CA Paris, 4e ch. A, 5 mai 2004, n° 2003-09946
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Rexam Dipensing Systems (SA)
Défendeur :
MT Plackaging (SA), Peronnet, Behar
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carre-Pierrat
Conseillers :
Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland
Avoués :
Me Moreau, SCP Hardouin, SCP M. Garnier
Avocats :
Mes Larere, Couste, Cousin.
Vu l'appel interjeté, le 1er juillet 1999, par la société Sofab d'un jugement rendu le 23 mars 1999 par le Tribunal de grande instance de Paris qui a:
* déclaré l'action en concurrence déloyale qu'elle a engagée à l'encontre de la société Téléplastics Industries, Stanislas Peronnet et Alain Behar recevable,
* débouté l'appelante de l'intégralité de ses prétentions,
* débouté la société Téléplastics Industries de sa demande reconventionnelle,
* condamné l'appelante à payer la somme de 30 000 F à chacun des autres défendeurs à savoir Alain Behar et Stanislas Peronnet pour procédure abusive,
* rejeté toute autre demande plus ample ou contraire des parties,
* dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
* condamné l'appelante à verser à chacun des trois défendeurs, la société Téléplastics Industries, Alain Behar et Stanislas Peronnet une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens;
Vu les dernières conclusions signifiées le 27 février 2004, aux termes desquelles, la société Rexam Dispensing Systems, venant aux droits de la société Rexam Sofab, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demande, après une énumération, dans le dispositif de quatre pages de ses écritures, de "dire et juger" qui ne sauraient constituer des prétentions au sens des dispositions du nouveau Code de procédure civile, à la cour de:
* écarter des débats le plan Sofab de septembre 1995 communiqué par la société Téléplastics Industries en ce que celui-ci lui a été remis en violation d'une obligation de confidentialité,
* faire défense à la société MT Packaging, venant aux droits de la société Téléplastics Industries, de poursuivre lesdits actes de concurrence déloyale sous une astreinte définitive de 15,24 euro par produit fabriqué, détenu par la société à des fins commerciales, offert en vente et/ou vendu,
* juger que la cour sera compétente pour connaître de la liquidation éventuelle des astreintes qu'elle aura prononcées,
* condamner in solidum Alain Behar et Stanislas Peronnet à lui verser des dommages et intérêts à fixer à dire d'expert en réparation du préjudice découlant de la faute qui leur est propre,
* condamner la société MT Packaging venant aux droits de la société Téléplastics Industries à lui verser des dommages et intérêts à fixer à dire d'expert en réparation du préjudice découlant de la faute qui lui est propre,
* condamner dès à présent in solidum Alain Behar et Stanislas Peronnet à lui verser chacun la somme de 30 489,80 euro à titre de provision sur les dommages et intérêts devant être fixés à dire d'expert,
* condamner dès à présent, la société MT Packaging à lui verser la somme de 152 449,02 euro à titre de provision sur les dommages et intérêts devant être fixés à dire d'expert,
* avant dire droit sur l'estimation du préjudice, ordonner une mesure d'expertise,
* l'autoriser à faire publier l'arrêt à intervenir dans cinq journaux ou périodiques de son choix, aux frais in solidum de Alain Behar, Stanislas Peronnet et de la société MT Packaging, venant aux droits de la société Téléplastics Industries et ce, au besoin, à titre de dommages-intérêts supplémentaires,
* déclarer la société MT Packaging irrecevable et mal fondée en sa demande tendant à la voir condamner à lui payer des dommages et intérêts à calculer à dire d'expert, et par provision, la somme de 500 000 euro : l'en débouter,
* déclarer la société MT Packaging irrecevable et mal fondée en sa demande d'injonction de communication de pièces et de désignation d'un expert aux fins d'établir si le Sof'n'Cap constitue la copie du Telespray: l'en débouter,
