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Décisions

Conseil Conc., 16 décembre 2004, n° 04-D-70

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre dans le secteur des pompes funèbres de la région de Saint-Germain-en-Laye

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de Mme Vendrolini, par Mme Aubert, vice-présidente, présidant la séance, Mme Behar-Touchais ainsi que MM. Gauron, Piot, membres.

Conseil Conc. n° 04-D-70

16 décembre 2004

Le Conseil de la concurrence (section IV),

Vu la lettre enregistrée le 22 août 2001, sous le numéro F 1334, par laquelle la société Marbrerie Gilbert Doussin, a saisi le Conseil de la concurrence, de pratiques mises en œuvre par la société Pompes Funèbres Générales, aux droits et obligations de laquelle vient la société Omnium de Gestion et de Financement ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; Vu le Code général des collectivités territoriales ; Vu les observations présentées par la société OGF, la société Marbrerie Gilbert Doussin et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les sociétés OGF et Marbrerie Gilbert Doussin, entendus lors de la séance du 10 novembre 2004 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA SAISINE

1. La société Marbrerie Gilbert Doussin (ci-après société Doussin), qui exerce, principalement à Saint-Germain-en-Laye, une activité de marbrerie funéraire, de vente d'articles de fleurs et accessoires, de prestations funéraires et d'organisation d'obsèques, expose, dans sa saisine, qu'elle utilise l'unique chambre funéraire de cette région, gérée par la société Pompes Funèbres Générales (ci-après société PFG), à proximité de laquelle cette même société dispose de locaux commerciaux.

2. La saisissante soutient que par la disposition des lieux et les modalités d'accueil et d'information des familles, la société PFG entretient la confusion entre son activité de gestionnaire de la chambre funéraire et ses autres activités de service extérieur, notamment l'organisation des obsèques.

3. Elle estime, en outre, que la situation est aggravée par le fait que la société PFG a signé des conventions avec certains établissements de santé, pour le transport des corps, avant la mise en bière, jusqu'à la chambre funéraire de Saint-Germain-en-Laye.

4. Enfin, au cours de l'enquête administrative, la société Doussin a dénoncé la décision prise par la société PFG, de ne plus recourir à ses services en tant que sous-traitante, dans le secteur de la marbrerie funéraire.

B. LE SECTEUR CONCERNÉ

1. LE SERVICE DES POMPES FUNÈBRES

5. Le service des pompes funèbres comprend le service intérieur, le service extérieur et le service des prestations libres.

6. Le service intérieur a lieu à l'intérieur des édifices du culte et relève du monopole des cultes. Il comprend les objets destinés aux funérailles dans les édifices religieux et la décoration intérieure et extérieure de ces édifices.

7. Le service extérieur est une mission de service public qui, en application du régime issu de la loi du 28 décembre 1904, appartenait exclusivement aux communes et comportait différentes prestations énumérées limitativement par l'article L. 362-6 du Code des communes : le transport des corps après la mise en bière, la fourniture des corbillards, des cercueils, des tentures extérieures des maisons mortuaires, les voitures de deuil ainsi que les fournitures et le personnel nécessaires aux inhumations, exhumations et crémations.

8. Le contenu actuel du service extérieur des pompes funèbres est défini à l'article L. 2223-19 du Code des collectivités territoriales dans sa rédaction issue de la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993, relative à la législation dans le domaine funéraire.

9. Les prestations relevant du service extérieur comprennent désormais, outre celles prévues antérieurement, le transport des corps avant la mise en bière, l'organisation des obsèques, les soins de conservation, la fourniture des housses, des cercueils et de leurs accessoires intérieurs et extérieurs ainsi que les urnes cinéraires, la gestion et l'utilisation des chambres funéraires.

10. Les communes, qui avaient le monopole du service extérieur en application de la loi du 28 décembre 1904, pouvaient assurer ce service soit directement, soit par l'intermédiaire d'une entreprise concessionnaire.

11. Pour tenir compte du fait que la majorité des décès intervient en milieu hospitalier et souvent dans des communes différentes de celle du domicile du défunt, la loi n° 86-29 du 9 janvier 1986 a assoupli les conditions d'exercice du service extérieur des pompes funèbres en prévoyant que : " Lorsque la commune du lieu de mise en bière n'est pas celle du domicile du défunt ou du lieu d'inhumation ou de crémation, la personne qui a la qualité pour pourvoir aux funérailles ou son mandataire, si elle ne fait pas appel à la régie ou au concessionnaire de la commune de mise en bière (...) peut s'adresser à la régie, au concessionnaire ou, en l'absence d'organisation du service, à toute entreprise de pompes funèbres, soit de la commune du lieu d'inhumation ou de crémation, soit de la commune du domicile du défunt ".

12. La loi du 8 janvier 1993 a abrogé cette disposition et mis fin à toute restriction quant au choix de l'entreprise funéraire. Désormais, cette mission peut être assurée non seulement par les communes ou leurs délégataires, mais également par toute entreprise ou association bénéficiaire d'une habilitation délivrée par le représentant de l'Etat dans le département.

13. Les prestations libres sont celles qui ne relèvent, ni du service extérieur, ni du service intérieur des pompes funèbres. Elles dépendent de la seule initiative des familles. Il s'agit par exemple, de la mise en bière, de la fourniture de fleurs, des faire-parts, des travaux de marbrerie, de l'entretien des tombes.

2. LA RÉGLEMENTATION DES CHAMBRES FUNÉRAIRES

14. Implantées en France dans les années soixante, les chambres funéraires ont pour objet de recevoir, avant l'inhumation ou la crémation, le corps des personnes décédées (article L. 2223-38 du Code général des collectivités territoriales). Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 8 janvier 1993, les chambres funéraires n'ont plus le statut de service public communal mis à disposition d'une population mais font partie du service extérieur des pompes funèbres (article L. 2223-19 du Code général des collectivités territoriales). Elles peuvent en conséquence, être gérées concurremment par toute régie, entreprise ou association régulièrement habilitée. La gestion et l'utilisation des chambres funéraires sont autorisées par décision préfectorale après avis du conseil municipal (article L. 361-19 ancien du Code des communes). Cette autorisation ne peut être refusée qu'en cas d'atteinte à l'ordre public ou de danger pour la salubrité publique.

