Conseil Conc., 22 décembre 2004, n° 04-D-78
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mises en œuvre dans le département de la Moselle par six entreprises d'imprimerie à l'occasion de l'impression des bulletins de vote pour les élections présidentielles des 21 avril et 5 mai 2002
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Blanc, par M. Lasserre, président, M. Nasse, Mme Aubert, Mme Perrot, vice-présidents.
Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 30 septembre 2002, sous le numéro 02/0088 F, par laquelle le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques qu'il estime anticoncurrentielles, mises en œuvre dans le département de la Moselle par cinq entreprises d'imprimerie et par la Chambre syndicale de l'Imprimerie de Moselle, à l'occasion de l'impression des bulletins de vote pour les élections présidentielles des 21 avril et 5 mai 2002 ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu la décision en date du 27 juillet 2004 par laquelle la Présidente du Conseil de la concurrence a décidé que la présente affaire serait jugée sans établissement d'un rapport, en application de l'article L. 463-3 du Code de commerce ; Vu les observations présentées par les sociétés Est Imprimerie, Imprimerie Michel, Tecnodim, Imprimerie du Fort Moselle, Imprimerie Marchal et Imprimerie Koehl et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les sociétés Imagin, Imprimerie Michel, Tecnodim, Imprimerie du Fort Moselle, Est Imprimerie, Imprimerie Marchal et Imprimerie Koehl entendues lors de la séance du 1er décembre 2004 ; Adopte la décision suivante :
I. CONSTATATIONS
1. Par lettre du 30 septembre 2002, le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le département de la Moselle par cinq entreprises d'imprimerie et par la Chambre syndicale de l'Imprimerie de Moselle, à l'occasion de l'impression des bulletins de vote pour les élections présidentielles des 21 avril et 5 mai 2002. Dans le cadre de ces élections, le préfet de la Moselle a organisé une procédure simplifiée d'appel à la concurrence pour l'impression de 27,7 millions de bulletins de vote. Le ministre faisait valoir que les investigations réalisées par la brigade interrégionale d'enquêtes de Metz avaient permis de mettre en évidence une entente entre les entreprises Imprimerie Michel, Tecnodim, Imprimerie du Fort Moselle, Est Imprimerie et Imprimerie Marchal, entente ayant abouti à la remise d'offres identiques proposant un prix particulièrement élevé. Par ailleurs, ces entreprises n'avaient pas porté à la connaissance du préfet les liens juridiques et financiers existant entre elles.
A. LES ENTREPRISES CONCERNÉES
2. Les opérateurs concernés par ce marché sont les imprimeries de labeur (qui mettent en œuvre deux procédés techniques d'impression, l'héliogravure et l'offset), les industries graphiques mosellanes et l'Imprimerie Nationale.
3. Les sociétés en cause sont les suivantes :
* Est Imprimerie : Est imprimerie est une SA au capital de 216 721 euro, dont le siège est à Moulins Les Metz. Elle est dirigée par M. Georges X. Elle compte un effectif de plus de 70 salariés.
* Imprimerie Michel : l'Imprimerie Michel est une SA à conseil d'administration, au capital social de 365 000 euro, basée à Hagondange. Elle est dirigée par M. Mathieu Y. Elle compte un effectif d'une vingtaine de salariés.
* Les Techniques Nouvelles de l'Imprimerie (Tecnodim) : Tecnodim est une SA à conseil d'administration, au capital de 113 422 euro, basée à Marly. Elle est dirigée par M. Eugène Z. Elle compte un effectif de plus de 30 salariés.
* L'Imprimerie du Fort Moselle : l'Imprimerie du Fort Moselle est une SA à conseil d'administration au capital de 38 112 euro, implantée à Woippy. Elle est dirigée par M. Mathieu Y.
Les quatre sociétés visées ci-dessus appartiennent à une SARL dénommée Imagin dont l'objet social est " la création, l'acquisition, la location et l'exploitation d'imprimeries de labeur ". Son gérant est Mathieu Y, également PDG des sociétés Imprimerie Michel et Imprimerie du Fort Moselle. Monsieur A, directeur de l'Imprimerie du Fort Moselle, a déclaré qu'il en assurait la direction.
* L'Imprimerie Marchal : l'Imprimerie Marchal est une SARL au capital de 160 000 euro, détenu par la famille B, et basée à Marly. Son gérant est M. Franck B. Elle compte un effectif de plus de 40 salariés. Elle n'entretient aucun lien avec les imprimeries appartenant à la SARL Imagin.
* L'Imprimerie Koehl : l'Imprimerie Koehl est une petite structure exploitée en entreprise personnelle par M. C qui n'emploie qu'un salarié.
B. LE MARCHE
4. Le marché public examiné est celui passé par la préfecture de la Moselle en vue de l'impression des bulletins de vote de l'élection présidentielle de 2002.
1. LES TEXTES APPLICABLES
5. L'article 20 du décret n° 2001-213 du 18 mars 2001 prévoit la prise en charge directe par l'Etat du coût du papier, de l'impression des bulletins de vote et de la mise en place des bulletins de vote en vue de l'élection du Président de la République au suffrage universel.
6. La circulaire du ministère de l'Intérieur, datée du 3 janvier 2002, prise en application du décret n° 2001-213 du 18 mars 2001, précise les conditions de mise en œuvre de l'impression et de la mise à disposition des bulletins de vote nécessaires au déroulement des scrutins.
7. Il est ainsi énoncé que, contrairement aux dépenses de propagande électorale qui font l'objet d'un remboursement aux candidats après le scrutin, l'impression des bulletins de vote doit faire l'objet d'une commande directe par les préfectures. A cette fin la circulaire précise que les dispositions du nouveau Code des marchés publics s'appliquent (décret n° 2001-210 du 7 mars 2001 entré en vigueur depuis le 9 septembre 2001).
