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Décisions

CJCE, 11 juillet 1996, n° C-427/93

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bristol-Myers Squibb, Boehringer Sohn, Boehringer Ingelheim KG, Boehringer Ingelheim A/S, Bayer Aktiengesellschaft, Bayer Danmark A/S

Défendeur :

Paranova A/S

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodriguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Kakouris, Puissochet, Hirsch

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Gulmann, Jann, Ragnemalm

Avocats :

Mes Levinsen, Dyekjaer-Hansen, Ohlgart, Nebelong, Pfeiffer.

CJCE n° C-427/93

11 juillet 1996

LA COUR,

1 Par ordonnances des 22 octobre (C-427-93), 21 octobre (C-429-93) et 1er novembre 1993 (C-436-93), parvenues respectivement à la Cour les 25, 26 octobre et 4 novembre suivants, le Sø- og Handelsretten i København (C-427-93 et C-429-93) et le Højesteret (C-436-93) ont posé, en application de l'article 177 du traité CE, plusieurs questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 7 de la première directive 89-104-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, ci-après la " directive "), et de l'article 36 du traité CE.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de trois litiges opposant respectivement la société Bristol-Myers Squibb, les sociétés C. H. Boehringer Sohn, Boehringer Ingelheim KG et Boehringer Ingelheini A/S (ci-après " Boehringer "), et les sociétés Bayer AG et Bayer Danmark A/S (ci-après o Bayer "), fabricants de produits pharmaceutiques, à la société Paranova A/S (ci-après " Paranova "), qui importe au Danemark certains produits fabriqués par les premières.

Le cadre juridique

3 Aux termes de l'article 36 du traité, les interdictions et les restrictions d'importation entre les États membres justifiées par des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale sont admises, à condition qu'elles ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les Etats membres.

4 L'article 5 de la directive, qui porte sur les " droits conférés par la marque ", est libellé comme suit:

" 1. La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:

a) d'un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

b) d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec marque et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association entre le signe et la marque.

2...

3. Si les conditions énoncées aux paragraphes 1 et 2 sont remplies, il peut notamment être interdit:

a) d'apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement;

b) d'offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou d'offrir ou de fournir des services sous le signe;

c) d'importer ou d'exporter les produits sous le signe;

d) d'utiliser le signe dans les papiers d'affaires et la publicité.

... "

5 L'article 7 de la directive établit le principe dit de l' " épuisement du droit conféré par la marque " en disposant:

" 1. Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.

2. Le paragraphe 1 n'est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s'oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l'état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce ".

6 Ces dispositions ont été respectivement transposées en droit danois par les articles 4 et 6 de la loi n° 341 du 6 juin 1991, relative aux marques de fabrique et de commerce ainsi qu'aux marques collectives.

Les faits et les questions préjudicielles

7 Bristol-Myers Squibb commercialise dans différents États membres des produits pharmaceutiques fabriqués par elle-même ou par une société qui lui est liée. Elle détient les droits afférents à l'enregistrement au Danemark des marques Capoten, Mycostatin, Vepesid, Vumon et Diclocil. Le Capoten est utilisé comme hypotenseur et commercialisé sous forme de comprimés logés dans des plaquettes alvéolaires. Mycostatin est une mixture contre les mycoses buccales, commercialisée dans des flacons. Le Vepesid est un anticancérogène commercialisé sous forme de fioles ou de capsules logées dans des plaquettes alvéolaires. Le Vumon est également anticancérogène conditionné sous forme d'ampoules. Le Diclocil est un antibiotique anti-infectieux commercialisé sous forme de capsules logées dans des plaquettes alvéolaires.

8 Boehringer fabrique des produits pharmaceutiques en Allemagne et les commercialise dans l'ensemble de la Communauté. Elle a enregistré au Danemark la marque Boehringer Ingelheim, qui est apposée de manière générale sur les produits pharmaceutiques de Boehringer; ainsi que les marques Atrovent, Berodual, Berotec et Catapresan, qui sont utilisées pour désigner certains produits pharmaceutiques. L'Atrovent, le Berodual et le Berotec sont prescrits pou traitement de l'asthme bronchique et sont vendus en aérosols. Ils sont commercialisés dans l'ensemble des États membres en étuis comportant un aérosol, mais avec une quantité variable de principe actif. Le Catapresan est utilisé en cas d'hypertension artérielle et commercialisé sous forme de comprimés logés dans des plaquettes alvéolaires.

9 Bayer fabrique et commercialise dans différents États membres un produit pharmaceutique sous la dénomination Adalat, qu'elle a fait enregistrer comme marque au Danemark de même que sa raison sociale Bayer. L'Adalat est destiné au traitement des maladies cardiaques et cardiovasculaires. Pendant un certain nombre d'années, il a été commercialisé au Danemark en emballages de 30 ou de 100 comprimés logés dans des plaquettes alvéolaires contenant chacune 10 comprimés. Depuis 1990, seuls les emballages de 100 unités sont commercialisés au Danemark. Dans les autres Etats membres, l'Adalat est commercialisé dans des emballages de différentes tailles comprenant, selon le cas, 20, 30, 50, 60 ou 100 comprimés.

10 Paranova est une société distributrice de produits pharmaceutiques provenant d'importations dites parallèles. Elle a acheté par lots les produits pharmaceutiques susmentionnés dans les États membres où les prix sont relativement bas (Grèce, Royaume-Uni, Espagne et Portugal) et les a importés au Danemark, où elle les vend en deçà du prix de vente officiel des fabricants tout en réalisant des bénéfices.

11 Aux fins de la vente au Danemark, Paranova a reconditionné tous les médicaments dans de nouveaux emballages extérieurs qui ont une apparence uniforme et une image propre, c'est-à-dire blancs à rayures de couleur correspondant aux couleurs des emballages d'origine des fabricants. Sur ces nouveaux emballages figuraient, notamment, les marques respectives des fabricants et l'indication que le produit avait été fabriqué respectivement par " Bristol-Myers Squibb ", " Boehringer Ingelheim " et " Bayer ", ainsi que la mention " importé et reconditionné par Paranova ".

12 En ce qui concerne le Capoten, le Diclocil, le Catapresan et l'Adalat, le reconditionnement opéré par Paranova a impliqué une modification de la taille de l'emballage.