* déclarer la société MT Packaging irrecevable et mal fondée en sa demande tendant à la voir condamner à lui payer la somme de 120 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile: l'en débouter,
* déclarer la société MT Packaging irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes fins et conclusions: l'en débouter,
* déclarer Alain Behar et Stanislas Peronnet irrecevables et mal fondés en leur demande reconventionnelle tendant à la voir condamner à leur payer chacun la somme de 5 000 euro pour procédure abusive, ainsi que la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile : les en débouter,
* déclarer Alain Behar et Stanislas Peronnet irrecevables et mal fondés en toutes leurs demandes fins et conclusions: les en débouter,
* condamner in solidum Alain Behar, Stanislas Peronnet et la société MT Packaging à lui verser la somme de 15 244,90 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens;
Vu les uniques conclusions, en date du 24 décembre 2003, par lesquelles Alain Behar et Stanislas Peronnet, poursuivant la confirmation du jugement déféré, demandent à la cour d'y ajouter:
* la condamnation de la société Rexam Dispensing Systems à leur payer respectivement la somme de 5 000 euro pour procédure abusive et celle de 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel;
Vu les ultimes conclusions signifiées le 24 décembre 2003, aux termes desquelles la société MT Packaging, venant aux droits de la société Téléplastics Industries, poursuivant la confirmation du jugement déféré, demande à la cour de:
A titre principal,
* débouter la société Rexam Dispensing Systems de l'ensemble de ses demandes au titre de la concurrence déloyale,
* condamner la société Rexam Dispensing Systems à réparer le préjudice qu'elle a subi en raison de son attitude anti-concurrentielle et à lui verser d'ores et déjà à ce titre une provision de 500 000 euro.
Pour le surplus ordonner une mesure d'expertise pour chiffrer les pertes subies du fait de l'attitude abusive de l'appelante, de même que s'il devait être fait droit à la demande de concurrence déloyale formée par cette dernière,
A titre subsidiaire,
* dans l'hypothèse où la cour entendrait écarter des débats le plan Sofab de septembre 1995, faire injonction à la société Rexam Dispensing Systems de communiquer tous documents, plans, schémas, dessins, lettres et plus généralement tout élément relatif à la conception, l'élaboration, la mise au point et la fabrication du Sofn' Cap antérieurs au salon Luxepack qui s'est tenu à Monaco du 25 au 28 octobre 1995,
* désigner tel expert qu'il plaira à la cour avec pour mission d'examiner et d'étudier la genèse du Telespray et du Sof'n'cap exclusivement à partir du plan Behar de 1990 et de dire si, à partir de cette analyse, le Sof'n'cap constitue la copie du Telespray,
* débouter la société Rexam Dispensing Systems de l'ensemble de ses demandes, et la condamner à lui payer la somme de 120 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel;
La présente procédure a fait l'objet, à la demande des parties, d'une mesure de retrait du rôle par ordonnance du 29 mai 2001, pour y être réinscrite le 23 avril 2003, la clôture de la procédure ayant été prononcée par ordonnance du 15 mars 2004;
Sur ce, LA COUR,
Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il suffit de rappeler que:
* la société Rexam Dispensing Systems, concurrente de la société MT Packaging, a lancé, en 1989, un conditionnement miniature en matière plastique d'une contenance de 1,2 ml, équipé d'une pompe et destiné à être utilisé comme échantillon de parfum par les fabricants de parfums et produits cosmétiques, dénommé Sofistic's,
* en octobre 1995, elle a, au salon Luxepac de Monaco, proposé un nouveau conditionnement doté d'un capot dénommé Sof'n'cap,
