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Décisions

Conseil Conc., 28 juillet 2004, n° 04-A-16

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Avis

Acquisition d'une partie des actifs du groupe Moulinex par le groupe SEB

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de Mmes Joly, Wibaux, de Monsieur Komiha, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice-présidente, MM. Jenny, Nasse, vice présidents, ainsi que MM. Bidaud, Flichy, Ripotot, membres.

Conseil Conc. n° 04-A-16

28 juillet 2004

Le Conseil de la concurrence (section III A),

Vu la lettre du 16 avril 2004, enregistrée sous le numéro 04/0021 A, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence, en application des dispositions des articles L. 430-1 à L. 430-7 du Code de commerce, d'une demande d'avis relative à l'acquisition, par la société SEB SA, d'actifs de la société Moulinex SA ; Vu l'arrêt du Conseil d'Etat du 6 février 2004, relatif à la décision ministérielle du 5 juillet 2002, autorisant la reprise de certains actifs de Moulinex par le groupe SEB ; Vu le livre IV du Code de commerce, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7, et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour l'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; Vu les observations présentées par les représentants de la société SEB SA et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Les rapporteurs, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société SEB S.A entendus ; Les représentants des sociétés DeLonghi France, Philips Babyliss, GFK, Auchan et Darty entendus conformément aux dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce ; Adopte l'avis fondé sur les constatations et les motifs ci-après exposés :

I. Les entreprises parties à l'opération

A - LE GROUPE SEB

1. Le groupe SEB, présent depuis 1967 sur le marché de l'électroménager avec sa friteuse électrique, est constitué d'une société holding, SEB SA et de ses filiales. Il opère dans le secteur du petit électroménager (ci-après PEM), à travers deux marques de dimension mondiale (Téfal et Rowenta) et quatre marques locales : (Calor et SEB, en France et en Belgique, Arno au Brésil et dans les pays du Mercosur, Samurai dans les pays du pacte andin).

B - LE GROUPE MOULINEX

2. La société Moulinex, entrée en 1954 sur le marché du PEM avec le moulin à légumes, s'est ensuite développée avec le lancement de la première cafetière électrique (1971), du robot Major (1978), du four à micro-ondes (1979) et la fabrication de fers à repasser (1983). Elle a par la suite acquis la société britannique Swan (1988) puis la société allemande Krups (1991).

3. A partir des années 1990, Moulinex, malgré des difficultés importantes (2600 emplois supprimés entre 1996 et 1999), continue son expansion à l'étranger : en Chine (1997), au Brésil (1998), en Argentine et en Inde (1999-2000). En décembre 2000, le groupe Moulinex fusionne avec la société EL.FI., détentrice de 100 % des titres de Brandt SA, et entre sur le marché du gros électroménager. Cette activité est cédée au groupe israélien Elco en janvier 2002.

4. Dans le secteur du PEM, la société Moulinex commercialise ses produits sous deux marques internationales, Moulinex et Krups. C - LE NOUVEL ENSEMBLE SEB/MOULINEX

5. En 2003, le chiffre d'affaires total du groupe SEB/Moulinex, en France, s'établissait à 660 millions euro. Il se décompose en [...] millions euro, correspondant au chiffre d'affaires du groupe Moulinex en France (contre [...] millions euro en 2000, soit une diminution de 43 %) et [...] millions euro pour le groupe SEB (contre [...] millions en 2000, soit une augmentation de 12 %).

II. Présentation de l'opération et des étapes de la procédure

A - L'OPÉRATION ET LE PÉRIMÈTRE DE LA REPRISE

6. L'opération a pour origine les difficultés de Moulinex qui ont conduit, début 2001, à l'élaboration d'un plan de sauvetage qui prévoyait, notamment, la fermeture des sites d'Alençon et de Cormelles. Après l'échec du plan de sauvetage, le tribunal de commerce de Nanterre, sur déclaration de cessation de paiement de la société, a, par jugement du 7 septembre 2001, ouvert une procédure de redressement judiciaire à son égard. Treize propositions de reprise ont ensuite été adressées au tribunal de commerce. Parmi celles-ci, neuf ne s'analysaient que comme des manifestations d'intérêt portant sur la reprise partielle de certains actifs incorporels, essentiellement la marque Krups, et n'ont pas été considérées par le Tribunal de Commerce comme de véritables offres répondant aux conditions posées par l'article L. 621-83 du Code de commerce. Il s'agissait des propositions des sociétés Arcelik, Conair, Sunbeam, Taurus, TTI, Electrolux, Princess Household et SAECO. Trois offres consistaient en une reprise totale ou partielle des actifs pour un franc symbolique. Celle présentée par les cadres de l'usine de Falaise ne répondait pas aux conditions des articles L. 621-83 du Code de commerce, puisque qu'elle ne prévoyait pas la reprise des salariés. Celle de la société Euroland a été rejetée faute de garanties financières réelles. L'offre de la Société de Participations Industrielles a été écartée car, d'une part, elle n'était accompagnée d'aucune justification quant à sa faisabilité au plan financier, d'autre part, elle était assortie d'une condition suspensive prévoyant l'abandon quasi total de leurs droits par les créanciers, condition qui n'a pu être levée. La dernière offre était celle de SEB, qui a été retenue par le tribunal de commerce de Nanterre, par jugement du 22 octobre 2001. Le plan de cession a donc été arrêté, au profit de SEB, pour un montant de 15 millions d'euros.

7. Le périmètre de l'acquisition de Moulinex par SEB comprend la reprise de huit sites industriels, quatre d'entre eux étant situés en France, deux en Espagne, un au Mexique et un en Egypte et de quatre des vingt-six filiales commerciales dans le monde (France, Allemagne, Espagne, Etats-Unis). En ce qui concerne les emplois, sur 5 600 environ (CGME incluse), 2 456 sont maintenus en France, soit près de 44 % de l'effectif. La décision du Tribunal autorisant la reprise est, en outre, assortie d'une clause d'inaliénabilité des actifs pour une période de deux ans après l'entrée en jouissance, fixée au 29 octobre 2001, et d'une interdiction de tout licenciement économique des salariés repris. Par la suite, d'autres propositions de reprise de Moulinex seront adressées au Tribunal de Commerce qui les considérera comme ayant été présentées hors délai. Enfin, l'appel interjeté par le comité central d'entreprise de la société Moulinex contre le jugement du tribunal de commerce précité a été déclaré irrecevable par un arrêt de la cour d'appel de Versailles en date du 2 mai 2002.

B - LES ÉTAPES DE LA PROCÉDURE

La notification de l'opération et les décisions de la Commission Européenne du 8 janvier 2002

8. Après avoir pris connaissance de la notification de l'opération à la Commission européenne, le 13 novembre 2001, le ministre lui a adressé, le 7 décembre 2001, une demande de renvoi partiel, au titre de l'article 9, paragraphe 2, point a), du règlement concentration. Constatant, d'une part, que le marché français constitue bien un marché distinct, et d'autre part, que " l'opération en question, prima facie, menaç[ait] de créer une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée d'une manière significative dans les marchés de la vente d'appareils de PEM en France ", la Commission Européenne a accepté, le 8 janvier 2002, le renvoi du dossier aux autorités françaises. La décision de renvoi relève, à cet égard, que sur les marchés concernés en France, " la nouvelle entité disposera d'une taille inégalée, d'une gamme de produits inégalée, d'un portefeuille de marques inégalé et que la concurrence actuelle ou potentielle est insuffisante ". Par une autre décision du même jour, la Commission s'est également prononcée sur les conséquences de l'opération pour les 14 autres marchés européens affectés. Elle a conclu à un renforcement substantiel des parts de marché de la nouvelle entité, au Portugal, en Grèce, en Belgique et aux Pays-Bas, et à une augmentation des parts de marché moindre en Allemagne, en Autriche, au Danemark, en Suède et en Norvège, conduisant à demander des engagements dans ces neuf pays, consistant en l'octroi par SEB d'une licence exclusive de fabrication des produits de la marque Moulinex pendant cinq ans, pour les treize catégories de produits du petit électroménager définis dans la décision. Cet engagement est assorti d'une interdiction de vendre des produits sous la marque Moulinex sur ces marchés pendant trois années supplémentaires. La Commission n'a pas demandé d'engagement à SEB dans les cinq autres marchés examinés : Grande Bretagne, Irlande, Espagne, Italie, Finlande.