13 S'agissant en particulier de l'Adalat, l'emballage danois utilisé par Baver portait la mention " Adalat 20 mg ". Paranova a importé l'Adalat de Grèce, où le produit était vendu en emballage comprenant 3 plaquettes de 10 comprimés. Elle l'a reconditionné dans de nouveaux emballages portant la dénomination " Adalat retard " et contenant 10 plaquettes de 10 comprimés.

14 Outre le remplacement des emballages extérieurs, Paranova a procédé aux opérations suivantes.

15 En ce qui concerne le Vepesid et le Vumon, Paranova a retiré les fioles et ampoules des " coussinets " qui les contenaient et a apposé sur chaque fiole ou ampoule ut nouvelle étiquette autocollante qui recouvrait celle du fabricant. Sur cette nouvelle étiquette étaient imprimées la marque de Bristol-Myers Squibb ainsi que les indications fabriqué par Bristol-Myers Squibb et importé et reconditionné par Paranova ". Les fioles et ampoules ont ensuite été replacées dans les " coussinets " d'origine et mises dans le nouvel emballage extérieur. Quant au Mycostatin, l'Atrovent, le Berodual et le Berotec, Paranos a également recouvert les étiquettes d'origine des flacons ou des inhalateurs de sa propre étiquette mentionnant, notamment, les marques des fabricants.

16 S'agissant du Vepesid, du Vumon, du Berodual et du Berotec, Paranova joint aux nouveaux emballages des notices d'utilisation rédigées en danois.

17 Dans l'emballage du Mycostatin, Paranova a remplacé le nébuliseur contenu dans l'emballage d'origine par un nébuliseur qui ne provenait pas de Bristol-Myers Squibb.

18 En outre et conformément à la réglementation danoise en la matière, Paranova a fait enregistrer, dans le registre danois des spécialités pharmaceutiques, les produits comme spécialités pharmaceutiques, en utilisant les mêmes dénominations que les fabricants.

19 Bristol-Myers Squibb et Boehringer ont engagé contre Paranova des procédures devant le Sø- og Handelsret, en concluant, notamment, à ce que la défenderesse soit tenue de reconnaître qu'elle a porté atteinte aux marques des demanderesses du fait de les avoir apposées sans leur consentement sur des produits qu'elle offre à la vente et à ce que la défenderesse soit contrainte de cesser d'apposer ces marques sur des produits reconditionnés et commercialisés par elle.

20 Cette juridiction a décidé de suspendre les procédures et de soumettre à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

" 1) Faut-il interpréter l'article 7, paragraphe 1, de la directive 89-104-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, en ce sens que le titulaire d'une marque qui a mis dans le commerce une marchandise dans un État membre sous une certaine marque ne peut pas - sauf application de l'article 7, paragraphe 2 - s'opposer à ce qu'un tiers importe la marchandise dans un autre Etat membre, pour la commercialiser dans cet Etat sous la même marque, nième si ce tiers a pourvu le conditionnement intérieur de vignettes sur lesquelles il a réapposé la marque et qu'il a remplacé le conditionnement extérieur par un nouvel emballage sur lequel la marque a été à nouveau apposée?

Le tribunal souligne qu'il ne souhaite pas que la Cour prenne position sur les cas dans lesquels l'article 36, deuxième phrase, du traité est censé justifier le réemballage et l'apposition de nouvelles vignettes, conformément aux principes établis dans l'affaire 102-77, mais uniquement sur le point de savoir s'il convient de lire l'article 7, paragraphe 1, en ce sens que, outre le principe de l'épuisement du droit conféré par la marque à l'intérieur de la Communauté, ce principe implique également une limitation générale dit pouvoir reconnu au titulaire de la marque relativement à un usage de la marque auquel le titulaire de la marque n'avait pas donné son accord.

2) En cas de réponse affirmative à la question 1, la Cour peut-elle indiquer si l'article 7, paragraphe 2, de la directive 89-104-CEE implique que, après mise en œuvre, la jurisprudence de la Cour développée à l'occasion et à la suite de l'arrêt 102-77, précité, n'aura plus qu'une importance subsidiaire, puisque le droit au reconditionnement devra s'apprécier en recourant, de façon primordiale, aux dispositions du droit national correspondant à l'article paragraphe 2, de la directive précitée? "

21 Dans l'affaire C-427-93, le Sø- og Handelsret a soumis à la Cour, en outre, les deux questions suivantes:

"3) Pour autant qu'on tienne pour établi que l'article 7, paragraphe 1, de la directive précitée vise à permettre à l'importateur parallèle de réapposer la marque, le tribunal souhaite savoir si la circonstance que la marchandise ait été reconditionnée doit être considérée comme un " motif légitime " au sens l'article 7, paragraphe 2.

En particulier, est-il indifférent qu'il s'agisse de reconditionnement et de réapposition d'une vignette sur l'emballage extérieur, plutôt que sur le conditionnement intérieur?

4) En liaison avec la disposition dérogatoire de l'article 36, deuxième phrase, du traité et dans le contexte des considérations exposées par la Cour dans l'affaire 102-77, le tribunal souhaite savoir ce qui, dans le cas d'un produit concret, peut être caractérisé comme un cloisonnement du marché et, notamment, quels sont les éléments qui doivent être pris en considération pour apprécier si, pour un produit concret et dans le cadre d'un système de vente appliqué par le titulaire de la marque, on peut considérer être en présence d'un 'cloisonnement artificiel' des marchés entre les États membres? "

22 Bayer a entamé une action contre Paranova devant le Sø- og Handelsret, qui l'a déboutée. Elle a alors formé un recours devant le Højesteret, qui a saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes:

" 1) Les possibilités ouvertes au titulaire d'une marque de s'opposer à ce qu'un importateur parallèle remplace, en tout ou en partie, l'emballage original du produit dudit titulaire de la marque par un nouvel emballage, sur lequel l'importateur parallèle réappose la marque, doivent-elles être appréciées sur la base des dispositions combinées du droit national des marques et du seul article 7, paragraphes 1 et 2, de la première directive 89-104-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, ou faut-il, en outre, aux fins d'une telle appréciation et en liaison avec les dispositions précitées, recourir à l'article 36, première et deuxième phrases, du traité CEE?

