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Décisions

CJCE, 13 avril 1994, n° C-324/90

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

République fédérale d'Allemagne, Pleuger Worthington GmbH

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mancini (faisant fonction)

Présidents de chambre :

MM. Moitinho de Almeida, Edward

Avocat général :

M. Darmon

Juges :

MM. Joliet, Schockweiler, Rodríguez Iglesias (rapporteur), Grévisse, Zuleeg, Murray

Avocats :

Mes Urs Aschenbrenner, Gerrit Schohe, Nils-Peter Schmidt-Decker.

CJCE n° C-324/90

13 avril 1994

LA COUR,

1 Par requêtes déposées au greffe de la Cour respectivement le 23 octobre et le 16 novembre 1990, la République fédérale d'Allemagne, d'une part, et la société Pleuger Worthington, d'autre part, ont, en vertu de l'article 173, paragraphe 1, et de l'article 173, paragraphe 2, du traité CEE, demandé l'annulation de la décision 91-389-CEE de la Commission, du 18 juillet 1990, relative à des aides de la ville de Hambourg (JO 1991, L 215, p. 1).

2 Par ordonnance du 23 mars 1993, le président a décidé de joindre les deux affaires aux fins de la procédure orale et de l'arrêt.

3 La ville libre et hanséatique de Hambourg a, sans en informer la Commission, accordé au cours des années 1986, 1987 et 1988 des prestations financières à certaines entreprises implantées sur son territoire. Par lettre du 7 août 1987, la Commission a prié la République fédérale d'Allemagne de lui communiquer des informations sur les prestations que Hambourg avait prévu d'accorder à la société Montblanc-Simplo. Dans une communication du 22 octobre 1987, la République fédérale d'Allemagne a informé la Commission que l'aide avait pour but d'empêcher que la production ne soit transférée dans les pays d'Extrême-Orient. La Commission a, par lettre du 15 janvier 1988, demandé à connaître sur plusieurs points la position du gouvernement fédéral. Ce dernier a répondu par communication du 15 avril 1988 aux questions posées par la Commission, et a confirmé que Hambourg se voyait soumise à une forte concurrence avec la région qui l'entoure. Le gouvernement fédéral a également communiqué, par note du 15 avril 1988, trois autres cas dans lesquels Hambourg avait accordé des aides financières.

4 Par lettre du 3 mai 1989, la Commission a communiqué au gouvernement fédéral qu'elle avait appris l'octroi par la ville de Hambourg d'aides en faveur d'un certain nombre d'entreprises, sans qu'elle en ait reçu notification. Par cette lettre, elle a ouvert la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité à l'égard de ce ou ces programmes d'aides ainsi que de leurs cas d'application. La Commission a indiqué dans une communication (JO C 309, p. 3) les objections qu'elle formulait à l'encontre des différentes allocations attribuées par la ville de Hambourg. Par lettre du 23 août 1989, le gouvernement fédéral a pris position sur l'ouverture de la procédure et a déclaré qu'il n'existait aucun programme de subventions à Hambourg.

5 Au cours d'un entretien qui s'est déroulé le 7 novembre 1989 entre les représentants de la Commission, du gouvernement fédéral et de la ville de Hambourg, la Commission a été informée de ce que onze entreprises avaient bénéficié de subventions en 1986, neuf en 1987 et onze en 1988, sur la base de décisions individuelles. La Commission a demandé que lui soient communiquées, pour chaque cas, certaines données complémentaires. Par lettre du 3 janvier 1990, le gouvernement fédéral les lui a transmises sous forme de tableaux intitulés "prévention de l'exode des entreprises".