La suite de la procédure devant les instances nationales : l'avis du Conseil de la concurrence du 15 mai 2002, la décision du ministre du 5 juillet 2002 et son annulation par le Conseil d'Etat le 6 février 2004

9. A la suite du renvoi devant les autorités nationales de concurrence de la partie du dossier concernant l'affectation du marché français, le ministre a adressé, le 4 mars 2002, une demande d'avis au Conseil de la Concurrence, qui a rendu un avis favorable, le 15 mai 2002. Le Conseil constatait que, si la reprise de Moulinex renforçait significativement la part de marché de SEB sur 5 catégories de produits (grille-pain, cafetières, préparateurs culinaires, mini-fours et bouilloires), il existait de nombreux facteurs structurels caractérisant l'ensemble des marchés du PEM qui permettaient " d'atténuer ou de limiter le pouvoir de marché du nouvel ensemble ". Le Conseil remarquait ainsi que, sur les segments haut de gamme, la pression concurrentielle viendrait d'au moins trois grands groupes (Philips, De Longhi, BSH) détenant des marques notoires, capables de réaliser d'importants investissements publicitaires pour développer leurs ventes, et que, sur les autres segments, les fabricants asiatiques pouvaient entrer facilement sur le marché et proposer des produits à des prix particulièrement attractifs. Enfin, le Conseil notait que la grande distribution constituait un contrepoids important au nouveau groupe et qu'elle avait d'ores et déjà manifesté une volonté d'ouvrir les linéaires aux concurrents du groupe SEB.

10. Au surplus, il avait été constaté, fin 2001, sur certains marchés (friteuses, mini-fours, grillepain, cafetières), que la disparition des linéaires des produits de marque Moulinex, à la suite des problèmes industriels du groupe, avait eu pour conséquence un transfert des achats des consommateurs sur les produits de marque SEB. Le Conseil avait donc considéré que " l'exception de l'entreprise défaillante " (failing company defense) pouvait être invoquée, les autres critères définis par la jurisprudence européenne, à savoir la certitude de la défaillance de Moulinex et l'absence d'offre de reprise alternative crédible à celle de SEB, étant vérifiés. Enfin, le Conseil soulignait, en conclusion de son avis, que l'opération devrait se traduire pour le nouveau groupe par des gains d'efficacité dont la répercussion sur les prix devait bénéficier au consommateur et lui permettre de rester compétitif, tout en maintenant des emplois en France.

11. Le ministre a, dans une lettre du 5 juillet 2002, procédé à une analyse différente de celle du Conseil. Il a, notamment, considéré que les concurrents de SEB sur les marchés en cause, tels que Philips, de Longhi, Bosch ou Braun, même s'ils disposaient de marques notoires, n'auraient pas été en mesure de faire contrepoids à la puissance de marché du groupe SEB, compte tenu de la faiblesse de leurs parts de marché et du fait que ces parts avaient peu progressé au cours des années précédentes, ce qui témoignait, pour le ministre, des difficultés rencontrées par ces producteurs pour pénétrer les marchés du PEM français. Le ministre a, par ailleurs, estimé que la concurrence constituée par les marques de distributeurs ou les producteurs asiatiques était réduite, et que leurs perspectives de développement étaient trop limitées pour faire réellement contrepoids au groupe SEB, compte tenu de l'importance attachée par les consommateurs aux produits de marque dans ce secteur. Pour la même raison, il a relativisé le pouvoir de négociation de la grande distribution dans ses relations avec le groupe SEB et a estimé que le fait de détenir six marques, déclarées "incontournables", aurait permis au groupe SEB d'imposer sa présence dans les linéaires aux dépens, dans un contexte marqué par la rareté du linéaire, des autres producteurs. Le ministre concluait donc que l'opération était de nature à créer ou à renforcer la position dominante de SEB sur neuf marchés : appareils à sandwich et gaufriers, appareils pour repas informels, bouilloires électriques, barbecues et grils, mini-fours, préparateurs culinaires, friteuses, cafetières électriques, grille-pain, et n'excluait pas le renforcement de cette position sur deux marchés supplémentaires, celui des fers vapeur et des cuiseurs vapeur.

12. Le ministre a, cependant, autorisé la réalisation sans conditions de l'opération, estimant que les conditions d'application de l'exception de l'entreprise défaillante, telles que définies par la jurisprudence européenne, étaient réunies, tout en retenant une définition légèrement différente de celle appréciée par le Conseil, en ce qui concerne le troisième critère. Selon lui, en effet, le transfert des parts de marché de Moulinex vers SEB, constaté à la fin de l'année 2001, était partiel et temporaire, et il s'est appuyé sur une définition plus large de ce critère, fournie par la Commission dans l'affaire BASF/Euradiol/Pentochim, où cette dernière avait conclu que "la disparition du marché des actifs de l'entreprise aurait des conséquences au moins aussi néfastes pour la concurrence que la concentration, notamment à l'égard des consommateurs". Au cas d'espèce, le ministre a estimé que la disparition des actifs de Moulinex aurait créé un "goulet d'étranglement" dans l'approvisionnement des rayons et une hausse des prix, défavorable aux consommateurs. Il évoque également les conséquences néfastes pour les consommateurs de la disparition du service après-vente de Moulinex.

13. La décision ministérielle a été contestée par les concurrents du groupe SEB/Moulinex, à savoir Philips, De Longhi et Babyliss, qui ont formé un recours devant le Conseil d'Etat. Pour annuler la décision déférée, le Conseil d'Etat a jugé, en ce qui concerne l'application du troisième critère, qu'il n'était pas établi qu'en cas de liquidation, tous les actifs de Moulinex auraient disparu. Envisageant, notamment, l'hypothèse d'un rachat des marques du groupe, Moulinex et Krups, la haute assemblée a considéré que cette hypothèse ne pouvait être écartée, le ministre ayant indiqué dans sa décision, que la marque était un critère essentiel d'achat et qu'elle constituait une barrière à l'entrée, " compte tenu de la faiblesse des linéaires qui oblige les distributeurs à restreindre l'offre pour l'essentiel aux marques incontournables". Enfin, le Conseil d'Etat a retenu qu'il n'était pas démontré que la disparition de Moulinex aurait créé un goulet d'étranglement dans l'approvisionnement des magasins et donc une hausse des prix, préjudiciable au consommateur, dès lors que les concurrents auraient, en effet, pu combler le vide créé par la disparition de Moulinex et augmenter leur offre, les produits en cause étant peu sophistiqués et les producteurs, notamment asiatiques, étant à même de répondre rapidement à une augmentation de la demande.

La suite de la procédure devant les instances européennes : l'arrêt Philips du 6 février 2003, l'arrêt Babyliss du 3 avril 2003 et la décision de la Commission Européenne du 11 novembre 2003.

14. Les concurrents de SEB ont, par ailleurs, contesté les décisions de la Commission européenne devant le TPICE. Ainsi, la société Philips, soutenue par la société De Longhi, a formé deux recours, l'un contre la décision de renvoi du dossier aux autorités françaises, l'autre contre la décision valant approbation de l'opération sous réserve d'engagements dans neuf des marchés géographiques concernés. A l'appui du premier recours, ces sociétés invoquaient la contradiction existant entre la motivation de la décision de renvoi, fondée sur une atteinte à la concurrence, et la décision du ministre de l'Economie français, qui a autorisé l'opération sans conditions. Elles soutenaient que les autorités de concurrence françaises étaient liées par les termes de la décision de renvoi et qu'elles ne pouvaient pas approuver l'opération sans demander des engagements. Le Tribunal a rejeté ce moyen aux motifs que les deux décisions en cause n'avaient pas le même objet et qu'il n'existait pas de lien entre elles. Il a confirmé que l'examen de la situation concurrentielle, effectué par la Commission à l'occasion du renvoi, était un examen " prima facie " qui avait uniquement pour but de déterminer si les conditions du renvoi sont réunies : " la Commission ne saurait, sous peine de priver l'article 9, paragraphe 3, premier alinéa sous b) de sa substance, se livrer à un examen de la compatibilité de la concentration de nature à lier les autorités nationales concernées quant au fond, mais elle doit se borner à vérifier, au terme d'un examen prima facie, si, sur la base des éléments dont elle dispose au moment de l'appréciation du bien fondé de la demande de renvoi, la concentration faisant l'objet de la demande de renvoi menace de créer ou de renforcer une position dominante sur les marchés concernés ". Les résultats de cet examen " prima facie " ne préjugent pas, selon le TPICE, des conclusions des autorités nationales de concurrence à l'issue de l'analyse approfondie qu'elles pourront faire de l'opération. Le Tribunal a également débouté la société Philips et la société De Longhi de leur second recours.