2) S'agissant d'apprécier les possibilités ouvertes en droit au titulaire de la marque de réagir à ces pratiques, le fait que l'on puisse tenir pour établie l'existence d'un 'cloisonnement artificiel des marchés' par rapport a la commercialisation de la marchandise concernée revêt-il de l'importance à cet égard?

La Cour est invitée, le cas échéant, à préciser l'incidence que revêtirait la constatation d'une telle situation au regard des possibilités, pour le titulaire de la marque, d'y réagir.

3) En cas de réponse affirmative à la question 2: la circonstance que le titulaire de la marque ait eu pour intention de susciter ou d'exploiter un tel cloisonnement artificiel des marchés exerce-t-elle une incidence au regard des droits ouverts au titulaire de la marque?

La Cour est invitée, le cas échéant, à préciser l'incidence au regard de ces droits.

4) L'importateur parallèle doit-il, en liaison avec la question 3, démontrer ou à tout le moins rendre vraisemblable qu'il y a eu une intention de la part du titulaire de la marque, ou incombe-t-il au contraire à ce dernier de démontrer ou à tout le moins de rendre vraisemblable que telle n'était pas son intention ?

5) Le fait de réapposer la marque dans les conditions décrites à la question 1 constitue-t-il en soi un 'motif légitime', au sens de l'article 7 de la directive, ou le titulaire de la marque doit-il en outre justifier de l'existence d'autres faits tels que la modification de l'état originaire du produit ou son altération lors de la mise dans le commerce du produit par l'importateur parallèle? "

23 Par ordonnance du président de la Cour du 18 novembre 1993, ces affaires ont été jointes aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l'arrêt.

Sur l'application de l'article 7 de la directive

24 Par la première question dans l'affaire C-436-93, le Højesteret demande en substance si le fait, pour le titulaire d'un droit de marque, de se prévaloir de ce droit pour empêcher un importateur de commercialiser un produit qui a été mis en circulation dans un autre État membre par le titulaire ou avec son consentement, lorsque cet importateur a reconditionné le produit et y a réapposé la marque sans l'autorisation du titulaire, doit être apprécié sur la base des dispositions combinées du droit

national des marques et du seul article 7 de la directive ou s'il faut, en outre, aux fins d'une telle appréciation et en liaison avec les dispositions précitées, recourir à l'article 36 du traité.

25 A cet égard, il convient de rappeler d'abord que, lorsque des directives communautaires prévoient l'harmonisation de mesures nécessaires à assurer la protection des intérêts visés par l'article 36 du traité, toute mesure nationale y relative doit être appréciée au regard des dispositions de cette directive et non pas des articles 30 à 36 du traité (voir, en ce sens, arrêts du 5 octobre 1977, Tedeschi, 5-77, Rec. p. 1555, point 35; du 30 novembre 1983, Van Bennekom, 227-82, p. 3883, point 35; du 12 octobre 1993, Vanacker et Lesage, C-37-92, p. 1-4947, point 9, et du 5 octobre 1994, Centre d'insémination de la Crespelle, C-323-93, Rec. p. 1-5077, point 31).

26 Il y a lieu ensuite d'observer que l'article 7 de la directive, libellé en des termes généraux, réglemente de manière complète la question de l'épuisement du droit de marque en ce qui concerne les produits mis dans le commerce dans la Communauté. Par conséquent, les règles nationales en la matière doivent être appréciées au regard de cette disposition.

27 Cependant, la directive doit, comme toute réglementation de droit dérivé, être interprétée à la lumière des règles du traité relatives à la libre circulation des marchandises et notamment de l'article 36 (voir, en ce sens, arrêts du 9 juin 1992, Delhaize et Le Lion, C-47-90, Rec. p. 1-3669, point 26, et du 2 février 1994,Verband Sozialer Wettbewerb, C-315-92, Rec. p. 1-317, point 12).

28 Il convient donc de répondre à la première question dans l'affaire C-436-93 que le fait, pour le titulaire d'un droit de marque, de se prévaloir de ce droit pour empêcher un importateur de commercialiser un produit qui a été mis en circulation dans un autre Etat membre par le titulaire ou avec son consentement, lorsque cet importateur a reconditionné le produit et y a réapposé la marque sans l'autorisation du titulaire, doit être apprécié sur la base des dispositions combinées du droit national des marques et de l'article 7 de la directive interprété à la lumière de l'article 36 du traité.

Sur l'interprétation de l'article 7, paragraphe 1, de la directive

29 Par la première question dans les affaires C-427-93 et C-429-93, le Sø- og Handelsret demande en substance si l'article 7, paragraphe 1, de la directive s'oppose à ce que le titulaire d'un droit de marque se prévale, sauf dans les conditions définies au paragraphe 2 de cette disposition, de ce droit pour empêcher un importateur de commercialiser un produit qui a été mis en circulation dans un autre Etat membre par le titulaire ou avec son consentement, même si cet importateur a reconditionne le produit et y a réapposé la marque sans l'autorisation du titulaire.

30 A cet égard, il convient d'abord de rappeler que l'article 7, paragraphe 1, de hi directive prévoit que le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis en circulation dans la Communauté sous cette marque par lui-même ou avec son consentement.

31 Cette disposition est libellée en termes qui correspondent à ceux employés par la Cour dans les arrêts qui, en interprétant les articles 30 et 36 du traité, ont reconnu en droit communautaire le principe de l'épuisement du droit de marque. Ainsi, elle reprend la jurisprudence de la Cour selon laquelle le titulaire d'un droit de marque protégé par la législation d'un État membre ne saurait invoquer cette législation pour s opposer à l'importation ou à la commercialisation d'un produit qui a été mis circulation dans un autre Etat membre par lui-même ou avec son consentement (voir, notamment, arrêts du 31 octobre 1974, Winthrop, 16-74, Rec. p. 1183, points 7 à 11; du 17 octobre 1990, HAG, C-10-89, Rec. p. 1-3711, point 12, ci-après l'" arrêt HAG II ", et du 22 juin 1994, IHT Internationale Heiztechnik et Danziger, C-9-93, Rec. p. 1-2789, points 33 et 34).

