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Décisions

CJCE, 24 novembre 1987, n° 223-85

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rijn-Schelde-Verolme Machinefabrieken en Scheepswerven NV

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents de chambre :

MM. Bosco, De Président, Moitinho de Almeida, Rodriguez Iglesias

Avocat général :

Sir Gordon Slynn

Juges :

MM. Koopmans, Everling, Joliet, Schockweiler

Avocat :

Me Ottervanger

CJCE n° 223-85

24 novembre 1987

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 22 juillet 1985, la Rijn-Schelde-Verolme Machinefabrieken en Scheepswerven NV (ci-après "RSV "), ayant son siège social à Rotterdam (Pays-Bas), a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant principalement à l'annulation de la décision 85-351 de la Commission, du 19 décembre 1984 (JO 1985, L 188, p. 44), par laquelle celle-ci a constaté que l'aide d'un montant de 294 millions de HFL, accordée à la requérante, en 1982, par le Gouvernement néerlandais, était incompatible avec le Marché commun au sens de l'article 92 du traité CEE et devait être supprimée; le recours vise subsidiairement à l'annulation des articles 2 et 3 de cette décision, qui ordonnent la suppression de l'aide et l'information de la Commission sur les mesures prises.

2. Il est constant que la requérante bénéficiait depuis 1977, avec l'approbation de la Commission, d'aides d'état dans le cadre d'un programme de restructuration, qui avait pour objet de mettre fin à une partie de ses activités dans les secteurs de la construction et de la réparation navales ainsi que dans la construction mécanique lourde. En 1979, le ministre néerlandais des Affaires économiques avait informé, par lettre du 1er juin 1979, la deuxième chambre des états généraux de sa décision de décharger, à partir du 1er janvier 1979, le groupe RSV des conséquences financières du maintien des activités dans les domaines de la grande construction navale et de la construction et réparation des grandes installations off-shore assurées par diverses filiales du groupe, dont VDSM. Cette décision faisait suite à la décision de RSV de renoncer à la poursuite desdites activités.

3. Dans la lettre précitée, le ministre des Affaires économiques apportait les précisions ainsi libellées : "l'offre d'aide, décrite dans la présente lettre, sera détaillée dans une lettre adressée à RSV. A cet égard, je réfléchirai soigneusement sur la formulation de l'offre d'aide et celle des conditions. Lesdites conditions peuvent aussi concerner d'autres matières que celles mentionnées dans la présente lettre, si cela me parait souhaitable pour atteindre le but poursuivi par l'aide accordée. Ensuite, l'offre d'aide devra être approuvée par la Commission européenne. Aussi longtemps que cette approbation ne sera pas obtenue, l'offre ne lie pas. D'autres conditions, jugées opportunes à la suite de la position de la Commission européenne, pourront être définies." Une copie de cette lettre a été envoyée le 4 juillet 1979 à la Commission, qui n'a pas réagi.

4. Le 1er juin 1979, le Gouvernement néerlandais avait décidé de reprendre les activités de RSV, dans les domaines précités, par la création d'une entreprise nouvelle ayant le statut d'entreprise publique, la "Rotterdam off-shore en Scheepsbouwcombinatie BV" (ci-après "ROS "). En avril 1980, au vu des pertes subies, le Gouvernement néerlandais décidait de renoncer à la constitution de ROS et de mettre fin aux activités dans les domaines de la grande construction navale et du grand off-shore. RSV, qui avait agi pour le compte de ROS après la décision de sa constitution, était chargée de superviser l'achèvement des travaux en cours, le licenciement du personnel et la fermeture des chantiers. Il était prévu que les coûts de ces opérations seraient couverts par l'état.

5. Par lettres du 17 mars et du 23 avril 1980, le ministre des Affaires économiques a proposé des aides complémentaires à RSV, qui les a acceptées. Ces aides n'ont pas été notifiées à la Commission, mais, par lettre du 26 mars 1981, celle-ci a approuvé un projet d'aide à RSV, dont il ressort que, à coté d'autres sommes, 310 millions de HFL devaient être mis à disposition de RSV pour le démantèlement de la grande construction navale chez l'une des entreprises du groupe, VDSM.

6. En raison de l'accroissement des pertes relatives à la grande construction navale et au grand off-shore, une nouvelle aide a été octroyée en 1982 à RSV, dont le montant a été fixé à 294 millions de HFL (47,5 millions ont été versés le 20 décembre 1981, 238,5 le 29 avril 1982, les 8 millions restants n'ayant pas été payés). C'est cette aide, qui a été versée avant sa notification à la Commission, qui fait l'objet de la décision litigieuse.