15. De même, la société Babyliss, soutenue par la société De Longhi, a contesté devant le TPICE la décision de la Commission, également du 8 janvier 2002, approuvant l'opération, sous conditions, du rachat de Moulinex par SEB. Quatre moyens étaient mis au service du recours. Le premier moyen, pris de l'acceptation par la Commission d'engagements trop tardifs de SEB, a été rejeté par le Tribunal. Le deuxième moyen alléguait l'erreur de droit commise par la Commission, qui aurait autorisé la concentration au terme de la phase 1, sans ouvrir la phase 2. Ce moyen a été rejeté au motif que " ni les problèmes de concurrence en cause, ni la nature des engagements proposés par SEB et le délai imparti aux tiers n'étaient de nature à empêcher que des doutes sérieux pouvaient être dissipés au terme de la phase 1 ". Le quatrième moyen mettait en cause le fait que la Commission n'avait pas examiné le prix (dérisoire selon Babyliss) payé par SEB pour la reprise de Moulinex, et l'éventuel concours financier apporté par l'Etat français, de nature à renforcer la position de SEB. Ce moyen a également été rejeté par le Tribunal. Enfin, le troisième moyen, divisé en cinq branches, se fondait sur l'affirmation selon laquelle la Commission aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en choisissant des engagements insuffisants pour résoudre les problèmes de concurrence posés. Seule la dernière branche a été accueillie, qui faisait valoir qu'aucun engagement n'avait été imposé à SEB sur certains marchés géographiques [Italie, Espagne, Royaume-Uni, Irlande, Norvège, Finlande] alors que ces marchés auraient présenté des problèmes de concurrence beaucoup plus sérieux que d'autres marchés géographiques où SEB avait été contraint de renoncer à l'usage de la marque Moulinex pendant 8 ans. Le Tribunal a, en effet, considéré que la Commission n'avait pas appliqué, sur ces marchés où elle n'avait pas exigé d'engagements, le raisonnement qu'elle indiquait avoir suivi sur les autres marchés géographiques examinés et a donc annulé la décision attaquée en ce qui concerne les cinq marchés géographiques en cause.

16. Après avoir repris l'analyse de ces cinq marchés, la Commission a, au terme d'un examen de seconde phase, autorisé l'opération sans condition dans une décision du 11 novembre 2003. Elle a constaté que lorsque les parts de marché du nouveau groupe sont élevées, elles sont toujours contrebalancées par la présence de concurrents puissants, qui sont, soit des grands groupes internationaux (Philips, De Longhi, Braun, BSH), soit des marques nationales ou des marques appartenant à des distributeurs (MDD) ainsi que par le pouvoir de négociation de la grande distribution. En particulier, elle remarque qu'au Royaume-Uni et en Irlande, la croissance des marques de distributeurs représente " un axe important de leur développement stratégique ". Mais surtout, la Commission a constaté l'ampleur des pertes de parts de marchés subies par la nouvelle entité du fait des difficultés de Moulinex, pertes qui sont évaluées à au moins 20 % sur chacun des marchés de produits en Espagne, au moins 30 % sur chaque marché en Italie, au moins 30 % sur chaque marché et, pour la majorité d'entre eux, à plus de 50 %, au Royaume-Uni et en Irlande, au moins 50 % sur chaque marché en Finlande. Ces pertes de parts de marché ne lui ont pas paru récupérables. Pour la Commission, le groupe SEB n'est pas non plus, dans ces pays, en mesure de bénéficier d'un effet dû à l'étendue de son portefeuille de marques, faute de détenir des positions suffisamment fortes sur les marchés de produits concernés.

III. La délimitation des marchés concernés par l'opération

17. Les marchés pertinents ont été déjà définis au cours des différentes étapes de la procédure, tant nationales que communautaires. Toutefois, le transfert des achats de fers à vapeur au profit de centrales vapeur s'étant accentué depuis deux ans, et les deux produits ayant des gammes de prix très différentes, ces deux marchés seront désormais analysés séparément, portant ainsi le nombre des marchés examinés à treize : friteuses électriques, grille-pain, cafetières électriques, machines expresso, bouilloires, fours posables, barbecues et grils électriques, cuiseurs vapeur, appareils à sandwich et à gaufres, préparateurs culinaires, appareils pour repas informels (raclette, pierrades etc.), fers à vapeur et centrales vapeur.

18. Comme en 2002, il y a lieu de retenir une délimitation nationale des marchés de produits concernés.

IV. Bilan de l'opération sur la concurrence

19. Contrairement aux cas les plus fréquents dans lesquels les opérations de concentration font l'objet de la part des autorités de la concurrence d'un examen " a priori " , les circonstances propres à la présente affaire permettent d'analyser les effets de la concentration réalisée en 2001 sur la base de constatations objectives et quantifiées faites sur les marchés concernés pendant une période s'étendant jusqu'aux premiers mois de l'année 2004, notamment en ce qui concerne l'évolution des parts de marché, des prix et le comportement des concurrents et des distributeurs.

A - LES EFFETS DE L'OPÉRATION SUR LES PARTS DE MARCHÉ

20. S'agissant d'une opération de rachat partiel d'actif réalisée à la fin de l'année 2001, les effets de l'opération sur les parts de marché peuvent être appréciés en comparant l'évolution des parts de marché des différents intervenants sur les marchés de produits concernés entre l'année précédant l'opération, soit 2000, et la dernière année disponible, soit 2003. Les données disponibles pour le premier trimestre 2004 seront également examinées, le cas échéant, étant toutefois précisé que, sur ces marchés, les données trimestrielles ne permettent pas de prendre en compte les pics de saisonnalité tels la fête des mères ou les fêtes de fin d'année.

21. En 2002, le Conseil, pour apprécier l'impact de l'opération, avait appuyé son analyse prospective sur les statistiques élaborées par le Gifam (Groupement Interprofessionnel des Fabricants d'Appareils d'équipement Ménager), corrigées par SEB, ces données n'incluant pas les marques de distributeurs (MDD) et seulement une partie des importations. 22. La présente analyse prend en compte les données élaborées par l'institut GFK, lequel donne, pour un panel de magasins représentatif à 86 % du marché total, les ventes de PEM aux consommateurs. Elles permettent d'apprécier le taux de pénétration des produits des différentes marques auprès du consommateur final. Les marques de distributeurs sont identifiées (MDD). Les marques " Autres " regroupent essentiellement les produits d'importation dits " sans marques " et les marques secondaires, quand la part de marché qu'elles détiennent ne justifient pas une comptabilisation à part.

23. La société SEB propose une évaluation des 14 % du marché total non couvert par les données GFK, dont la prise en compte aboutit à des parts de marché inférieures pour le nouveau groupe. Les données qui soutiennent cette évaluation n'ont cependant pas été fournies. Dans ces conditions, les données GFK, utilisées et acceptées par l'ensemble des acteurs du marché, apparaissent comme une base dont l'objectivité ne peut être mise en doute. En tout état de cause, les tendances telles qu'elles ressortent des données GFK, sont similaires à celles données par l'évaluation de SEB.

24. En 2003, la part représentée par chaque catégorie de produits dans le total des ventes des 13 catégories examinées, en valeur et en volume, est décrite dans le tableau ci-dessous. Le groupe Moulinex étant très peu présent sur le marché des soins de la personne, avant l'opération, l'examen de ce marché ne sera pas repris.

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25. Le tableau suivant récapitule l'évolution, par catégorie de produits, des parts de marché Seb et Moulinex entre 2000 (2001 pour les sandwich-gaufriers et les appareils pour repas informels) et 2003. Les catégories de produits sont classées par ordre décroissant au regard de la part de marché cumulée du groupe en 2003.

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26. Dans le même ordre, les tableaux 1 à 13 ci-dessous détaillent, par marque et par ordre décroissant, les évolutions constatées pour chacun des marchés concernés. Les marques du groupe Seb et du groupe De Longhi font, de plus, l'objet d'un total (total entité).

1. Le marché des appareils de repas informels

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2. Le marché des sandwich-gaufrier

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3. Le marché des cuiseurs vapeur

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4. Le marché des fours posables

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5. Le marché des barbecues et grils électriques

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6. Le marché des fers vapeurs

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7. Le marché des bouilloires électriques

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8. Le marché des friteuses électriques

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9. Le marché des grille-pain

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10. Le marché des appareils de préparation culinaire

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11. Le marché des cafetières filtres

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12. Les centrales vapeur :

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13. Le marché des expressos

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27. Sur l'ensemble des marchés concernés, les parts du nouveau groupe en 2003 sont sensiblement inférieures au cumul des parts de marché du groupe SEB et du groupe Moulinex en 2000. Ce recul est essentiellement imputable à la chute des parts de marché des produits du groupe Moulinex, qui ne se maintient que sur le seul marché du sandwich-gaufrier. Seb recule sur 4 marchés (sandwich-gaufrier, grille-pain, cafetières filtre, expressos), ce recul étant toutefois de moindre ampleur que celui de Moulinex.

28. Sur 3 marchés (friteuses, expressos et cafetières filtres), le recul global du groupe est supérieur à 20 points. Sur 2 marchés (barbecues et grille-pain), la chute est supérieure à 10 points. Sur 6 marchés (centrales vapeur, préparation culinaire, repas informels, bouilloires, fers vapeur, mini-fours), le recul est compris entre 5 et 10 points. Enfin, sur 2 marchés (cuisson vapeur, sandwich gaufrier), le recul est inférieur à 5 points.