15. La possession par un opérateur d'une chambre funéraire située à proximité immédiate du magasin où sont vendues les autres prestations funéraires constitue un avantage concurrentiel. Cette entreprise sera généralement la première à rencontrer les familles et pourra profiter de cette circonstance pour leur proposer l'ensemble de ses services.

16. Afin que le développement de la concurrence ne soit pas restreint par la possession par un opérateur de ce site stratégique, la loi du 8 janvier 1993 a prévu une série d'obligations, mises à la charge des gestionnaires de chambre(s) funéraire(s) et reproduites dans le Code général des collectivités territoriales.

17. L'article L. 2223-38 du Code général des collectivités territoriales dispose ainsi que : " Les locaux où l'entreprise gestionnaire de la chambre funéraire offre les autres prestations relevant du service extérieur doivent être distincts de ceux abritant la chambre funéraire afin de prévenir les risques de confusion par les familles entre les activités funéraires liées aux infrastructures et les autres opérations funéraires relevant du service extérieur ".

18. L'article R. 2223-71 du même Code précise que : " La liste des régies, entreprises et associations et de leurs établissements, doit être affichée dans les locaux d'accueil des chambres funéraires, des chambres mortuaires et des crématoriums et y être disponible. Elle est établie par le préfet du département où sont situées ces installations (...). Elle est mise à jour chaque année ".

19. Le législateur de 1993 a ainsi manifesté sa volonté que les personnes ayant la charge d'organiser les obsèques d'un défunt soient informées du choix qui leur était offert de s'adresser pour les prestations autres que le séjour en chambre funéraire soit à l'entreprise gestionnaire de cette chambre, soit à toute autre entreprise de pompes funèbres habilitée.

20. L'article L. 361-19 du décret n° 97-1039 du 14 novembre 1997 prévoit que les établissements de santé publics ou privés doivent disposer d'au moins une chambre funéraire, dès lors qu'ils enregistrent un nombre annuel de décès au moins égal à deux cents.

21. L'article R. 361-37 du Code des communes, tel que modifié par l'article 3 du décret n° 94-1027 du 23 novembre 1994 (actuellement l'article R. 2223-76 du Code général des collectivité territoriales), dispose que : " L'admission en chambre funéraire intervient dans un délai de vingt quatre heures à compter du décès. Le délai est porté à quarante huit heures lorsque le corps a subi les soins de conservation prévus à l'article R. 363-1. Le service offert par les chambres funéraires est donc partiellement réglementé puisque les conditions d'admission sont encadrées par un texte.

22. L'article R. 361-40, alinéas 2 et 3 du Code des communes tel que modifié par l'article 4 du décret n° 94-1027 du 23 novembre 1994 précité (actuellement article R. 2223-79 du Code des collectivités territoriales) indique que : " Lorsque le transfert à une chambre funéraire du corps d'une personne décédée dans un établissement de santé public ou privé, qui n'entre pas dans la catégorie de ceux devant disposer obligatoirement d'une chambre mortuaire, conformément à l'article L. 361-19-1, a été opéré à la demande du directeur de l'établissement, les frais résultant du transport à la chambre funéraire sont à la charge de l'établissement ainsi que les frais de séjour durant les trois premiers jours suivant l'admission ".

C. LES CARACTÉRISTIQUES DU MARCHÉ DES POMPES FUNÈBRES DE SAINTGERMAIN- EN-LAYE ET DE SES PROCHES ENVIRONS

23. La chambre funéraire de Saint-Germain-en-Laye est exploitée par la société Omnium de Gestion et de Financement (ci-après OGF), qui est propriétaire des locaux depuis 1986. L'enquête a permis de révéler qu'en 2001, il n'existait aucune autre chambre funéraire à proximité immédiate de celle de Saint-Germain-en-Laye. Le coût de l'investissement pour la réalisation d'une chambre funéraire est, en moyenne, estimé à 600.000 euros.

24. Dans le secteur de Saint-Germain-en-Laye, trois entreprises de pompes funèbres exerçaient, à l'époque des faits, une activité significative : la société OGF, la société Doussin et la société Alliance Européenne des Pompes Funèbres (ci-après PFE).

25. La société OGF dispose de deux agences commerciales à Saint-Germain-en-Laye (l'une située 10, rue Saint-Eloi et l'autre 35, rue du Vieux marché) ainsi qu'une agence à Chatou et au Vésinet.

26. La société Doussin, qui a concentré initialement son activité sur les prestations de marbrerie, exerce depuis le mois de mai 2001, une activité d'organisation d'obsèques. Cette société est implantée dans les communes de Saint-Germain-en-Laye, Chatou et du Pecq.

27. La société PFE, franchisée Roc'Eclerc, exploite une agence commerciale à Saint-Germain-en-Laye.

28. Concernant leur zone géographique de chalandise, ces trois opérateurs ont fait référence à la ville de Saint-Germain-en-Laye et à ses communes limitrophes, à savoir les communes de Chatou, Fourqueux, Le Pecq, Le Vésinet, Louveciennes, Marly-le-Roy et Port-Marly. De l'avis des responsables des sociétés OGF et PFE., la commune de Poissy située plus au nord de cette zone, ne fait pas partie du marché géographique pertinent.

29. La zone géographique située dans un environnement immédiat de Saint-Germain-en-Laye se caractérise par la présence de deux établissements de santé, lesquels enregistrent annuellement un nombre important de décès : le Centre Hospitalier Intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye (environ 500 décès par an) qui dispose de deux chambres funéraires, et le Centre chirurgical de l'Europe, situé à Port-Marly (environ 150 décès par an) qui ne dispose pas d'une chambre funéraire.

30. Sur la base de ces éléments, le rapport d'enquête a retenu l'existence d'un marché des prestations funéraires dans une zone géographique comprenant les communes de Saint- Germain-en-Laye, Bougival, Chatou, Croissy-sur-Seine, Etang-la-Ville, Fourqueux, Le Pecq, Le Vésinet, Louveciennes, Marly-le-Roi et Port-Marly.

31. Le nombre de décès enregistrés sur la zone considérée était de 1057 en 1999, 1305 en 2000 et de 1232 en 2001. 75 % de ces décès ont été constatés sur les communes de Saint-Germain-en-Laye, Port-Marly et du Vésinet.

