CCE, 15 décembre 1982, n° 82-897
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Toltecs-Dorcet
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, vu le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (1), modifié en dernier lieu par l'acte d'adhésion de la Grèce, et notamment ses articles 3 et 15, vu la plainte déposée le 12 juin 1980 par M. Antonius Segers (ci-après dénommé "Segers") conformément à l'article 3 du règlement n° 17, après avoir donné aux entreprises intéressées l'occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus contre elles, conformément à l'article 19 paragraphe 1 du règlement n° 17 et aux dispositions du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19 paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17 du Conseil (2), après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, recueillie conformément à l'article 10 du règlement n° 17, le 14 juillet 1982, considérant ce qui suit:
I. Les faits
1. P.L. Segers & Zonen est une entreprise familiale qui a été créée aux Pays-Bas en 1896 pour traiter et vendre du café, du thé et du tabac. C'est seulement en 1969 qu'elle a commencé à produire les articles de tabac, dont une partie pour le compte de tiers et sous leurs marques respectives, et une autre partie pour son propre compte dans une nouvelle entreprise fondée la même année, la Tabaksindustrie Toltecs. Les deux entreprises, dont le siège est à Roosendaal, appartiennent actuellement à M. Segers et sont dirigées par lui.
Segers a utilisé la marque Toltecs Special pour la première fois en 1969 et a procédé à son dépôt international pour l'Allemagne et certains autres pays. Le 31 janvier 1973, Segers a procédé à un nouveau dépôt international de la marque Toltecs Special (le nom et l'emblème étant reproduits ci-après) sous le numéro 395 536 de la classe 34 "Tabac brut et tabacs fabriqués", notamment pour l'Allemagne, la France, l'Italie et le Benelux.
Conformément à l'accord conclu le 16 janvier 1975 entre Segers et la BAT Cigaretten-Fabriken GmbH, celle-ci a levé le 21 janvier 1975 l'opposition qu'elle avait faite à l'enregistrement de la marque en Allemagne, enregistrement qui a pu avoir lieu après cela dans ce pays aussi. La marque Toltecs Special (ci-après dénommée "Toltecs") est une dénomination de fantaisie tirée du nom de la tribu mexicaine des indiens toltèques ; au cours des cinq dernières années, elle n'a été utilisée qu'aux Pays-Bas et en Allemagne.
Jusqu'à présent, les tabacs fabriqués par Segers étaient uniquement de la coupe fine de goût léger, mi-fort et fort, dont la demande n'a cessé d'augmenter au cours des dernières années. C'est l'évolution du marché qui va décider si l'entreprise fabriquera également à l'avenir du tabac pour la pipe. Depuis 1978, Segers vend sa coupe fine presque exclusivement aux Pays-Bas. En 1981, les ventes de Segers ont doublé par rapport à 1978 ; elles ont été légèrement inférieures à 1 % des ventes totales de coupe fine aux Pays-Bas, lesquelles se sont élevées cette même année à 14 353 tonnes.
La coupe fine (shag) et le tabac chevelu (Krüllschnittabak) constituent ensemble le marché du tabac à fumer. La première est utilisée essentiellement pour la confection de cigarettes roulées à la main, et l'autre uniquement pour la pipe. Aux Pays-Bas, les principaux producteurs de tabac à fumer sont Douwe Egberts BV, Van Nelle Lassie BV, Niemeyer BV et Gruno-Van Rossem BV. Les Pays-Bas sont un des premiers exportateurs mondiaux de tabac à fumer.
2. La BAT Cigaretten-Fabriken GmbH, à Hambourg, (ci-après dénommée "BAT"), est une filiale du premier fabricant mondial de cigarettes, British American Tobacco Company, à Londres, (environ 7,6 milliards de livres sterling de chiffre d'affaires en 1980) et elle fabrique et vend des articles de tabac. Le 18 décembre 1968, elle a présenté la dénomination de fantaisie Dorcet à l'inscription au registre allemand des marques ; l'enregistrement a eu lieu le 15 janvier 1970, sous le numéro 865 058 de la classe 34 "Tabac brut, tabacs fabriqués et papier à cigarettes". La marque Dorcet n'a toutefois jamais été utilisée.
Au cours de l'année 1981, la BAT s'est maintenue au deuxième rang des producteurs allemands de cigarettes. Ses ventes sur le marché intérieur ont atteint 35,6 milliards de cigarettes, soit 27,4 %, dont 18,1 % pour la cigarette filtre HB qui est la plus vendue en Allemagne depuis une vingtaine d'années. Son chiffre d'affaires global pour la même année s'est élevé à près de 4,2 milliards de marks allemands (y compris les accises, mais hors taxe sur la valeur ajoutée).
En 1981, la BAT a développé de façon systématique le secteur du tabac à fumer en concentrant surtout son action sur les tabacs blonds de coupe fine. Selon la presse spécialisée (3), la BAT se classe en tête sur ce marché avec sa coupe fine Gold Dollar (vente : 711 000 kilogrammes). Les ventes totales de coupe fine sur le marché allemand ont progressé de 14 % par rapport à l'année précédente, atteignant quelque 11 700 tonnes ; la BAT a pu écouler un total de 863 000 kilogrammes de coupe fine. Elle se situe ainsi en cinquième position, avec une part de marché supérieure à 7 %, après Martin Brinkmann AG, Theodorus Niemeyer Holland-Tabak GmbH, Douwe Egberts Agio GmbH et Alois Pöschl GmbH & Co. KG (dont les parts de marché pour le premier trimestre de 1982 s'établissaient respectivement à 30, 23, 18 et 7,4 %). Ces cinq entreprises réunies couvrent ainsi 85 % du marché allemand ; le reste, soit 15 %, se répartit entre 25 autres fabricants et importateurs (4).
