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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 8 octobre 2004, n° 2002-15070

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Les Parfumeries Fragonard (SA)

Défendeur :

Résonances (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pezard

Conseillers :

Mme Regniez, M. Marcus

Avoués :

SCP Mira-Bettan, SCP Monin

Avocats :

Mes Le Goff, Verneret.

TGI Paris, 3e ch., du 2 juill. 2002

2 juillet 2002

LA COUR est saisie d'un appel interjeté par la société Les Parfumeries Fragonard (ci-après Fragonard) à l'encontre d'un jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Paris le 2 juillet 2002 dans un litige l'opposant à la société Résonances.

Il convient de rappeler que Fragonard, titulaire de la marque n° 99 787 270 "Eau d'Oreiller" déposée le 19 avril 1999 pour désigner différents produits et services des classes 3, 5 et 42 et notamment des produits de parfumerie, huiles essentielles et cosmétiques, a assigné le 15 mai 2001 Résonances en contrefaçon et concurrence déloyale, cette société commercialisant un parfum sous la dénomination "Parfum d'Oreiller".

Résonances a soutenu que la marque de Fragonard était descriptive pour les produits de parfumerie et huiles essentielles, et déceptive pour les autres produits désignés et a, en conséquence, conclu à la nullité de la marque ainsi qu'au rejet des demandes.

Le tribunal, par jugement du 2 juillet 2002, a:

- dit que la marque "Eau d'Oreiller" enregistrée sous le n° 99 787 270 dont Fragonard est titulaire est nulle pour défaut de caractère distinctif ou pour caractère déceptif pour désigner tous les produits visés à son enregistrement à l'exception des services de la classe 42,

- débouté Fragonard de sa demande en contrefaçon et en concurrence déloyale,

- dit que la présente décision devenue définitive sera transmise à l'INPI pour inscription au registre des marques à la demande du greffier préalablement requis,

- condamné Fragonard à payer à Résonances la somme de 6 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ses dernières écritures d'appel en date du 1er septembre 2004, Fragonard prie la cour de:

- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- statuant à nouveau,

- dire et juger que la marque "Eau d'Oreiller" est distinctive et valable pour les produits et services désignés dans son dépôt,

- dire et juger que l'utilisation du terme "Parfum d'Oreiller" par Résonances constitue l'imitation illicite de la marque "Eau d'Oreiller" n° 99 787 270 sur le fondement des dispositions de l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle,

- faire interdiction à Résonances d'utiliser sous quelque forme que ce soit la dénomination "Parfum d'Oreiller" sous astreinte définitive de 760 euro par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- ordonner la destruction de tout support ou document reproduisant la dénomination "Parfum d'Oreiller" au besoin sous contrôle d'huissier et aux frais exclusifs de Résonances,

- condamner Résonances à verser à Fragonard la somme de 45 700 euro à titre de dommages et intérêts sauf à parfaire ou à diminuer du chef de l'imitation illicite,

- enjoindre à Résonances d'indiquer le prix de vente de ses produits en boutique et le nombre d'articles vendus à la date de l'exploit introductif d'instance,

- dire et juger que les conditions d'exploitation par Résonances du parfum sous la dénomination "Parfum d'Oreiller" sont constitutives de concurrence parasitaire distincte de la contrefaçon, par application des dispositions de l'article 1382 du Code civil,

- condamner en conséquence Résonances, à lui verser la somme de 30 500 euro à titre de dommages et intérêts sauf à parfaire ou à diminuer du chef de la concurrence déloyale,

- à titre subsidiaire, désigner tel expert avec mission de procéder à toute vérification de la comptabilité de Résonances, déterminer l'importance de la masse contrefaisante et évaluer les préjudices de tous ordres subis par Fragonard,

- ordonner à titre de supplément de dommages et intérêts la publication de l'arrêt dans trois journaux quotidiens à tirage national et dans trois revues spécialisées à tirage national au choix de Fragonard mais aux frais exclusifs de Résonances, dans la limite de 4 000 euro HT par publication,

- condamner Résonances à verser à Fragonard la somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par écritures en date du 18 juin 2004, Résonances demande à la cour de:

- débouter Fragonard de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- condamner Fragonard à lui verser la somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR:

Sur la nullité de la marque pour défaut de distinctivité

Considérant que l'appelante critique le jugement qui l'a déboutée en se fondant sur "l'idée présupposée que les produits de parfum sont destinés à parfumer un élément de literie : l'oreiller", en se référant au fait "non contesté que Fragonard exploite ce signe pour commercialiser un parfum pour les oreillers" alors que la distinctivité de la marque doit être appréciée par rapport aux produits visés au dépôt et non par rapport à un produit commercialisé;