32. L'instruction a mis en évidence que les Pompes Funèbres Générales de Saint-Germain-en- Laye avaient réalisé, au cours des années 2000 et 2001, respectivement 71,7 % et 66 % des convois funéraires des personnes décédées sur cette commune, commune qui concentre plus de 50 % du total des décès de la zone géographique concernée.

Décès enregistrés à la mairie de Saint-Germain-en-Laye

<emplacement tableau>

33. Entre 1999 et 2001, les agences PFG de Saint-Germain-en-Laye, de Chatou et du Vésinet ont réalisé, en moyenne, 750 convois par année.

Nombre de convois réalisés par les agences de la société OGF

<emplacement tableau>

34. L'examen des données du registre de la chambre funéraire de Saint-Germain-en-Laye a également permis d'établir qu'en 2001, la société OGF s'était vue confier les obsèques de 83,6 % des défunts admis.

L'organisation des obsèques des défunts admis à la chambre funéraire en 2001 <emplacement tableau>

D. LES PRATIQUES CONSTATÉES

1. LA GESTION DE LA CHAMBRE FUNÉRAIRE

35. Au 10, rue Saint-Eloi à Saint-Germain-en-Laye, un local commercial PFG est aménagé dans la même enceinte que la chambre funéraire. L'aile droite du bâtiment abrite la chambre funéraire. Dans l'aile gauche, se trouvent un dépôt, le bureau des agents de la chambre funéraire (ou funérarium) utilisé pour l'accueil les familles ainsi que le local commercial. Le local commercial PFG se situe entre le bureau des agents du funérarium et la chambre funéraire. Bien que possédant des entrées distinctes, le bureau des agents et le local commercial sont reliés par une porte communicante.

36. Le Directeur de secteur de la société OGF, a déclaré que le local commercial était fermé à clé depuis le 1er novembre 1999. Le local est, néanmoins, aménagé afin de permettre une exploitation commerciale effective.

37. Aucun personnel n'est spécialement affecté à l'accueil du public dans la chambre funéraire, laquelle est fermée à clé. Selon les premières déclarations du directeur de secteur de la société OGF, les familles sont reçues dans le local commercial PFG en l'absence de bureau d'accueil dans la chambre funéraire.

38. La liste des opérateurs funéraires arrêtée par la préfecture des Yvelines, se trouve sur la table du hall d'entrée de la chambre funéraire, comme le prévoit l'article R. 2223-71 du Code général des collectivités territoriales. Toutefois, ce hall n'est pas utilisé pour l'accueil des familles.

39. Le numéro de téléphone de la chambre funéraire qui figurait dans l'édition 1998/99 des " Pages Jaunes " du département des Yvelines, sous les rubriques " Funérarium " et " Maison Funéraire ", n'apparaît plus dans les éditions 2000 et 2001. Dans ces éditions, trois numéros d'appel, dont l'ancien numéro de la chambre funéraire, figurent sous l'intitulé " Pompes Funèbres Générales " et concernent, sans distinction, l'ensemble des prestations de pompes funèbres proposées par la société OGF

2. LES RELATIONS ENTRE LA SOCIÉTÉ OGF ET LE CENTRE CHIRURGICAL DE L'EUROPE

40. Le Centre chirurgical de l'Europe (ci-après Centre), situé à Port-Marly, est une clinique privée ne disposant pas de chambre funéraire. En effet, en 2000 et 2001, le nombre annuel de décès déclarés au sein de l'établissement n'a pas excédé le seuil réglementaire de 200 décès. En 2001, entre 87,1 % et 100 % des corps, ont fait l'objet d'un transfert à la chambre funéraire de Saint-Germain-en-Laye.

41. Dans un procès-verbal d'audition, le directeur du Centre chirurgical a confirmé le caractère systématique de cet acheminement : " En cas de décès au sein de l'établissement, le corps est acheminé à nos frais à la chambre funéraire de Saint-Germain-en-Laye. Il peut arriver, de manière exceptionnelle, que des familles demandent à ce que le corps soit acheminé dans un autre lieu. Dans ce cas, la prestation est à la charge de la famille. Le Centre chirurgical de l'Europe a un accord tarifaire avec la société OGF en ce qui concerne les prestations de transfert et de prise en charge ".

42. Une proposition tarifaire, adressée à la clinique, le 18 mars 1998 par la société OGF prévoit que le tarif applicable pour l'ensemble des prestations est de 450 francs HT, soit 542,70 francs TTC, tarif auquel s'ajoute le montant des vacations de police (pose d'un bracelet à Port-Marly et vérification à Saint-Germain) pour un montant total de 118 francs, soit un prix global de 661 francs par corps transporté.

43. Par courrier du 21 décembre 1999, ce tarif est porté à 556,30 francs TTC (84,80 euro), hors vacations, à compter du 1er janvier 2000.

44. Le 1er juillet 2001, la société OGF a créé un tarif " collectivités ", destiné aux hôpitaux et cliniques, applicable sur l'ensemble du territoire. Contrairement au régime tarifaire antérieur et par dérogation au tarif " collectivités ", le Centre peut inclure les vacations de police dans le tarif " admissions ". Cette inclusion des vacations de police permet au Centre de conserver la tarification issue de la proposition de 1998, telle qu'appliquée en 2000 (556,30 francs, hors vacations).

45. Les factures versées au dossier par la société OGF établissent, en effet, que le montant facturé au Centre (prix de 102, 90 euro TTC, soit 675 francs TTC) incluait les vacations de police. Hors vacations de police, le montant de la prestation facturée s'élevait à 84,81 euro (soit 556,30 francs), ce qui correspond au prix négocié contractuellement avec l'établissement concerné, en décembre 1999.

46. La comparaison de la tarification appliquée au Centre avec la tarification de base appliquée aux concurrents de la société OGF fait ressortir un écart significatif dans la mesure où le prix facturé aux opérateurs pour une admission et un séjour de trois jours s'élève à 840 francs TTC (126,06 euro), auxquels s'ajoutent les frais liés au transport du corps.

47. Le gérant de la société PFE., qui possède une agence à Saint-Germain en Laye, a déclaré : " Nous rencontrons une grande difficulté dans l'exercice de notre travail dans la mesure où la Clinique de l'Europe transfère directement le corps des personnes décédées à la chambre funéraire de Saint-Germain exploitée par Pompes Funèbres Générales. Dans la mesure où PFG possède un bureau commercial dans l'enceinte du funérarium, le plus souvent les familles décident de confier les obsèques à PFG ".