Les importations allemandes de coupe fine en provenance d'autres États membres de la Communauté ont également augmenté au cours des dernières années. Alors qu'elles se chiffraient à environ 2 500 tonnes en 1976, elles ont atteint près de 5 500 tonnes en 1981. Il s'agit essentiellement d'importations en provenance des Pays-Bas.
En Allemagne, le nombre de fumeurs qui roulent eux-mêmes leurs cigarettes n'a cessé de croître au cours des dernières années. Cette évolution favorable qui a été observée pour la coupe fine, et à laquelle l'extension du marché allemand du tabac à fumer est essentiellement imputable, tient d'une part au fait que les intellectuels et les étudiants ont constitué une nouvelle catégorie d'acheteurs et, d'autre part, à une augmentation des prix de vente au détail des cigarettes industrielles due à la hausse de la taxe sur la valeur ajoutée et des accises sur le tabac. La presse spécialisée mentionnée plus haut (5) indique que, dans la République fédérale d'Allemagne, les fumeurs ont confectionné plus de 12 milliards de cigarettes en 1981, ce qui représente un peu moins de 10 % des ventes de cigarettes industrielles. Avec l'augmentation des accises sur le tabac entrée en vigueur le 1er juin 1982, les milieux industriels s'attendent à ce que la consommation de cigarettes confectionnées à la main progresse encore de 1,5 à 2 milliards d'unités, étant donné que leur prix est inférieur de moitié environ à celui d'une cigarette industrielle, bien que l'augmentation de la taxe sur la coupe fine atteigne jusqu'à 130 % contre environ 39 % pour les cigarettes industrielles. Selon la même source, le tabac blond de coupe fine gagnera en importance dans un proche avenir par la substitution de la cigarette roulée à la cigarette industrielle. Actuellement, le tabac blond de coupe fine et les tabacs mi-lourds représentent respectivement 37,18 % et 33,77 % des ventes.
Les ventes de tabac pour la pipe de la BAT sont passées de 61 500 kilogrammes en 1980 à 64 400 kilogrammes en 1981. Ce dernier chiffre représente environ 3,7 % de la quantité totale de tabac pour la pipe vendue en Allemagne, qui s'élève à 1 740 tonnes. Le commerce de détail spécialisé joue un rôle particulièrement important dans la vente de tabac à fumer. Dans son rapport annuel pour 1980, la BAT indique qu'elle a réussi à introduire son assortiment de tabacs à fumer auprès des détaillants spécialisés de façon extrêmement satisfaisante, ce qui a contribué à l'évolution favorable de ses ventes.
3. Le 25 juillet 1973, la BAT a fait opposition, en se fondant sur sa marque Dorcet, à l'enregistrement de la marque Toltecs. Bien que Segers ait expressément laissé ouverte la question de la confusion possible des marques Dorcet et Toltecs dans la lettre de son agent en brevets du 25 janvier 1974, il a présenté à la BAT, dans cette même lettre, la proposition suivante de compromis destinée à inciter celle-ci à lever son opposition.
"Au cas où votre mandante [BAT] lèverait son opposition, mon mandant [Segers] s'engage, pour son propre compte et au nom de ses éventuels ayants droit ou licenciés, à limiter, pour la République fédérale d'Allemagne, la liste des produits couverts par l'enregistrement international de la marque IR-395 536 au tabac chevelu (shag) et à n'utiliser la marque nominative et emblématique Toltecs, après obtention de sa protection en République fédérale d'Allemagne, que pour cet article spécial, ainsi qu'à ne revendiquer aucun droit à l'égard de votre mandante au titre du dépôt et de l'exploitation de la marque, et en particulier à ne pas former opposition au cas où celle-ci déposerait ou exploiterait à nouveau dans la République fédérale d'Allemagne sa marque Dorcet ou une marque analogue - à l'exception de Toltecs - pour des marchandises identiques ou analogues à celles qui sont énumérées dans la liste des produits couverts par la marque 865 058."
Sur la base de cette proposition et de la correspondance à laquelle elle a donné lieu, en particulier de l'échange de lettres complémentaire du 30 octobre 1974 et du 7 janvier 1975, l'accord ci-après a été conclu le 16 janvier 1975 par la signature de la BAT.
"Article premier
La BAT est le titulaire de la marque allemande 865 058 Dorcet.
Article 2
Segers est titulaire de la marque internationale 395 536 (marque nominative et emblématique) Toltecs Special.
Article 3
Segers s'engage à limiter pour la République fédérale d'Allemagne la liste des produits couverts par l'enregistrement international de la marque IR 395 536 au tabac chevelu (shag) ainsi qu'à n'exploiter la marque nominative et emblématique Toltecs Special, après obtention de sa protection en République fédérale d'Allemagne, que pour cet article spécial, et à ne revendiquer à l'égard de la BAT aucun droit au titre du dépôt et de l'exploitation de la marque, même si celle-ci n'utilise pas sa marque Dorcet 865 058 pendant plus de cinq ans ou si elle dépose à nouveau cette marque ou toute autre marque pouvant prêter à confusion avec celle-ci au sens de l'article 31 de la loi allemande sur les marques (WZG), à l'exception de Toltecs Special.
Article 4
Segers s'engage en outre, pour le tabac vendu sous la marque IR 395 536, à ne pas indiquer dans sa publicité que ce tabac est approprié ou recommandé pour la confection de cigarettes. Segers est cependant autorisé à utiliser la dénomination "coupe fine" ou "shag hollandais".
Article 5
La BAT s'engage, après la signature de l'accord par Segers, à lever son opposition à l'égard de la protection de la marque IR 395 536 et à n'élever aucune objection contre l'utilisation de la marque IR 395 536 pour le tabac chevelu dans la République fédérale d'Allemagne."