32 Il a été cependant soutenu par les demanderesses au principal ainsi que par le Gouvernement allemand que l'article 7, paragraphe 1, de la directive ne confère pas à l'importateur parallèle d'autre droit que celui de revendre les produits sous la forme sous laquelle le titulaire de la marque les a mis en circulation dans un autre État membre. Le droit exclusif d'apposer la marque sur un produit que détient un titulaire conformément à l'article 5 de la directive ne serait pas épuisé. Ainsi, même en dehors des exceptions énoncées à l'article 7, paragraphe 2, le titulaire pourrait interdire l'apposition de la marque sur des produits reconditionnés.

33 Cette argumentation ne saurait être retenue.

34 En effet, il résulte de la jurisprudence de la Cour relative à l'article 36 du traité que le droit exclusif du titulaire d'apposer la marque sur un produit doit, dans certaines circonstances, être considéré comme épuisé aux fins de permettre à un importateur de commercialiser sous cette marque des produits qui ont été mis en circulation dans un autre Etat membre par le titulaire ou avec son consentement(voir, en ce sens, arrêts du 23 mai 1978, Hoffmann La Roche, 102-77, Rec. p. 1139, et du 10 octobre 1978, American Home Products, 3-78, Rec. p. 1823, ainsi que les arrêts rendus ce même jour dans les affaires Eurim-Pharm Arzneimittel, C-71-94, C-72-94 et C-73-94, et MPA Pharma, C-232-94).

35 L'acceptation de la thèse selon laquelle le principe de l'épuisement prévu à l'article 7, paragraphe 1, ne peut pas s'appliquer lorsque l'importateur a reconditionné le produit et y a réapposé la marque impliquerait donc une modification importante des principes découlant des articles 30 et 36 du traité.

36 Or, aucun élément ne permet d'affirmer que l'article 7 de la directive vise à restreindre l'étendue de cette jurisprudence. Par ailleurs, un tel effet ne serait pas admissible, vu qu'une directive ne peut pas justifier des entraves au commerce intracommunautaire, si ce n'est dans les limites consenties par les règles du traité. En effet, il résulte de la jurisprudence de la Cour que l'interdiction des restrictions quantitatives ainsi que des mesures d'effet équivalent vaut non seulement pour les mesures nationales, mais également pour les mesures émanant des institutions communautaires (voir, en dernier lieu, arrêt du 9 août 1994, Meyhui, 0-51-93, Rec. p. 1-3879, point 11).

37 Il convient donc de répondre à la première question dans les affaires C-427-93 et C-429-93 que l'article 7, paragraphe 1, de la directive s'oppose à ce que le titulaire d'un droit de marque se prévale, sauf dans les conditions définies au paragraphe 2 de cette disposition, de ce droit pour empêcher un importateur de commercialiser un produit qui a été mis en circulation dans un autre Etat membre par le titulaire ou avec son consentement, même si cet importateur a reconditionné le produit et y a réapposé la marque sans l'autorisation du titulaire.

Sur l'interprétation de l'article 7, paragraphe 2, de la directive

38 Par la deuxième question dans les affaires C-427-93 et C-429-93, les troisième et quatrième questions dans l'affaire C-427-93 et les deuxième, troisième, quatrième et cinquième questions dans l'affaire C-436-93, les juridictions nationales demandent en substance à voir précisées les conditions dans lesquelles le titulaire d'un droit de marque peut s'opposer, en vertu de l'article 7, paragraphe 2, de la directive, à la commercialisation ultérieure d'un produit pharmaceutique reconditionné par l'importateur et sur lequel la marque du titulaire a été réapposée. A cet égard, les juridictions nationales demandent notamment si la jurisprudence dégagée dans le cadre de l'article 36 du traité est pertinente pour l'application de l'article 7, paragraphe 2, de la directive. La Cour est, le cas échéant, interrogée sur l'importance et le contenu des notions de " cloisonnement artificiel des marchés " et d'" affectation de l'état originaire du produit " établies par cette jurisprudence.

39 L'article 7, paragraphe 2, de la directive prévoit que le titulaire d'un droit de marque peut s'opposer à la commercialisation ultérieure des produits lorsqu'il existe un motif légitime, et notamment lorsque l'état des produits est modifié ou altéré après leur mise en circulation. L'emploi du terme " notamment " démontre que l'hypothèse visée n'est donnée qu'à titre d'exemple.

40 Il convient, en effet, de considérer que l'article 7 de la directive, tout comme l'article 36 du traité, vise à concilier les intérêts fondamentaux de la protection des droits de marque et ceux de la libre circulation des marchandises dans le Marché commun, en sorte que ces deux dispositions, ayant pour objet de parvenir au même résultat, doivent être interprétées de manière identique.

41 Dès lors, afin de déterminer si, en vertu de l'article 7, paragraphe 2, de la directive, le titulaire d'une marque peut s'opposer à la commercialisation de produits reconditionnés sur lesquels la marque a été réapposée, il y a lieu de se fonder sur la jurisprudence de la Cour dégagée dans le cadre de l'article 36.

42 Il résulte de la jurisprudence de la Cour que l'article 36 n'admet de dérogations au principe fondamental de la libre circulation des marchandises dans le Marché commun que dans la mesure où elles sont justifiées par la sauvegarde des droits qui constituent l'objet spécifique de la propriété industrielle et commerciale en cause.

43 S'agissant du droit de marque, la Cour a affirmé qu'il constitue un élément essentiel du système de concurrence non faussé que le traité entend établir. Dans un tel système, les entreprises doivent être en mesure de s'attacher la clientèle par la qualité de leurs produits ou de leurs services, ce qui n'est possible que grâce à l'existence de signes distinctifs permettant de les identifier. Pour que la marque puisse jouer ce rôle, elle doit constituer la garantie que tous les produits qui en sont revêtus ont été fabriqués sous le contrôle d'une entreprise unique à laquelle peut être attribuée la responsabilité de leur qualité (arrêts précités HAG 11, point 13, et IHT Internationale Heiztechnik et Danziget; points 37 et 45).

Par conséquent, ainsi que la Cour l'a plusieurs fois reconnu, l'objet spécifique du droit de marque est notamment d'assurer au titulaire le droit exclusif d'utiliser la marque, pour la première mise en circulation d'un produit, et de le protéger ainsi contre les concurrents qui voudraient abuser de la position et de la réputation de la marque en vendant des produits indûment pourvus de cette marque(voir. notamment, arrêts Hoffmann-La Roche, précité, point 7; du 3 décembre 1981. Pfizer, 1-81, Rec. p. 2913, point 7; HAG II, précité, point 14, et IHT Internationale Heiztechnik et Danziger, précité, point 33).