Qu'elle estime ainsi que l'expression "eau d'oreiller" pour des produits de parfumerie, cosmétiques et autres produits visés aux classes 3 et 5 du dépôt est parfaitement arbitraire ; qu'elle soutient, en effet, que dans le dépôt, la désignation "produits de parfumerie" ne précise absolument aucune destination particulière, que des termes du langage courant, même banals et/ou descriptifs peuvent parfaitement constituer une marque valable s'ils sont employés dans un contexte différent de leur contexte habituel ou s'ils constituent un assemblage nouveau et/ou original du langage courant; que tel est bien le cas en l'espèce puisque, d'une part, l'expression "eau d'oreiller" évoque littéralement "une eau produite par un oreiller" si bien que, dès lors qu'il n'existe aucune production d'eau par un oreiller, on ne peut soutenir que cette expression désignerait la qualité d'un produit, et que d'autre part, cette expression ne correspond pas à la destination du produit, sa construction excluant une telle interprétation, ce qui ne serait pas le cas si, à la place du "de" avait été utilisée la préposition " pour " ; qu'elle est tout au plus évocatrice d'une fonction d'un produit désigné dans le dépôt de la marque;

Considérant que si l'appelante expose avec raison que la distinctivité de la marque doit être appréciée par rapport aux produits déposés et non pas à l'exploitation qui en est faite, c'est néanmoins à juste titre que les premiers juges ont retenu que l'expression "Eau d'Oreiller" appliquée à des produits de parfumerie était purement descriptive ; qu'en effet, le consommateur, à la lecture de cette expression, ne la comprendra pas dans son sens littéral "eau produite par un oreiller", mais dans le sens eau destinée à un oreiller ; que de cette sorte cette marque désigne de manière exclusive la destination d'un des produits visés par la marque, c'est-à-dire une eau parfumante destinée aux oreillers et est, en conséquence, dépourvue de distinctivité ; que le jugement sera de ce chef confirmé;

Sur la déceptivité de la marque

Considérant que pour les produits autres que les parfums et huiles essentielles, la marque est, comme l'a dit le tribunal par des motifs pertinents que la cour fait siens déceptive, dans la mesure où elle est susceptible de tromper le public sur la nature du produit désigné lorsqu'elle est employée pour des produits autres visés par la marque;

Considérant en conséquence que le jugement sera confirmé en ce qu'il a prononce la nullité de la marque pour les produits visés au dépôt dans les classes 3 et 5 et ordonné la transmission de la décision par le greffe à l'INPI pour inscription au registre national des marques;

Sur la concurrence déloyale

Considérant que Fragonard fait grief à Résonances, outre le fait d'avoir utilisé une dénomination proche de la sienne pour un produit destiné à parfumer les oreillers, d'avoir profité injustement de ses efforts ; qu'elle expose ainsi qu'elle-même "a ouvert un point de vente dédié aux arts de la maison 196 boulevard Saint-Germain qui a donc exactement la même activité que le point de vente de Résonances et que le produit "Eau d'Oreiller" a fait l'objet d'une récompense lors d'une soirée de remise des oscars de "Cosmétique Magazine" organisée le 28 mai 2001 et rassemblant les professionnels du marché des cosmétiques et de la parfumerie et que le développement, dans ce contexte, par Résonances d'un produit concurrent sous une dénomination pour le moins similaire, destiné au même usage et à la même clientèle illustre l'intention déloyale de cette société qui a souhaité tout à fait consciemment se positionner dans le sillage renommé de la société Les Parfumeries Fragonard";

Mais considérant que Résonances a exercé une activité d'arts de la maison antérieurement à Fragonard,que cette dernière ne peut en conséquence lui faire grief d'avoir une activité identique ;que, par ailleurs, l'appelante ne démontre pas que le produit commercialisé par elle sous le nom "Eau d'Oreiller" aurait fait l'objet de campagnes publicitaires importantes de telle sorte qu'en lançant un produit concurrent, Résonances aurait voulu profiter des investissements et de la notoriété du produit, étant souligné, comme l'ont dit les premiers juges, que le terme "eau d'oreiller" étant nécessaire pour désigner un parfum destiné aux oreillers, Résonances est bien fondée à utiliser les termes "parfum d'oreiller" pour désigner un produit concurrent ;que le jugement qui a rejeté la demande en concurrence déloyale de Fragonard sera confirmé;

Considérant que l'équité commande d'allouer à Résonances une indemnité supplémentaire de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; que la demande formée à ce titre par Fragonard sera rejetée;

Par ces motifs, Confirme le jugement en toutes ses dispositions; Y ajoutant, Condamne la société Les Parfumeries Fragonard à payer à la société Résonances la somme de 3 000 euro pour les frais d'appel non compris dans les dépens; Rejette toutes autres demandes; Condamne la société Les Parfumeries Fragonard aux entiers dépens; Autorise la SCP Monin, avoué, à recouvrer les dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.