3. LA CESSATION DES RELATIONS CONTRACTUELLES D'OGF AVEC LA SOCIÉTÉ DOUSSIN

48. La société Doussin, initialement spécialisée en marbrerie funéraire, réalisait jusqu'en mars 2000, 60 % de la sous-traitance de la société OGF dans ce secteur. A partir de cette date, la société OGF a cessé de faire appel aux services de la société Doussin.

49. Lors de l'enquête, le gérant de la société Doussin, M. X... a évoqué une baisse de son chiffre d'affaires de l'activité marbrerie à compter de l'année 2000, à la suite, selon ses déclarations, de la décision de la société OGF de se positionner également sur le marché de la marbrerie funéraire. Il évoque, ainsi, une baisse de 13 % des commandes de marbrerie de l'entreprise OGF entre les années 1999 et 2000, et de 70 % entre les années 2000 et 2001.

50. M. X... a affirmé, à deux reprises, que sa décision de proposer des prestations funéraires, à partir de 2001, faisait suite à celle prise par la société OGF de cesser de lui commander des services de marbrerie.

51. Le directeur de secteur de la société OGF date au contraire la décision de ne plus recourir à la société Doussin en tant que marbrier sous-traitant, au changement de stratégie commerciale de cette dernière : " A partir du moment où l'entreprise Doussin a décidé de proposer des services funéraires, nous avons décidé de ne plus passer de commandes de marbrerie à cette entreprise en sous-traitance ".

52. La direction de la société OGF fait, en outre, valoir que cette décision serait la conséquence de la hausse d'environ 15 % du prix des prestations offertes par la société Doussin, entre janvier et août 2001.

E. LES GRIEFS NOTIFIÉS

53. Au vu des éléments recueillis, il a été fait grief à la société PFG aux droits et obligations de laquelle vient la société OGF, sur le fondement de l'article L. 420-2 du Code de commerce : " d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché des prestations du service extérieur des pompes funèbres du secteur de Saint-Germain-en-Laye (comprenant outre Saint-Germain-en-Laye, les communes de Bougival, Chatou, Croissy-sur-Seine, Etang-la-ville, Fourqueux, le Pecq, Le Vesinet, Louveciennes, Marly-le-Roi et Port-Marly) et consistant à contrevenir aux dispositions de l'article L. 2223-38 du Code des collectivités territoriales, en ne distinguant pas les locaux offrant des prestations relevant du service extérieur de ceux abritant la chambre funéraire, et à entretenir une confusion entre les activités de service extérieur et celles de la chambre funéraire, en faisant figurer le seul numéro des Pompes Funèbres Générales du 10 rue Saint-Eloi, en lieu et place du numéro de la maison funéraire dans l'annuaire " Pages Jaunes " des Yvelines pour les éditions 2000 et 2001 ".

II. Discussion

A. SUR LES MARCHÉS PERTINENTS

54. Selon une jurisprudence constante du Conseil de la concurrence, les prestations funéraires qui comportent les prestations du service extérieur, du service intérieur et les prestations libres, forment, compte tenu du comportement des familles et des conditions dans lesquelles les entreprises répondent à leurs demandes, un marché unique des prestations de pompes funèbres.

55. Malgré la suppression des restrictions au libre choix des familles, il apparaît que, dans la très grande majorité des cas, les personnes décédées sont enterrées à proximité de leur résidence et que les familles font appel, pour l'organisation des funérailles, à des entreprises locales, dont les bureaux se trouvent à proximité, selon le cas, du domicile du défunt, de la mairie de déclaration du décès, de la chambre funéraire ou du cimetière.

56. Un examen de l'organisation et du fonctionnement concret du service des pompes funèbres de la région de Saint-Germain-en-Laye démontre que la demande de prestations funéraires est très localisée.

57. Il existe un consensus des opérateurs interrogés, en cours d'enquête, pour limiter le marché géographique pertinent au bassin de population entourant la ville " centre " de Saint-Germain-en-Laye, soit les communes de Saint-Germain-en-Laye, Chatou, Fourqueux, Le Pecq, Le Vésinet, Louveciennes, Marly-le-Roy et Port-Marly.

58. L'analyse du registre des données de la chambre funéraire pour l'année 2001, corrobore, en outre, l'aspect local de la demande des familles des défunts en établissant que l'offre des entreprises de Saint-Germain-en-Laye rencontre essentiellement la demande provenant des communes retenues par les opérateurs.

59. Enfin, la demande de prestations funéraires s'organise, pour l'essentiel, en fonction des infrastructures de soins et d'hébergement des personnes âgées. Les données fournies par la mairie de Saint-Germain-en-Laye font apparaître que 78 % des décès enregistrés à la mairie en 2001 ont eu lieu au Centre Hospitalier Intercommunal de Poissy-Saint-Germainen- Laye. Dans 85 % des cas, les familles des personnes décédées à Saint-Germain-en-Laye ont eu recours à des opérateurs implantés sur cette commune, pour l'organisation des funérailles.

60. Le marché retenu, à titre principal, pour l'appréciation des pratiques en cause est donc celui des prestations funéraires dans une zone géographique constituée par onze communes, qui sont les communes de Saint-Germain-en-Laye, Bougival, Chatou, Croissysur- Seine, Etang-la-Ville, Fourqueux, Le Pecq, Le Vésinet, Louveciennes, Marly-le-Roi et Port-Marly.

61. Dans ses observations, la société OGF soutient que le marché géographique pertinent à retenir englobe le secteur sanitaire Yvelines Nord, notamment la commune de Poissy, ainsi qu'un ensemble de communes du département des Hauts-de-Seine. Selon cette approche consistant à s'appuyer sur la carte sanitaire, ce sont environ 160 communes qui auraient dû faire partie du marché pertinent.

62. La société OGF invoque, tout d'abord, que les déclarations des opérateurs conduisent à retenir un marché géographique élargi, intégrant, notamment, les communes de Poissy, Houilles, Maisons-Laffitte et Mantes-la-Jolie.

