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Décisions

Conseil Conc., 14 décembre 2004, n° 04-D-68

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre à l'occasion des marchés de réalisation du logiciel Arcad en 1996 et 1997

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de Mme Zoude-Le-Berre, par M. Lasserre, président, Mmes Aubert, Perrot ainsi que M. Nasse, vice-présidents.

Conseil Conc. n° 04-D-68

14 décembre 2004

Le Conseil de la concurrence (Commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 1er septembre 1999, sous le numéro F 1165, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence, sur la base d'un dossier de la Cour des comptes constatant des pratiques mises en œuvre par les sociétés Cisi SA, Softeam SA et PGCC Technologie, soumissionnaires aux marchés de réalisation du logiciel Arcad passés par le Service d'études techniques des routes et Autoroute (SETRA) en 1996 et 1997 ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu la décision de demande de communication de pièces prises par le Conseil de la concurrence en date du 18 février 2004 (n° 04-J-01) ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 24 novembre 2004 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. PRÉSENTATION DES ENTREPRISES EN CAUSE

1. LE MAÎTRE D'OUVRAGE : LE SERVICE D'ETUDES TECHNIQUES DES ROUTES ET AUTOROUTE (SETRA)

1. Le SETRA est un service technique rattaché à la direction des routes du ministère de l'Equipement. Le SETRA a lancé, en 1992, le projet Arcad (Aménagement Routier : Conception Assistée et Diagnostic). Ce projet visait à produire un atelier complet de conception routière assistée par ordinateur, en créant un outil fédérant l'ensemble de la méthodologie de la conception routière. Cet outil avait vocation à devenir, à terme, le logiciel supportant l'ensemble de l'activité de conception pour le réseau routier français. Néanmoins, ce projet très ambitieux a été abandonné à la fin des années 1990.

2. Ce projet comportait quatre étapes : une étape préalable définissant le contour du projet, finalisée par une étude d'opportunité, une étape de conception, une étape de réalisation et une étape de diffusion.

3. Les marchés, passés par le SETRA en 1996 et 1997, se rattachent à l'étape de réalisation du projet Arcad dans sa version 1.0 issue de l'étape de conception. Ils sont au nombre de trois : le marché des sous-systèmes " éléments communs " qui traite des éléments de logiciels de base permettant la fabrication du reste de l'opération ; le marché des sous-systèmes " éléments métiers " qui concerne les aspects opérationnels du logiciel ; et le marché de l'Interface " Homme-Machine (IHM) ".

4. Le marché des sous-systèmes " éléments communs " et le marché des sous-systèmes " éléments métiers " ont été attribués à la suite d'appels d'offres restreints, organisés simultanément et au niveau communautaire. En revanche, la passation du marché de réalisation de l'interface " Homme-Machine (IHM) " a été plus délicate : à un premier appel d'offres infructueux a succédé une procédure négociée, après mise en concurrence. Le troisième marché est donc un marché négocié, précédé d'une mise en concurrence.

2. LES ENTREPRISES SOUMISSIONNAIRES

5. Le tableau suivant reprend le classement des entreprises candidates selon les marchés considérés :

<emplacement tableau>

6. Le président directeur général de Cisi SA était également administrateur de la société PGCC Technologie. En outre, la société Euriware était une filiale de quatrième rang du CEA industrie, maison mère de Cisi SA à l'époque

B. PRÉSENTATION DES CONCLUSIONS PROVISOIRES DE LA COUR DES COMPTES

7. La saisine du Conseil de la concurrence repose sur un relevé de constatations provisoires effectué, fin janvier 1999, par la Cour des comptes au sujet du SETRA, aux termes duquel " des présomptions d'ententes illicites pèsent sur l'attribution des trois marchés de réalisation du projet Arcad. Elles résultent d'un faisceau d'indices multiples et concordants :

* Un contexte antérieur favorable aux dérives ;

* L'existence de relations étroites entre deux des trois sociétés titulaires des marchés et avec une troisième société dans le cas de l'interface " Homme-Machine " ;

* L'attitude troublante de l'acheteur public ;

* La remise d'offres peu sérieuses par certains candidats ;

* La mise en évidence de nombreuses relations de prix entre les offres des principaux candidats ;

* Et enfin, l'importance des taux de sur-profit dégagés par les deux titulaires apparentés et peu compatibles avec la réalité de la concurrence.

Le contexte général conduit même à se demander si, dans le cas du marché de l'interface homme-machine, la déclaration d'appel d'offres infructueux, l'introduction d'une troisième société apparentée et l'exclusion prématurée du moins-disant du premier tour, lors de la seconde consultation, n'ont pas eu pour objet ou pour effet d'assurer l'attribution du marché à la société qui avait déjà été privilégiée en phase de conception du projet ".