45 Il s'ensuit notamment que, comme il a été rappelé ci-dessus, le titulaire d'un droit de marque protégé par la législation d'un État membre ne saurait invoquer cette législation pour s'opposer à l'importation ou à la commercialisation d'un produit qui a été mis en circulation dans un autre Etat membre par lui-même ou avec soit consentement (voit; notamment, arrêts précités Winthrop, points 7 à 11; HAG Il. point 12, et IHT Internationale Heiztechnik et Danziget; points 33 et 34).

46 En effet, l'objet du droit de marque n'est pas de permettre aux titulaires de cloisonner les marchés nationaux et de favoriser ainsi le maintien des différences de prix pouvant exister entre les États membres. Il est vrai que, notamment sur le marché des produits pharmaceutiques, de telles différences de prix peuvent résulter de facteurs sur lesquels les titulaires de marques n'exercent aucun contrôle, particulier des réglementations divergentes dans les États membres relatives à la fixation des prix maximaux, des marges bénéficiaires des grossistes en produits pharmaceutiques et des pharmacies ou des montants maximaux de remboursement des frais médicaux sous les régimes d'assurance maladie. Or, il doit être remédié aux distorsions causées par une réglementation différente sur les prix dans un Etat membre par des mesures prises par les autorités communautaires et non par l'introduction par un autre Etat membre de mesures incompatibles avec les règles relatives à la libre circulation des marchandises (voir, notamment, arrêt Winthrop, précité, points 16 et 17).

47 En vue de répondre à la question de savoir si le droit exclusif reconnu au titulaire de la marque comporte le pouvoir de s'opposer à l'utilisation de la marque par un tiers après reconditionnement du produit, il convient de tenir compte de la fonction essentielle de la marque, qui est de garantir au consommateur ou à l'utilisateur final l'identité d'origine du produit marqué en lui permettant de le distinguer sans confusion possible de ceux qui ont une autre provenance. Cette garantie de provenance implique que le consommateur ou l'utilisateur final puisse être certain qu'un produit marqué qui lui est offert n'a pas fait l'objet, à un stade antérieur de sa commercialisation, d'une intervention opérée par un tiers sans autorisation du titulaire de la marque, qui a atteint le produit dans son état originaire(arrêts précités Hoffmann-La Roche, point 7, et Pfizer, point 8).

48 Il en résulte que le droit reconnu au titulaire de la marque de s'opposer à toute utilisation de cette marque susceptible de fausser la garantie de provenance ainsi comprise relève de l'objet spécifique du droit de marque, dont la protection peut justifier des dérogations au principe fondamental de libre circulation des marchandises (arrêts précités Hoffmann-La Roche, point 7, et Pfizer, point 9).

49 Dans l'arrêt Hoffmann-La Roche, précité, la Cour a dit pour droit que, en application de ces principes, l'article 36 du traité doit être interprété en ce sens que le titulaire d'un droit de marque peut s'en prévaloir pour empêcher un importateur de commercialiser un produit qui a été mis en circulation dans un autre État membre par le titulaire ou avec son consentement, lorsque cet importateur a procédé au reconditionnement du produit dans un nouvel emballage sur lequel la marque a été réapposée, à moins

- qu'il soit établi que l'utilisation du droit de marque par le titulaire, compte tenu du système de commercialisation appliqué par celui-ci, contribuerait à cloisonner artificiellement les marchés entre Etats membres;

- qu'il soit démontré que le reconditionnement ne saurait affecter l'état originaire du produit;

- que le titulaire de la marque soit averti préalablement de la mise en vente du produit reconditionné, et

- qu'il soit indiqué sur le nouvel emballage par qui le produit a été reconditionne.

50 Conformément à cette jurisprudence, l'article 7, paragraphe 2, de la directive doit donc être interprété en ce sens que le titulaire de la marque peut légitimement s'opposer à la commercialisation ultérieure d'un produit pharmaceutique lorsque l'importateur a reconditionné le produit et y a réapposé la marque, à moins que les quatre conditions énoncées dans l'arrêt Hoffmann-La Roche, précité, soient réunies.

51 Il convient toutefois de préciser cette jurisprudence eu égard aux arguments invoqués dans les présentes affaires ainsi que dans les affaires Eurim-Pharm Arzneimittel (C-71-94, C-72-94 et C-73-94) et MPA Pharma (C-232-94), dans lesquelles la Cour a rendu ce même jour ses arrêts.

Quant au cloisonnement artificiel des marchés entre États membres

52 Il convient de constater à cet égard que l'utilisation du droit de marque par son titulaire pour s'opposer à la commercialisation sous cette marque des produits reconditionnés par un tiers contribuerait à cloisonner les marchés entre États membres, notamment lorsque le titulaire a mis en circulation, dans différents États membres, un produit pharmaceutique identique dans des conditionnements divers et que le produit ne peut, en l'état où il a été commercialisé par le titulaire du droit dans un Etat membre, être importé et mis en circulation dans un autre Etat membre par un importateur parallèle.

53 Il s'ensuit que le titulaire de la marque ne peut pas s'opposer au reconditionnement du produit dans un nouvel emballage extérieur lorsque l'emballage, dans la taille utilisée par le titulaire dans l'État membre où l'importateur a acheté le produit, ne peut pas être commercialisé dans l'État membre d'importation CD raison, notamment, d'une réglementation n'autorisant que des emballages d'une certaine taille ou d'une pratique nationale en ce sens, de règles en matière d'assurance maladie faisant dépendre de la taille de l'emballage le remboursement des frais médicaux, ou de pratiques de prescription médicale bien établies se basant, entre autres, sur des normes de dimension recommandées par des groupements professionnels et par les institutions d'assurance maladie.

54 A cet égard, il y a lieu de préciser que, lorsque, conformément aux règles et pratiques en vigueur dans l'Etat membre d'importation, le titulaire y utilise plusieurs tailles d'emballage différentes, il ne suffit pas de constater qu'une de ces tailles est également commercialisée dans l'État membre d'exportation pour conclure qu'un reconditionnement du produit n'est pas nécessaire. En effet, il existerait un cloisonnement des marchés si l'importateur ne pouvait commercialiser le produit que sur une partie limitée du marché de celui-ci.