6 Une des entreprises bénéficiaires des subventions de la ville de Hambourg est Pleuger Worthington GmbH, issue de la fusion de deux entreprises de Hambourg qui faisaient partie du même groupe, la Deutsche Worthington GmbH et la Pleuger GmbH, et qui possédaient chacune des unités d'exploitation dans des sites différents. La fusion est intervenue le 1er novembre 1987. La direction commune a décidé de regrouper les unités d'exploitation dans l'ancienne Pleuger GmbH (ci-après "Pleuger Worthington"). Après avoir vérifié si les projets de regroupement pouvaient bénéficier d'une subvention, la ville de Hambourg a, par lettre du 15 juillet 1988, fait savoir à l'entreprise que la commission compétente chargée d'accorder les crédits avait donné son accord pour une subvention destinée à contribuer au paiement des dépenses résultant du déménagement et de la transformation des unités d'exploitation. La ville de Hambourg a ajouté à sa lettre un contrat portant sur l'octroi d'une subvention de 600 000 DM, contrat signé par Pleuger Worthington le 15 juillet 1988. Par lettre du 18 décembre 1989, la ville de Hambourg a fait savoir à cette entreprise que ce montant lui avait été versé.

7 La décision attaquée, adoptée le 18 juillet 1990, dispose en son article 1er que le programme d'aides de la ville de Hambourg visant à prévenir l'exode des entreprises est illégal, étant donné qu'il a été mis en œuvre en violation de l'article 93, paragraphe 3, du traité, et qu'il est incompatible avec le Marché commun au sens des articles 92 et 93 du traité; par conséquent, le gouvernement fédéral est tenu d'abroger ce programme dans un délai de deux mois à compter de la publication de la décision. L'article 2 établit que, dans ce même délai, le gouvernement fédéral veille à ce que les 33 entreprises ayant bénéficié des aides dans les années 1986 à 1988 les remboursent, à concurrence des montants mentionnés à cet article, soit, dans le cas de Dresser Pleuger GmbH, un montant de 600 000 DM. L'article 3 dispose enfin que le gouvernement fédéral informe la Commission des mesures qu'il prend pour se conformer à la décision.

8 Par lettre du 26 juillet 1990, la ville de Hambourg a fait savoir à l'entreprise en cause que la Commission considérait les subventions attribuées comme illégales et en exigeait le remboursement. Par lettre du 5 septembre 1990, la ville de Hambourg a transmis à Pleuger Worthington une copie de la décision litigieuse.

9 A l'appui de son recours, la République fédérale d'Allemagne invoque la violation des formes substantielles par infraction à l'article 190 du traité. Elle fait valoir, à cet égard, que la décision est insuffisamment motivée dans ses aspects relatifs à l'existence d'un régime d'aides et à l'examen des critères de l'article 92, paragraphe 1, du traité. Le recours est aussi fondé sur l'application inexacte par la Commission de l'article 92, paragraphe 1, et sur la violation de l'article 92, paragraphe 3, sous c). La République fédérale affirme enfin que la Commission a commis un détournement de pouvoir et qu'elle a violé le principe d'égalité.

10 Pleuger Worthington fonde son recours sur la violation de formes substantielles, du fait que la Commission n'a pas suffisamment motivé la décision sous certains aspects relatifs à l'existence d'un régime d'aides, à la vérification des critères de l'article 92, paragraphe 1, et de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, ainsi qu'à l'exigence de remboursement. Pleuger Worthington soutient également que la Commission a violé les règles de procédure de l'article 93, paragraphes 2 et 3. Par ailleurs, Pleuger Worthington fonde son recours sur la violation du traité, en particulier de son article 92, paragraphes 1 et 3.

Sur l'insuffisance de motivation de la décision en ce qui concerne l'existence d'un programme d'aides

11 Il convient d'examiner en premier lieu le moyen, invoqué par les deux parties requérantes, tiré de la violation de l'article 190 du traité découlant de la motivation insuffisante de la décision attaquée en ce qui concerne le programme d'aides de la ville de Hambourg.

12 Les requérantes contestent l'existence de ce programme. Elles soutiennent que la décision ne comporte aucun élément de nature à justifier la présomption de la Commission selon laquelle il y aurait eu à Hambourg un programme d'aides non notifié, visant à prévenir l'exode des entreprises.