8. En conséquence, eu égard au nombre élevé de candidats potentiels, le ministère de l'Intérieur invite les préfets à évaluer leurs besoins en bulletins de vote, et de prendre par la suite tous les " contacts utiles " avec les imprimeurs choisis par la préfecture afin de s'informer sur les prix pratiqués, compte tenu des quantités préalablement définies. La circulaire précise que si le montant de la dépense est compris entre 90 000 et 130 000 euro HT, le préfet doit lancer avant fin janvier 2002 une procédure de consultation simplifiée en vue de la passation d'un marché à bons de commande en application de l'article 72 du nouveau Code des marchés publics.
a) La procédure suivie par le préfet de la Moselle
La consultation de janvier 2002
9. Dans le département de la Moselle, le préfet a organisé une consultation des imprimeurs en janvier 2002 afin d'estimer le montant prévisible de la commande pour l'impression des bulletins de vote. Vingt quatre entreprises (dont 21 imprimeurs de Moselle) ont adressé un devis au préfet de Moselle avant fin janvier 2002. Par courrier daté du 16 janvier 2002, le préfet de la Moselle indiquait au ministère de l'Intérieur que le besoin en bulletins de vote étant estimé à 29 736 460, le coût prévisionnel, au vu des devis envoyés, pouvait être évalué à 121 863 euro HT. Dès lors, le recours à la procédure de l'article 72 du nouveau Code des marchés publics s'imposait. Le 29 janvier 2002, le préfet de la Moselle adressait un courrier aux imprimeurs ayant donné suite à sa demande de devis dans lequel il indiquait que " la somme à engager sur la base de 14 candidats potentiels au premier tour de scrutin " nécessitait la passation d'un marché public.
La procédure de mise en concurrence simplifiée
10. Le préfet lançait fin janvier 2002 une procédure de mise en concurrence simplifiée prévue par les articles 32, 40, 57 et 72 du nouveau Code des marchés publics. Un avis d'appel public à la concurrence était publié dans les colonnes du " Républicain lorrain " le 31 janvier 2002. Huit offres étaient finalement déposées. Une commission d'ouverture des plis était réunie en préfecture le 19 mars 2002 afin d'examiner ces offres.
11. Les offres de prix reçues (intégrant l'ensemble des prestations à fournir y compris l'emballage et la livraison des bulletins de vote dans les locaux indiqués sur les bons de commande) par la commission sont présentées dans le tableau ci-après :
<emplacement tableau>
b) Constatations
12. Au terme de la consultation par mise en concurrence simplifiée de mars 2002, huit offres ont été déposées. L'étude de celles-ci permet d'opérer les constatations suivantes :
* quatre offres sont à niveau de prix identique : il s'agit des offres de l'Imprimerie Michel, de Tecnodim, de l'Imprimerie du Fort Moselle et d'Est Imprimerie ;
* l'offre de l'Imprimerie Marchal est quasiment identique, à un euro près, à celles des imprimeries Michel, Tecnodim, Fort Moselle, Est Imprimerie ;
* la proposition de l'imprimerie Koehl est proche des cinq offres précédentes puisqu'elle se situe à 4 510 euro le premier million de bulletins, pour 3,85 euro les mille suivants pour chacun des deux tours ;
* l'offre de l'Imprimerie Nationale est moitié plus faible.
c) L'attribution du marché public d'impression des bulletins de vote
13. Faisant suite à la réception des offres, la préfecture de la Moselle, par courrier daté du 28 mars 2002, avisait l'Imprimerie Nationale et la société Est Imprimerie qu'elles étaient attributaires des deux lots du marché d'impression et de livraison des bulletins de vote.
14. Est Imprimerie, après avoir exécuté la prestation, facturait en avril 2002 la somme de 69 789,6 euro HT à la préfecture de la Moselle.
C. LES PRATIQUES RELEVÉES
15. Comme il a été indiqué ci-dessus, à l'occasion de la procédure de mise en concurrence simplifiée de mars 2002, quatre sociétés, à savoir Est Imprimerie, Tecnodim, l'Imprimerie du Fort Moselle et l'Imprimerie Michel, ont présenté des offres strictement identiques tant pour le premier que pour le deuxième tour de l'élection.
16. En outre, une cinquième société, l'Imprimerie Marchal, présentait une offre qui avait la particularité d'être quasiment identique aux offres des quatre entreprises précitées. Enfin, l'Imprimerie Koehl avait très sensiblement rehaussé son offre de prix par rapport au devis présenté lors de la consultation de janvier 2002 pour parvenir à un niveau proche des cinq imprimeries déjà citées.
1. LES DÉCLARATIONS CONCORDANTES DES IMPRIMEURS
17. Il résulte des auditions menées dans le cadre de la procédure d'enquête que cinq des six sociétés mises en cause se sont accordées préalablement au dépôt des offres en préfecture sur le montant des prix à proposer.
18. Ainsi M. Eugène Z, PDG de Tecnodim, lors de son audition datée du 30 mai 2000, déclarait : " Les contacts entre les imprimeurs se sont fait à l'occasion des passages quotidiens de M. A dans les quatre imprimeries (...). C'est donc lors de ces rencontres que nous avons échangé des informations sur les prix que nous allions remettre à la préfecture. Nous avons donc décidé en commun de remettre des propositions de prix strictement identiques à la préfecture alors même que nous arrivions à des prix de revient qui étaient presque identiques. Nous avons convenu d'un commun accord de fixer notre offre à 4 600 euro le premier million d'exemplaires " .
19. Interrogé à son tour, M. Gilles A, directeur de l'Imprimerie du Fort Moselle, de l'Imprimerie Michel et de la SARL Imagin, confirmait les déclarations de M. Z en indiquant : " Lors de mes visites régulières auprès des imprimeries de la holding, j'ai indiqué à mes différents interlocuteurs qu'il convenait de remettre un prix de soumission à 4,60 euro les 1 000 ".
