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Décisions

CJCE, 15 novembre 1983, n° 52-83

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République française

CJCE n° 52-83

15 novembre 1983

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 30 mars 1983, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité CEE, un recours visant à faire reconnaître que la République française, en ne s'étant pas conformée, dans le délai imparti, à la décision 83-245 de la Commission, du 12 janvier 1983, relative à un régime d'aides en faveur du secteur du textile et de l'habillement en France (JO L 137, p. 24), a manqué à une obligation qui lui incombe en vertu du traité.

2. Il ressort du dossier que, le 19 février 1982, le Gouvernement français a notifié à la Commission, conformément à l'article 93, paragraphe 3, du traité, un projet d'ordonnance visant à instituer un régime d'aides en faveur du secteur du textile et de l'habillement sous forme d'une prise en charge par l'état d'une partie des cotisations de sécurité sociale incombant aux employeurs du secteur. Ce régime d'aides a ensuite été instauré par ordonnance n° 82-204 du 1er mars 1982, publiée au Journal officiel de la République française n° 51 du 2 mars 1982. Ses modalités d'application ont été notifiées à la Commission le 16 avril 1982 et mises en vigueur par décret n° 82-340 de la même date, publié au Journal officiel de la République française n° 90 du 17 avril 1982.

3. Selon l'article 5 de l'ordonnance n° 82-204 précitée, la prise en charge par l'état d'une partie des cotisations sociales est subordonnée à la conclusion, entre l'état et l'employeur, d'un contrat d'une durée égale à douze mois, qui précise la part des cotisations prise en charge et les engagements souscrits par l'employeur en ce qui concerne le maintien ou la création d'emplois et la réalisation d'investissements. Aux termes du même article, aucun contrat ne peut être conclu postérieurement au 31 décembre 1982, mais les contrats conclus avant cette date peuvent être renouvelés, pour une nouvelle période de douze mois.

4. Après avoir mis le Gouvernement français en demeure de présenter ses observations, la Commission, en vertu de l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, du traité, a pris la décision précitée qui est à l'origine du présent recours.

5. Aux termes de l'article premier de cette décision :

' La République française supprime, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, le régime d'aide en faveur du secteur textile/habillement, institué sous forme d'une prise en charge par l'état d'une partie des cotisations de sécurité sociale incombant aux employeurs du secteur, par l'ordonnance n° 204 du 1 mars 1982 et dont les modalités d'application sont prévues par le décret n° 82-340 du 16 avril 1982.

En outre, la République française n'accorde plus aucune aide en vertu du régime en question à partir de la date de la notification de la présente décision.'

6. La décision a été notifiée à la République française le 21 janvier 1983, et le Gouvernement français n'a pas introduit de recours en annulation dans le délai prévu par l'article 173, troisième alinéa, du traité.

7. Le 23 février 1983, le Gouvernement français a transmis à la Commission un communiqué aux termes duquel la procédure des contrats " emploi-investissement " serait à nouveau utilisée, de façon dégressive, pour une deuxième et dernière année. Estimant qu'en transmettant ce communiqué, le Gouvernement français avait refusé de se conformer à la décision de la Commission, celle-ci a introduit le présent recours.

8. Le Gouvernement français soutient qu'il s'est pleinement conformé à la décision de la Commission. Il rappelle que cette décision a été prise après que la période prévue pour la conclusion des contrats était expirée. En conséquence, aucun contrat n'aurait été conclu postérieurement à la notification de la décision. Le Gouvernement admet, par contre, que les autorités françaises ont continué à remplir les engagements auxquels elles ont souscrit par les contrats conclus.Il estime toutefois qu'il était fondé à interpréter la décision de la Commission d'une manière lui permettant de respecter le principe de protection de la confiance légitime, principe que les autorités françaises auraient violé si elles avaient rompu unilatéralement les contrats déjà conclus. La Cour elle-même aurait, par son arrêt du 12 juillet 1973 (Commission/République fédérale d'Allemagne, 70-72, recueil p. 813), reconnu l'existence de ce principe dans une situation analogue.

9. Il convient de constater que, contrairement à ce qui était le cas pour la décision qui était à l'origine de l'affaire 70-72, la décision de la Commission du 12 janvier 1983 a indiqué, de manière précise et non équivoque, les obligations qu'elle imposait à la République française. Elle enjoignait à celle-ci, à partir de la date de la notification, de ne plus accorder aucune aide en vertu du régime en question et, dans un délai d'un mois, de supprimer ce régime. Or, il est constant que la République française a continué de verser l'aide prévue par le régime à tout employeur ayant conclu un contrat et que le Gouvernement français n'a pris aucune mesure visant à supprimer le régime d'aides dans le délai indiqué par la décision.

10. Par ailleurs, l'argument que le Gouvernement français tire du principe de protection de la confiance légitime ne concerne pas l'interprétation de la décision, mais constitue un moyen qui est relatif à la validité de celle-ci et qui n'aurait pu être soulevé qu'à l'appui d'un recours en annulation. En effet, ainsi que la Cour l'a déjà souligné dans son arrêt du 12 octobre 1978 (Commission/Belgique, 156-77, recueil p. 1881), permettre à un état membre destinataire d'une décision prise en vertu de l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, du traité, de remettre en cause la validité de celle-ci, à l'occasion du recours visé au deuxième alinéa de cette même disposition, nonobstant l'expiration du délai prévu à l'article 173, troisième alinéa, du traité, serait inconciliable avec les principes régissant les voies de recours instituées par le traité et porterait atteinte à la stabilité de ce système ainsi qu'au principe de la sécurité juridique dont celui-ci s'inspire.

11. Dans ces conditions, il y a lieu de constater le manquement dans les termes résultant des conclusions de la Commission.

Sur les dépens

12. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La partie défenderesse ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Déclare et arrête :

1) la République française, en ne s'étant pas conformée, dans le délai imparti, à la décision 83-245 de la Commission, du 12 janvier 1983, relative à un régime d'aides en faveur du secteur du textile et de l'habillement en France, a manqué à une obligation qui lui incombe en vertu du traité.

2) la République française est condamnée aux dépens.