13 Aux termes de la décision attaquée, sous IV, paragraphe 2, dixième et onzième alinéas,

"En engageant la procédure conformément à l'article 93, paragraphe 2, la Commission a présumé que, outre les quatre cas dont elle avait connaissance, d'autres entreprises avaient dû également recevoir des aides. Elle a donc engagé la procédure contre ce ou ces programmes d'aide et contre chacun de leurs cas d'application. Il est vrai qu'il n'existe pas de programme d'aide spécial à Hambourg. Toutefois, dans les trente-trois cas connus, les aides sont accordées par la même instance instituée à cette fin (la Hamburger Kredit-Kommission), pour le même motif (prévenir l'exode des entreprises) et sur la même ligne budgétaire. En fait, les éléments constitutifs d'un programme sont donc réunis. La Commission peut donc procéder à l'examen de la même manière que s'il s'agissait d'un programme.

Il n'y a donc pas lieu d'examiner dans chaque cas d'application si les échanges entre États membres sont affectés car, autrement, la République fédérale serait avantagée par rapport à d'autres États membres qui notifient leurs aides à l'état de projet. La Commission savait par expérience qu'il y avait lieu de considérer d'emblée que les entreprises bénéficiant des aides sont des entreprises qui participent aux échanges entre États membres".

14 Il convient de constater d'abord que la décision n'identifie aucun acte juridique instituant un programme d'aides. Au contraire, la Commission a expressément reconnu dans la décision qu'il n'existait pas de programme d'aide spécial à Hambourg. Elle a, néanmoins, fondé sa conclusion sur des éléments factuels.

15 On ne saurait, certes, exclure de façon générale la possibilité, pour la Commission, de se fonder sur un ensemble de circonstances de nature à déceler l'existence, en fait, d'un programme d'aides. A cet égard, la Commission relève trois éléments qui, selon elle, sont de nature à établir, en l'espèce, l'existence d'un tel programme.

16 Le premier élément relevé par la Commission tient au fait que toutes les subventions à l'investissement étaient destinées à éviter que les entreprises bénéficiaires ne quittent Hambourg. La Commission fait valoir, notamment, que le gouvernement fédéral lui avait transmis un document relatif aux différentes aides que la ville de Hambourg avait décidé d'accorder, intitulé "prévention de l'exode des entreprises".

17 A cet égard, il convient d'observer de façon générale que la seule circonstance qu'un ensemble d'aides puisse s'inscrire dans le cadre d'une politique de prévention de l'exode des entreprises ne suffit pas à démontrer que toutes ces aides doivent être qualifiées de programme, aux fins de l'application de l'article 93 du traité. En effet, une telle politique peut être menée sur la base de mesures de nature très différente et même par le biais de programmes d'aides très divers.

18 En l'espèce, le Gouvernement allemand a soutenu devant la Cour sans être contredit sur ce point que, dans certains cas [notamment, J. H. Peters & Bey GmbH, Horst Roeder & Co. (GmbH & Co.)], les entreprises bénéficiaires des aides en cause n'avaient même pas envisagé leur déplacement à l'extérieur de la ville-État de Hambourg.

19 Dans ces conditions, l'argument de la Commission tiré de l'objectif poursuivi par les aides en cause ne saurait être accueilli.

20 Les deux autres éléments fournis par la Commission dans la motivation de la décision tiennent à l'existence d'une même ligne budgétaire, au titre de laquelle les différentes aides ont été octroyées, et à l'existence d'une même instance administrative qui a décidé de l'octroi de l'ensemble de ces aides.

21 Selon les requérantes, ces éléments s'expliquent par la position de la ville-État de Hambourg dans l'organisation fédérale de l'Allemagne. En application du principe de la légalité de l'action administrative, cette ville dispose d'une seule autorité pour l'octroi de subventions sur la base d'une seule ligne budgétaire, dont le titre général n'indique toutefois pas les conditions, les objectifs ou les montants des aides susceptibles d'être accordées.

22 Les requérantes soulignent encore que la circonstance que toutes les aides visées par la Commission étaient octroyées sur la base de contrats de droit public montre qu'elles ne relevaient pas d'un programme. S'il en avait été autrement, la réglementation générale constitutive du programme en cause aurait dû être mise en œuvre par des décisions individuelles et non pas par des contrats.

