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Décisions

Cass. crim., 25 janvier 1990, n° 86-96.080

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Défendeur :

SACEM (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

M. Morelli

Avocat général :

Mme Pradain

Avocats :

SCP Lesourd, Baudin, SCP Riché, Blondel, Thomas-Raquin.

Bordeaux, ch. corr., du 14 oct. 1986

14 octobre 1986

LA COUR : - Vu les mémoires produits en demande, en défense et en réplique ; - joignant les pourvois en raison de la connexité ; - sur le pourvoi de Jean-Yves X : - attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que sans verser les redevances correspondantes, Jean-Yves X, gérant d'une discothèque, a utilisé dans cet établissement des œuvres musicales appartenant au répertoire de la SACEM ; que sur la plainte de celle-ci il a été condamné du chef de contrefaçon ;

En cet état : - Sur le premier moyen de cassation ainsi rédigé :

" le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné le prévenu à verser à la SACEM des dommages-intérêts correspondant aux redevances de droits d'auteur ;

" au motif qu'un arrêt rendu par la Cour de Bordeaux le 11 juin 1985 avait décidé que le prévenu avait commis le délit de contrefaçon ;

" alors que cet arrêt du 11 juin 1985 a fait l'objet d'un pourvoi en cassation ; que si l'arrêt du 11 juin 1985 fait l'objet d'une cassation, le présent arrêt attaqué en date du 14 octobre 1986 devra être cassé par voie de conséquence ; qu'en effet, l'action civile en réparation du dommage causé par un délit trouve sa cause dans l'infraction ; qu'en conséquence, toute décision judiciaire qui remet en cause l'existence du délit remet du même coup en cause la dette de dommages-intérêts et libère le prévenu de cette dette conformément à l'article 609 du Code de procédure pénale " ;

Attendu que par arrêt du 26 mai 1987, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi dont fait état le demandeur ; que, dès lors, le moyen ne saurait être admis ;

Sur le second moyen de cassation ainsi rédigé :

" le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné le prévenu à verser à la SACEM des dommages-intérêts correspondant aux redevances de droits d'auteur ;

" au motif que " la cour n'estime pas devoir interroger la Cour de justice des Communautés européennes, comme le demande le prévenu " sur le point de savoir si la perception d'une redevance légalement autorisée dans l'Etat où est diffusée l'œuvre mais non dans l'Etat d'où est importée l'œuvre, ne serait pas contraire aux dispositions du traité de Rome ;

" alors que, d'une part, la cour d'appel ne donne aucun motif justifiant son refus de surseoir à statuer pour poser à la Cour de justice des Communautés européennes la question préjudicielle consistant à savoir si les dispositions du traité de Rome devraient être interprétées en ce sens qu'elles font obstacle à ce qu'une société de droits d'auteurs, jouissant pour la protection de son répertoire d'un monopole de fait et liée par des contrats de représentation réciproques à diverses sociétés de la Communauté, perçoive des utilisateurs, à l'occasion de l'exécution publique d'œuvres appartenant au répertoire de ces sociétés, faites au moyen de phonogrammes mis en libre pratique sur le territoire desdits Etats membres, une redevance dont la perception est légalement autorisée dans l'Etat d'utilisation mais non dans les Etats d'où ils sont importés ; qu'en ne motivant pas son refus de poser cette question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes, la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale et l'article 177 du traité de Rome, en date du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne ;

" alors que, d'autre part, les dispositions du traité de Rome font obstacle à ce qu'une société de droits d'auteur, jouissant pour la protection de son répertoire d'un monopole de fait et liée par des contrats de représentation réciproques à diverses sociétés de la Communauté, perçoive des utilisateurs, à l'occasion de l'exécution publique d'œuvres appartenant au répertoire de ces sociétés, faite au moyen de phonogrammes mis en libre pratique sur le territoire desdits Etats membres, une redevance dont la perception est légalement autorisée dans l'Etat d'utilisation, mais non dans les Etats d'où ils sont importés ; qu'il appartient à la Cour de Cassation de saisir elle-même la Cour de justice des Communautés européennes de cette question préjudicielle en application du dernier alinéa de l'article 177 du traité de Rome " ;

Attendu que, saisie, par une autre juridiction, d'une demande d'interprétation du traité de Rome, en ce qui concerne la question formulée par le demandeur, la Cour de justice des Communautés européennes y a répondu par son arrêt du 13 juillet 1989 ; qu'il s'ensuit que le moyen est devenu sans objet ;