29. La baisse des parts de marché des marques de l'ancien groupe Moulinex s'explique en partie par les difficultés rencontrées au cours de l'année 2001 par le groupe et qui ont conduit à sa cessation de paiement. Les ruptures d'approvisionnement constatées alors par les distributeurs les ont amenés à remplacer les produits à la marque Moulinex par d'autres marques. Par ailleurs, le groupe SEB n'a repris qu'une partie des actifs du groupe Moulinex et a, depuis lors, restructuré l'ensemble des gammes, supprimant les produits non compétitifs. Pour certains produits, seules certaines références ont été supprimées (fers vapeur, cafetières filtres, mini-fours, friteuses, cuiseurs vapeur). Pour d'autres, c'est toute la gamme dont la production a été arrêtée (fours compacts Moulinex, barbecues Moulinex, fers Krups, cuiseurs à riz Moulinex).

30. Par ailleurs, comme l'indiquent les déclarations des distributeurs cités dans la partie E ci-dessous du présent avis, certains d'entre eux, confrontés à la réduction du nombre de leurs fournisseurs consécutive à l'opération, ont souhaité réduire leurs achats auprès du nouveau groupe et diversifier leurs approvisionnements.

31. L'écart entre les parts cumulées de 2000 et les parts constatées en 2003 est plus marqué en volume qu'en valeur, confirmant le repositionnement du nouveau groupe vers des produits plus chers. L'arrêt de la fabrication d'un certain nombre de produits de la marque Moulinex concerne en effet essentiellement des produits bas de gamme, non compétitifs face aux marques de distributeurs et aux marques premier prix. Le groupe SEB déclare également avoir abandonné la vente de produits d'entrée de gamme à la marque SEB (grille-pain notamment).

32. Les parts de marché perdues par la marque Moulinex ont été redistribuées entre les autres marques du nouveau groupe, les grandes marques concurrentes, les MDD et les produits " autres ". En valeur, les évolutions entre 2000 et 2003 sont les suivantes :

Sur le marché des appareils de repas informels, le recul de Moulinex s'élève à plus de 7 points qui sont récupérés essentiellement par les produits sans marques (+5,6 points) et par Tefal (+2,7 points).

Sur le marché des sandwich-gaufrier, la répartition est restée relativement stable, avec une légère progression des marques Lagrange et Séverin, au dépens de la marque Vivalp, appartenant au groupe SEB.

Sur le marché des cuiseurs-vapeur, les pertes de Moulinex (-18,8 points) sont essentiellement récupérées par SEB (-18,4 points).

Pour les fours posables, Moulinex recule de 26 points, au profit de SEB (+10,3 points), Rowenta (+10 points) et du groupe De Longhi (+ 5,1 points).

Sur le marché des barbecues-grills, Moulinex disparaît du marché (-11,3 points), au profit de Tefal (+3,4 points), Severin (+ 4 points) et des produits sans marques (+6 points).

En fers-vapeurs, les parts de Moulinex (-7 points) sont reprises par Rowenta (+4,3 points) et Philips (+7 points).

Sur le marché des bouilloires, les pertes de Moulinex (-13,2 points) sont récupérées au principal par les MDD (+10,7 points).

En friteuses, les 26,6 points perdus par Moulinex sont récupérés par la plupart des fabricants présents sur ce marché (SEB, +3,4 points ; groupe De Longhi, +4,1 points ; Philips, + 9 points ; Magimix, +2,8 points ; produits sans marques, +5,6 points).

En grille-pain, Moulinex perd 13,7 points, au profit des produits sans marques (+ 5 points) et des MDD (+7 points).

Pour les appareils de préparation culinaire, le recul de Moulinex (-12 points) profite aux autres marques du groupe (+5,2 points), aux produits sans marques (+3 points) et, de façon plus marginale, à Braun et Kenwood (+1,5 points chacuns).

Le marché des cafetières filtres est marqué par un recul important de Moulinex (24 points) au profit de Philips (+20 points) et des MDD (+5 points).

Le recul de Moulinex est plus limité (-4,2 points) sur le marché des centrales vapeur au profit des ventes de produits Calor (+5 points) et sans marque.

En expressos, c'est la marque Krups qui recule (-17,4 points) parallèlement à la progression de Magimix (+19,1 points) et de De Longhi (+ 11 points).

33. Au total, le nouveau groupe détient, en 2003, des parts de marché très importantes sur la totalité des 13 marchés. En valeur, elles sont comprises entre 30 et 50 % sur trois marchés (cafetières, centrales vapeur, expressos). Elles sont comprises entre 50 et 70 % sur 6 marchés (barbecue, grills, fers vapeur, bouilloires, friteuses, grille-pain, préparateurs culinaires) et supérieures à 70 % sur quatre d'entre eux (mini-fours, repas informels, sandwich gaufriers, cuiseurs vapeur). Sur cinq marchés, la part du nouveau groupe est cependant supérieure de moins de 5 points à celle que détenait le seul groupe SEB avant l'opération (repas informels, cuiseur vapeur, barbecue, fers vapeur, centrale vapeur). Sur deux d'entre eux, le gain de parts de marché que réalise l'ancien groupe SEB grâce à l'acquisition est compris entre 5 et 10 points (mini-fours, friteuses). Sur les six autres marchés, le gain de part de marché du nouveau groupe, par rapport au groupe SEB en 2000, est de 11,6 points (sandwich-gaufriers), 15,2 points (bouilloires), 18,9 points (grille-pain), 20,1 points (cafetières), 29,3 points (expressos), 34,1 points (préparation culinaire).

34. En volume, les positions sont moins fortes, traduisant là encore le repositionnement sur le haut de gamme du nouveau groupe. La différence avec les positions en valeur est particulièrement sensible pour les bouilloires (49,4 contre 62 % en valeur) et les grille-pain (49,3 contre 56,6 % en valeur). La part de marché en volume n'est supérieure à la part en valeur que pour les préparateurs culinaires et les expressos, étant précisé que le prix moyen des produits du groupe SEB est, sur ces marchés, inférieur au prix moyen global.

35. Dans ses observations, le commissaire du gouvernement considère que les positions actuelles en valeur du groupe SEB devraient être appréciées en les comparant avec celles, théoriques, qui auraient résulté de la disparition du groupe Moulinex. Il estime que, dans ce cas, les parts de marché de Moulinex auraient été redistribuées entre les différents producteurs présents sur le marché au prorata de leur part de marché en 2000. Cette analyse fait apparaître 7 marchés sur lesquels la part de marché réelle est supérieure à la part de marché " théorique " : les bouilloires, les fours, les préparateurs culinaires, les cafetières, les grille-pain, et les cuiseurs vapeur.

36. Toutefois, les parts de marché " théoriques " n'ont pas été recalculées sur une base 100 excluant Moulinex, ce qui amène à sous-estimer de façon importante la part théorique du groupe SEB en 2003 (jusqu'à 10 points).

<emplacement tableau>

37. Surtout, la pertinence même de cette analyse est contestable, dans son principe : d'une part, elle paraît difficilement pouvoir rendre compte de la réalité économique lorsqu'il s'agit de produits très largement différenciés, notamment par leurs technologies, leurs fonctionnalités ou leurs marques ; d'autre part, le constat de la redistribution des parts de marché d'une entreprise, absorbée dans le cadre d'une opération de concentration, entre l'ensemble des entreprises présentes sur le marché concerné, peut certes indiquer que l'atteinte éventuelle portée par cette opération à la concurrence n'est pas plus importante que celle qui aurait résulté de la disparition pure et simple de l'entreprise et justifier la prise en compte de l'exception de l'entreprise défaillante, lorsque les autres critères sont vérifiés. En revanche, le fait que l'acquéreur récupère une part de marché supérieure à sa part théorique n'indique pas, en lui-même, que l'opération porte effectivement atteinte à la concurrence. La prise en compte systématique d'un tel critère dans l'analyse concurrentielle des effets d'une concentration, reviendrait à exiger qu'une entreprise qui investit dans l'acquisition d'actifs n'en retire pas plus de bénéfice que ses concurrents, exigence qui excèderait ce qui serait strictement nécessaire au maintien d'une concurrence effective.

38. La comparaison entre parts de marchés réelles et parts de marché théoriques ne saurait donc remettre en cause les commentaires développés aux paragraphes 26 à 34 ci-dessus sur les évolutions des parts de marché effectivement constatées en valeur et en volume.