C. LA PROCÉDURE DEVANT LE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NANTERRE

8. Parallèlement à la saisine du Conseil de la concurrence, par lettre en date du 23 juillet 1999, le procureur général près la Cour des comptes a saisi le procureur du Tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre des mêmes pratiques au titre des articles 432-14, 432-17, 321-1 et suivants du Code pénal. L'affaire a été close par une ordonnance de non lieu en date du 17 septembre 2003, au motif qu'il n'existait pas de charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis les infractions d'entente, de favoritisme et de recel de favoritisme en bande organisée.

9. Le Conseil de la concurrence, par décision n° 04-J-01 du 18 février 2004, a demandé au Président du Tribunal de grande instance de Nanterre de bien vouloir lui transmettre les procès-verbaux d'audition, rapports d'enquête ou extraits de ceux-ci ayant un lien direct avec les faits dont il est saisi. Ces documents ont été transmis au Conseil de la concurrence, par courrier, le 12 mars 2004.

II. Discussion

10. En application de l'article L. 464-6 du Code de commerce, " lorsque aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est établie, le Conseil de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure ".

11. Les rapports de la Cour des comptes, à l'appui de la saisine du ministre dénoncent, pour les trois marchés en cause, une " présomption d'entente ". La procédure devant le Tribunal de grande instance de Nanterre n'a, néanmoins, pas permis de recueillir des éléments venant au soutien de cette présomption.

12. En particulier, il convient de relever parmi ces documents, une lettre en date du 1er août 2000, émanant du ministre de l'Equipement, des Transports et du Logement adressé au premier président de la Cour des comptes : " Sur les présomptions d'entente soulevées par la Cour des comptes concernant les marchés de réalisations, passés dans le cadre du projet Arcad ", le ministre indique que " l'examen attentif de ce point n'a pas à ce jour permis de confirmer ces présomptions [qui] apparaissent fragiles ".

13. L'officier de police qui a procédé à l'enquête confirme également, dans un rapport du 3 juillet 2003, l'absence d'éléments apportés par la procédure judiciaire susceptibles de venir à l'appui des présomptions de la Cour des comptes : " De l'analyse des commandes la perquisition au siège du SETRA au cours des exercices 1995 à 1997, il ressort que de nombreuses opérations d'un montant inférieur à 300 000 francs peuvent être rattachées à des projets identiques. Ce fractionnement " abusif " relevé par la Cour des comptes était selon M. Jean-Claude X..., actuel directeur du SETRA, entendu le 27 novembre 2002, principalement dû " à une méconnaissance du Code des marchés publics (de la part) de nombreux ingénieurs du SETRA habilités à passer des commandes. Cette " méconnaissance " s'ajoutant à l'absence de la comptabilité par fournisseur.

M. X..., précisait par ailleurs que, compte tenu de la complexité technique des projets mis en œuvre par le SETRA et du fait des incertitudes relatives aux coûts futurs de leur développement, il était très difficile de réaliser un estimatif précis en amont de leur lancement.

Entendu le 19 mai 2003, M. François Y..., directeur du SETRA à l'époque des faits, confirmait les déclarations de M. X... quant aux difficultés à prévoir le coût des opérations menées par le SETRA. Il indiquait qu'à la suite de l'audit de la Cour des comptes, il avait institué certains outils permettant de contrôler les commandes (logiciel Cassiopée, séminaires de sensibilisation des cadres du SETRA au Code des marchés publics, création d'une comptabilisation des commandes par fournisseur) ".

14. Les perquisitions, effectuées au siège du SETRA, n'ont donc pas permis de relever de preuves matérielles d'entente entre le SETRA et les soumissionnaires, de nature à confirmer les présomptions de la Cour des comptes.

15. En outre, aucun élément du dossier ne permet de confirmer l'hypothèse selon laquelle les soumissionnaires auraient pu s'entendre, sans l'intervention du SETRA, à l'occasion des marchés relatifs au logiciel Arcad. En particulier, s'agissant de la présence d'un administrateur, au sein de la société PGCC Technologie, également président directeur général de Cisi SA, il convient de relever qu'il existe bien des exemples dans lesquels des entreprises, ayant des liens structurels ou capitalistique importants, se livrent à une véritable concurrence, de sorte qu'en l'absence d'autres éléments, il n'est pas possible de conclure à une entente anticoncurrentielle entre ces deux entreprises, ni même avec la société Euriware, filiale de quatrième rang du CEA industrie, maison mère de Cisi SA à l'époque.

16. Les éléments du dossier ne permettent donc pas d'établir que les entreprises soumissionnaires aux marchés de réalisation du logiciel Arcad, passés par le Service d'Etudes Techniques des routes et Autoroute (SETRA) en 1996 et 1997, ont mis en œuvre des pratiques susceptibles d'être qualifiées au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce

17. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce.

DÉCISION

Article unique : Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.