55 En revanche, le titulaire peut s'opposer au reconditionnement du produit dans un nouvel emballage extérieur lorsque l'importateur est à même de réaliser un emballage pouvant être commercialisé dans l'État membre d'importation, par exemple, en apposant sur l'emballage extérieur ou intérieur d'origine des nouvelles étiquettes rédigées dans la langue de l'État membre d'importation, CD ajoutant une nouvelle notice d'utilisation ou d'information dans la langue de l'État membre d'importation ou en remplaçant un article supplémentaire ne pouvant pas être agréé dans l'État membre d'importation par un article similaire ayant obtenu un tel agrément.

56 En effet, le pouvoir du titulaire d'un droit de marque protégé dans un État membre de s'opposer à la commercialisation sous la marque des produits reconditionnés ne doit être limité que dans la mesure où le reconditionnement auquel a procédé l'importateur est nécessaire pour commercialiser le produit dans l'État membre d'importation.

57 Enfin, il y a lieu de préciser que, contrairement à ce que prétendent les demanderesses au principal, l'utilisation par la Cour du terme " cloisonnement artificiel des marchés " n'implique pas que l'importateur doive démontrer que, en mettant en circulation dans différents États membres un produit identique dans des conditionnements divers, le titulaire de la marque a délibérément cherché à cloisonner les marchés entre États membres. En effet, en précisant qu'il doit s'agir d'un cloisonnement artificiel, la Cour a entendu souligner que le titulaire peut toujours se prévaloir de son droit de marque pour s'opposer à la commercialisation des produits reconditionnés lorsque ceci est justifié par la nécessité de sauvegarder la fonction essentielle de la marque, le cloisonnement en résultant ne pouvant dans ce cas être considéré comme artificiel.

Quant à l'affectation de l'état originaire du produit

58 A cet égard, il convient, à la lumière des arguments présentés par les demanderesses au principal, de préciser d'abord que la notion d'affectation de l'état originaire du produit se réfère à l'état du produit contenu dans l'emballage.

59 Le titulaire d'un droit de marque peut donc s'opposer à tout reconditionnement comportant le risque d'exposer le produit contenu dans l'emballage à des manipulations ou à des influences affectant son état originaire.Pour apprécier si tel est le cas, il y a lieu, comme l'a relevé la Cour au point 10 de l'arrêt Hoffmann-La Roche, précité, de tenir compte de la nature du produit et du procédé de reconditionnement.

60 S'agissant de produits pharmaceutiques,il résulte du même point de l'arrêt Hoffmann-La Roche, précité, que le reconditionnement est à considérer comme opéré dans des circonstances qui ne sauraient affecter l'état originaire du produit, notamment lorsque le titulaire de la marque a mis le produit en circulation dans un emballage double et que le reconditionnement ne porte que sur l'emballage extérieur, en laissant intact l'emballage intérieur, ou lorsque le reconditionnement est contrôlé par une autorité publique en vue d'assurer l'intégrité du produit.

61 Il résulte donc de cette jurisprudence que le simple fait de retirer des plaquettes alvéolaires, flacons, fioles, ampoules ou inhalateurs de leur emballage extérieur d'origine et de les placer dans un nouvel emballage extérieur n'est pas de nature à affecter l'état originaire du produit contenu dans l'emballage.

62 Les demanderesses au principal ont toutefois prétendu que même de telles manipulations comportent le risque d'affecter l'état originaire du produit. Ainsi, les plaquettes alvéolaires qui proviennent de différents emballages d'origine et qui sont groupées dans un emballage extérieur unique pourraient être issues de lots de production différents et avoir des dates de péremption différentes, les produits pourraient être entreposés en stock trop longtemps et les produits sensibles à la lumière pourraient être endommagés par celle-ci lors du reconditionnement,

63 Cette argumentation ne saurait être retenue. En effet, il ne peut être admis que chaque risque hypothétique d'erreur isolée soit suffisant pour reconnaître au titulaire de la marque le droit de s'opposer à tout reconditionnement des produits pharmaceutiques dans de nouveaux emballages extérieurs.

64 S'agissant des opérations consistant à apposer des étiquettes autocollantes sur des flacons, fioles, ampoules ou inhalateurs, à ajouter à l'emballage une nouvelle notice d'utilisation ou d'information rédigée dans la langue de l'État d'importation ou à y insérer un article supplémentaire, tel qu'un nébuliseur, qui ne provient pas du titulaire de la marque, rien ne permet de présumer que l'état originaire du produit contenu dans l'emballage en a été directement affecté.

65 Cependant, il y a lieu de reconnaître que, de manière indirecte, l'état originaire du produit contenu dans l'emballage peut être affecté lorsque, notamment,

- l'emballage extérieur ou intérieur du produit reconditionné ou une nouvelle notice d'utilisation ou d'information ne comporte pas certaines informations importantes ou mentionne des informations inexactes concernant la nature du produit, sa composition, son effet, son utilisation ou sa conservation, ou

- un article supplémentaire inséré dans l'emballage par l'importateur et destiné à la prise et au dosage du produit ne respecte pas le mode d'utilisation et les doses envisagées par le fabricant.

66 Il appartient à la juridiction nationale d'apprécier si tel est le cas, en faisant notamment une comparaison avec le produit commercialisé par le titulaire de la marque dans l'État membre d'importation. Il ne doit toutefois pas être exclu que l'importateur puisse fournir certaines informations supplémentaires pourvu que ces informations ne contredisent pas celles fournies par le titulaire dans l'État membre d'importation, cette condition étant remplie lorsqu'il s'agit notamment d'informations différentes découlant du conditionnement utilisé par le titulaire dans l'État membre d'exportation.

Quant aux autres exigences devant être remplies par l'importateur parallèle

67 Dans l'hypothèse où le reconditionnement est opéré dans des conditions qui ne sauraient affecter l'état originaire du produit contenu dans l'emballage, la fonction essentielle de la marque en tant que garantie de provenance est sauvegardée. Ainsi, le consommateur ou l'utilisateur final n'est pas induit en erreur sur la provenance des produits, mais reçoit effectivement des produits fabriqués sous le contrôle unique du titulaire de la marque.