39. Les principaux concurrents du groupe SEB (Philips, De Longhi, Babyliss) soutiennent que les pertes de parts de marché des produits à la marque Moulinex ne sont que temporaires et seront rapidement récupérées. La Commission, sur les quatre marchés examinés dans sa décision du 11 novembre 2003 (Espagne, Finlande, Italie, Royaume-Uni et Irlande), a également constaté que les parts de marché de Moulinex ou Krups avait fortement chuté depuis la faillite du groupe en septembre 2001 et s'est interrogée sur le potentiel de récupération de ces marques. Elle a considéré que la prise en compte d'un tel potentiel était cependant soumise à deux conditions cumulatives et interdépendantes : d'une part, la récupération doit être suffisamment probable, et d'autre part, il faut qu'elle soit le résultat direct de la concentration. Elle a, en premier lieu, estimé que la récupération des parts de marché perdues était peu probable lorsque la commercialisation de produits à la marque Moulinex avait été arrêtée ou que les produits Moulinex avaient disparu de certains segments de marché, situés en entrée de gamme, et avaient migré vers des segments plus chers. Dans les deux cas, la Commission note que, pour reconquérir le marché, ou un segment de marché différent de celui sur lequel elle était connue auparavant, le nouveau propriétaire de la marque Moulinex devra regagner la confiance des consommateurs et des distributeurs, avec des produits innovants et des investissements promotionnels importants. Les parts de marché ainsi récupérées ne seraient alors que partiellement le résultat de la valeur de la marque Moulinex et ne présenteraient donc que partiellement un lien direct avec l'opération de concentration. Elle a aussi précisé que, compte tenu du renouvellement rapide des produits, le potentiel de récupération ne pouvait être pris en compte que pour les trois années suivant l'opération. Plus spécifiquement, la Commission note, s'agissant du marché des fours posables en Espagne, que les parts de marché auparavant détenues grâce à des modèles vendus avec des marges négatives, ne pourront pas être considérées comme étant récupérées, puisque cette politique n'était pas viable et est à l'origine des difficultés du groupe Moulinex. En second lieu, la Commission a jugé peu probable la récupération des parts de marché lorsque celles-ci avaient déjà été récupérées par des concurrents forts ou sur les produits pour lesquels les marques Moulinex ou Krups ne bénéficient que d'une faible notoriété.

40. En ce qui concerne les marchés français, cette dernière condition n'est pas vérifiée, les marques Moulinex et Krups étant notoires. En revanche, sur plusieurs des marchés concernés, une partie des parts perdues par la marque Moulinex a été récupérée par une ou plusieurs marques notoires : De Longhi, en fours posables (+5,1 points) ; Philips, en fers vapeur (+7 points) ; De Longhi, Philips et Magimix en friteuses (+15,9 points au total) ; Philips, pour les cafetières filtres (+20 points) ; Magimix et De Longhi, pour les expressos (+30 points au total). Par ailleurs, les produits à la marque Moulinex disparaissent quasiment de certains marchés (cuiseurs vapeurs, barbecues, centrale vapeur). Plus généralement, comme précisé ci-dessus, le recul de Moulinex est largement dû à l'arrêt de la fabrication de nombreuses références, dont SEB déclare qu'elles étaient sources de pertes pour l'ancien groupe, parce qu'elles rivalisaient directement avec des produits équivalents, fabriqués avec des coûts moindres en Chine. Les produits sans marques et les MDD ont pris la place de la marque Moulinex pour les marchés concernés (appareils de repas informels, barbecues-grills, bouilloires, grille-pain, cafetières filtres). SEB a déclaré avoir quasiment abandonné le premier quartile pour de nombreux produits et avoir repositionné ses marques vers le haut de gamme. Aussi, près de trois ans après la reprise des actifs Moulinex par SEB, une éventuelle reconquête par le groupe SEB, au cours des prochaines années, des parts de marché perdues par Moulinex ou Krups, devrait s'appuyer sur des produits innovants et des investissements publicitaires et relèverait donc des mérites propres du nouveau groupe et non des effets de cette acquisition.

B. LES EFFETS DE L'OPÉRATION SUR L'ÉVOLUTION DES PRIX DE VENTE.

41. S'agissant d'une analyse portant sur une opération réalisée depuis plus de deux ans, et sur des marchés de grande consommation où sont effectués des relevés de prix réguliers, il est possible, parallèlement à une appréciation des conditions d'exercice de la concurrence, de constater l'évolution des prix sur ces marchés depuis l'opération.

42. Toutefois, compte tenu des caractéristiques des marchés en cause, l'interprétation des données de prix disponibles doit être effectuée avec prudence. En premier lieu, ces marchés se caractérisent par une grande différenciation des produits et des gammes de prix étendues pour un même produit(de 10 euro à plus de 60 euro pour une bouilloire). Certains des marchés identifiés sont, de plus, composés de produits très divers, comme celui des préparateurs culinaires, qui inclut tant les couteaux électriques que les robots multifonction, avec des gammes de prix encore plus étendues. En second lieu, le renouvellement des produits est très rapide (30 % de nouveaux produits tous les ans). Tant les producteurs que les distributeurs soulignent à la fois le rôle important joué par l'innovation, qui tire les prix vers le haut, et la tendance à la délocalisation de la production vers des pays à bas coûts de main d'ouvre, qui tire les prix vers le bas. En conséquence, la simple observation d'une hausse des prix moyens ne permet pas de faire la part entre les effets de structure liés à une répartition différente du marché entre produits à bas prix et produits chers, les hausses de prix moyens liées à l'innovation, et d'éventuelles hausses de prix résultant d'une réduction de l'intensité du jeu concurrentiel.

43. De plus, il existe trois niveaux de prix, dont l'évolution dépend, comme pour tous les produits de grande consommation, non seulement des facteurs décrits ci-dessus sur les marchés de produits, mais également de la puissance d'achat de la distribution et de l'intensité concurrentielle sur les marchés de la distribution :Le prix de vente au consommateur, fixé par les distributeurs dans le cadre de la loi interdisant la revente à perte Le prix de gros, facturé par le fabricant au distributeur dans le cadre de ses conditions générales de vente Le prix net/net, qui est le prix d'achat final des distributeurs, remises arrières et de fin d'année déduites

44. S'agissant du prix de gros et du prix net/net, [...] ont confirmé lors de la séance les réponses données par l'ensemble des distributeurs selon lesquelles le groupe Seb n'a pas augmenté ses prix de vente consécutivement à la concentration. Le groupement E. Leclerc avait indiqué, à propos des négociations annuelles 2004 : " Le rapprochement de SEB et de Moulinex a conduit le Galec à poursuivre la diversification de ses sources d'approvisionnement (...). Cette tendance de fond n'était pas due à une hausse de tarif plus marquée du groupe SEB-Moulinex par rapport à ses concurrents. ".

45. S'agissant du prix de vente consommateur, les données GFK permettent de calculer un prix moyen par marque et par marché. Il est donc possible de comparer l'évolution du prix moyen du marché de 2000 (indice 100) à 2003 à celle du prix moyen des marques du groupe SEB/Moulinex et à celle de ses principaux concurrents.

46. Sur trois marchés, les cafetières filtres, les expressos et les cuiseurs vapeur, le prix moyen des produits de la nouvelle entité a augmenté moins fortement que le prix moyen de l'ensemble du marché :

<emplacement tableau>

47. Sur le marché des appareils à repas informels, la progression du prix moyen des produits du nouveau groupe a été parallèle à celle du prix moyen du marché :

<emplacement tableau>

48. Sur trois marchés, les bouilloires, les grille-pain et les centrales vapeur, la nouvelle entité a des prix moyens qui augmentent par rapport au prix du marché en 2000, alors que les prix du marché sont à la baisse :

<emplacement tableau>

49. Sur les six autres marchés (friteuses, fers à vapeur, barbecues/grills, fours, sandwich-gaufriers, préparateurs culinaires), les prix moyens des produits du groupe SEB augmentent plus vite que le prix moyen du marché :

<emplacement tableau>

50. Par ailleurs, le groupe SEB a fourni quelques exemples de prix IFR (Institut Français de Recherche) pour des références précises, issus de relevés dans les magasins, rassemblés dans le tableau ci-dessous.

<emplacement tableau>

51. Le commissaire du gouvernement souligne dans ses observations que les marchés sur lesquels le prix moyen des produits du groupe SEB a enregistré une hausse plus forte que celle du prix moyen du marché sont précisément ceux pour lesquels il a noté que les parts de marché du nouveau groupe sont supérieures aux parts de marché théoriques dont la méthode de calcul a été exposée ci-dessus, au paragraphe 35. Il observe que si le groupe SEB explique ces hausses par une montée en gamme de ses produits, il conviendrait qu'il apporte des éléments relatifs à l'évolution des coûts marginaux et des marges qui complèteraient utilement celles concernant le changement de quartile déjà fourni.

52. Selon SEB, les hausses de prix moyens constatées pour ses produits s'expliquent essentiellement par un effet de structure, dû au repositionnement de ses gammes de produits vers le haut. La chute de ses ventes sur les produits à bas prix, liée à une perte de compétitivité par rapport aux produits importés, et à l'arrêt de la production de nombreuses références à bas prix (cf. paragraphe 27 ci-dessus) ont arithmétiquement entraîné une hausse des prix moyens de ses fabrications, du fait du poids moins important des produits à bas prix dans son " mix-produits ".