4. Bien que le texte de l'accord soit ambigu, voire en partie contradictoire, étant donné que les dénominations "tabac chevelu" (Krüllschnittabak) et "shag" ne sont pas synonymes et que, en Allemagne comme aux Pays-Bas, le premier tabac est exclusivement utilisé pour la pipe et le deuxième pour la coupe fine, la façon dont l'accord est appliqué par les parties montre qu'il s'agit en fait d'interdire à Segers de vendre du tabac de coupe fine en Allemagne sous la marque Toltecs sans l'autorisation de la BAT.
a) Après une première tentative d'exportation en 1973, année où 5 500 kilogrammes de coupe fine Toltecs ont été commercialisés en Allemagne, Segers a recommencé, en janvier 1977, à vendre cette marchandise par l'intermédiaire d'un distributeur exclusif, l'importateur Müller-Broders. Auparavant, la BAT avait informé cet importateur, dans une lettre du 12 juillet 1976, que jusqu'à nouvel ordre elle ne ferait pas usage du droit d'interdiction que lui reconnaît, en ce qui concerne la marque Toltecs, l'accord conclu le 16 janvier 1975 avec Segers, pour autant que Müller-Broders utilise la marque Toltecs pour la coupe fine. En 1977, cette entreprise a importé 17 302 kilogrammes de coupe fine Toltecs.
b) Dans le courant de l'année 1978, des difficultés sont survenues entre Segers et Müller-Broders, prétendument en raison des efforts de vente insuffisants de ce dernier. Lorsque ces difficultés aboutirent à la suspension des relations commerciales, la BAT rappela à Segers, dans sa lettre du 23 août 1978, que l'accord l'autorisait à vendre uniquement du tabac chevelu et non de la coupe fine sous la marque Toltecs. Elle précisait qu'elle avait accordé en outre le droit d'utiliser cette marque pour la coupe fine à Müller-Broders et demandait à Segers de lui indiquer ses nouveaux importateurs éventuels. Lorsque Segers - après une brève collaboration avec le successeur de Müller-Broders, la société Peter Grassmann GmbH, Hambourg, qui toutefois fut dissoute peu après - demanda l'autorisation de vendre par l'intermédiaire de l'entreprise Planta GmbH & Co, Berlin, la BAT se déclara disposée à étendre l'accord à la coupe fine en posant toutefois comme condition supplémentaire que Segers achète les stocks résiduels de tabac Toltecs de Peter Grassmann GmbH. Comme Segers ne se conformait pas à cette exigence, la BAT l'informa par lettre du 14 décembre 1979 qu'elle mettrait fin à la vente de coupe fine Toltecs par des tiers sur le marché allemand et qu'elle avait adressé une copie de cette lettre à Planta GmbH & Co. En raison de ce différend entre Segers et la BAT, la Planta GmbH & Co s'est retirée des négociations concernant la reprise de la vente de coupe fine Toltecs en Allemagne. En réponse à une lettre du mandataire de Segers, en date du 21 mai 1980, dans laquelle celui-ci demandait la résiliation de l'accord, la BAT renouvela l'offre qu'elle avait faite d'étendre l'accord à la coupe fine, à la condition que Segers reprenne les stocks résiduels de Peter Grassmann GmbH.
En raison du conflit avec la BAT, Segers a suspendu, depuis 1978, ses exportations de coupe fine Toltecs vers l'Allemagne (au début de 1978, 3 750 kilogrammes de coupe fine ont encore été vendus en Allemagne). Depuis quelque temps, Segers s'efforce de vendre sa coupe fine en Allemagne sous la nouvelle marque Wigwam, mais avec un succès très limité (ventes pour 1981 : 400 kilogrammes).
5. À la suite des demandes de renseignements et de la communication des griefs qui lui ont été adressées par la Commission, la BAT a fait la déclaration suivante, par écrit et lors de l'audition orale du 1er avril 1982:
a) L'accord de "délimitation" conclu avec Segers ne comporte aucune infraction aux articles 85 et 86, étant donné que cet accord est calqué sur le droit national des marques qui est le seul sur lequel doit se fonder l'appréciation d'un risque éventuel de confusion. La primauté de la législation nationale en matière de marque pour apprécier le risque de confusion est confirmée par l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 22 juin 1976, dans l'affaire 119-75, Terrapin/Terranova (6), d'où il ressort qu'il est compatible avec les dispositions du traité CEE relatives à la libre circulation des marchandises, pour une entreprise établie dans un État membre, de s'opposer, en vertu d'un droit de marque et du droit au nom commercial protégés par la législation de cet État, à l'importation de produits d'une autre entreprise établie dans un autre État membre et revêtus, en vertu de la législation de cet autre État, d'une dénomination prêtant à confusion avec la marque et le nom commercial de la première entreprise.
Il n'existe entre la BAT et Segers aucun rapport de dépendance juridique ou économique. Les marques "Dorcet" et "Toltecs" ont été créées indépendamment l'une de l'autre ; elles ont une consonance analoque, ce qui, étant donné la conception extensive du risque de confusion qui prévaut dans le droit allemand des marques, suffit pour conclure à l'existence d'un tel risque. L'analogie de consonance des deux marques résulte du fait que l'ordre des voyelles est identique, que les consonnes sont de même caractère et que les trois dernières lettres "CET" et "TEC" représentent une simple inversion. Les obligations imposées à Segers restent donc dans les limites du droit d'interdiction réservé au titulaire de la marque antérieure Dorcet. De plus, il n'y a pas lieu d'examiner le problème du risque de confusion, étant donné que tous les intéressés admettent la possibilité d'une confusion. Segers est également de cet avis, comme le montre d'ailleurs le fait que l'initiative de conclusion de l'accord a été prise par lui dans la lettre susmentionnée du 25 janvier 1974.