20. S'agissant de l'Imprimerie Michel, Madame Marie-Thérèse D, responsable de fabrication déclarait lors de son audition datée du 30 avril 2002 : " C'est M. A qui a déterminé le prix de soumission des bulletins de vote pour l'élection présidentielle de 2002. Le 11 mars 2002, il nous a fait parvenir un fax de l'Imprimerie du Fort Moselle, nous indiquant le prix à déposer à la préfecture de la Moselle " Ce fax, versé à la procédure, a effectivement été adressé par l'Imprimerie du Fort Moselle à l'Imprimerie Michel le 11 mars 2002. Son contenu est repris dans l'offre que l'Imprimerie Michel a adressée le même jour à la préfecture.
21. Enfin, s'agissant de la société Est Imprimerie, M. Joël Perez, directeur commercial d'Est Imprimerie, déclarait lors de son audition du 6 mai 2002 : " J'ai répondu au nom d'Est Imprimerie à cette deuxième consultation (...). J'ai donc fait une nouvelle proposition chiffrée à 4 600 euro hors taxes le million d'exemplaires. Avant de déposer cette nouvelle offre à la préfecture, j'ai pris contact téléphoniquement avec M. Eugène Z, PDG de Tecnodim (filiale d'Est Imprimerie) afin de comparer avec lui les offres de prix que nous allions remettre. Mon souci était de remettre une offre cohérente (...). Nous sommes parvenus avec M. Z à des prix quasiment identiques de 4 600 euro et d'un commun accord nous avons décidé tous deux de remettre une offre à 4 600 euro (...). Cet échange téléphonique s'est déroulé le 11 mars 2002 veille de la date limite de dépôt des offres en préfecture " .
22. Il ressort des déclarations des personnes entendues que M. A, présenté comme le " coordonnateur de la holding ", a fixé en étroite concertation avec M. Z, pour l'ensemble des imprimeries appartenant à la SARL Imagin, le montant de l'offre que celles-ci devaient déposer à la préfecture en réponse à l'appel d'offres qu'elle avait lancé en janvier 2002.
2. LA CONCERTATION S'EST ÉTENDUE À L'ENTREPRISE MARCHAL
23. Parmi les offres reçues par la préfecture, celle déposée par l'Imprimerie Marchal était quasiment identique à celles des sociétés appartenant à la SARL Imagin à un euro près par million d'exemplaires. Les investigations menées par les services d'enquête ont permis d'établir que cette identité d'offres résultait d'une concertation entre le gérant de l'Imprimerie Marchal et le PDG de la SA Tecnodim.
24. Lors de son audition datée du 30 avril 2002, M. B, gérant de l'imprimerie déclarait : " J'ai demandé à M. Eugène Z (...) de me communiquer son offre de prix (à remettre à la préfecture pour le 12 mars 2002) afin de me positionner pour remettre ma propre offre. M. Z m'a remis le brouillon manuscrit de son offre de prix daté du 11 mars 2002 (4 600 euro HT le premier million et 4,45 euro HT par mille exemplaires suivants pour le 1er tour, ces prix étant majorés de 10 % pour le 2ème tour). J'ai alors rédigé le brouillon manuscrit de ma propre offre, à savoir 4 599 euro HT le 1er million et 4,44 euro HT les mille exemplaires suivants, pour le 1er tour et une hausse de 10 % pour le 2ème tour, soit 5 058,90 euro HT et 4,88 euro HT. Ce brouillon a été dactylographié par ma secrétaire et signé par moi-même le 12 mars 2002. M. Z est passé à l'Imprimerie Marchal pour chercher mon offre de prix et la déposer à ma place à la préfecture en même temps que celle de l'entreprise Tecnodim. Il m'a faxé le récépissé du dépôt de mon offre le 12/3/2002 à 16 H 03. Pour ma part, je lui ai faxé la copie de mon offre, afin de l'informer du niveau de prix que je proposais à la préfecture et de lui montrer que je respectais son niveau de prix " . Le brouillon de l'offre établie par M. Z et remis à M. B est versé à la procédure.
25. Par procès-verbal du 30 mai 2002, M. Z confirmait les déclarations de M. B : " S'agissant des relations que j'ai eues à l'occasion de cette consultation de mars 2002 avec M. Franck B, gérant de l'Imprimerie Marchal, rue de la Planche aux Joncs à Marly, je précise que M. Franck B m'a demandé téléphoniquement de lui indiquer le prix pour les bulletins de vote. Je lui ai faxé le brouillon de mon offre. Quelques jours après il m'a demandé de passer le voir à son imprimerie pour me donner une commande. Le jour où je suis allé le rencontrer il était en train de rédiger une enveloppe pour transmettre son offre de prix à la préfecture. Comme j'allais déposer l'offre de Tecnodim à la préfecture, nous avons convenu que je dépose la sienne en même temps. J'ignorais à cette date l'offre qu'il avait faite. M. Franck B m'a transmis quelques jours après une télécopie de son offre et j'ai alors découvert qu'il avait répondu à un euro par millions d'exemplaires en dessous de ma propre offre (4 599 euro contre 4 600 euro) " .
3. L'OFFRE DE L'IMPRIMERIE KOEHL
26. L'offre de prix de l'Imprimerie Koehl, bien que légèrement inférieure à celles des autres imprimeries mises en cause, atteint un niveau qui la rapproche de celui de ses concurrentes (4 510 euro HT le million d'exemplaires, à rapprocher des 4 600 et 4 599 euro HT des cinq imprimeries visées supra).
27. A la différence des cinq sociétés précédemment évoquées, les auditions réalisées par les enquêteurs n'ont pas permis de démontrer qu'il y avait eu concertation formelle entre M. C, gérant de l'Imprimerie Koehl, et l'un des représentants des cinq sociétés incriminées, et partant échange des offres en vue de l'alignement des prix. Bien au contraire, M. C indiquait lors de son audition datée du 15 mai 2002 : " J'affirme qu'à l'occasion du chiffrage de mes trois devis successifs, j'ai agi en toute autonomie. Je n'ai eu aucun contact avec des imprimeurs et je n'ai subi aucune pression pour m'inciter à relever mes prix initiaux " .