53. Par exemple, s'agissant des friteuses, les prix de Moulinex ont progressé de [20-30] % de 2000 à 2003 contre seulement [0-10] % pour l'ensemble du marché. SEB expose qu'elle n'a pas repris l'usine de Bayeux, dédiée à la fabrication de ces appareils, en raison de ses coûts de production trop élevés, ce qui explique la chute des ventes en volume de 37 % du marché en 2000 à 8 % en 2003, et que la gamme s'est réduite à un modèle positionné en haut de gamme. La hausse de [20-30] % du prix moyen reflète donc le passage d'une gamme comprenant des modèles à tous les prix à une gamme ne comportant plus qu'un modèle cher.

54. De même, SEB déclare avoir arrêté la production des barbecues Moulinex, dont le prix moyen tel qu'il ressort des statistiques GFK, après avoir baissé de [10-20] % de 2000 à 2002, a fait un bond de [70-80] % en 2003, ce qui correspond, de fait, à la mise sur le marché d'un nouveau modèle dans une gamme de prix très supérieure à celle des modèles dont la production a été arrêtée.

55. Les gammes de mini-fours ont également été fortement restructurées, SEB déclarant avoir supprimé deux des trois gammes existantes (Maxichef et Optichef), correspondant à 94 % des ventes de 2000. Concernant l'évolution du prix moyen de l'ensemble des marques SEB, Tefal, la marque la plus chère, a progressé au détriment de Vivalp, la marque d'entrée de gamme.

56. Sur le marché des préparateurs culinaires, sur lequel les hausses de prix constatées sont très fortes, Philips déclare que " le prix moyen de vente des appareils de préparation culinaire a augmenté (...) du fait de l'évolution du mix des segments : les robots ont renforcé leur position par rapport aux mixeurs et aux batteurs, familles qui en plus connaissent une augmentation des produits d'importation à bas prix et des MDD ". Ce marché très disparate présente des écarts de prix très larges (de 10euro pour un batteur à 400euro pour un robot haut de gamme Magimix). L' évolution du prix moyen des préparateurs culinaires à la marque Bosch, qui est une marque concurrente, passé de 39euro en 2001 à 259euro en 2003, illustre cet effet de " mix-produit ".

57. Les évolutions de prix moyens de produits comme les grille-pain ou les bouilloires sont, par ailleurs, tirées vers le bas par la concurrence des marques de distributeurs et des premiers prix. En volume, les ventes de MDD en bouilloires ont progressé de 1,3 % à 21,9 % du total des ventes de 2000 à 2003. Sur le marché des grille-pain, les MDD sont passées de 5,3 à 18,5 % des ventes.

58. Ces effets de structure ont été confirmés par [...] en séance, qui lui imputent l'essentiel des mouvements de prix constatés.

59. SEB explique, par ailleurs, qu'à référence constante, les prix n'évoluent jamais à la hausse, mais plutôt à la baisse.Les quelques données de prix par référence extraites des relevés de prix IFR (cf. tableau au paragraphe 50 ci-dessus), fournies par le groupe, confirment ces déclarations. La succession très rapide des références rend ce type d'évolution plausible : au fur et à mesure que de nouveaux produits apparaissent dans les gammes, les anciens modèles font l'objet de discount.

60. Quant aux nouveaux produits mis sur le marché, ils peuvent présenter un caractère innovant plus ou moins important qui rend leur prix difficilement comparable à celui des produits qu'ils sont censés remplacer. La simple mise en regard de l'évolution des coûts marginaux de production des anciens produits et de ceux des nouveaux produits, d'une part, et de leurs prix de vente au détail, d'autre part, ne pourrait suffire à caractériser comme excessives, ou non excessives, les hausses de prix constatées. L'évolution des coûts marginaux peut, en effet, recouvrir à la fois des baisses de coûts, résultant des restructurations industrielles réalisées par SEB à la suite de l'acquisition des actifs de Moulinex, et des hausses de coûts, liées à l'amélioration de la qualité. Dans ces conditions, une hausse de la marge sur ces nouveaux produits peut être justifiée par des gains d'efficacité mais le partage de ces gains entre la marge et une modération de la hausse des prix aux consommateurs, qui augmenterait moins vite que ce que l'amélioration de la qualité des produits justifierait, ne peut être mesuré.

61. Au total, les évolutions de prix relevées sur les marchés concernés, nonobstant les problèmes de lecture signalés, n'indiquent pas que l'opération aurait eu pour effet de renforcer le pouvoir de marché du nouveau groupe.

C- LA PRÉSENCE SUR LES MARCHÉS CONCERNÉS DE GRANDS GROUPES DÉTENANT DES MARQUES NOTOIRES

62. Dans son avis du 15 mai 2002, le Conseil constatait que les concurrents du groupe SEB sur les marchés du petit électroménager étaient de grands groupes au potentiel de recherche développement important, qui détenaient également des marques notoires et que, pour ces entités, l'entrée sur les marchés ne posait pas de difficultés. Il estimait que ces groupes, d'envergure internationale, de taille et/ou de réputation au moins équivalente à celle du groupe SEB/Moulinex, tels que Philips, Gillette-Braun, De Longhi/Kenwood, Bosch/Siemens, disposaient des moyens, tant financiers que techniques, de développer des gammes de produits nouvelles dans l'hypothèse où ils envisageraient de le faire, et que, de plus, ils bénéficiaient de coûts de production plus bas que ceux du groupe SEB, grâce à la localisation de leurs production dans des pays à bas coûts de main d'œuvre.

1 Les principaux concurrents du groupe SEB sur les marchés concernés.

63. La société Philips est une holding diversifiée intervenant sur les marchés de l'électronique grand public, de l'éclairage, des composants, des semi-conducteurs etc. L'activité appareils domestiques (PEM) est une branche plutôt modeste de son activité qui a réalisé en 2003 un CA mondial de 2 131 millions d'euro soit 7,4 % du chiffre d'affaires total de Philips. En France, Philips a réalisé un CA total de [...]Meuro dont [...]au titre du PEM (9 % de l'activité). Philips a une stratégie mono-marque, avec la marque du même nom, sur toutes ses branches d'activité.

64. La société Babyliss possède les marques Babyliss, Interplak, Forfex et Cuisinart en PEM en France. Babyliss est une marque leader en soins de la personne mais Cuisinart est une marque tout récemment lancée sur le marché de la préparation culinaire.

65. La société De Longhi (Italie) intervient en France avec les marques De Longhi, Kenwood. et Ariete. Outre le PEM, la société De Longhi est un intervenant majeur sur les marchés de la climatisation, du chauffage, du traitement de l'air et du soin du linge.

66. Le groupe Gillette/Braun est très implanté dans les familles PEM " soins de la personne " (rasoirs, tondeuses, épilateurs, sèche-cheveux, brosse électrique, tensiomètres) et les préparateurs culinaires. Le groupe détient, par ailleurs, une position de leader sur le marché du rasage mécanique avec la marque Gillette.

67. Magimix est une société française dont les produits sont situés en haut de gamme. Ils ne sont <emplacement tableau>

2 Evolution de la pénétration des marques concurrentes

68. Les groupes susvisés, bien implantés sur les marchés du PEM dans de nombreux pays, détenaient, en 2001, sur les marchés français, des parts très inférieures à celles résultant du cumul des positions de SEB et de Moulinex. Le Conseil avait cependant relevé que les marques concernées développaient leur présence en France, dans un contexte de net recul de la demande. Depuis lors, ainsi qu'il ressort de la description de l'évolution des parts de marché faite au paragraphe 26 ci-dessus, ces groupes ont également bénéficié de la disparition des rayons de nombreux produits de marque Moulinex. Les évolutions constatées illustrent aussi le rôle moteur joué sur ces marchés par l'innovation, les positions des différents producteurs ayant été sensiblement bouleversées sur quelques marchés par l'apparition de nouveaux produits.

69. Depuis 2000, Philips a considérablement amélioré ses positions sur le PEM en France. Sur les 7 marchés où il est présent, ses positions, en valeur, sont restées stables pour quatre d'entre eux (centrales vapeur, grille-pain, préparateurs culinaires et bouilloires) et ont progressé plus ou moins fortement sur les trois autres. En fers vapeur, Philips est passé d'une part de marché de 17,6 % en 2000 à 24,7 % en 2003. En friteuses, Philips progresse aussi fortement, sa part ayant progressé de 1,4 % à 10,3 %. Sur le marché des cafetières filtres, la gamme Senséo a été accueillie comme une innovation majeure et lui a permis, avec un prix sensiblement plus élevé que les cafetières filtres traditionnelles, de passer de 13.5 % à 36 % du marché en valeur entre 2000 et 2003.