Enfin, l'accord existant entre les entreprises a pour effet d'élargir la concurrence. En l'absence d'un tel accord, Segers n'aurait peut-être jamais eu accès au marché allemand ou, en tout cas, les parties se seraient engagées dans un long litige que la BAT, ne fût-ce que par les moyens financiers dont elle dispose, aurait pu soutenir dans de meilleures conditions qu'une petite entreprise nouvelle sur le marché, telle que Segers.
b) Abstraction faite de ces observations fondamentales concernant le problème de la délimitation de l'usage de la marque, il ressort d'une interprétation objective de l'accord que celui-ci n'institue pas une interdiction générale de commercialiser la coupe fine Toltecs, mais oblige uniquement Segers, en son article 4, à s'abstenir de toute publicité indiquant que ce tabac se prête à la confection de cigarettes roulées à la main. S'il est vrai qu'à l'article 3, l'accord assimile à tort le tabac chevelu au "shag" - cette formulation a d'ailleurs été empruntée à la lettre du mandataire de Segers -, il doit cependant porter, conformément à l'article 4, sur le tabac de coupe fine, étant donné que le tabac pour la pipe ne permet pas de rouler des cigarettes. En outre, l'article 4 autorise Segers à utiliser l'appellation coupe fine, ne serait-ce qu'en raison des indications à porter sur la bandelette fiscale en vertu de la législation en la matière.
En réalité, au moment de la conclusion de l'accord, il n'y avait aucun doute entre les parties sur le fait que cet accord autorisait Segers à utiliser la marque Toltecs Special pour la coupe fine. Cependant, plus tard - à l'occasion du conflit entre Segers et Müller-Broders et dans le seul but d'aider celui-ci à faire valoir ses droits eu égard aux bonnes relations commerciales qu'ils entretenaient depuis longtemps - les représentants de la BAT ont sciemment soutenu le point de vue erroné que l'accord interdisait la distribution de coupe fine Toltecs. À la surprise générale, Segers ne s'est alors pas prévalu des droits beaucoup plus vastes que lui conférait l'accord. Cette pratique ultérieure de fait ne permet cependant pas de conclure à une autre teneur de l'accord, qui tomberait sous le coup de l'article 85.
c) La BAT n'a jamais exploité la marque Dorcet. À son avis, la question de l'utilisation de la marque Dorcet n'entre pas en ligne de compte, étant donné que le plaignant lui-même a renoncé à toute action fondée sur la non-exploitation de la marque. Abstraction faite de ce point, l'accord ne comporte pas de clause générale de non-contestation qui interdirait à Segers de demander la radiation de la marque Dorcet pour non-usage. Malgré certaines ambiguités, le texte de l'accord doit être interprété en ce sens que seules sont interdites les contestations qui, indépendamment d'un non-usage éventuel, seraient fondées sur la position juridique acquise du fait du dépôt et de l'exploitation de la marque Toltecs. On peut imaginer un certain nombre de situations dans lesquelles cette interdiction pourrait devenir effective, notamment en cas de perte de la priorité de la marque Dorcet, par exemple s'il était fait usage de la marque après expiration du délai de cinq ans ou si cette marque ou toute autre marque pouvant prêter à confusion avec elle était à nouveau déposée.
d) D'ailleurs, la formulation que conteste la Commission, à savoir le retrait de l'opposition à l'enregistrement de la marque, combiné à la clause de non-contestation aux termes de laquelle l'intéressé s'engage à ne pas contester la marque antérieure même après l'expiration du délai de cinq ans, est usuelle non seulement pour la BAT, mais dans l'industrie allemande des articles de marque. Cette disposition est même mise en mémoire dans les machines de traitement de textes des départements qui s'occupent des marques dans les grandes entreprises.
e) Il n'y a pas d'infraction délibérée à l'article 85 paragraphe 1 en raison du fait que la seule décision qui constitue un précédent en la matière, à savoir la décision 78-193-CEE "Penneys" de la Commission (7) n'a été arrêtée que le 23 décembre 1977 et publiée le 2 mars 1978. Même si l'accord du 16 janvier 1975 avait comporté une infraction à l'article 85 paragraphe 1, il y aurait eu prescription après cinq ans.
f) Quelle qu'ait été la teneur exacte de l'accord, la BAT n'est plus intéressée à son maintien et est disposée à le résilier immédiatement.
6. Les deux marques qui font l'objet de l'accord se présentent de la façon suivante : >PIC FILE= "T0022465">
II. Applicabilité de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE
1. Aux termes de l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne, sont incompatibles avec le Marché commun et interdits tous accords entre entreprises qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun.
2. L'accord conclu entre Segers et la BAT est un accord entre entreprises au sens de l'article 85 paragraphe 1.
3. L'accord contient des clauses qui ont pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence à l'intérieur du Marché commun, à savoir: A. En vertu de l'article 3 premier membre de phrase, de l'article 4 et de l'article 5 de l'accord, tels qu'ils ont été appliqués depuis le début par les parties, Segers n'a pas le droit d'importer et de commercialiser en Allemagne du tabac de coupe fine sous la marque Toltecs sans avoir obtenu l'autorisation de la BAT.
a) Cet accord exclut Segers du marché allemand du tabac de coupe fine ou, du moins, restreint sa liberté de concurrence de telle sorte que la distribution de ce produit ne peut se faire que par l'intermédiaire d'importateurs agréés par la BAT ou pour autant que d'autres conditions posées par la BAT soient remplies, comme par exemple la reprise des stocks résiduels de tabacs Toltecs chez Peter Grassmann GmbH. L'accord a donc pour objet de restreindre le jeu de la concurrence au sens de l'article 85 paragraphe 1.
L'argumentation de la BAT, à savoir que l'accord du 16 janvier 1975, si on l'interprète objectivement, restreint uniquement la liberté de Segers en matière de publicité, et que la position juridique fausse adoptée par la BAT après la conclusion de l'accord ne permet pas de conclure à une autre teneur de l'accord qui restreindrait davantage la liberté d'action de Segers, ne change rien à la constatation ci-dessus.