* au cours de la même manifestation, la société MT Packaging a présenté un nouveau produit dénommé Telespray, mettant en œuvre un nouveau dispositif pour lequel elle a déposé, le 14 mai 1995, un brevet, enregistré sous le n° 2 734 246,
* Stanislas Peronnet qui exerçait les fonctions de directeur industriel et marketing, puis de directeur général adjoint au sein de la société Rexam Dispensing Systems et Alain Behar, celles de responsable technique, ont rejoint la société MT Packaging, respectivement fin 1994 et début 1995
Considérant que la société Rexam Dispensing Systems formule les griefs suivants :
* à l'encontre de la société MT Packaging de s'être rendu coupable d'actes de concurrence déloyale en mettant sur le marché un vaporisateur miniature dénommé Telespray, dont elle prétend qu'il constituerait la reproduction servile de deux de ses produits, le Sofistic's et le Sof'n'cap,
* à l'égard de Alain Behar et Stanislas Peronnet d'avoir accompli des actes de concurrence déloyale qui seraient caractérisés par la soustraction frauduleuse d'une partie de son savoir-faire;
Considérant que, à titre liminaire, la société Rexam Dispensing Systems demande que soit écarté des débats le plan Sofab de septembre 1995, communiqué par la société MT Packaging, en ce que celui-ci lui aurait été remis en violation d'une obligation de confidentialité;
Mais considérant que la société appelante ne démontre pas que la société MT Packaging ait obtenu ce document de manière frauduleuse, étant, au surplus, observé que, en tout état de cause, elle aurait été fondée à en demander, dans le cadre de la procédure judiciaire, la communication; que le jugement déféré sera donc confirmé sur ce point;
Considérant que la notion de savoir-faire, même en l'absence d'accords de transfert de technologie, recouvre un ensemble d'informations techniques qui sont secrètes, c'est-à-dire ne devant pas être connues ou faciles à obtenir, substantielles, au sens où elles doivent englober les informations utiles, et identifiées par la description ou l'expression qui doit en être faite sur un support matériel;
Considérant que force est de constater que la société Rexam Dispensing Systems ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, que la société MT Packaging se serait accaparée de manière fautive son savoir-faire pour concevoir son vaporisateur miniature Telespray;
Que, les premiers juges ont,après un examen précis de l'ensemble des moyens de droit exposés par les parties et des éléments de fait produits à la procédure, justement retenu,aux termes d'une motivation pertinente, exception faite à la référence de l'absence d'opposition au brevet déposé par la société Téléplastics Industries, qu'aucun fait de concurrence déloyale ne pouvait être imputé aux intimés;
Qu'en effet, en premier lieu, les anciens salariés sont parfaitement libres d'utiliser dans de nouvelles fonctions le savoir-faire par eux acquis au sein de leur ancienne entreprise dès lors qu'ils ne commettent aucun détournement de secret de fabrication ;qu'une société qui prend le risque de se séparer de techniciens éminents et qui ne leur impose pas une obligation de non-concurrence n'est pas fondée à se plaindre qu'ils n'aient pas été atteints d'amnésie et qu'ils utilisent, hors de tout secret de fabrique ou de toute formule confidentielle constituant un savoir-faire, leurs connaissances personnelles;
Qu'en l'espèce, force est de constater que l'élément essentiel invoqué par la société appelante concerne le plan Behar de 1990 dont le vaporisateur représenté se caractérise par la présence d'une bague amovible symétrique afin de permettre d'augmenter la contenance du modèle Sofistic's pour réduire les pertes mesurées en pourcentage du contenant et se mettre en conformité avec les normes clients applicables à cette époque; que la référence figurant sur le plan Behar de 1990, porte effectivement les mentions suivantes.
