit que " [l]a Cour de justice statue avec compétence de pleine juridiction au sens de l'article [229 CE] sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende ou une astreinte [...] ".
24 Le Tribunal est compétent pour apprécier, dans le cadre du pouvoir de pleine juridiction qui lui est reconnu par l'article 229 CE du traité et l'article 17 du règlement nº 17, le caractère approprié du montant des amendes(arrêts de la Cour du 16 novembre 2000, KNP BT/Commission, C-248-98 P, Rec. p. I-9641, point 40 ; Cascades/Commission, C-279-98 P, Rec. p. I-9693, point 42, et Weig/Commission, C-280-98 P, Rec. p. I-9757, point 41). En effet, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, les pouvoirs du juge communautaire ne se limitent pas, comme il est prévu à l'article 231 CE, à l'annulation de la décision attaquée, mais lui permettent de réformer la sanction infligée par celle-ci.
25 Cette compétence de pleine juridiction ne peut toutefois être exercée par les juridictions communautaires que dans le cadre du contrôle des actes des institutions communautaires, et plus particulièrement du recours en annulation. En effet, l'article 229 CE a pour seul effet d'élargir l'étendue des pouvoirs dont dispose le juge communautaire dans le cadre du recours visé à l'article 230 CE. Partant, un recours visant à obtenir du juge communautaire l'exercice de sa compétence de pleine juridiction à l'encontre d'une décision de sanction comprend ou recouvre nécessairement une demande d'annulation, totale ou partielle, de cette décision. Par conséquent, l'introduction d'un tel recours doit respecter le délai établi par l'article 230, cinquième alinéa, CE.
26 Partant, le présent recours ayant été introduit après l'expiration du délai prévu à l'article 230, cinquième alinéa, CE, augmenté du délai de distance prévu à l'article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure, il doit être rejeté comme étant tardif.En effet, la décision litigieuse ayant été notifiée à la requérante le 10 avril 2003, ce délai de deux mois et dix jours était expiré lorsque la requête a été déposée au greffe du Tribunal, le 7 juillet 2003.
27 Par conséquent, le recours doit être rejeté comme étant irrecevable.
Sur les dépens
28 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission n'ayant pas formulé de conclusions à l'égard des dépens afférents à l'affaire au principal, la requérante et la Commission supporteront chacune leurs propres dépens.
29 Les dépens afférents à la procédure en référé ont été réservés par l'ordonnance de rejet du 21 janvier 2004 du président du Tribunal. La requérante ayant succombé en son action, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens et ceux de la Commission afférents à cette procédure en référé, conformément aux conclusions de la Commission relatives aux dépens afférents à cette dernière procédure.
30 En application de l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, les dépens exposés par la République française, partie intervenante, demeureront à sa charge.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (cinquième chambre),
ordonne :
1) Le recours est rejeté comme irrecevable.
2) La requérante et la Commission supporteront chacune leurs propres dépens afférents à l'affaire au principal.
3) La requérante supportera ses propres dépens afférents à la procédure en référé, ainsi que ceux de la Commission afférents à ladite procédure.
4) La République française supportera ses propres dépens.