CA Paris, 4e ch. B, 19 novembre 2004, n° 2003-12008
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Zara France (SARL), Inditex (Sté)
Défendeur :
Fiso (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pezard
Conseillers :
Mme Regniez, M. Marcus
Avoués :
SCP Arnaudy-Baechlin, SCP Hardouin
Avocats :
Mes Duclos, Lalance
LA COUR est saisie d'un appel interjeté par les sociétés Zara France et Industria de Diseno Textil - Inditex à l'encontre d'un jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 16 mai 2003 dans un litige les opposant à la société Fiso exerçant sous l'enseigne Paul & Joe.
La société Fiso est une entreprise qui commercialise des vêtements sous l'enseigne Paul & Joe. Elle a, pour la collection printemps/été 2001, fait le choix d'un tissu imprimé présentant des motifs floraux de pavots plus ou moins épanouis, ce tissu étant soit de couleur rouge/blanc, soit noir/blanc, le pistil des fleurs comportant des étamines reproduisant la même alternance de couleurs.
Prenant connaissance de ce qu'une société exerçant dans le même domaine, la société Zara, commercialisait des vêtements pour femme dans un imprimé qu'elle dit être quasi-identique au sien et, après avoir fait procéder à un constat d'huissier en date du 23 mai 2001, la société Fiso a fait citer, par acte du 14 août 2001, devant le Tribunal de commerce de Paris la société Zara et la société Inditex qui a fourni les vêtements contestés, en invoquant des actes de concurrence déloyale et parasitaire afin d'obtenir outre des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication, paiement de dommages et intérêts et d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Les sociétés Inditex et Zara avaient conclu au rejet de toutes ces demandes, en soutenant que la société Fiso avait produit un protocole d'accord en violation de l'obligation de confidentialité qui y était inscrite et avaient en conséquence reconventionnellement demandé la condamnation de la société Fiso au paiement de la somme de 20 000 euro en réparation du préjudice qui leur avait ainsi été causé ainsi que paiement de la somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 7 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par le jugement entrepris, le tribunal a:
- dit que la société Fiso pouvait valablement produire aux débats le protocole d'accord conclu le 26 juillet 2000 entre les parties, sans faillir aux obligations de confidentialité souscrites dans le cadre du dit protocole,
- déclaré la société Fiso fondée dans son action en concurrence déloyale contre les défenderesses,
- condamné les sociétés Zara et Industria de Diseno Textil-Inditex à verser à la société Fiso la somme de 50 000 euro en réparation du préjudice subi à ce titre, la déboutant pour le surplus de sa demande,
- interdit aux sociétés Zara et Inditex la poursuite de la commercialisation en France des vêtements litigieux, ceci sous astreinte de 200 euro par infraction constatée à compter de la publication du présent jugement,
- dit qu'il appartiendra au juge de l'exécution de liquider ladite astreinte,
- ordonné la publication du jugement dans cinq journaux ou revues au choix de la société Fiso aux frais des défenderesses, dans la limite d'un coût de 4 000 euro HT par insertion, à titre de dommages et intérêts supplémentaires,
- condamné les sociétés Zara et Inditex à payer à la société Fiso la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, déboutant pour le surplus de sa demande,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement, sans constitution de garantie, à l'exception des mesures d'interdiction, de commercialisation et de publication,
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
- condamné les sociétés Zara et Inditex aux dépens.
Appelantes de ce jugement, les sociétés Zara et Inditex prient la cour, par leurs dernières écritures du 22 avril 2004, de:
- infirmer le jugement,
- statuant à nouveau,
- dire et juger la société Fiso mal fondée en son action en concurrence déloyale,
- l'en débouter purement et simplement,
- condamner la société Fiso à payer aux sociétés Zara et Inditex la somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- écarter des débats le protocole d'accord en date du 26 juillet 2000,
- condamner la société Fiso à payer aux sociétés Zara France et Inditex la somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la violation caractérisée de l'obligation de confidentialité souscrite à leur profit,
- condamner la société Fiso à payer aux sociétés Zara France et Inditex la somme de 50 000 euro versée dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement, majorée des intérêts légaux à compter du 10 juillet 2003, date du règlement, et ce au besoin à titre de dommages et intérêts,
- condamner la société Fiso au paiement de la somme de 12 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ses écritures du 10 février 2004, la société Fiso demande à la cour de:
- débouter les sociétés Zara et Inditex de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement du 16 mai 2003 en toutes ses dispositions à l'exception de celles concernant les dommages et intérêts qui lui ont été alloués et celles relatives à la mesure d'interdiction,
- ajoutant,
* condamner in solidum les sociétés Zara et Inditex à verser à la société Fiso en réparation du préjudice qu'elles lui ont causé la somme de 152 449 euro,
* dire que les mesures de publication ordonnées par le tribunal porteront également sur l'arrêt à intervenir,
* dire que le jugement comporte une erreur matérielle en ce qu'il " interdit aux sociétés Zara et Inditex la poursuite de la commercialisation en France des vêtements litigieux..., à compter de la publication du présent jugement ",
* rectifier cette erreur et dire que cette mesure d'interdiction prend effet non pas à compter de la publication du jugement mais de sa signification,
* condamner in solidum les sociétés Zara et Inditex à payer à la société Fiso la somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Cette affaire a été plaidée à l'audience du 5 mai 2004, à l'issue de laquelle les parties ont accepté de recourir à une médiation. Par arrêt de la cour en date du 14 mai 2004, la cour a désigné M. Grosjean en qualité de médiateur. La médiation ayant échoué, l'affaire a été retenue à l'audience du 15 octobre 2004.