Mais sur le pourvoi de la SACEM : - Sur le moyen unique de cassation pris de la violation de l'article 426 du Code pénal, des articles 1 et suivants de la loi du 11 mars 1957, de l'article 1382 du Code civil, de l'article 593 du Code de procédure pénale, en ce que l'arrêt attaqué " fixe à soixante mille quatre cent cinquante six francs soixante six centimes (60 456,66 F), (sauf à déduire les acomptes de dix neuf mille trois cent cinquante francs) le montant des sommes devant être confisquées et attribuées à la SACEM au titre de redevances de droits d'auteur pour la période comprise entre le 1er octobre 1980 et le 20 mars 1982 et le 30 décembre 1982 et le 31 décembre 1983 " :

" aux motifs que " dans les 8,25 % figurent 6,60 % au titre de droit de représentation et 1,65 % au titre de complément de droit de reproduction. Que le prévenu n'a pas à répondre dans la présente instance d'un délit quelconque de reproduction sans autorisation. Que les 1,65 % n'ont pas à entrer en ligne de compte et que la redevance ne doit porter que sur 6,60 % ;

" de plus, c'est sur le chiffre d'affaires net que cette redevance doit être calculée en excluant la TVA, les utilisateurs n'ayant pas à pâtir à ce stade de leur qualité de collecteurs d'impôts " ;

" alors, d'une part, que les faits de " représentation " ou " d'exécution " illicites des œuvres musicales imputés à Jean-Yves X dans la poursuite en violation des droits des auteurs et compositeurs de musique selon l'article 426 précité du Code pénal incluaient nécessairement la méconnaissance du droit de reproduction mécanique des auteurs et compositeurs dès lors que ces représentations ou exécutions nécessitaient une autorisation de l'auteur, et de la SACEM pour les œuvres dont elle assure la gestion, au titre non seulement du droit de représentation mais encore du droit de reproduction s'agissant de phonogrammes dont la destination avait été limitée à un usage privé lorsque leur reproduction avait été autorisée ;

" alors, d'autre part, que la collecte de l'impôt était totalement étrangère au problème de la fixation de l'assiette de la redevance due à la SACEM, et que l'incorporation de la TVA dans cette assiette, à titre de simple base de calcul de cette redevance, était parfaitement licite, en sorte qu'en amputant cette même assiette de la TVA à l'occasion de la fixation du montant de l'indemnité due à la SACEM du fait de la contrefaçon commise, la Cour a directement porté atteinte au principe de la réparation intégrale du préjudice subi du fait de l'infraction " ;

Vu lesdits articles ; - vu l'article 86 du traité de la Communauté économique européenne, tel qu'interprété, dans son arrêt du 13 juillet 1989, par la Cour de justice des Communautés européennes ; - attendu que les juges doivent réparer intégralement le préjudice causé par l'infraction dont ils sont saisis ;

Attendu, en outre, que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'erreur ou l'insuffisance dans les motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'appréciant les conséquences dommageables du délit de contrefaçon commis par Jean-Yves X, la juridiction du second degré se prononce par les motifs reproduits au moyen ;

Mais attendu que ne pouvait être ainsi exclue de l'indemnité allouée la fraction de la redevance afférente au droit de reproduction mécanique alors que la cession de celui-ci par l'auteur ayant initialement visé, par application des dispositions de l'article 31, alinéa 3, de la loi du 11 mars 1957, le seul usage privé, et non une destination commerciale, la SACEM était habilitée, en vertu de ses accords avec la SDRM, à réclamer forfaitairement au titre considéré, une rémunération complémentaire due pour chaque représentation publique qui, réalisée grâce au support matériel d'un phonogramme, méconnaissait nécessairement le droit de reproduction précité d'une œuvre musicale protégée par la loi du 11 mars 1957 ; qu'en procédant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas réparé intégralement le préjudice de la partie civile et que la cassation est encourue de ce chef ;

Attendu par ailleurs que, dès l'instant où il était allégué que la redevance recouvrée par la SACEM était sensiblement plus élevée que celle pratiquée dans les autres Etats membres de la Communauté européenne, il incombait aux juges du second degré de déterminer, après avoir comparé les niveaux des tarifs sur une base homogène si cet organisme n'était pas en mesure de justifier une telle différence - la taxe sur la valeur ajoutée étant incorporée, en tant que simple base de calcul dans l'assiette de ladite redevance - en se fondant sur des divergences objectives et pertinentes entre la gestion des droits d'auteurs en France et celle opérée dans les Etats précités ;qu'en s'abstenant de procéder à cette recherche la cour d'appel n'a pas permis à la Cour de cassation d'exercer son contrôle et que la censure doit également être prononcée sur ce point ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi de Jean-Yves X ; Sur le pourvoi de la SACEM : casse et annule l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Bordeaux, en date du 14 octobre 1986, et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi : Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Toulouse.