28. Néanmoins, une étude attentive des offres de prix proposés par l'Imprimerie Koehl entre le devis de janvier et l'offre de mars 2002 permet de constater que celle-ci a très sensiblement relevé ses prix afin de s'aligner sur le niveau des offres déposées par ses concurrentes mosellanes. M. C a procédé à l'élaboration de trois devis différents pour établir le montant de son offre. Ainsi, entre janvier et mars 2002, l'Imprimerie Koehl a présenté trois montants de prix à la préfecture de la Moselle pour obtenir le marché d'impression des bulletins de vote. En janvier 2002, le devis s'élevait à 2 837 euro HT le million de bulletin, en février 2002 il était porté à 3 407 euro et en mars l'offre définitive s'établissait à 4 510 euro. Cette augmentation de prix n'est justifiée par aucun élément objectif, si ce n'est l'augmentation régulière du taux de marge appliqué par l'Imprimerie Koehl.
29. Entendu sur ce point, M. Jean Paul C, lors de son audition datée du 15 mai 2002, déclarait : " J'ai procédé à 3 études de prix différentes établies respectivement sur 1 868 000 exemplaires, 29 millions d'exemplaires et 1 million d'exemplaires et chiffrage du mille supplémentaire. Si le dernier devis a été chiffré à 4 550 le million d'exemplaires, c'est principalement en raison de l'incidence du coût papier, étant précisé que les premiers devis portaient sur un grammage de 60 g/mètre carré et le troisième sur un grammage de 80 g/mètre carré. Les prix au kilo obtenus de mes fournisseurs sont respectivement de 7,49 francs (114,20 euro pour 100 kilos) et de 7,09 francs ".
30. Cette explication, tentant de justifier le relèvement du niveau de son offre par le coût papier, semble peu crédible dans la mesure où la prise en compte du coût papier ne permet pas de justifier une augmentation aussi spectaculaire (+ 60 %) de l'offre de l'Imprimerie Koehl entre février et mars 2002.
4. LES CONSÉQUENCES DE CETTE CONCERTATION
31. A l'issue de la consultation informelle de janvier 2002, les 24 devis variaient entre 2 400 euro le million de bulletins et 7 832 euro. La moyenne des offres était de 4 120 euro. La préfecture de la Moselle était donc légitimement en droit d'attendre que les offres qui lui seraient proposées seraient diversifiées et lui fourniraient une large fourchette de prix. Lors de la consultation par mise en concurrence simplifiée de mars 2002, il n'y a plus que huit offres. Sur ces huit offres, six sont comprises entre 4 510 et 4 600 euro le million de bulletin de vote et une atteint 5 746 euro. Seule l'offre de l'Imprimerie Nationale est stabilisée à 2 390 euro. Les offres des quatre imprimeries appartenant à la SARL Imagin ainsi que celles de l'Imprimerie Marchal et de l'Imprimerie Koehl ont été sensiblement relevées.
32. La mise en concurrence opérée par la préfecture de la Moselle a visiblement abouti à des résultats inverses à ceux qui étaient attendus de cette procédure, dans la mesure où l'on ne peut que constater un alignement par le haut du niveau des prix proposés.
33. De plus, les offres de prix présentées par les entreprises ont été faites en intégrant une marge très importante, nettement supérieure au taux de marge habituellement retenu par la profession.
34. Interrogé sur ce point, M. Gilles A déclarait lors de son audition datée du 30 avril 2002 : " Nous avions arrêté des prix de 4,60 euro pour 1 000 imprimés (...). Nous pensions qu'avec un tel prix nous ne serions pas retenus par la préfecture mais nous avons voulu rester logiques avec nous-mêmes. Il paraissait incohérent de remettre des prix moitié inférieurs de ceux négociés en préfecture ".
35. Ce point apparaît essentiel pour comprendre le comportement des entreprises en cause : en effet, M. A justifie son offre de prix, non au regard de l'état du marché, mais bien plutôt par la nécessité de remettre des offres cohérentes avec les prix pratiqués par les imprimeurs lors de l'élection présidentielle de 1995.
36. Ces prix, fixés par arrêté, résultaient d'une négociation des représentants de la profession avec les services de la préfecture. Ainsi le niveau des tarifs de remboursement retenu était le résultat de l'actualisation, au fil des années, des prix proposés initialement par la profession des imprimeurs.
37. En 2002, les imprimeurs ont cherché à perpétuer le système ancien en proposant un niveau de prix similaire à celui de 1995. Ainsi, M. X, PDG d'Est Imprimerie, déclarait lors de son audition datée du 30 avril 2002 : " Pour la consultation organisée par la préfecture en mars 2002, il a été décidé de faire une proposition conforme à l'arrêté adopté par le préfet après consultation de la commission de propagande ".
38. Une telle formation du prix n'est pas celle qui résulterait d'un comportement concurrentiel de réponse à un appel d'offre en vue de remporter un marché
39. En déterminant leurs offres de prix par référence aux prix fixés antérieurement par arrêté préfectoral, les imprimeurs en cause ont tout mis en œuvre pour échapper aux règles induites par la passation d'un marché public et reproduit une politique de prix identique à celle fixée antérieurement par la profession.
40. Or, la procédure de mise en concurrence simplifiée, dès lors qu'elle se déroule dans des conditions normales de concurrence, permet d'abaisser sensiblement les prix des bulletins de vote de l'élection présidentielle. Ainsi, les enquêteurs ont étudié le cas du marché passé par la préfecture du Bas-Rhin afin d'imprimer les 26 millions (à rapprocher des 27,7 millions de bulletins devant être imprimés en Moselle) de bulletins de vote de l'élection présidentielle de 2002. Celle-ci avait par courrier en date du 21/1/2002 sollicité les imprimeurs intéressés afin qu'ils lui remettent une offre de prix en vue de l'impression de 1 755 000 bulletins par candidat (le nombre total de candidats étant estimé à 14 pour le premier tour).
41. En janvier 2002, trois offres ont été déposées à la préfecture du Bas-Rhin :
* celle de l'Imprimerie Valblor, proposant une offre à 2 340 euro HT le million de bulletins,
* celle de l'Imprimerie Ott, proposant une offre à 2 400 euro HT le million de bulletins,
* celle de l'Imprimerie Nationale, proposant une offre à 2,40 euro le millier de bulletins, soit 2 400 euro HT le million de bulletins.