63. Mais interrogés par les enquêteurs, les deux principaux opérateurs de pompes funèbres de la ville de Saint-Germain-en-Laye, les sociétés OGF et PFE, ont retenu un marché géographique restreint, limité à quelques communes et n'englobant pas les communes de Poissy, Houilles, Maisons-Laffitte ou encore Mantes-la-Jolie.

64. Dans un procès-verbal d'audition du 11 décembre 2001, le Directeur de secteur de Germain-en-Laye de la société OGF a affirmé : " Nous estimons que le marché pertinent recouvre Saint-Germain-en-Laye, Fourqueux, Louveciennes, Marly-le-Roi, Port-Marly, Chatou, Le Vésinet, Le Pecq ".

65. Le gérant de la société PFE a, de son côté, déclaré : " La plus grande partie de notre clientèle provient de l'extérieur de Saint-Germain-en-Laye : Le Pecq, Le Vésinet, Chatou (...). Poissy et Saint-Germain appartiennent à des marchés géographiques distincts ".

66. Les communes de Poissy et de Saint-Germain, dont la population et le nombre de décès sont équivalents, et très nettement supérieurs à ceux des petites communes limitrophes, ont chacune leur attractivité propre et ne peuvent raisonnablement être incluses dans le même marché local comportant deux villes " centre " de même poids.

67. Le fait que des offreurs installés sur une de ces deux zones peuvent servir des demandes émanant de la zone voisine n'est pas suffisant pour établir qu'elles forment un marché géographique unique, dès lors que les services croisés sont limités à 12% de l'activité et ne sont donc rendus qu'à titre occasionnel.

68. D'une manière générale, des marchés locaux limitrophes ne sont jamais complètement étanches, sauf dans le cas où ils correspondent à un périmètre réglementaire qui interdit la migration de la demande. Cette relative porosité des bassins de chalandise n'empêche pas le droit de la concurrence de délimiter des marchés locaux. S'il en était autrement, il faudrait admettre que la plupart des marchés locaux devraient, de proche en proche, être étendus aux marchés géographiques voisins pour constituer au final un marché global.

69. Ainsi, le fait que le directeur de secteur de la société OGF identifie, de manière générale, comme opérateurs concurrents, des sociétés implantées dans des communes non reprises dans le marché géographique pertinent, ne peut avoir pour conséquence de remettre en cause la délimitation du marché retenue, dans la mesure où ces établissements sont chacun en concurrence avec différentes agences de la société OGF sur des marchés géographiques distincts.

70. La société OGF fait observer que l'examen de son organisation logistique et commerciale aurait également dû mener à la délimitation d'un marché géographique plus large que les onze communes retenues.

71. L'organisation de la société OGF en secteurs commerciaux qui disposent d'un nombre important d'agences sur le secteur nord des Yvelines, ne constitue pas un élément pouvant contribuer à un élargissement du marché géographique pertinent, dans la mesure où comme le démontre le registre de la chambre funéraire (cf. tableaux sus-visés), ces différentes agences appartiennent à des marchés géographiques distincts.

72. De même, l'utilisation des moyens logistiques basés à Saint-Germain-en-Laye par les agences de Chatou, Houilles, Le Vésinet, Maisons-Laffitte, Poissy, Sartrouville et Marly-le-Roi n'a aucune incidence sur la délimitation du marché pertinent puisque l'agence de Saint-Germain n'agit alors qu'en qualité de sous-traitant de ces agences.

73. Enfin, la société OGF oppose que la double implantation, dans les villes de Poissy et Saint-Germain-en-Laye, du Centre Intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye devrait conduire à étendre le marché géographique à la ville de Poissy et à son agglomération.

74. Les décès survenus sur le site du Centre Hospitalier de Saint-Germain sont déclarés à la mairie de Saint-Germain-en-Laye. Les données fournies par la mairie démontrent que, dans la majorité des cas, les familles font appel à des entreprises de la ville de Saint-Germain-en-Laye pour l'organisation des obsèques. La demande de ces familles est donc, une fois encore, très localisée et l'offre des entreprises extérieures à la zone géographique retenue, en l'espèce Poissy, n'est pas substituable à celle des entreprises locales.

75. Ainsi la double localisation du Centre Hospitalier Intercommunal n'a pas d'incidence sur la délimitation géographique du marché.

76. La société OGF soutient, en dernier lieu, que la dimension géographique du marché à retenir aurait dû être alignée sur la zone d'attractivité de la chambre funéraire définie à partir de l'origine géographique des défunts et constate que, sur les 1058 corps admis à la chambre funéraire en 2001, une majorité provenait des communes de Sartrouville (15,8 %), Port-Marly (13,2 %), Saint-Germain (10,1 %), Poissy (9,3 %), Chatou (5 %), Maisons-Laffitte (4,5 %), Louveciennes (3,3 %), Houilles (3,2 %), Le Pecq (2,4 %), Vernouillet (2,3 %) et Marly-le-Roi (1,9 %). Les 29 % restants concernaient des décès survenus dans plus de 89 autres communes (environ trois corps par commune).

77. Le faible recouvrement des prestations d'obsèques entre les différents bassins de population est vérifié également pour les convois incluant un passage en chambre funéraire. Les familles des personnes décédées sur les communes de Sartrouville, Poissy, Maisons-Laffitte, Houilles et Vernouillet et admises en chambre funéraire ont eu recours, dans 75 % des cas pour l'organisation des obsèques, à des opérateurs situés dans la commune du lieu de décès du défunt. Les opérateurs de Saint-Germain-en-Laye n'ont réalisé que 6,9 % de ces obsèques, ce qui représente 1,8 % du nombre total de décès enregistrés sur ces communes.

78. Ainsi, la diversité de l'origine géographique des défunts passant dans la chambre funéraire de Saint-Germain ne permet pas de conclure à un élargissement automatique des marchés locaux. Comme le montre le tableau récapitulatif ci-après, les opérateurs principalement choisis par les familles restent des opérateurs communaux ou des opérateurs de la ville centre qui structure le marché local, et cela quelle que soit la commune considérée :

Analyse du registre de la chambre funéraire pour 2001

<emplacement tableau>

79. Si on se limite à l'activité des opérateurs de Saint-Germain-en-Laye, PFG, PFE et Doussin, on constate également que leur activité sur les communes que l'enquête a exclues du marché pertinent, et que la société OGF voudrait réintroduire dans le marché géographique pertinent, est insignifiante : Nombre de convois organisés par les opérateurs de Saint-Germain-en-Laye dans les communes exclues du marché pertinent (2001)

<emplacement tableau>

80. Au surplus, les services de pompes funèbres incluant un passage en chambre funéraire se distinguent de ceux qui n'en comportent pas, ces deux services constituant des offres non substituables pour les familles. En effet, l'article R. 2223-76 du Code général des collectivités territoriales prévoit que : " L'admission en chambre funéraire intervient dans un délai de vingt-quatre heures à compter du décès. " Ce délai est porté à quarante-huit heures lorsque le corps a subi les soins de conservation réglementaires.