Compte tenu de la position juridique adoptée par la BAT - et cela dès 1976, année où Müller-Broders a assuré la distribution de la coupe fine Toltecs - qui se rattachait directement à la formulation objectivement ambiguë du contrat, Segers a dû se comporter comme si l'accord contenait l'interdiction de commercialisation invoquée par la BAT. En conséquence, il a dû suspendre la commercialisation de son tabac de coupe fine en Allemagne pour éviter de devoir se soumettre aux conditions de la BAT ou de risquer d'être entraîné dans des litiges coûteux, qui financièrement n'auraient pas été supportables pour lui, avec une entreprise économiquement aussi puissante que la BAT.
Même si, à l'avenir, l'accord devait être appliqué uniquement dans le sens que la BAT cherche à lui donner maintenant, à savoir que la seule obligation qu'il impose à Segers est de ne pas indiquer dans sa publicité que son tabac de coupe fine Toltecs se prête à la confection de cigarettes roulées à la main, ceci constituerait une restriction de la liberté de Segers dans l'utilisation d'un paramètre important sur le plan de la concurrence, restriction qui tombe sous le coup de l'article 85.
b) L'accord a en outre pour effet de restreindre la concurrence entre la BAT et les entreprises tierces. Les dispositions de concurrence non seulement empêchent Segers de distribuer régulièrement son produit en Allemagne, mais touchent aussi les entreprises commerciales indépendantes qui voudraient offrir en Allemagne le produit portant la marque Toltecs. En l'espèce, ceci vaut spécialement pour la société Planta GmbH & Co. à Berlin, qui a été amenée à renoncer à la vente de coupe fine Toltecs après avoir été mise en garde par la BAT qui s'est référée à son accord avec Segers et au risque de confusion des marques Dorcet et Toltecs.
c) Il n'est pas possible d'objecter à l'application de l'article 85 paragraphe 1 que les effets d'exclusion de l'accord pourraient également être obtenus par l'exercice unilatéral par la BAT des droits attachés à la marque Dorcet, et qu'il n'y a pas par conséquent de lien de causalité entre l'accord et l'entrave à la concurrence.
Dans son arrêt "Terrapin/Terranova" la Cour de justice a clairement établi qu'en l'état actuel du droit communautaire, le droit d'interdiction découlant du droit des marques peut légitimement, en dépit de son effet restrictif sur la concurrence, être exercé à l'égard de l'importation d'un produit commercialisé sous une marque prêtant à confusion, pour autant que les droits en cause aient été établis indépendamment l'un de l'autre par des entreprises non liées.
La BAT considère que ce principe, qui s'applique au droit d'interdiction prévu par la loi, est également valable pour un accord de "délimitation", par lequel ce droit est en partie confirmé et en partie abandonné au bénéfice de l'autre partie à l'accord. La BAT se serait simplement réservé le droit qui lui revient de s'opposer dans certains cas à l'importation de tabac de coupe fine sous la marque Toltecs en Allemagne, où elle est propriétaire de la marque antérieure. Segers n'aurait retiré que des avantages de l'accord, étant donné que celui-ci permettait l'utilisation de la marque Toltecs en Allemagne dans une certaine mesure ; en fin de compte, l'accord aurait ainsi pour effet d'élargir la concurrence. Si cette conception juridique est fondée dans son principe, elle ne saurait toutefois s'appliquer au cas d'espèce pour des raisons de fait.
d) Dans les cas où il y a similitude de produits et risque sérieux de confusion, et où le titulaire de la marque antérieure est par conséquent, selon toute probabilité, en mesure de s'opposer au dépôt et à l'exploitation de la marque plus récente, les restrictions à l'utilisation de la marque plus récente ne constituent pas, dans l'état actuel du droit communautaire, des restrictions de la concurrence au sens de l'article 85 paragraphe 1 étant donné que, selon la jurisprudence de la Cour de justice, le droit d'interdiction relève de l'existence de la marque antérieure.
e) Toutefois, plus la différence entre les produits est grande ou plus le risque de confusion est restreint, plus les accords de délimitation doivent répondre à l'objectif prioritaire de l'unité du Marché commun ; c'est pourquoi les parties doivent choisir parmi les diverses solutions de conflit, celle qui restreint le moins l'utilisation des deux marques dans l'ensemble du Marché commun.Elles peuvent, notamment, conclure un accord qui n'autorise l'utilisation de la marque litigieuse que sous une présentation déterminée (couleur, type d'écriture, indication du nom commercial, etc.) ou, dans certaines circonstances, pour certains produits seulement.
La Commission reconnaît qu'il existe dans de tels cas une certaine marge d'appréciation des droits nationaux respectifs et aussi des parties, dont il y a également lieu de tenir compte dans l'application de l'article 85 paragraphe 1.
f) En l'espèce, la Commission ne peut toutefois, dans le cadre de l'examen de l'accord au regard de l'article 85, admettre qu'il y ait un sérieux risque de confusion entre la marque nominale Dorcet et la marque nominative et emblématique Toltecs. Il n'existe pas de risque de confusion optique ou phonétique même lorsque, faisant abstraction des éléments figuratifs déposés par Segers et utilisés par lui (une pelle en bois posée sur quatre feuilles de tabac dans un encadrement spécial sur fond d'or), on compare les noms Dorcet et Toltecs. L'argument avancé par la BAT, selon lequel les deux marques ont une consonance analogue et peuvent dès lors être confondues, n'y change rien.
Contrairement au point de vue défendu par la BAT, la question du risque de confusion entre deux marques d'origine différente ne peut être appréciée uniquement sur la base du droit national des marques. Ainsi que le précise la Cour de justice dans l'arrêt précité "Terrapin/Terranova", l'appréciation ainsi portée peut mettre en jeu l'application du droit communautaire, en l'espèce les règles relatives à la libre circulation des marchandises et les règles de concurrence. Plus l'appréciation portée selon le droit national étend la protection de la marque Dorcet, plus elle restreint l'importation des produits portant la marque Toltecs en Allemagne.