Sur ce, LA COUR:
Considérant qu'au soutien de leur appel, les sociétés Zara et Inditex font valoir essentiellement que:
- les premiers juges n'ont pas pris en compte le fait que l'imprimé incriminé a été en réalité réalisé à partir d'une robe ancienne achetée aux puces de Londres, dont le tissu reproduit un entrelacement de fleurs de pavots stylisées similaire à celui de la société Fiso, bien antérieurement à la date à laquelle la société Fiso dit avoir acquis ce tissu (en 2000),
- la société Inditex a passé commande du tissu incriminé en février 2001, auprès de la société italienne Guarasco,
- la société Fiso ne démontre pas, par des documents ayant date certaine, que l'imprimé Pavot qu'elle revendique aurait été exposé en juillet ou septembre/octobre 2000 ni que le fabricant italien du tissu utilisé par Zara aurait pu avoir connaissance du dessin Fiso,
- elles n'ont fait que commercialiser des vêtements dans des tissus qui reprenaient les tendances de la mode de la saison en cause : des motifs décoratifs floraux de grande dimension et l'utilisation des couleurs noir/blanc et rouge/blanc,
- les similitudes relevées dans les imprimés ressortent des tendances de la mode, les ressemblances provenant de rencontres fortuites,
- il n'existe ainsi aucun acte de concurrence déloyale, étant constant qu'en matière commerciale le principe essentiel est celui de la liberté du commerce et de la libre concurrence, et que l'action déloyale ne peut sanctionner qu'un usage excessif de cette liberté, contraire à la probité et à la loyauté,
- elles n'ont à aucun moment ni copié le tissu de la société Fiso ni cherché à profiter indûment des investissements et efforts publicitaires de cette dernière;
Qu'elles ajoutent que le tribunal ne pouvait se contenter d'affirmer que "la similitude entre les tissus de Fiso et Zara-Inditex est suffisante pour entraîner un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle", alors que la société Fiso n'a pas caractérisé les ressemblances qui existeraient entre les tissus en cause et qu'il existe au contraire des différences d'exécution majeures (dans les fleurs, les tiges, les feuilles, les pistils ...), estimant qu'il n'existe aucun risque de confusion dans l'esprit de la clientèle, du fait que "les imprimés sont différents, les modèles de vêtements n'ont rien à voir, et sont vendus dans des circuits de distribution et selon des méthodes commerciales opposées";
Considérant, cela exposé, que s'il est établi par les documents mis aux débats que le dessin figurant sur le tissu commandé par Inditex auprès du fabricant italien a été réalisé à partir d'un imprimé existant, selon les études non contestées mises aux débats, au moins cinq ans avant la diffusion des vêtements Fiso en 2001, ce simple fait ne suffit pas à exonérer les appelantes de tout acte de concurrence; qu'en effet, ces dernières ne prétendent pas avoir des droits d'auteur sur le dessin incriminé;
Considérant que dans ces conditions, il convient de rechercher si la commande passée en février 2001 par Inditex de tissus portant le dessin litigieux, réalisé à partir d'un dessin préexistant à celui de la société Fiso, puis la mise sur le marché de vêtements en France fabriqués avec ce tissu caractérisent des actes de concurrence déloyale par le risque de confusion existant entre ces produits en raison de la grande similarité des tissus;
Considérant que la cour relève, comme l'ont déjà fait les premiers juges, que les tissus incriminés sont très proches dans la mesure où se retrouvent de grandes fleurs de pavot plus ou moins ouvertes, ainsi que des pavots en boutons, agrémentées de feuilles, les fleurs montrant des pistils très ouverts dont les étamines sont dans des couleurs contrastées ; que des différences existent mais ne sont perçues que par l'examen d'un oeil attentif, ce qui n'est pas le cas du consommateur moyen qui, d'une part, n'a pas les deux produits sous les yeux en même temps et, d'autre part, ne retient qu'une impression d'ensemble ;qu'il existe, comme l'ont dit très exactement les premiers juges un risque de confusion entre les produits (dont la forme est différente) en raison de l'imprimé des tissus qui est très proche;