70. De Longhi a connu, sur la même période, une légère érosion de ses parts sur les marchés de la préparation culinaire, des cuiseurs vapeur, et des barbecues-grils. En revanche, il progresse de 2,6 à 4,5 % de marché en centrales vapeur ; de 7,2 % à 11,7 % en friteuses électriques, de 2,6 % à 7,7 % en fours posables et de 4 à 15 % en expressos. Au total, le chiffre d'affaires De Longhi/Kenwood a évolué comme suit en 2003 auprès des différents circuits de distribution : + 26 % en hypermarchés, + 8,1 % chez les multi-spécialistes et spécialistes, + 14 % en grands magasins, ces trois catégories représentant 74 % de l'activité De Longhi. Son chiffre d'affaires France, en 4 ans, est passé de 3,3 à 11,5 millions d'euros auprès des hypermarchés, de 7,2 à 12,9 millions après des spécialistes, de 1,2 à 3,6 millions auprès des multi-spécialistes, de 1,9 à 3,1 millions auprès des groupements de détaillants indépendants.

71. La marque Magimix est devenue leader sur le marché des machines expressos, passant en quatre ans de 22 % à 42 % des ventes, devant Krups (29,2 %), essentiellement grâce au succès du partenariat avec Nestlé sur le système des dosettes Nespresso. La présence de la marque s'est également développée sur le marché des friteuses, où elle est passée de 2,1 à 4,9 % des ventes. De même, en cuiseurs vapeur, la marque Magimix est passée de 0,8 % à 3,9 % de parts de marché entre 2000 et 2003. Pour les préparateurs culinaires et les grille-pain, la situation de Magimix reste stable avec une part de marché avoisinant 7 % et 3 % respectivement.

D - LE DÉVELOPPEMENT DES PRODUITS " SANS MARQUES " ET DES MARQUES DISTRIBUTEURS

72. Dans son avis 02-A-07 relatif à la reprise de Moulinex par SEB, le Conseil rappelait que, selon les distributeurs, l'accroissement des importations en provenance des pays asiatiques était l'une des principales causes de la baisse des prix constatée dans le secteur du petit électroménager. Le Conseil constatait que, pour les produits d'entrée de gamme, ou à faible contenu technologique, aucun obstacle ne s'opposait au développement des importations de produits dits " sans marque " d'Asie du sud-est, et que " le potentiel de production à bas prix en provenance des pays asiatiques peut également permettre le développement des marques de distributeurs. Les faibles écarts de prix avec les produits de marque sur l'entrée de gamme expliquent que, pour le moment, les efforts des distributeurs n'ont pas porté sur ce secteur. L'absence d'obstacles à l'entrée sur ces marchés est, cependant, de nature à renforcer le pouvoir de négociation des distributeurs ". Le Conseil avait, d'ores et déjà, constaté un accroissement rapide de la pénétration du marché français du petit électroménager par les importations en provenance des pays asiatiques pour cinq catégories de produits, représentant 60 % des ventes d'appareils de petit électroménager : fours micro-ondes, barbecues/grils, cafetières, friteuses, robots culinaires et fers vapeur.

73. L'évolution des parts de marché décrite au paragraphe 26 ci-dessus confirme cette tendance à une pénétration accrue de ces marchés par des produits d'entrée de gamme, en provenance de pays à moindres coûts de fabrication, qu'il s'agisse des MDD ou des marques " autres ".Entre 2000 et 2003, les MDD sont apparues, même modestement, sur tous les marchés, à l'exception des friteuses électriques et des cuiseurs vapeur. Ainsi, en 2003, ont trouve des MDD sur des produits à fort contenu technologique comme les expressos ou les centrales vapeur. Carrefour, Cora, Auchan et Darty ont lancé respectivement les MDD suivantes : Bluesky, Domeos, Selecline et Proline.

74. En 2003, les MDD se sont particulièrement développées sur 3 marchés de produits, au contenu technologique faible : les bouilloires dont la part de marché est passée de 0,7 à 11,4 % entre 2000 et 2003), les grille-pain (de 3,7 à 10,8 %), les cafetières filtres (de 2,1 à 7 %).

75. Les statistiques GFK regroupent dans la catégorie " autres " ce que les professionnels appellent les " no names ", c'est à dire les produits d'importation, les premiers prix et les marques ayant une petite part de marché. Il peut s'agir de " coups " promotionnels comme de marques émergentes (Georges Foreman en barbecue-gril). En tout état de cause, il s'agit de marques sans notoriété, souvent présentes dans une seule enseigne. Cette catégorie " autres " est présente sur chacun des 13 marchés et pèse plus de 10 % du marché en valeur en 2003 sur 7 d'entre eux. Compte tenu de leur faible prix de vente, les produits de cette catégorie " autres " ont une emprise encore plus forte en volume : 18,5 % du marché des grille-pain en 2003, 14,7 % du marché des expressos, 12,2 % en cuiseurs vapeur, 20,8 % en fours posables, 13,2 % en bouilloires et 14,8 % en cafetières filtres.

76. Les progressions les plus fortes sont observées sur les appareils de repas informels (de 1,4 % de part de marché en valeur en 2001 à 7 % en 2003) ; les friteuses électriques (de 4,3 % de part de marché valeur en 2000 à 9,9 % en 2003) ; les centrales vapeur (de 7,9 % de part de marché valeur en 2000 à 10,3 % en 2003) ; la préparation culinaire (de 8,5 % de part de marché valeur en 2000 à 11,6 % en 2003) ; les grille-pain (de 11,7 % de part de marché valeur en 2000 à 16,5 % en 2003) et les barbecues/grils électriques (de 4,9 % de part de marché valeur en 2000 à 10,8 % en 2003).

77. La société [...], lors de la séance, a insisté sur le fait que le développement de la présence des produits " sans marques ", particulièrement sur les linéaires du hard-discount, exerce une forte pression sur les prix de vente au détail du petit électroménager, cette pression étant cependant plus forte pour les produits à faible contenu technologique (bouilloires, grille-pain, cafetières filtres) que sur les produits plus sophistiqués, comme les robots ou les machines expressos, pour lesquels les impératifs de sécurité limitent la compression des coûts de fabrication.

78. La présence accrue sur les linéaires des produits MDD et des produits sans marque importés est également observée par Philips.

E - LE CONTREPOIDS DE LA GRANDE DISTRIBUTION

79. Dans son avis 02-A-07, le Conseil avait souligné le rôle joué par la grande distribution, notamment alimentaire, dans les ventes de PEM en France. En 2003, elle représente 67 % des ventes en volume et 51 % en valeur des marchés du PEM en 2003. Cette proportion monte jusqu'à 68 % des ventes en valeur pour les repas conviviaux et 71 % pour les barbecues-grils. Le Conseil avait également relevé la forte concentration des achats au sein de la grande distribution, les cinq premiers clients ayant représenté, en 2000, 63,5 % des ventes du groupe SEB. En revanche, il avait noté que le poids des ventes de PEM dans le chiffre d'affaires des distributeurs était faible, leur part variant entre 0,9 et 1,2 % pour la grande distribution, et entre 2 et 12 % pour la grande distribution spécialisée. Ces constatations, ainsi que les déclarations des distributeurs, confirmées par certains fabricants, avait amené le Conseil à considérer que " La grande distribution exerce une pression concurrentielle forte en raison de sa puissance d'achat. "

80. Cette situation est confirmée en 2003 par les principaux acteurs du marché. GFK, l'institut observateur des marchés en cause, note : " comme observé depuis de longues années dans les produits de grande consommation, ce sont plutôt désormais les grands distributeurs qui mènent le jeu grâce à leur taille, mais aussi à l'impact de leur opérations publi-promotionnelles. Il est d'ailleurs à noter que les grands distributeurs utilisent de plus en plus fréquemment les opérations " coups de poing " sur des produits non-alimentaires pour générer le trafic dans leurs magasins. ".