68 Or, il convient de constater que, si, dans ces conditions, la conclusion selon laquelle le titulaire ne peut pas se prévaloir de son droit de marque pour s'opposer à la commercialisation sous sa marque des produits reconditionnés par un importateur s'impose en vue de garantir la libre circulation des marchandises, elle équivaut pourtant à reconnaître à l'importateur une certaine faculté qui, dans des circonstances normales, est réservée au titulaire lui-même.

69 Dans l'intérêt du titulaire en tant que propriétaire de la marque et pour le protéger contre tout abus, il convient par conséquent, ainsi que la Cour l'a constaté dans l'arrêt Hoffmann-La Roche, précité, de n'admettre cette faculté que pour autant que l'importateur respecte certaines autres exigences.

70 Ainsi, eu égard à l'intérêt du titulaire de la marque à ce que le consommateur ou l'utilisateur final ne puisse être amené à croire qu'il est responsable du reconditionnement, il doit être indiqué sur l'emballage par qui le produit a été reconditionné.

71 Comme la Cour l'a déjà précisé, cette indication doit ressortir clairement de l'emballage extérieur du produit reconditionné(arrêts précités Hoffmann-La Roche, point 12, et Pfizer, point 11). Cela implique, comme l'a relevé M. l'Avocat général au point 128 de ses conclusions, que la juridiction nationale doit apprécier si elle est imprimée de façon à être comprise par une personne ayant une vue normale et étant normalement attentive.

72 En revanche, il n'y a pas lieu d'exiger qu'il soit, en outre, expressément mentionné sur l'emballage que le reconditionnement a été opéré sans l'autorisation du titulaire de la marque, une telle indication pouvant être comprise comme impliquant, ainsi que l'a relevé M. l'Avocat général au point 88 de ses conclusions, que le produit reconditionné n'est pas tout à fait régulier.

73 Cependant, lorsque l'importateur parallèle a ajouté à l'emballage un article supplémentaire ne provenant pas du titulaire de la marque, il doit veiller à ce que l'origine de l'article supplémentaire soit indiquée de manière à dissiper toute impression que le titulaire de la marque en est responsable.

74 De même, ainsi qu'il découle du point il de l'arrêt Pfizer, précité, il peut être exigé qu'il soit clairement indiqué sur l'emballage extérieur par qui le produit a été fabriqué, le fabricant pouvant, en effet, avoir un intérêt à ce que le consommateur ou l'utilisateur final ne soit pas amené à croire que l'importateur est titulaire de la marque et que le produit a été fabriqué sous son contrôle.

75 Même lorsque l'auteur du reconditionnement du produit figure sur l'emballage, il ne peut être exclu que la réputation de la marque et donc celle du titulaire de la marque puisse tout de même avoir à souffrir d'une présentation inadéquate du produit reconditionné. Dans un tel cas, le titulaire de la marque a un intérêt légitime, se rattachant à l'objet spécifique du droit de marque, à pouvoir s'opposer à la commercialisation du produit. Pour apprécier si la présentation du produit reconditionné est susceptible de nuire à la réputation de la marque, il convient de tenir compte de la nature du produit et du marché auquel il est destiné.

76 En ce qui concerne les produits pharmaceutiques, force est de constater qu'il s'agit là d'un domaine sensible où le public est particulièrement exigeant en ce qui concerne la qualité et l'intégrité du produit et que, en fait, la présentation du produit peut être susceptible d'inspirer la confiance du public à cet égard. Par conséquent, un emballage défectueux, de mauvaise qualité ou de caractère brouillon pourrait nuire à la réputation de la marque.

77 Cela dit, les exigences auxquelles doit satisfaire la présentation d'un produit pharmaceutique reconditionné varient selon qu'il s'agit d'un produit vendu aux hôpitaux ou, par l'intermédiaire des pharmacies, aux consommateurs. Dans le premier cas, les produits pharmaceutiques sont administrés aux patients par des professionnels pour lesquels la présentation du produit ne revêt pas une grande importance. Dans le second cas, la présentation du produit revêt une importance plus grande pour le consommateur, même si, s'agissant de produits soumis à la prescription d'un médecin, cette circonstance est en soi susceptible d'inspirer aux consommateurs une certaine confiance en la qualité du produit.

78 Enfin, ainsi que la Cour l'a relevé dans l'arrêt Hoffmann-La Roche, précité, le titulaire de la marque doit être averti préalablement de la mise en vente du produit reconditionné.En outre, le titulaire peut exiger que l'importateur lui fournisse un spécimen du produit reconditionné préalablement à la mise en vente afin de pouvoir vérifier que le reconditionnement n'est pas opéré de manière à affecter directement ou indirectement l'état originaire du produit et que la présentation après reconditionnement n'est pas de nature à nuire à la réputation de la marque. De même, une telle exigence permet au titulaire de la marque de mieux se préserver des activités des contrefacteurs.

79 Eu égard à l'ensemble de ces considérations, il convient de répondre à la deuxième question dans les affaires C-427-93 et C-429-93, aux troisième et quatrième questions dans l'affaire C-427-93 et aux deuxième, troisième, quatrième et cinquième questions dans l'affaire C-436-93 que l'article 7, paragraphe 2, de la directive doit être interprété en ce sens que le titulaire de la marque peut légitimement s'opposer a la commercialisation ultérieure d'un produit pharmaceutique, lorsque l'importateur a reconditionné le produit et y a réapposé la marque, a moins

- qu'il soit établi que l'utilisation du droit de marque par le titulaire pour s'opposer à la commercialisation des produits reconditionnés sous cette marque contribuerait à cloisonner artificiellement les marchés entre États membres. Tel est le cas, notamment, lorsque le titulaire a mis en circulation, dans divers États membres, un produit pharmaceutique identique dans des conditionnements divers et que le reconditionnement auquel a procédé l'importateur est, d'une part, nécessaire pour commercialiser le produit dans l'État membre d'importation et, d'autre part, opéré dans des conditions telles que l'état originaire du produit ne saurait en être affecté. En revanche, cette condition n'implique pas qu'il doive être établi que le titulaire de la marque a délibérément cherché à cloisonner les marchés entre États membres;