42. Les Imprimeries Valblor et Ott ont présenté des offres de prix particulièrement compétitives, au regard de l'offre de l'Imprimerie Nationale (identique à celle qui était proposée en Moselle). La préfecture du Bas-Rhin a finalement attribué un des lots à l'Imprimerie Valblor, et l'autre à l'Imprimerie Ott.
5. LE GRIEF NOTIFIÉ
43. Sur la base des constatations qui précèdent, le grief suivant a été notifié à la SARL Imagin, aux sociétés Est Imprimerie, Tecnodim, Imprimerie du Fort Moselle et Imprimerie Michel, ainsi qu'à la SARL Marchal et à la SARL Koehl : " d'avoir, par leur action concertée, faussé le jeu de la concurrence et, notamment, fait obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse, pratique qui constitue une entente anticoncurrentielle en application de l'article L. 420-1 du Code de commerce ".
44. S'agissant de la Chambre syndicale de l'Imprimerie de Moselle mise en cause par le ministre de l'Economie à l'occasion de sa saisine, aucun grief ne lui a été notifié dans la mesure où sa participation à l'entente dénoncée était insuffisamment caractérisée.
II. DISCUSSION
A. SUR LES PRATIQUES
1. SUR LA PARTICIPATION À L'ENTENTE DE LA SARL IMAGIN, LES SOCIÉTÉS EST IMPRIMERIE, IMPRIMERIE MICHEL, TECNODIM, IMPRIMERIE DU FORT MOSELLE ET MARCHAL
45. Il résulte de ce qui précède que les quatre entreprises détenues par la SARL Imagin ont, dans le cadre de leur participation à l'appel d'offres avec mise en concurrence simplifiée organisé par le préfet de Moselle, échangé des informations sur les prix qu'elles entendaient pratiquer et procédé à un alignement de leurs offres avant de les déposer auprès des services de la préfecture. Cette concertation s'est étendue à la société Marchal au travers d'une communication de prix antérieurement à la remise des offres.
46. Cette pratique a contribué à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse. Elle a en outre eu pour objet et pour effet de faire échec au déroulement normal de la procédure d'appel d'offres organisée pour une mise en concurrence des entreprises.
47. Les sociétés Imagin, Est Imprimerie, Imprimerie Michel, Tecnodim, et Imprimerie du Fort Moselle, qui ne contestent pas avoir échangé des informations sur les prix qu'elles entendaient proposer à la préfecture de la Moselle, contestent en revanche que leur comportement ait eu pour objet de porter atteinte à la concurrence.
48. Elles soutiennent d'une part qu'elles n'ont pas cherché à dissimuler les liens juridiques qui les unissaient et qu'elles ont en toute transparence déposé leur offre auprès des services de la préfecture. Elles font valoir d'autre part, tout comme l'Imprimerie Marchal, qu'elles ont participé à l'appel d'offres non dans l'espoir d'obtenir le marché mais afin de protester contre la présence de l'Imprimerie Nationale qui pratiquait selon elles des prix abusivement bas. Elles prétendent enfin, tout comme l'Imprimerie Marchal, que l'alignement entre les offres de prix aurait été provoqué par les modalités de passation du marché.
49. Le premier argument est inopérant. Ainsi que la Cour d'appel de Paris l'a rappelé dans un arrêt en date du 18 novembre 2003 (SAS Signaux Laporte et Ets Crapie) : " des personnes morales distinctes, en déposant des offres séparées, ont manifesté leur autonomie commerciale et ainsi, choisi de se présenter lors des appels d'offres comme des entreprises concurrentes. Dès lors, quel que soit les liens pouvant exister entre elles, les sociétés requérantes étaient tenues de respecter les règles de la concurrence auxquelles elles s'étaient soumises, ce qui excluait qu'elles puissent présenter des offres dont l'indépendance n'était qu'apparente ".
50. Au demeurant, la connaissance par le maître de l'ouvrage des liens unissant les sociétés n'aurait pas été de nature à exonérer celles-ci, dès lors que l'existence de tels liens n'implique pas nécessairement la concertation ou l'échange d'informations, ainsi qu'il résulte d'une jurisprudence constante(décision n° 04-D-08 du 30 mars 2004 relative au marché de travaux d'assainissement de la Commune de Pontacq, confirmée sur ce point par la Cour d'appel de Paris dans un arrêt en date du 9 novembre 2004).
51. L'argument des parties selon lequel elles entendaient faire acte de protestation contre la politique de prix bas menée par l'Imprimerie Nationale doit également être écarté. En effet, il résulte de la jurisprudence citée ci-dessus que si les sociétés incriminées entendaient participer à l'appel d'offres lancé par la préfecture, elles étaient tenues de respecter les règles du droit de la concurrence et de déposer, en dehors de toute concertation préalable, des offres réellement concurrentes. Si elles entendaient contester la validité de l'offre de l'Imprimerie Nationale, il leur appartenait d'employer les voies de droit à leur disposition. En tout état de cause, cette protestation ne saurait en rien justifier une action concertée faussant le jeu de la concurrence.
52. L'argument tiré de ce que l'alignement des prix était nécessairement induit par les modalités de passation du marché doit être aussi écarté. En effet, ces sociétés ont délibérément ignoré les nouvelles conditions de passation du marché bien qu'elles en aient été préalablement informées par la préfecture à la suite de l'avis d'appel public à la concurrence publié dans le Républicain Lorrain daté du 31 janvier 2002. Bien au contraire, elles ont cherché à perpétuer le système ancien (à savoir la fixation des prix par arrêté, après négociation entre représentants de la profession et services de la préfecture).