- Encombrement extérieur identique au Sofistic's 1,20 ml,
- Représentation pour capacité 2,10 ml soit 47 pulvérisations,
- Pour 50 pulvérisations soit une capacité de 2,25 ml: Flacon plus long de 6,35 mm;
Qu'il en résulte que, contrairement aux allégations de l'appelante, qui au demeurant a utilisé un procédé déloyal, afin d'induire la cour en erreur, en coloriant en jaune les manchons du vaporisateur représenté sur le Plan Behar de 1990, alors que cette couleur est réservée, dans les différents documents produits à la procédure, à l'identification du capot, pour tenter de justifier que ce plan aurait été établi, contrairement à la réalité, en vue de la création d'un capot [sic];
Que cette situation de fait est confirmée par le rapport établi, à la demande de la société Rexam Dispensing Systems, par la société EXA, en date du 15 décembre 2000, puisque on y relève que "en 1992, une amélioration importante a été apportée à la solution Sofistic's. Cette amélioration se situe au niveau du manchon support assurant la fixation de la pompe et permet d'augmenter la contenance du mini-vaporisateur sans changer les cotes extérieures";
Que, en second lieu, il se déduit de la chronologie que le vaporisateur Telespray de la société MT Packaging a été divulgué antérieurement à celui de la société Rexam Dispensing Systems puisque le brevet relatif au vaporisateur Telespray a été déposé le 14 mai 1995, des pré-séries de 10 000 pièces ont été, en juillet 1995, distribuées aux clients de la société MT Packaging, alors que le vaporisateur Sof'n'cap de la société appelante n'a été divulgué qu'au mois d'octobre 1995 à l'occasion du salon Luxepac de Monaco et qu'elle ne produit aux débats aucun document de recherche ou de conception de ce modèle;
Qu'il s'ensuit que, la société Rexam Dispensing Systems ne justifiant pas du transfert de savoir-faire par elle allégué, le jugement déféré sera confirmé;
Considérant que la société MT Packaging forme une demande reconventionnelle à l'encontre de la société Rexam Dispensing Systems en raison de l'attitude anti-concurrentielle de cette société qui résulterait, selon elle, d'une part, de la longueur et de la multiplication des procédures diligentées à son égard afin d'affaiblir sa position sur un marché très concurrentiel et, d'autre part, de la propagation de fausses informations; que la cour constate que la société MT Packaging demande en réparation de son préjudice la somme forfaitaire de 300 000 euro dans la motivation de ses dernières conclusions et une provision de 500 000 euro ainsi que la désignation d'un expert dans le dispositif de ces mêmes écritures;
Considérant que la demanderesse reconventionnelle ne produit aucune pièce pour justifier de ses allégations relatives à la propagation de fausses nouvelles et ne fournit à la cour aucun élément quant à la réalité du préjudice commercial par elle invoqué, de sorte que la société MT Packaging sera déboutée tant de sa demande indemnitaire, la cour n'ayant pas été mise à même de pouvoir apprécier de la réalité du préjudice allégué et par voie de conséquence la responsabilité de la société Rexam Dispensing Systems que, par application des dispositions de l'article 146, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, de la demande de mesure d'expertise sollicitée;
Considérant que la société MT Packaging ayant obtenu satisfaction au regard de ses prétentions principales, il n'y a pas lieu d'examiner les demandes par elle formulées à titre subsidiaire;
Considérant, en revanche, qu'il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a accordé à Alain Behar et Stanislas Peronnet la somme de 30 000 F, chacun, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et d'y ajouter, pour chacun d'eux une indemnité de 5 000 euro pour la procédure d'appel; qu'en effet, la société Rexam Dispensing Systems ne pouvait, à la suite du jugement, fortement motivé, rendu par le tribunal, se méprendre sur l'étendue de ses droits d'autant qu'elle n'a pas hésité pour donner un semblant de fondement à son action, à verser aux débats une pièce, ainsi que précédemment relevé, qu'elle a sciemment dénaturée dans sa représentation graphique par une coloration trompeuse;
Considérant qu'il résulte du sens de l'arrêt que la société Rexam Dispensing Systems ne saurait prétendre au bénéfice de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; que, en revanche, il convient, sur ce même fondement, de la condamner à verser une indemnité complémentaire à la société MT Packaging de 30 000 euro et à Alain Behar et Stanislas Peronnet de 10 000 euro chacun;
Par ces motifs, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions; Y, ajoutant; Condamne la société Rexam Dispensing Systems à payer à Alain Behar et Stanislas Peronnet la somme de 5 000 euro, chacun, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive; Condamne en outre la société Rexam Dispensing Systems à payer une indemnité complémentaire de 30 000 euro à la société MT Packaging et de 10 000 euro, chacun, à Alain Behar et Stanislas Peronnet au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Rejette toutes autres demandes; Condamne la société Rexam Dispensing Systems aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.