- qu'il soit démontré que le reconditionnement ne saurait affecter l'état originaire du produit contenu dans l'emballage. Tel est le cas, notamment, lorsque l'importateur s'est limité à des opérations ne comportant aucun risque d'affectation, à savoir, par exemple, à retirer des plaquettes alvéolaires, flacons, fioles, ampoules ou inhalateurs de leur emballage extérieur d'origine et à les placer dans un nouvel emballage extérieur, à apposer des étiquettes autocollantes sur l'emballage intérieur du produit, à ajouter à l'emballage une nouvelle notice d'utilisation ou d'information ou à y insérer un article supplémentaire. Il appartient à la juridiction nationale de vérifier que l'état originaire du produit contenu dans l'emballage n'est pas indirectement affecté du fait, notamment, que l'emballage extérieur ou intérieur du produit reconditionné ou une nouvelle notice d'utilisation ou d'information ne comporte pas certaines informations importantes ou mentionne des informations inexactes, ou qu'un article supplémentaire inséré dans l'emballage par l'importateur et destiné à la prise et au dosage du produit ne respecte pas le mode d'utilisation et les doses envisagées par le fabricant;

- qu'il soit indiqué clairement sur le nouvel emballage l'auteur du reconditionnement du produit et le nom de son fabricant, ces indications devant être imprimées de telle façon qu'une personne ayant une vue normale et étant normalement attentive soit en mesure de les comprendre. De même, l'origine d'un article supplémentaire ne provenant pas du titulaire de la marque doit être indiquée de manière à dissiper toute impression que le titulaire de la marque en est responsable. En revanche, il n'est pas nécessaire d'indiquer que le reconditionnement a été opéré sans l'autorisation du titulaire de la marque;

- que la présentation du produit reconditionné ne soit pas telle qu'elle puisse nuire à la réputation de la marque et à celle de son titulaire. Ainsi, l'emballage ne doit pas être défectueux, de mauvaise qualité ou de caractère brouillon, et

- que l'importateur avertisse, préalablement à la mise en vente du produit reconditionné, le titulaire de la marque et lui fournisse, à sa demande, un spécimen du produit reconditionne.

Sur les dépens

80 Les frais exposés par les Gouvernements allemand, français et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission des communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Statuant sur les questions à elle soumises par le Sø- og Handelsretten i København, par ordonnances des 22 octobre (C-427-93) et 21 octobre 1993 (C-429-93) et par le Højcsterct, par ordonnance du 1er novembre 1993 (C-436-93), dit pour droit:

1) Le fait, pour le titulaire d'un droit de marque, de se prévaloir de ce droit pour empêcher un importateur de commercialiser un produit qui a été mis en circulation dans un autre État membre par le titulaire ou avec son consentement, lorsque cet importateur a reconditionné le produit et y a réapposé la marque sans l'autorisation du titulaire, doit être apprécié sur la base des dispositions combinées du droit national des marques et de l'article 7 de la première directive 89-104-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, interprété à la lumière de l'article 36 du traite CE.

2) L'article 7, paragraphe 1, de la directive 89-104 s'oppose à ce que le titulaire d'un droit de marque se prévale, sauf dans les conditions définies au para- graphe 2 de cette disposition, de ce droit pour empêcher un importateur de commercialiser un produit qui a été mis en circulation dans un autre État membre par le titulaire ou avec son consentement, même si cet importateur a reconditionné le produit et y a réapposé la marque sans l'autorisation du titulaire.

3) L'article 7, paragraphe 2, de la directive 89-104 doit être interprété en ce sens que le titulaire de la marque peut légitimement s'opposer à la commercialisation ultérieure d'un produit pharmaceutique, lorsque l'importateur a reconditionné le produit et y a réapposé la marque, a moins - qu'il soit établi que l'utilisation du droit de marque par le titulaire pour s'opposer à la commercialisation des produits reconditionnés sous cette marque contribuerait à cloisonner artificiellement les marchés entre États membres. Tel est le cas, notamment, lorsque le titulaire a mis ci circulation, dans divers États membres, un produit pharmaceutique identique dans des conditionnements divers et que le reconditionnement auquel a procédé l'importateur est, d'une part, nécessaire pour commercialiser le produit dans l'État membre d'importation et, d'autre part, opéré dans des conditions telles que l'état originaire du produit ne saurait en être affecté. En revanche, cette condition n'implique pas qu'il doive être établi que le titulaire de la marque a délibérément cherché à cloisonner les marchés entre États membres;

- qu'il soit démontré que le reconditionnement ne saurait affecter l'état originaire du produit contenu dans l'emballage. Tel est le cas, notamment, lorsque l'importateur s'est limité à des opérations ne comportant aucun risque d'affectation, à savoir, par exemple, à retirer des plaquettes alvéolaires, flacons, fioles, ampoules ou inhalateurs de leur emballage extérieur d'origine et à les placer dans un nouvel emballage extérieur, a apposer des étiquettes autocollantes sur l'emballage intérieur du produit, à ajouter à l'emballage une nouvelle notice d'utilisation ou d'information ou à y insérer un article supplémentaire. Il appartient à la juridiction nationale de vérifier que l'état originaire du produit contenu dans l'emballage n'est pas indirectement affecté du fait, notamment, que l'emballage extérieur ou intérieur du produit reconditionné ou une nouvelle notice d'utilisation ou d'information ne comporte pas certaines informations importantes ou mentionne des informations inexactes, ou qu'un article supplémentaire inséré dans l'emballage par l'importateur et destiné à la prise et au dosage du produit ne respecte pas le mode d'utilisation et les doses envisagées par le fabricant;

- qu'il soit indiqué clairement sur le nouvel emballage l'auteur du reconditionnement du produit et le nom de son fabricant, ces indications devant être imprimées de telle façon qu'une personne ayant une vue normale et étant normalement attentive soit en mesure de les comprendre. De même, l'origine d'un article supplémentaire ne provenant pas du titulaire de la marque doit être indiquée de manière à dissiper toute impression que le titulaire de la marque en est responsable. En revanche, il n'est pas nécessaire d'indiquer que le reconditionnement a été opéré sans l'autorisation du titulaire de la marque;

- que la présentation du produit reconditionné ne soit pas telle qu'elle puisse nuire à la réputation de la marque et à celle de son titulaire. Ainsi, l'emballage ne doit pas être défectueux, de mauvaise qualité ou de caractère brouillon, et

- que l'importateur avertisse, préalablement à la mise en vente du produit reconditionné, le titulaire de la marque et lui fournisse, à sa demande, un spécimen du produit reconditionné.