81. Ces contraintes réglementaires justifient que les opérateurs de pompes funèbres ne disposant pas de leur propre chambre funéraire aient un droit d'accès à celles de leurs concurrents, conformément au mécanisme hérité de l'ancienne gestion publique. C'est également pour ces raisons que pèsent sur les gestionnaires privés des chambres funéraires des obligations de neutralité et d'information du public, qui ne se justifieraient pas si leurs concurrents avaient la possibilité d'offrir aux familles un service équivalent sans passer par ces installations.

82. Il existe donc, au sein du marché local des services de pompes funèbres, un marché plus étroit et spécifique des services d'obsèques incluant un passage dans une chambre funéraire. Ce marché a d'ailleurs été identifié par le Conseil de la concurrence dans sa décision 04-D-37 du 27 juillet 2004 dans laquelle il a considéré que la société OGF était : " en position dominante sur le marché des obsèques des défunts transportés aux funérariums de Villeneuve-Saint-Georges, Bry-sur-Marne et Saint-Maur ".

83. C'est donc en vain que la société OGF s'appuie sur l'analyse de l'origine géographique des défunts admis dans la chambre funéraire de Saint-Germain-en-Laye pour contester le marché géographique pertinent identifié par l'enquête.

1. EN CE QUI CONCERNE LA POSITION DE LA SOCIÉTÉ OGF SUR CES MARCHÉS

84. La part de marché de la société OGF, calculée selon le rapport entre le nombre de convois organisés et le nombre total de décès enregistrés sur la zone examinée, s'élevait à 70,96 % en 1999, 62,22 % en 2000 et 53,41 % en 2001. En 2001, la société Doussin était située à un niveau nettement inférieur avec 9,41 % de parts de marché.

85. Sur la seule commune de Saint-Germain-en-Laye où sont enregistrés environ 50 % des décès survenus dans la zone considérée, la société OGF a réalisé une part de marché de 71,76 % en 2000 et de 66,05 % en 2001, contre respectivement 14,78 % et 12,29 % pour la société PFE., sa première concurrente. La société Doussin occupait, quant à elle, la troisième place avec des parts de marché s'élevant à 0,1 % pour l'année 2000 et à 4,9 % pour l'année 2001.

86. Cette position sur le marché se trouve renforcée par le fait que la société OGF est, depuis 1995, une filiale de la société " Service Corporation International ", numéro un mondial du secteur des pompes funèbres, et qu'elle exploite son activité sous diverses enseignes, bénéficiant d'une importante notoriété sur le plan national (PFG, Roblot, Henri de Borniol).

87. La société OGF gère, en outre, l'unique chambre funéraire de la zone de Saint-Germainen- Laye. Or, si tout opérateur peut créer une chambre funéraire sous réserve d'obtenir une habilitation préfectorale, la lourdeur de l'investissement nécessaire pour une telle opération ne permet pas, en pratique, aux petits opérateurs d'acquérir et d'exploiter, en propre, ce type d'installation.

88. Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la société OGF occupe une position dominante sur le marché des services funéraires dans la zone de Saint-Germain-en-Laye telle que définie ci-dessus.

89. S'il fallait se référer, à titre subsidiaire, pour la délimitation du marché pertinent, à la zone d'attraction de la chambre funéraire, tel qu'il a été procédé dans la décision n° 04-D-37 du 27 juillet 2004, il est établi que la société OGF détient, en tout état de cause, une position dominante sur le marché plus étroit des obsèques des défunts transportés à la chambre funéraire de Saint-Germain-en-Laye. En 2001, ladite société avait, en effet, assuré, plus de 83 % des convois des défunts admis.

90. Mais la société OGF soutient que les enquêteurs et le rapporteur auraient volontairement ignoré la méthode définie par le Conseil de la concurrence pour l'évaluation des parts de marché dans le secteur des pompes funèbres, à savoir " le nombre de convois réalisés par une entreprise dans la zone de référence par rapport au nombre total de convois organisés ", pour ne retenir qu'une méthode subsidiaire et approximative.

91. Le Conseil de la concurrence a précisé, dans la décision n° 2000-D-59 du 6 décembre 2000, que, lorsque les données disponibles ne permettaient pas de calculer le rapport entre le nombre de convois réalisés par l'entreprise en cause et le nombre total des convois organisés dans la zone de référence, le rapport entre le nombre de convois réalisés et le nombre total de décès était utilisé, à titre subsidiaire. L'utilisation de cette méthode de calcul conserve en l'espèce toute sa pertinence.

92. Enfin, la société OGF fait observer que la baisse sensible et continue de ses parts de marché, entre 1999 et 2001, aurait dû conduire à s'interroger sur la réalité de la domination alléguée.

93. Mais il est de jurisprudence constante qu'une société en position dominante confrontée à une concurrence effective peut être considérée comme maintenant sa position dominante si, tout en subissant une baisse progressive de ses parts de marché elle conserve une part de marché très supérieure à celles de ses concurrents. Cette situation est, au demeurant, la règle dans les secteurs anciennement en monopole qui s'ouvrent progressivement à la concurrence.

94. En l'espèce, les parts de marché des sociétés concurrentes restent très inférieures à celles de la société OGF sur le marché et aucune ne bénéficie des mêmes avantages structurels, notamment la propriété d'une chambre funéraire.