23 En l'absence de précisions supplémentaires apportées par la Commission en ce qui concerne la pratique administrative et financière suivie par la ville-État de Hambourg pour l'octroi des subventions visées par la décision, les deux éléments dont il est question ci-dessus ne peuvent pas être considérés comme suffisants pour conclure à l'existence d'un programme d'aides. En particulier, la Commission a omis de faire état d'éléments de nature normative, administrative, financière ou économique qui auraient permis de caractériser l'ensemble des aides en cause comme relevant d'un programme distinct d'autres aides qui auraient pu être octroyées par la ville de Hambourg. La Commission s'est bornée à démontrer que l'ensemble des aides avaient été octroyées sur la base de la même procédure.

24 La Commission soutient toutefois que, dans les circonstances de l'espèce, elle pouvait aboutir à la conclusion litigieuse puisque, à défaut de notification et en raison du comportement du Gouvernement allemand, qui ne s'est acquitté que de manière extrêmement incomplète de son devoir d'information, elle n'a pu fonder sa décision que sur les données fragmentaires qu'elle avait obtenues. La Commission pouvait donc considérer, sur la base des informations dont elle disposait, que les éléments constitutifs d'un programme étaient en fait réunis et procéder à l'examen de la même manière que s'il s'agissait d'un programme.

25 Il convient de rappeler que, dans l'arrêt du 14 février 1990, dit "Boussac Saint - Frères", France/Commission (C-301-87, Rec. p. I-307), prononcé avant l'adoption de la décision attaquée, la Cour a précisé la portée des conséquences de la violation de l'obligation de notification qui incombe aux États membres, en vertu de l'article 93, paragraphe 3, du traité.

26 Il découle de cet arrêt que la Commission, lorsqu'elle constate que des aides ont été instituées ou modifiées sans avoir été notifiées, a le pouvoir, après avoir mis l'État membre concerné en mesure de s'exprimer à cet égard, d'enjoindre à celui-ci, par une décision provisoire, en attendant le résultat de l'examen des aides, de suspendre immédiatement le versement de celles-ci et de fournir à la Commission, dans le délai qu'elle fixe, tous les documents, informations et données nécessaires pour examiner la compatibilité des aides avec le Marché commun. C'est seulement lorsque l'État membre omet, nonobstant l'injonction de la Commission, de fournir les renseignements sollicités, que celle-ci a le pouvoir de mettre fin à la procédure et de prendre la décision constatant la compatibilité ou l'incompatibilité des aides avec le Marché commun sur la base des éléments dont elle dispose.

27 En l'espèce, la Commission, lors de l'ouverture de la procédure sur les aides non notifiées, a demandé des renseignements relatifs aux aides ainsi qu'au programme ou programmes d'aides de Hambourg. Bien que le Gouvernement allemand ait contesté, au cours de la procédure précontentieuse, l'existence d'un tel programme, la Commission a conclu à son existence sur la base des renseignements dont elle disposait.

28 Mais la Commission n'a pas enjoint au gouvernement fédéral, par voie de décision provisoire, comme elle aurait dû le faire conformément à la jurisprudence précitée, de fournir tous les éléments d'information relatifs à l'ensemble des aides octroyées par la ville de Hambourg, qui, selon la Commission, relevaient d'un programme.

29 Dans ces conditions, la Commission ne pouvait pas se fonder sur le défaut de notification, de la part de la République fédérale d'Allemagne, des aides individuelles en cause pour aboutir à l'existence d'un programme d'aides. Elle ne saurait davantage invoquer le caractère fragmentaire des informations qui lui ont été transmises par le Gouvernement allemand pour justifier sa décision, dans la mesure où elle n'a pas exercé tous les pouvoirs dont elle dispose pour amener l'État membre à lui fournir toutes les informations nécessaires.

30 Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que la décision attaquée ne satisfait pas à l'obligation de motivation prescrite par l'article 190 du traité en ce qui concerne l'existence d'un programme d'aides et que, dès lors, le premier moyen est fondé.

31 Par conséquent, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens invoqués, il convient d'annuler la décision attaquée, pour violation des formes substantielles prescrites par le traité.

Sur les dépens

32 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La partie défenderesse ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Déclare et arrête:

1) La décision 91-389-CEE de la Commission, du 18 juillet 1990, relative à des aides de la ville de Hambourg, est annulée.

2) La Commission est condamnée aux dépens.