53. A cette fin, elles se sont concertées afin de fixer en commun le niveau de leurs offres, reproduisant par là même une politique de prix identique à celle antérieurement fixée par la profession, et privant ainsi la procédure de mise en concurrence de tout effet. Dès lors, comme le Conseil l'a rappelé dans sa décision n° 01-D-20 du 4 mai 2001 relative à des pratiques relevées concernant plusieurs marchés de travaux et d'étanchéité dans le département d'Indre et Loire, en matière de marchés publics sur appels d'offres, l'entente anti-concurrentielle entre entreprises est établie " dès lors que la preuve est rapportée, soit qu'elles ont convenu de coordonner leurs offres, soit qu'elles ont échangé des informations portant notamment sur les prix qu'elles envisageaient de proposer, antérieurement à la date limite de dépôt des offres ".
54. En séance, les parties ont soutenu que leur concertation n'avait pas eu d'effet dans la mesure où les prix qu'elles ont librement proposés dès janvier 2002 (lors de la consultation organisée par le préfet pour déterminer le coût prévisible de l'impression des bulletins de vote) étaient sensiblement identiques à ceux finalement proposés en mars 2002 au moment de la remise de leurs offres en préfecture. Dès lors, la concertation qui leur est reprochée n'aurait pas eu d'effet sur leur politique de prix qui n'a pas varié de janvier à mars 2002.
55. Comme il a été indiqué plus haut (cf. paragraphe 9) le préfet a lancé en janvier 2002 une procédure de consultation afin de déterminer le coût prévisible de l'impression des bulletins de vote. C'est au vu des devis reçus, qu'il a, faisant application des dispositions du nouveau Code des marchés publics, informé le ministère de l'Intérieur de la nécessité de passer un marché public.
56. Il en avertissait également, par courrier daté du 29 janvier 2002, les imprimeries ayant répondu à la consultation. Un avis d'appel public à la concurrence était publié dans le Républicain Lorrain du 31 janvier 2002. Cette information ayant été largement diffusée, la préfecture était dès lors en droit d'attendre des entreprises soumissionnaires des prix correspondant à ceux pratiqués par des entreprises en situation concurrentielle.
57. Pourtant averties des nouvelles règles qui s'imposaient à elles, et mises en mesure de présenter des offres autonomes et reflétant leurs mérites respectifs, les imprimeries en cause ont délibérément choisi d'ignorer ce contexte nouveau et se sont concertées, faisant ainsi échec à la procédure de mise en concurrence organisée par le préfet. Cette mise en échec a eu pour effet de maintenir une politique de prix ne résultant pas d'une confrontation concurrentielle, mais bien plutôt d'un système de prix administrés avec lequel le lancement de l'appel à concurrence avait précisément pour objet de rompre.
58. Par ailleurs, il résulte des constatations opérées aux paragraphes 40 à 42, que la mise en concurrence des imprimeries effectuée par la préfecture du Bas-Rhin a permis d'obtenir de la part d'entreprises présentant des structures comparables à celles des imprimeries mosellanes mises en cause, des offres de prix très inférieures à celles présentées à la préfecture de la Moselle.
59. En conséquence, il est établi que les sociétés Est Imprimerie, Imprimerie Michel, Tecnodim, et Imprimerie du Fort Moselle, appartenant toutes à la SARL Imagin, ainsi que l'Imprimerie Marchal ont mis en œuvre une entente anti-concurrentielle prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce.
2. SUR LA PARTICIPATION DE L'IMPRIMERIE KOEHL À L'ENTENTE
60. L'Imprimerie Koehl conteste sa participation à l'entente en faisant valoir que la notification de griefs ne retient à son encontre, pour caractériser sa participation à l'entente, qu'un parallélisme de comportement avec les autres imprimeurs mis en cause, alors même que, selon elle, ce parallélisme n'est pas suffisamment établi, et que la preuve de l'infraction résultant d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants n'est pas rapportée.
61. Comme le Conseil l'a rappelé dans sa décision n° 01-D-20 du 4 mai 2001 relative à des pratiques concernant plusieurs marchés de travaux et d'étanchéité dans le département d'Indre et Loire, " la constatation d'un parallélisme de comportement ne peut suffire à lui seul à démontrer l'existence d'une entente anti-concurrentielle, ce parallélisme pouvant résulter de décisions prises par des entreprises qui s'adaptent de façon autonome au contexte du marché. En revanche, la preuve d'une telle entente peut être établie lorsque des éléments autres que la constatation du parallélisme de comportement se conjuguent avec ce dernier pour constituer avec lui un faisceau d'indices graves, précis et concordants ".
62. En l'espèce, l'Imprimerie Koehl a déposé, de janvier à mars 2002, trois offres de prix en réponse aux sollicitations de la préfecture. L'offre de prix relative à l'impression d'un million de bulletins de vote a augmenté de manière significative durant ces trois mois, passant de 2 837 euro HT en janvier (pour un grammage papier de 60g/m²) à 3 407 euro HT en février (pour un grammage papier de 80 g/m²) pour s'établir à 4 510 euro HT (pour un grammage papier de 80 g/m²) en mars 2002.
63. L'Imprimerie Koehl, à l'instar des cinq autres imprimeries mises en cause, a notablement relevé ses offres qui se rapprochent sensiblement de celles déposées par les cinq imprimeries précitées. Or, il n'est versé à la procédure aucun élément pertinent (relatif notamment à une augmentation sensible du coût du papier) permettant de justifier cette augmentation.
64. Toutefois, comme l'a rappelé le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 03-D-34 du 9 juillet 2003 relative à des pratiques anti-concurrentielles concernant deux marchés de travaux de terrassement et de réalisation de chaussées en Gironde, " le parallélisme de comportement peut être la résultante de décisions identiques mais indépendantes prises par des entreprises s'adaptant naturellement à un même contexte sur un même marché ".
65. Au cas d'espèce, le comportement de l'Imprimerie Koehl peut être expliqué par la poursuite de son intérêt individuel, en dehors de toute concertation avec ses concurrentes. Il est à noter en effet que l'offre de prix de l'Imprimerie Koehl déposée en mars 2002 est sensiblement inférieure à celle des cinq imprimeurs qui ont reconnu s'être concertés. L'Imprimerie Koehl apparaissait ainsi à l'issue du dépôt des offres, avec l'Imprimerie Nationale, comme la moins disante. Elle était donc dans une position concurrentielle qui pouvait lui laisser espérer l'obtention du marché.