B. Aux termes de l'article 3 deuxième membre de phrase de l'accord, Segers s'engage à ne revendiquer, à l'égard de la BAT, aucun droit au titre de l'enregistrement et de l'exploitation de la marque Toltecs, même si la BAT n'utilise pas sa marque Dorcet pendant plus de cinq ans, ou si elle dépose à nouveau cette marque ou toute autre marque pouvant prêter à confusion avec celle-ci au sens de l'article 31 de la loi allemande sur les marques, à l'exception de Toltecs Special.
a) Dans la lettre qu'elle a adressée à la Commission en date du 9 septembre 1980, la BAT à tout d'abord soutenu que cette clause comporte également un engagement très large et licite de s'abstenir de toute contestation de la marque Dorcet, même à l'expiration d'un délai de cinq ans. Dès réception de la communication des griefs de la Commission, la BAT a modifié sa position en ce sens que la clause en question n'empêcherait pas Segers d'intenter une action en radiation de la marque Dorcet pour défaut d'exploitation.
b) Même si l'on prend en considération la position modifiée de la BAT, la clause en question a pour objet d'assurer l'application d'un accord restrictif de concurrence (voir ci-dessus, point II 3 A) et tombe sous le coup de l'article 85 paragraphe 1. Elle enlève à Segers la possibilité, en cas de radiation de la marque Dorcet pour défaut d'exploitation, d'exercer sans restriction à l'égard de la BAT les droits acquis dans l'intervalle sur la marque Toltecs. En outre, cette clause limite les droits de Segers même au cas où la mise en exploitation de la marque Dorcet après l'expiration du délai de déchéance, ou un nouveau dépôt de cette marque par la BAT, entraînerait la perte de priorité de Dorcet par rapport à Toltecs. Cette clause empêche Segers de faire valoir la priorité acquise par sa propre marque Toltecs à l'égard de la marque Dorcet qui aurait été éventuellement utilisée par la suite ou aurait fait l'objet d'un nouvel enregistrement. Segers renonce ainsi à un moyen de défense beaucoup plus simple que celui tiré de l'absence de danger de confusion.En définitive, il est difficile pour Segers de se libérer des restrictions prévues par l'accord en ce qui concerne l'enregistrement et l'utilisation de sa marque Toltecs et d'éliminer par là une entrave à son activité commerciale en Allemagne.
Appliquée conjointement avec les limitations convenues du dépôt et de l'exploitation de la marque Toltecs, la clause de non-contestation a pour objet d'empêcher définitivement une extension légitime du champ d'application de cette marque et renforce la position juridique de la BAT sur le plan du droit des marques.
Contrairement à la conception exprimée dans la lettre susmentionnée de la BAT en date du 9 septembre 1980, la renonciation contractuelle de Segers à élever des contestations pour défaut d'exploitation de la marque Dorcet n'est pas à prendre en considération pour l'application de l'article 85. L'intérêt primordial de la collectivité, qui réside dans la radiation des marques non exploitées ou pouvant faire l'objet de contestations pour d'autres raisons, exige que ni Segers, ni un tiers quelconque, ne soit empêché d'agir pour obtenir une telle radiation avec toutes les conséquences qu'elle comporte.
c) L'objection formulée par la BAT, selon laquelle l'obligation d'exploitation, qui existe notamment en Allemagne en vertu de la loi du 4 décembre 1967 (8), n'est pas encore entrée dans le droit communautaire étant donné qu'elle n'apparaît que dans la proposition d'un règlement du Conseil sur la marque communautaire, et qu'elle est inconnue dans le droit national du Danemark, n'est pas valable en fait. L'obligation d'exploitation a pour objet d'apporter une solution au problème de l'encombrement du registre des marques par des marques de réserve non exploitées et de faciliter ainsi l'enregistrement de nouvelles marques pour de nouveaux produits, et partant, l'accès au marché de ces derniers. Cette disposition se justifie par le fait que les possibilités de combinaison des lettres de l'alphabet sont mathématiquement limitées pour les marques nominales et que, en outre, une partie seulement des possibilités de combinaison donne des syllabes prononçables. Ainsi, à cause du maintien indéfini de marques de réserve non exploitées, on ne disposait plus dans de nombreux pays, et notamment dans plusieurs États membres, de marques nouvelles fondées sur les lettres. Dans la Communauté, ce problème se pose en particulier en France, qui compte 301 711 marques déposées, en Allemagne, qui en compte 285 317 et au Royaume-Uni, où il en existe 244 100. En revanche, il n'existe au Danemark que 86 753 marques déposées (9). Pour des raisons de fait, les accords qui restreignent l'enregistrement et l'exploitation des marques nouvelles dans un État membre où il existe un grand nombre de marques constituent donc des infractions plus graves à l'article 85 que dans un État membre où le nombre total de marques est peu important.
4. Les clauses en question de l'accord sont également susceptibles d'affecter le commerce entre États membres. Elles empêchent la libre exportation et importation des produits visés par l'accord entre les Pays-Bas et l'Allemagne en créant des entraves artificielles aux échanges dans une mesure qui compromet la réalisation des objectifs d'un marché unique.
La restriction de la concurrence et ses effets directs sur les échanges intracommunautaires sont sensibles. Dans sa décision 75-297-CEE Sirdar/Phildar (10), la Commission a déjà indiqué que l'abandon d'une marque déjà utilisée au profit d'une autre est difficile, sinon économiquement impossible, en raison de la perte d'effet publicitaire de la marque qu'elle entraîne et d'autres difficultés de fait. En l'espèce, la marque Toltecs est utilisée depuis quelques années et, en 1977, près d'un tiers de la production de tabac de Segers a été exporté vers l'Allemagne sous cette marque. Depuis lors, la production de Segers a considérablement augmenté, mais ses exportations à destination de l'Allemagne ont pratiquement cessé depuis 1978, en raison de la mise en application de l'accord imposée par la BAT, bien qu'en Allemagne la demande de coupe fine en provenance des Pays-Bas soit en progression constante.