2. SUR LA CONFUSION ABUSIVE ENTRETENUE PAR LA SOCIÉTÉ OGF ENTRE SES DIFFÉRENTES ACTIVITÉS

95. Comme l'a relevé le Conseil de la concurrence, dans la décision n° 03-D-15 du 17 mars 2003 : " La possession par un opérateur funéraire d'une chambre funéraire, située à proximité immédiate du magasin où sont vendues les autres prestations funéraires, constitue un fort avantage commercial et concurrentiel. En effet, il est constaté qu'il est de plus en plus fréquent que les corps des personnes décédées soient transférés par les familles en chambre funéraire, où celles-ci peuvent recevoir des conseils et des préconisations pour l'organisation des funérailles, et, ainsi, déterminer leur choix, nécessairement rapide. Le possesseur de chambre funéraire bénéficie donc d'un contact privilégié avec les familles auxquelles il peut proposer une offre globale et cette situation est peu propice à favoriser le jeu de la concurrence surtout lorsqu'il n'existe qu'une seule chambre funéraire dans la zone géographique concernée ".

96. Le Conseil de la concurrence sanctionne les pratiques susceptibles de créer la confusion dans l'esprit des familles des défunts et pouvant les inciter à recourir aux services de la même société, pour l'ensemble des prestations funéraires.

97. Dans la décision n° 03-D-15, le Conseil a condamné la société Goupil pour abus de sa position dominante en raison de l'absence de distinction pour cette dernière entre son activité de gestionnaire de la chambre funéraire et ses autres activités de service extérieur. Concernant l'agencement des locaux, il a été constaté que : " (...) bien que possédant des entrées distinctes, les locaux où s'exercent les activités de funérarium et ceux où sont offertes les autres prestations funéraires sont reliés par deux portes communicantes, situées au niveau du hall et de l'accueil du funérarium et permettant d'accéder directement dans le magasin ".

98. L'enquête avait également permis d'établir, que le numéro d'appel indiqué au public dans les pages jaunes et le minitel était commun aux deux magasins de la société Goupil et à la chambre funéraire dont elle était la gestionnaire.

99. En l'espèce, l'enquête diligentée au 10, rue Saint-Eloi à Saint-Germain-en-Laye a révélé l'existence de facteurs entretenant la confusion dans l'esprit des familles endeuillées entre les activités de gestionnaire de la chambre funéraire et celles d'opérateurs de pompes funèbres.

100. Cette confusion est provoquée par la disposition des locaux, les modalités d'accueil des familles ainsi que par le référencement téléphonique.

101. En effet, le local commercial PFG est " intercalé " entre le bureau des agents du funérarium servant d'accueil pour les familles et la chambre funéraire. Fermé de l'extérieur, il n'est accessible que depuis le bureau des agents du funérarium. Une porte permet de faire passer les clients, du bureau des agents du funérarium vers le local commercial, ce qui constitue une infraction aux dispositions de l'article L. 2222-38 du Code général des collectivités territoriales exigeant que les locaux de la chambre funéraire et du magasin soient distincts.

102. Selon le responsable du secteur de la société OGF, l'accueil du public se fait dans le local commercial PFG, en l'absence de bureau d'accueil dans le local de la chambre funéraire. Même si ces propos ont été modifiés par la suite, il demeure que le choix de la société OGF d'aménagement des locaux en insérant un local commercial entre les deux espaces dédiés au funérarium, le bureau des agents et le hall d'accueil des familles, n'est pas de nature à diminuer les risques de confusion dans l'esprit des familles.

103. La société OGF considère que l'affirmation selon laquelle le local commercial ne serait accessible que depuis le bureau des agents du dépôt, ne repose sur aucune pièce du dossier.

104. Mais l'existence d'un accès entre le local commercial et le local du dépôt a été constatée par les enquêteurs, lors de leur visite des locaux, au 10 rue Saint-Eloi dans les termes suivants : " il a été constaté que ce local est accessible depuis le bureau des agents du dépôt, dans lequel sont accueillies les familles (le plan réalisé par le directeur de secteur OGF omet de le mentionner) ".

105. Par ailleurs, s'il est exact que la liste des opérateurs se trouve à la disposition des familles dans le hall d'accueil de la maison funéraire, comme le prévoit la réglementation, il faut relever que ce hall n'est pas utilisé pour l'accueil des familles.

106. Enfin, l'utilisation de numéros de téléphone communs à la chambre funéraire et au local commercial donne à penser aux familles que les prestations dispensées dans la chambre funéraire (admission-séjour et présentation) sont liées à celles offertes en aval par la société OGF (obsèques et fourniture d'accessoires).

107. Il résulte de ce qui précède que le fait de ne pas opérer de distinction claire entre la partie chambre funéraire et la partie abritant les autres prestations commerciales de pompes funèbres constitue, de la part de la société OGF, un abus de position dominante ayant pour objet et ayant pu avoir pour effet de dissuader les familles de faire appel aux autres entreprises intervenant sur le marché des pompes funèbres de Saint-Germain-en-Laye et des communes avoisinantes et de limiter, par suite, le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises sur ce marché.

108. S'agissant de l'effet anti-concurrentiel des pratiques en cause, il convient de souligner que le problème lié à l'information des familles ne se pose que dans certains cas déterminés, comme l'a précisé le rapport d'enquête : " S'il est exact que peu de familles ont directement recours aux services de la maison funéraire de Saint-Germain-en-Laye, il arrive en revanche relativement fréquemment que des corps de personnes soient transportés dans cet établissement par des ambulanciers ou des services d'urgence (pompiers, policiers), notamment en cas de décès accidentel. Cela peut également être le cas lors d'un décès en maison de retraite ou dans un établissement de soins ne disposant pas de funérarium. Dans ces différents cas, les familles sont amenées à se rendre au 10, rue Saint-Eloi, soit après avoir sollicité les services d'une entreprise de pompes funèbres, soit avant. C'est dans ce dernier cas que peut se poser un problème d'information ".

109. Parmi les 380 corps admis à la chambre funéraire en 2001 et provenant des communes faisant partie du marché pertinent, 12 % seulement avaient été transférés par ambulance.

110. Toutefois, le faible nombre de commandes enregistrées dans le bureau commercial du 10, rue Saint-Eloi, 17 en 2001, doit être apprécié au vu des déclarations du directeur de secteur de la société OGF, indiquant que les familles qui souhaitent avoir recours aux Pompes Funèbres Générales pour l'organisation des obsèques sont priées de s'adresser à l'agence du 35, rue du Vieux Marché à Saint-Germain.