66. En outre, les dirigeants des imprimeries Tecnodim, Fort Moselle, Michel, Est Imprimerie et Marchal ont reconnu, dans des déclarations concordantes faites aux enquêteurs, qu'ils se sont concertés entre eux antérieurement au dépôt des offres, sans jamais faire état de la participation de l'Imprimerie Koehl à leur discussion et partant à l'entente anticoncurrentielle qui en est résultée. Interrogé sur ce point, lors de son audition par les enquêteurs, M. C a déclaré avoir établi ses offres en toute autonomie. De même, les dirigeants de ces cinq entreprises n'ont jamais fait état de ce qu'ils auraient eu connaissance des offres de prix de l'Imprimerie Koehl antérieurement au dépôt des offres. Enfin, ces mêmes dirigeants n'ont à aucun moment déclaré que le but de leur entente était de favoriser l'un des participants (en désignant parmi eux le moins disant susceptible d'emporter le marché) mais bien plutôt d'empêcher une concurrence réelle entre imprimeurs locaux.
67. Dès lors, le Conseil constate qu'il n'est pas rapporté d'éléments suffisants susceptibles de constituer un faisceau d'indices graves, précis et concordants permettant de caractériser la participation de l'Imprimerie Koehl à l'entente. Il résulte de ce qui précède que les pratiques mises en cause et imputées à l'Imprimerie Koehl ne sont pas qualifiables au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
B. SUR LES SANCTIONS
68. Aux termes de l'article L. 464-5 du Code de commerce, " le Conseil, lorsqu'il statue selon la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3 peut prononcer les mesures prévues au I de l'article L. 464-2. Toutefois, la sanction pécuniaire ne peut excéder 750 000 euro pour chacun des auteurs des pratiques prohibées ".
1. LA GRAVITÉ DES PRATIQUES
69. Afin d'apprécier la gravité des faits, il y a lieu de tenir compte en premier lieu de ce que ces pratiques ont eu pour objet et pour effet de faire échec au déroulement normal de la procédure d'appel d'offres organisée pour une mise en concurrence des entreprises, en refusant délibérément une mise en concurrence loyale des entreprises candidates. Comme l'a rappelé la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 30 avril 2002 (SNC Jean François), la gravité des telles pratiques réside dans " la tromperie commise au détriment des collectivités publiques quant à l'existence et à l'intensité de la concurrence sur le marché, au nombre d'offres réellement concurrentes soumises à l'appréciation des collectivités ".
70. En outre, il convient de relever l'ampleur de la concertation puisque sur les huit entreprises ayant répondu à l'appel public à la concurrence lancé par la préfecture de la Moselle, cinq d'entre elles se sont concertées pour présenter des offres de prix identiques. Ces cinq imprimeries présentaient en outre la caractéristique de posséder des capacités techniques suffisantes pour pouvoir exécuter rapidement la prestation demandée. Or, la fiabilité des entreprises était un élément déterminant pour la préfecture dans le choix des candidats à retenir. Dès lors, la concertation entre ces cinq imprimeries a réduit la capacité de choix de l'acheteur public et l'a contraint à nécessairement choisir l'une d'entre elles.
2. LE DOMMAGE À L'ÉCONOMIE
71. La concertation dont il s'agit en l'espèce s'est traduite par des surcoûts à la charge de la préfecture de Moselle. Les entreprises en cause, du fait de leur concertation, lui ont imposé un niveau de prix qu'elle n'avait pas la capacité de négocier ni de refuser. En effet, la demande de la préfecture était particulièrement rigide : les contraintes de temps et les enjeux concernant la légalité de l'élection étaient tels que le respect des délais et la fiabilité de la livraison ont précédé le prix proposé dans les critères d'attribution du marché public. Dès lors, les entreprises, qui disposaient des capacités techniques pour fournir les bulletins avaient tout intérêt à engager une concertation dans le but d'augmenter le prix final et de se partager ensuite le marché sans risquer de voir l'une d'entre elles se démarquer de l'accord et proposer un prix plus faible.
72. Dans ces circonstances particulières de faible sensibilité de la demande au prix, toute action concertée illégale qui vise à augmenter le prix n'est pas contrecarrée par le pouvoir de négociation de l'acheteur public.
73. Ainsi M. A, directeur de la SARL Imagin et directeur des imprimeries Est Imprimerie, Imprimerie Michel et du Fort Moselle affirmait lors de son audition datée du 7 mai 2002 que " les prix de soumission que nous avons remis sont élevés et ont été déterminés en retenant une marge de plus de 56 % alors que notre marge habituelle dans l'imprimerie varie autour de 20 % ". La pratique d'une telle marge, décidée en commun par les imprimeries appartenant à la SARL Imagin, a nécessairement induit un sur-profit au bénéfice de l'entreprise attributaire de l'un des lots, à savoir Est Imprimerie, qui a finalement été supporté par la collectivité publique.
74. Dès lors qu'elle se déroule dans des conditions concurrentielles normales, la procédure de mise en concurrence permet d'abaisser sensiblement les coûts d'impression des bulletins de vote de l'élection présidentielle. L'exemple du marché passé par la préfecture du Bas- Rhin en est une parfaite illustration puisque la mise en concurrence des imprimeries a permis de diminuer de moitié le coût d'impression des bulletins de vote supporté par la collectivité publique, par rapport au coût supporté par la préfecture de la Moselle.