En raison de la structure du marché du tabac en Allemagne, qui est dominé par un petit nombre de sociétés importantes, le fait d'imposer des entraves à une entreprise d'un autre État membre, fût-elle de petite taille, est particulièrement lourd de conséquences, d'autant plus que la BAT a conclu un assez grand nombre d'accords de ce genre.
III. Inapplicabilité de l'article 85 paragraphe 3 du traité CEE
Aux termes de l'article 85 paragraphe 3, les dispositions de l'article 85 paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables à tout accord qui contribue à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs;
b) donner à ces entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence.
1. L'accord n'a pas été notifié à la Commission, si bien que l'exemption ne peut être accordée, ne fût-ce que pour des raisons de forme.
2. L'accord ne tombe pas non plus sous le coup de l'article 4 paragraphe 2 point 2 sous b) du règlement n° 17 ; en effet a) Segers, en tant que titulaire de la marque Toltecs, n'est ni acquéreur ni utilisateur d'une marque de la BAT;
b) Segers ne peut davantage être assimilé à un acquéreur ou à un utilisateur au sens de ladite disposition, étant donné que l'acquisition et l'utilisation de sa marque Toltecs ne requièrent pas l'autorisation de la BAT du fait qu'il n'existe pas de risque sérieux de confusion avec la marque Dorcet;
c) par ailleurs, les restrictions de la concurrence constatées ci-dessus [point II 3 A a)], à savoir - la vente exclusivement par l'intermédiaire d'importateurs agréés par la BAT
et
- la reprise des stocks résiduels de Peter Grassmann GmbH ne constituent pas des limitations dans l'exercice d'une marque concédée sous licence.
3. Pour prévenir toute objection, la Commission rappelle que des accords comportant des restrictions de la concurrence qui se situent en dehors de la marge d'appréciation déjà évoquée [voir ci-avant, point II 3 A e)] du droit national et des parties, et qui relèvent donc de l'article 85 paragraphe 1, peuvent faire l'objet d'une exemption au titre de l'article 85 paragraphe 3 lorsqu'ils remplissent les conditions d'application de cette disposition. Toutefois, on ne voit pas en l'espèce en quoi l'accord contribue à améliorer la production ou la distribution des produits, étant donné qu'il a pour objet et pour effet d'empêcher ou d'entraver la distribution en Allemagne de tabac de coupe fine sous la marque Toltecs. On ne voit pas non plus pourquoi il faudrait dissimuler aux consommateurs allemands une information conforme à la vérité, à savoir que le tabac de coupe fine Toltecs se prête à la confection de cigarettes roulées à la main. L'accord ne comporte donc pas de profit pour les utilisateurs. Enfin, il impose aux entreprises concernées des obligations qui ne sont pas indispensables au sens de la troisième condition de l'article 85 paragraphe 3. Même si la clause de non-contestation visait à éliminer le dernier risque de confusion encore concevable, ceci ne justifierait pas que Segers renonce à ses droits, même si la BAT s'abstient d'exploiter sa marque Dorcet pendant plus de cinq ans.
4. L'article 85 paragraphe 3 n'est donc pas applicable à cet accord.
IV. Applicabilité de l'article 3 paragraphe 1 et de l'article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17 1. Article 3
Il ressort de ce qui précède que les entreprises en cause ont commis une infraction à l'article 85 ; qu'il y a donc lieu, en vertu de l'article 3 du règlement n° 17, de les obliger à mettre fin sans délai à l'infraction constatée en supprimant les clauses de l'accord qui ont pour effet de restreindre la concurrence. La BAT ne doit pas remplacer ces restrictions de la concurrence par une pression économique exercée sur Segers ou sur des importateurs dans le but d'empêcher ou d'entraver l'importation et la distribution de tabac Toltecs en Allemagne.
2. Article 15 paragraphe 2
Aux termes de l'article 15 paragraphe 2, la Commission peut infliger des amendes de 1 000 unités de compte au moins et d'un million d'unités de compte au plus, ce montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles commettent une infraction aux dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE.
Pour déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci.
a) La Commission renonce à infliger une amende pour l'obligation imposée à Segers de ne pas mettre sur le marché allemand du tabac de coupe fine sous la marque Toltecs, bien qu'elle ait exprimé à diverses reprises son opposition à l'égard des restrictions territoriales établies par des accords dits de délimitation portant sur des marques, notamment dans les décisions qu'elle a prises dans les affaires Sirdar-Phildar et Penneys ainsi que dans les affaires Persil (11) et Bayer/Tanabe (12). Elle se borne à réaffirmer ce point de vue en constatant au point IV 1 qu'il y a infraction à l'article 85 paragraphe 1.
b) En revanche, il paraît adéquat d'infliger à la BAT une amende en raison de l'extension de la clause de non-contestation au cas de la non-exploitation de la marque Dorcet pendant une période de plus de cinq ans.
En effet, après l'introduction, en Allemagne, de l'obligation d'exploitation par la loi du 4 décembre 1967, la BAT savait pertinemment que toute convention visant à interdire à Segers de faire valoir les droits acquis par lui, même en cas de non-exploitation de la marque Dorcet pendant plus de cinq ans, était contraire à l'esprit et au but de l'obligation légale d'exploitation, qui a pour objet d'éliminer du registre des marques celles qui ne sont pas exploitées et de faciliter l'accès de nouveaux déposants.
Dans ces conditions, il est particulièrement grave que la marque Dorcet ait été enregistrée le 15 janvier 1970 et que la BAT ait signé l'accord le 16 janvier 1975, c'est-à-dire un jour après l'expiration de ce délai de déchéance de cinq ans prévu par le droit allemand des marques. La BAT n'ignorait donc pas qu'elle s'assurait par convention une position juridique déjà indéfendable en droit.