111. Ainsi, les familles accueillies dans le bureau des agents du funérarium, désireuses de recourir à une société de pompes funèbres de Saint-Germain-en-Laye, pouvaient être informées sur place des services commerciaux offerts par OGF avant d'être orientées vers l'agence principale.

3. SUR L'APPLICATION D'UN TARIF " COLLECTIVITÉS " AU CENTRE CHIRURGICAL DE L'EUROPE

112. La société saisissante soutient que la mise en place par OGF d'un tarif préférentiel au profit du Centre chirurgical de l'Europe avait un caractère discriminatoire et qu'un grief d'abus de position dominante aurait dû être notifié sur ce point.

113. Le Centre chirurgical de l'Europe et la société OGF ont été liés par un tarif préférentiel puis par un tarif " collectivités " incluant les vacations de police, aux fins de conserver le niveau du tarif précédent. Ce tarif préférentiel doit s'analyser comme une contrepartie objective d'un effort commercial, directement lié au nombre de corps transférés depuis le Centre chirurgical de l'Europe jusqu'à la chambre funéraire de Saint-Germain-en-Laye (150 corps par année).

114. Le fait que la prestation soit à la charge de la famille, lorsque cette dernière demande à ce que le corps soit transféré dans un autre lieu, résulte des dispositions des articles R. 2223-76 et R. 2223-79 du Code général des collectivités territoriales et ne saurait être analysé comme une pratique visant à permettre à la société OGF de capter la clientèle provenant de cet établissement de soins.

115. Conformément aux dispositions légales précitées, si les établissements de santé obtiennent, dans le délai de dix heures à compter du décès, l'assentiment des familles pour le transport du défunt en chambre funéraire, les frais de transport et de séjour sont intégralement supportés par les familles. Ces dernières disposent alors de la liberté de choisir une chambre funéraire différente de celle avec laquelle l'établissement de santé a l'habitude de traiter.

116. De même, dans l'hypothèse où le défunt a dû être transféré en chambre funéraire par décision du directeur de la clinique, la famille dispose encore du choix de faire transférer le corps, par l'opérateur de son choix, soit dans une autre chambre funéraire, soit à la résidence du défunt ou d'un membre de sa famille. En outre, le Conseil n'est pas compétent pour statuer sur le choix d'une chambre funéraire effectué par le Centre chirurgical de l'Europe, ce choix relevant du seul comportement du demandeur qui ne peut être contraint par le droit de la concurrence.

117. L'effet anticoncurrentiel allégué par le plaignant ne saurait donc résulter du tarif préférentiel consenti mais seulement de la confusion entretenue par la société OGF, entre les activités de gestionnaire de la chambre funéraire et les autres prestations du service extérieur des pompes funèbres.

4. SUR LE CHOIX DE LA SOCIÉTÉ OGF DE NE PLUS RECOURIR AUX SERVICES DE LA SOCIÉTÉ DOUSSIN 118. La société Doussin soutient également que la rupture unilatérale des relations contractuelles à l'initiative de la société OGF fait suite à sa décision, en 2001, de se positionner sur le marché des prestations funéraires et constitue une mesure de rétorsion ayant un objet anti-concurrentiel. Elle considère qu'un grief aurait dû être notifié sur ce point.

119. Mais il résulte d'une jurisprudence constante du Conseil de la concurrence qu'une personne qui décide de s'approvisionner chez un commerçant ne fait qu'exercer sa liberté d'approvisionnement et ne commet pas de ce seul fait un abus de droit.

120. En outre, l'enquête n'ayant pas permis d'établir si la rupture des relations de sous-traitance entre les sociétés OGF et Doussin résultait d'un comportement unilatéral ou d'une décision commune, la décision de cessation des relations contractuelles prise par la société OGF ne saurait être analysée comme une mesure de rétorsion, ayant un objet et/ou un effet anticoncurrentiel.

B. SUR LES SANCTIONS

121. Les infractions retenues ci-dessus ont été commises antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques. Par suite et en vertu de la non-rétroactivité des lois à caractère punitif, les dispositions introduites par cette loi à l'article L. 464-2 du Code de commerce, en ce qu'elles sont plus sévères que celles qui étaient en vigueur antérieurement, ne leur sont pas applicables.

122. Aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 : "le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas de non exécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au cours du dernier exercice clos. ".

123. Les pratiques émanent d'une entreprise appartenant à un groupe important traditionnellement chargé de l'exploitation du service public des pompes funèbres, disposant de ce fait d'une position historique forte et lui-même intégré à une structure internationale puissante. Elles sont produites sur un marché local étroit sur lequel l'entreprise dispose avec la chambre funéraire, équipement dont le coût de construction dépasse les capacités financières de la plupart des opérateurs locaux présents sur le marché, d'une force d'attraction avec laquelle ne peuvent pas rivaliser les entreprises concurrentes. Ces abus de position dominante sont mal appréhendés par les familles des défunts qui se trouvent au moment où elles accordent leur confiance, dans un état de dépendance lié à la nécessité d'organiser rapidement les funérailles et au désarroi que le deuil est de nature à causer. Ainsi les faits établis, bien que circonscrits à un marché local, revêtent une gravité certaine car ils sont la preuve de la résistance renouvelée de la société OGF à l'ouverture du service des pompes funèbres à la concurrence comme le prescrit la loi du 8 janvier 1993.

124. Il y a lieu cependant de tenir compte de la modification de l'annonce des services de la chambre funéraire dans l'annuaire " Pages Jaunes ", à compter de l'année 2002, avec la mention d'un nouveau numéro de téléphone. Depuis cette date, il n'existe plus de risque de confusion par identification des activités dans les annuaires.

125. L'abus de position dominante retenu cause un réel dommage à l'économie auquel ni les modifications intervenues sur le plan légal et réglementaire ni les différentes décisions prises par le Conseil de la Concurrence et les juridictions n'ont pu remédier. Il restreint le développement du libre exercice de la concurrence par d'autres intervenants sur un marché, historiquement réglementé et protégé, ouvert depuis 10 ans à une concurrence pleine et entière entre les entreprises du secteur.

126. Le chiffre d'affaires réalisé en France par la société OGF, lors de l'exercice 2003, est de 121 083 055 euros En considération des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 484 000 euros.

DÉCISION

Article 1er : Il est établi que la société OGF a enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

Article 2 : Une sanction pécuniaire de 484 000 euros est infligée à la société OGF.