Considérant que, par ailleurs, les appelantes ne peuvent en l'espèce invoquer de manière pertinente les tendances de la mode ni valablement soutenir qu'il y aurait eu rencontre fortuite d'inspiration ; qu'en effet, il résulte des pièces versées aux débats, qu'à tout le moins à compter de février 2001, la société Fiso avait dans des publications de presse (notamment dans M. Magazine de février 2001), divulgué des vêtements réalisés dans l'imprimé en cause ; qu'ainsi cette société démontre avoir porté à la connaissance du public, avant donc la société Inditex, professionnelle du prêt-à-porter, l'imprimé de "grandes fleurs de pavots" ;qu'à cette date, la société Inditex passait seulement commande d'un tissu dont il a été dit ci-dessus qu'il était très proche de celui de la société Fiso; qu'elle ne peut dès lors prétendre qu'il s'agit d'une rencontre fortuite, puisqu'elle avait le choix à cette date de ne pas commander un tissu présentant une grande similarité avec celui de la société Fiso ;qu'il en est de même de la société Zara qui est la société distributrice en France des vêtements fabriqués par Inditex;
Considérant que, contrairement à ce qui est prétendu par les appelantes, même si les réseaux de distribution ne sont pas identiques,puisque les vêtements fabriqués par Inditex sont vendus exclusivement par les magasins à enseigne Zara alors que ceux réalisés pour la société Fiso le sont par des magasins à enseigne "Paul & Joe", la clientèle est identique, s'agissant de consommateurs ou consommatrices qui ont coutume pour le choix de vêtements de comparer les produits proposés par des magasins différents et qui peuvent, en conséquence, en raison du risque de confusion entre les imprimés, croire que les fabricants sont identiques et déclinent sous deux versions des produits;
Considérant que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'actes de concurrence déloyale;
Considérant qu'en revanche, les agissements parasitaires ne sont pas suffisamment caractérisés ;qu'il n'est en effet pas établi que la société Fiso aurait procédé à des investissements importants et fait une campagne publicitaire dont auraient profité de manière indue les appelantes, n'étant pas prouvé que les vêtements vendus par la société Fiso durant le printemps et l'été 2001 auraient acquis une notoriété;
Considérant, sur les mesures réparatrices, que chacune des parties demande la réformation du jugement de ce chef, les appelantes estimant que la société Fiso n'a pas démontré la réalité de son préjudice, l'intimée faisant au contraire valoir que son préjudice n'a pas été suffisamment pris en compte;
Mais considérant que compte tenu du nombre de vêtements commercialisés par Zara, il n'y a pas lieu de modifier le montant des dommages et intérêts qui a été exactement fixé par les premiers juges ; que le jugement sera également confirmé de ce chef;
Considérant qu'il convient de dire que les mesures d'interdiction sous astreinte seront confirmées sauf en ce qu'elles portent sur le point de départ de l'astreinte qui courra à compter d'un délai d'un mois de la signification du présent arrêt;
Considérant qu'en revanche, les mesures de publication ne paraissent pas appropriées, le préjudice étant suffisamment réparé par les dommages et intérêts ci-dessus alloués;
Considérant que les demandes de dommages et intérêts formées par les appelantes pour procédure abusive ne sauraient prospérer dès lors qu'elles succombent;
Considérant que le jugement sera également confirmé en ce qu'il a rejeté leur demande de dommages et intérêts pour violation de la clause de confidentialité de l'article 5 du protocole d'accord du 20 juillet 2000 qui mentionne que "les parties signataires conviennent de le garder strictement confidentiel et s'interdisent d'en faire usage en justice ou autrement, à l'exception d'un litige qui les opposerait relativement à son interprétation ou à son exécution et pour les besoins de la procédure" ; qu'en effet, ce litige a un lien avec l'exécution du protocole dès lors qu'il était indiqué dans l'article 2 que les sociétés Zara et Inditex s'interdisaient à l'avenir de "copier d'autres créations de la société Fiso et/ou de Madame Albou";
Considérant que l'équité commande d'allouer à la société Fiso une indemnité complémentaire de 3 000 euro au titre des frais d'appel non compris dans les dépens;
Par ces motifs, Confirme le jugement sauf en ce qu'il a retenu qu'il existait des actes de parasitisme, a ordonné des mesures de publication et sur le point de départ de l'astreinte dont est assortie la mesure d'interdiction; Réformant de ces chefs, statuant à nouveau et ajoutant, Dit que l'astreinte dont est assortie la mesure d'interdiction courra à compter du délai d'un mois de la signification de l'arrêt; Rejette toutes autres demandes ; Condamne in solidum les sociétés Zara et Industria de Diseno Textil-Inditex à payer à la société Fiso la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Les condamne in solidum aux entiers dépens; Autorise la SCP Hardouin, avoué, à recouvrer les dépens d'appel selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.