7. A l'appui de sa demande en annulation, la requérante fait valoir, en substance, les huit moyens suivants :

- violation de l'article 93, paragraphe 3, du traité, en ce que l'aide de 1982 ne devait pas être notifiée à la Commission et que celle-ci ne pouvait donc pas demander la suppression de l'aide en raison du défaut de notification ;

- violation de l'article 93, paragraphe 2, du traité, en ce que la Commission aurait largement dépasse les règles d'une bonne administration en prenant 26 mois pour rendre la décision ;

- violation de l'article 93, paragraphe 2, du traité, en ce que la Commission n'aurait pas respecté le délai de deux mois pour engager la procédure y prévue ;

- violation de l'article 190 du traité, en ce que la Commission aurait motivé sa décision de façon insuffisante ou, à tout le moins, de façon incompréhensible et/ou contradictoire;

- violation de l'article 92, paragraphe 1, du traité, en ce que l'accord conclu en 1982 ne constitue pas une aide étatique, au sens de cette disposition;

- violation de l'article 92, paragraphe 1, du traité, en ce que la mesure d'aide de 1982 n'affecte pas les échanges ni fausse la concurrence;

- violation de l'article 92, paragraphe 3, du traité, en ce que l'aide en cause, contrairement à ce que mentionne la décision, était liée à un programme de restructuration, de nature à promouvoir l'intérêt commun au sens de cet article;

- violation des principes généraux de droit, en tant que l'exigence de remboursement contenue dans la décision viole les principes de sécurité juridique et de confiance légitime.

8. Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire et de l'argumentation des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur la recevabilité

9. Selon la Commission, il n'est pas certain que la requérante ait un intérêt légitime à former le présent recours. En effet, il a été stipulé entre RSV et le Gouvernement néerlandais que l'aide devenait exigible immédiatement et dans sa totalité, en cas de faillite ou de sursis de paiement. Or, le 9 février 1983, un sursis de paiement a été accordé à RSV. Il en résulterait que, même si la décision de la Commission était annulée, RSV serait tenue de rembourser au Gouvernement l'aide en cause.

10. Cet argument doit être écarté. Comme la requérante l'a indiqué au cours de la procédure, une affaire est actuellement pendante devant le Raad Van State néerlandais, suite au recours forme par RSV contre les décisions de l'état néerlandais exigeant le remboursement de certaines sommes, accordées à RSV, dont un montant de 294 millions de HFL qui fait l'objet de la décision de la Commission attaquée. Si RSV devait obtenir gain de cause sur la base des moyens de droit interne soulevés dans cette affaire, la décision de la Commission constituerait pour le Gouvernement l'unique justification à sa demande de remboursement.

11. La requérante a donc un intérêt légitime à former le présent recours.

Sur le fond

12. Il convient d'examiner d'abord le deuxième moyen par lequel la requérante fait valoir que la Commission, en attendant 26 mois avant de rendre la décision contestée, aurait méconnu les exigences de la sécurité juridique et outrepasse les règles d'une bonne administration. Ce retard aurait amené RSV ainsi que ses actionnaires et créanciers à croire que les sommes allouées au titre de l'aide en cause lui appartenaient en toute légalité.

13. Selon la Commission, le retard à prendre la décision était dû à l'attitude compréhensive dont elle a fait preuve à l'égard des difficultés de RSV. La situation de celle-ci aurait été tellement complexe et les implications de son effondrement tellement graves qu'il aurait été impossible de prendre une décision plus tôt. Ce ne fut que le 24 octobre 1984 qu'elle aurait reçu de la part du Gouvernement néerlandais des informations concrètes sur la cessation des activités de RSV dans le secteur de la construction off-shore, informations qui lui auraient permis de se faire un avis sur l'ensemble de la question.

14. Il y a lieu d'observer que la Commission n'a donné aucune justification valable du long délai pris pour rendre sa décision. Elle s'est limitée à invoquer la complexité de la situation du groupe RSV et le retard mis par le Gouvernement néerlandais à lui fournir les informations nécessaires. Il ressort toutefois du dossier que l'aide en cause ne concernait que des coûts supplémentaires d'une opération, la cessation des activités du groupe RSV dans le secteur de la construction off-shore, qui avait déjà fait l'objet d'aides autorisées par la Commission.

15. La situation était donc connue de la Commission et les causes qui avaient déterminé le dépassement des coûts couverts par l'aide autorisée le 26 mars 1981, identifiées dans la décision, n'exigeaient pas une recherche approfondie. C'était des erreurs de gestion et des conditions du marché défavorables qui avaient provoqué l'annulation d'un contrat ayant pour objet la construction d'un modèle special de plate-forme de dragage.

16. En outre, il ressort du dossier que l'aide en cause concernait un secteur qui, depuis 1977, était bénéficiaire d'aides accordées par le Gouvernement néerlandais et autorisées par la Commission, et que cette aide était destinée à faire face à des coûts supplémentaires d'une opération qui avait aussi bénéficié d'une aide autorisée. La requérante à donc pu raisonnablement croire que les doutes de la Commission ne subsistaient plus et que l'aide ne rencontrait pas d'objection.

17. Il s'ensuit que le retard pris par la Commission pour rendre la décision attaquée pouvait, en l'espèce, fonder chez la requérante une confiance légitime de nature à empêcher la Commission d'enjoindre aux autorités néerlandaises d'ordonner la restitution de l'aide. Les articles 2 et 3 de la décision du 19 décembre 1984, dont découle une telle injonction, sont donc illégaux et doivent être annulés.

18. L'illégalité des articles 2 et 3 affecte nécessairement dans le cas de l'espèce, en raison de toutes les particularités qui le caractérisent, la légalité de la décision dans son ensemble.

19. Pour ces motifs, il y a lieu d'annuler la décision attaquée sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens présentés par la requérante.

Sur les dépens

20. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Déclare et arrête :

1) la décision 85-351 de la Commission, du 19 décembre 1984, concernant l'aide octroyée par le Gouvernement néerlandais en faveur d'une entreprise de construction mécanique, est annulée.

2) la Commission est condamnée aux dépens.