La BAT a agi de propos délibéré du point de vue du droit communautaire également ; en effet, dans sa décision 78-193-CEE du 23 décembre 1977 (Penneys), la Commission a critiqué une clause de non-contestation relative à des marques dans la mesure où celle-ci avait prolongé ses effets au-delà de cinq ans. La BAT, qui est une entreprise d'articles de marque, n'est pas restée dans l'ignorance de cette décision, publiée le 2 mars 1978 et reproduite dans les principales revues juridiques spécialisées. Enfin, l'avocat néerlandais de Segers avait rappelé à la BAT, par lettre du 21 mai 1980, l'incompatibilité de l'accord avec le droit communautaire. Malgré cela, la BAT s'en est tenue à l'accord jusqu'à l'audition du 1er avril 1982, bien qu'elle n'ait jamais exploité la marque Dorcet.
En fixant le montant de l'amende, la Commission tient compte du fait que celle-ci ne concerne que la clause de non-contestation dans la mesure où elle est étendue au cas de la non-exploitation de la marque Dorcet pendant une période de plus de cinq ans et que la présente affaire est la première, en matière de propriété industrielle, dans laquelle elle inflige une amende.
En revanche, la Commission renonce à infliger une amende à Segers, bien que cette entreprise ait commis elle aussi une infraction à l'article 85 paragraphe 1. Segers est une petite entreprise néerlandaise qui, lorsque son conflit avec la BAT a commencé, ne connaissait suffisamment ni le droit allemand ni le droit communautaire. Le manque d'expérience de Segers dans le domaine juridique ressort également du déroulement de son conflit avec la BAT, puisque Segers a laissé jouer contre lui un accord dont la formulation comportait des contradictions manifestes.
V. La question de la prescription
Il n'y a pas prescription en ce qui concerne l'infraction constatée. Pour des infractions telles que la présente, qui ne sont pas caractérisées par leur durée, la prescription court non pas à compter de la conclusion de l'accord, mais à partir du moment où il y a été mis fin et ce conformément à l'article 1er paragraphe 2 du règlement (CEE) n° 2988-74 du Conseil, du 26 novembre 1974, relatif à la prescription en matière de poursuites et d'exécution dans les domaines du droit des transports et de la concurrence de la Communauté économique européenne (13).
Dans sa lettre du 9 septembre 1980, la BAT avait encore invoqué auprès de la Commission l'existence de la clause de non-contestation. En l'espèce, on peut considérer qu'il a été mis fin à l'infraction au plus tôt le 1er avril 1982, date à laquelle la BAT a déclaré lors de son audition orale qu'elle n'accordait aucune importance au maintien de l'accord,
A arrêté la présente décision:
Article premier
Le contenu et l'application de l'accord conclu le 16 janvier 1975 entre les entreprises visées à l'article 5 constituent des infractions à l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne dans la mesure où:
1. Segers s'oblige à ne pas vendre de la coupe fine sur le marché allemand sous la marque Toltecs Special (marque IR 395 536) ou bien à la vendre uniquement par l'intermédiaire d'importateurs agréés par la BAT ou sous certaines autres conditions;
2. Segers s'oblige à ne revendiquer, à l'égard de la BAT, aucun droit au titre de l'enregistrement et de l'exploitation de la marque Toltecs Special, même si la BAT n'utilise pas sa marque Dorcet pendant plus de cinq ans ou si elle dépose à nouveau cette marque ou toute autre marque pouvant prêter à confusion avec celle-ci au sens de l'article 31 de la loi allemande sur les marques, à l'exception de Toltecs Special.
Article 2
Les entreprises visées à l'article 5 sont tenues de mettre fin sans délai aux infractions indiquées à l'article 1er. En particulier, la BAT doit cesser d'exercer sur Segers ou les importateurs toute pression économique visant à empêcher ou entraver l'importation et la distribution de tabac Toltecs en Allemagne.
Article 3
Une amende de 50 000 (cinquante mille) Écus est infligée à l'entreprise BAT Cigaretten-Fabriken GmbH pour l'infraction qui est constatée à l'article 1er point 2, dans la mesure où la clause de non-contestation est étendue au cas de la non-exploitation de la marque Dorcet pendant une période de plus de cinq ans. Cette amende représente un montant de 115 635 marks allemands.
Article 4
L'amende fixée à l'article 3 est à verser à la Commission, dans un délai de trois mois à compter de la date de notification de la présente décision, au compte ci-après:
Bankhaus, Sal. Oppenheimer, D-5000 Köln, Konto Nr. 260/00/64910.
Article 5
La présente décision est destinée à: 1. BAT Cigaretten-Fabriken GmbH, Alsterufer 4, 2000 Hamburg 36, (République fédérale d'Allemagne).
2. Antonius Segers, Raadhuisstraat 41, 4701 PL Roosendaal, (Pays-Bas).
La présente décision forme titre exécutoire au sens de l'article 192 du traité CEE.
(1) JO n° 13 du 21.2.1962, p. 204/62.
(2) JO n° 127 du 20.8.1963, p. 2268/63.
(3) Die Tabak-Zeitung, 2 juillet 1982.
(4) Die Tabak-Zeitung Dokumentation, Rauchtabak 1982, 20 août 1982.
(5) Die Tabak-Zeitung, 16 et 23 avril 1982.
(6) Recueil de la jurisprudence de la Cour, 1976, p. 1039.
(7) JO n° L 60 du 2.3.1978, p. 19.
(8) Bundesgesetzblatt 1967 I, p. 853.
(9) Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, Statistique de propriété industrielle, 1980, p. 30.
(10) JO n° L 125 du 16.5.1975, p. 27.
(11) Septième rapport sur la politique de concurrence, paragraphes 138-140.
(12) Huitième rapport sur la politique de concurrence, paragraphes 125-127.
(13) JO n° L 319 du 29.11.1974, p. 1.