3. LA DÉTERMINATION DES SANCTIONS
a) Concernant la SARL Imagin
75. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la SARL Imagin au 30 juin 2003, dernier exercice connu, s'est élevé à 1 560 639 euro. La SARL Imagin détient des participations dans les quatre imprimeries (Est Imprimerie, Tecnodim, Imprimerie du Fort Moselle et Imprimerie Michel) dont les dirigeants ont reconnu avoir participé à l'entente dénoncée. Cette pratique prohibée a été initiée par le directeur de la SARL, M. A, qui, souhaitant coordonner les activités des imprimeries appartenant à la société, a organisé l'échange d'informations entre elles et fixé, en étroite concertation avec M. Z, le niveau des offres à déposer dans le cadre de l'appel d'offres lancé par la préfecture de la Moselle. La préfecture de la Moselle n'a jamais été informée par cette société du fait qu'elle détenait quatre des imprimeries soumissionnant au marché. Il est en outre à noter que c'est l'une des imprimeries appartenant à la SARL Imagin qui a été attributaire de l'un des lots du marché (à savoir Est Imprimerie) et que ce sont deux des imprimeries appartenant à la SARL Imagin qui ont exécuté la prestation (à savoir Tecnodim et Imprimerie du fort Moselle). Le chiffre d'affaires qui en est résulté pour ces trois sociétés a nécessairement profité à la SARL Imagin. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est fixé à hauteur de 12 500 euro.
b) Concernant la Société Est Imprimerie
76. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société Est Imprimerie au 30 juin 2003, dernier exercice connu, s'est élevé à 15 785 693 euro. Il résulte de la procédure que la société Est Imprimerie a activement participé à l'entente dénoncée en échangeant des informations sur ses coûts et ses prix avec l'Imprimerie Tecnodim et en se conformant aux prescriptions données par MM. Z et A afin de fixer un prix similaire à celui des autres imprimeries appartenant à la SARL Imagin. Il convient en outre de noter qu'Est Imprimerie a été attributaire de l'un des lots du marché de l'impression des bulletins de vote et qu'elle a, sans en avertir la préfecture, sous-traité la réalisation de cette prestation aux Imprimeries Tecnodim et Fort Moselle. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est fixé à hauteur de 126 300 euro.
c) Concernant l'Imprimerie Tecnodim
77. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par l'Imprimerie Tecnodim au 30 juin 2003, dernier exercice connu, s'est élevé à 2 818 761 euro. Le dirigeant de cette entreprise, M. Z, est le co-initiateur avec M. A de l'entente entre les quatre imprimeries appartenant à la SARL Imagin. C'est en étroite concertation avec ce dernier qu'a été fixé, pour le compte des quatre imprimeries, le montant des offres déposées postérieurement auprès des services de la préfecture. L'intéressé a personnellement informé la société Est Imprimerie de ce montant et lui a demandé de s'y conformer. C'est également en concertation avec M. A qu'a été répartie l'exécution de la prestation, à la suite du choix opéré par la préfecture de confier la réalisation de l'un des lots à la société Est Imprimerie. C'est encore M. Z qui a été l'initiateur de l'entente avec l'Imprimerie Marchal puisque c'est lui qui a contacté le dirigeant de cette imprimerie et lui a fourni le montant de l'offre que l'Imprimerie Tecnodim allait déposer. Enfin, l'Imprimerie Tecnodim a tiré profit de l'entente dans la mesure où la société Est Imprimerie lui a confié une partie de l'exécution de la prestation obtenue suite à la mise en œuvre de pratiques prohibées. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés cidessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est fixé à hauteur de 22 500 euro.
d) Concernant l'Imprimerie du Fort Moselle
78. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par l'Imprimerie du Fort Moselle au 30 juin 2003, dernier exercice connu, s'est élevé à 3 470 584 euro. Il résulte de la procédure que l'Imprimerie du Fort Moselle, dirigé par M. A, a activement participé à l'entente dénoncée en échangeant des informations sur ses coûts et ses prix avec les autres imprimeries appartenant à la SARL Imagin et en se conformant aux prescriptions données par MM. Z et A afin de fixer un prix similaire à celui des autres imprimeries appartenant à la SARL Imagin. En outre, l'Imprimerie du Fort Moselle a tiré profit de l'entente dans la mesure où la société Est Imprimerie lui a confié une partie de l'exécution de la prestation obtenue à la suite de la mise en œuvre des pratiques prohibées. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est fixé à hauteur de 27 800 euro.
e) Concernant l'Imprimerie Michel
79. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par l'Imprimerie Michel au 30 juin 2003, dernier exercice connu, s'est élevé à 1 644 794 euro. Il résulte de la procédure que la société Imprimerie Michel a activement participé à l'entente dénoncée en échangeant des informations sur ses coûts et ses prix avec les autres imprimeries appartenant à la SARL Imagin et en se conformant aux prescriptions données par MM. Z et A afin de fixer un prix similaire à celui des autres imprimeries appartenant à la SARL Imagin. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est fixé à hauteur de 13 200 euro.
f) Concernant l'Imprimerie Marchal
80. Le chiffre d'affaires réalisé en France par l'Imprimerie Marchal en 2003, dernier exercice connu, s'est élevé à 7 225 402,06 euro. Il résulte de la procédure que l'Imprimerie Marchal a activement participé à l'entente dénoncée en échangeant des informations sur ses coûts et ses prix avec M. Z, dirigeant de l'Imprimerie Tecnodim, et en acceptant volontairement de calquer son offre sur celle des imprimeries appartenant à la SARL Imagin. Elle a par son comportement fait échec au déroulement normal de la procédure d'appel d'offres organisée pour une mise en concurrence des entreprises. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est fixé à hauteur de 57 800 euro.
DÉCISION
Article 1er : Il est établi que les sociétés Imagin, Est Imprimerie, Tecnodim, Imprimerie Michel, Imprimerie du Fort Moselle et Marchal ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 2 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
* à la société Imagin une sanction de 12 500 euro ;
* à la société Est Imprimerie une sanction de 126 300 euro ;
* à la société Imprimerie Tecnodim une sanction de 22 500 euro ;
* à la société Imprimerie du Fort Moselle une sanction de 27 800 euro ;
* à la société Imprimerie Michel une sanction de 13 200 euro ;
* à la société Imprimerie Marchal une sanction de 57 800 euro.
Article 3 : Il n'est pas établi que l'Imprimerie Koehl ait enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.