81. Babyliss fait le même constat : " En France, la grande distribution alimentaire constitue le canal de commercialisation incontournable pour les fabricants de PEM (...). En effet, en 2003, près de 70 % des ventes de produits de PEM ont été réalisées auprès des opérateurs de la grande distribution alimentaire. "

82. De fait, les distributeurs ont affirmé, comme ils l'avaient fait en 2002, qu'ils avaient pris des mesures pour conserver leurs marges de négociation vis-à-vis du nouveau groupe. Ainsi, Casino déclare : " (...) nous avons développé la gamme des fournisseurs challengers comme De Longhi, Kenwood, Séverin afin de contrer la concentration du groupe SEB. Nous avons également développé le chiffre d'affaires de Philips et Braun pour les mêmes raisons. ". Le groupement E. Leclerc déclare également : " Le rapprochement de SEB et de Moulinex a conduit le Galec à poursuivre la diversification de ses sources d'approvisionnement (...). Cette tendance de fond n'était pas due à une hausse de tarif plus marquée du groupe SEB-Moulinex par rapport à ses concurrents ". Chez But : " Nous avons présenté aux consommateurs un linéaire remodelé en fonction de la disparition de la marque Moulinex de certaines familles et donné une place plus importante à des nouveaux fournisseurs ainsi qu'à des MDD. "

83. Toutefois, outre l'importance des parts détenues sur certains des marchés examinés, le nouveau groupe issu de la concentration présente deux caractéristiques remarquables qui pourraient lui conférer, dans ses négociations avec la grande distribution, une position de force que n'auraient pas ses principaux concurrents. D'une part, il détient un portefeuille de six marques notoires. D'autre part, il est présent sur l'ensemble des marchés du PEM et est donc en mesure de proposer une gamme très large de produits aux distributeurs. Les principaux concurrents du groupe SEB, Philips, De Longhi et Babyliss, soutiennent que ces caractéristiques sont de nature à fermer encore un peu plus l'accès aux linéaires pour les marques concurrentes. Ils expliquent que, si les concurrents ont pu, dans un premier temps, récupérer une partie des parts de marché de Moulinex, les nouveaux produits que le groupe SEB s'apprête à mettre sur le marché, après avoir restructuré sa production, vont lui permettre de regagner la place perdue sur les linéaires. Philips et De Longhi avancent que, d'ores et déjà, Géant, Darty et Conforama pour le premier, et Auchan, pour le second, ont déréférencé certains de leurs modèles de friteuses. Babyliss soutient, de plus, qu'il ne parvient pas à lancer sa gamme de cuisine sous la marque Cuisinart.

1- Sur l'effet de portefeuille : le rôle joué par la notoriété des marques

84. La concentration SEB/Moulinex a ajouté les marques Moulinex et Krups au portefeuille existant, constitué des marques Calor, SEB, Tefal, Rowenta et Vivalp (cette dernière marque, d'entrée de gamme, est présente sur les marchés des sandwichs/gaufriers, appareils pour repas informels et barbecues/grills. Il est prévu que sa commercialisation soit arrêtée d'ici à fin 2004 et, en conséquence, il n'en sera pas tenu compte dans ce qui suit).

85. L'ensemble détient donc un total de six marques, sur le marché global du PEM en France. Philips est actif avec sa seule marque, présente sur de nombreux marchés (ampoules, audio visuel etc.). De Longhi intervient avec trois marques (De Longhi, Kenwood et Ariete, lancée en 2003) et Babyliss avec deux (Babyliss et Cuisinart).

86. Toutefois si l'on examine chacun des marchés, produit par produit, l'ensemble SEB/Moulinex détient alors en 2003 :

- 2 marques en friteuse, SEB et Moulinex (contre 3 en 2002, retrait de Tefal).

- 4 marques en grille pain, SEB, Moulinex, Krups et Rowenta (dont 2 représentent ensemble 4 % du marché)

- 4 marques en cafetière, SEB, Moulinex, Krups et Rowenta (dont 2 représentent ensemble 9 % du marché)

- 3 marques en expresso, Moulinex, Krups et Calor (dont 1, Moulinex, représente 0,3 % du marché et Calor 5 %)

- 4 marques en bouilloire, Moulinex, Krups, Rowenta et Téfal (dont 2 représentent ensemble 3 % du marché)

- 3 marques en four, SEB, Rowenta et Moulinex.

- 3 marques en repas informels, Moulinex, Tefal et Rowenta (cette dernière représente 0,6 % du marché).

- 2 marques en barbecue/gril, Tefal et SEB (contre 3 en 2001, retrait de Moulinex) donc situation inchangée par rapport à l'opération.

- 2 marques en cuiseur vapeur, SEB et Moulinex( cette dernière équivaut à 3 % du marché.)

- 4 marques en préparateur culinaire, SEB, Moulinex, Krups et Rowenta (dont 2 représentent ensemble 2,8 % du marché)

- 4 marques en fer vapeur, Calor, Rowenta, Moulinex et Krups (l'apport de ces 2 dernières représente 5,1 % du marché)

- 3 marques en centrale vapeur, Calor, Rowenta, Moulinex (l'apport de ces 2 dernières représente 6,4 % du marché)

- 2 marques en sandwich/gaufrier, Tefal et Moulinex.

87. Ainsi, au mieux, le nouveau groupe dispose de 1 à 2 marques réellement implantées sur chaque segment, les autres marques étant très faiblement représentées et ne s'étant pas développées depuis l'opération.

88. La Commission Européenne, dans sa décision du 11 novembre 2003, avait également observé : " sur la plupart des marchés, la nouvelle entité n'est présente qu'avec deux marques, et il y a même des marchés où elle a arrêté la commercialisation sous certaines marques (par exemple Rowenta pour les minifours et Krups pour les fers à repasser). [ainsi, en Espagne] Ce portefeuille fait face à des portefeuilles importants détenus par des concurrents tels que DeLonghi ou BSH qui disposent de deux, voire trois marques ".

89. Par ailleurs, si la détention de 6 marques peut représenter un avantage concurrentiel par le biais d'une spécialisation par segment, niveau de gamme ou circuit de distribution (par exemple Tefal et Moulinex se veulent des marques généralistes, Krups et Rowenta des marques de haut de gamme), la détention d'une multiplicité de marques induit aussi des surcoûts : pour une entreprise, entretenir la notoriété et l'image de six marques représente des investissements publicitaires plus lourds que dans le cas d'une entreprise mono-marque. De surcroît, le coût ne se chiffre pas seulement en investissements publicitaires mais également en coût industriel : le groupe SEB développe des produits identiques mais sous des marques différentes selon les pays (ex : la marque en soins de la personne est Calor en France et Rowenta partout ailleurs en Europe).

90. Cette constatation sur les coûts d'un portefeuille de marques a d'ailleurs été faite par la Commission européenne qui indique, dans sa décision du 11 novembre 2003 : " un large portefeuille est généralement perçu comme permettant de mieux répondre à la demande des différents consommateurs, mais [qu']une telle stratégie est plus coûteuse parce qu'elle nécessite plusieurs budgets de publicité et de promotion et [qu'] elle risque d'aboutir à une dilution de la valeur de certaines marques ". Lors de la séance, le représentant de la société Philips a confirmé que si la détention de plusieurs marques permettait de mieux s'adapter aux divers marchés, l'investissement sur une marque unique, stratégie suivie par Philips, était, en revanche, moins coûteux et plus facile à gérer.

91. Les marques du groupe SEB/Moulinex sont connues. Une étude commandée par Philips auprès de 1000 consommateurs atteste en effet que toutes les marques du groupe SEBMoulinex, sauf Krups, font partie des plus notoires du marché du petit électroménager. Toutefois, leur notoriété est en baisse entre 2000 et 2002, alors que celle des marques concurrentes, Braun, Electrolux et Bosch est en augmentation. De plus, ces marques ont un rayonnement inégal : SEB et Calor sont des marques uniquement françaises alors que les autres sont internationales.

92. Dans son avis 02-A-07, le Conseil avait considéré que les marques du groupe SEB " bénéficient d'une grande notoriété mais ne peuvent être considérées comme incontournables ". Il importe, en effet, de distinguer la notion de marque notoire, de celle de marque incontournable, qui est celle pour laquelle un nombre suffisant de consommateurs seraient prêts à changer de magasin s'ils ne la trouvaient pas dans leur magasin habituel, au risque d'entraîner une baisse de la part de marché du distributeur concerné. Cependant le Conseil n'a pas eu connaissance d'études qui, menées auprès des consommateurs, auraient pu confirmer le caractère incontournable des marques du groupe SEB. Les appréciations portées par les acteurs du marché sur le caractère incontournable des diverses marques du PEM font, quant à elles, surtout apparaître une certaine confusion entre marques notoires et marques incontournables, allant jusqu'à estimer, pour l'une d'entre elles, que des MDD peuvent être incontournables.

93. En ce qui concerne la marque Moulinex, l'évolution des différents marchés depuis les difficultés de l'entreprise confirme l'analyse du Conseil dans son avis 02-A-07 : " Le fait que la reprise de la marque Moulinex n'ait suscité que deux manifestations d'intérêt devant le tribunal de commerce et que les licences exclusives d'utilisation de la marque Moulinex, que SEB s'est engagé, auprès de la Commission européenne, à accorder à des tiers n'ont pas encore trouvé preneur, relativise le caractère incontournable de la marque Moulinex ". Les parts de marché des produits de marque Moulinex ont, en effet, fortement reculé dans la plupart des marchés français du PEM, voire quasiment disparu pour certains d'entre eux.

94. Le rôle joué sur les marchés du PEM, par la notoriété de la marque, doit s'apprécier différemment en fonction du positionnement qualitatif des produits.

95. Pour les produits de haut de gamme, ou les plus sophistiqués sur le plan technologique, les distributeurs entendus par le Conseil en séance considèrent qu'il est indispensable pour eux d'être en mesure d'offrir des produits de marque notoire à leur clientèle. Pour Darty, la notoriété d'une marque peut être développée et doit être soutenue par des investissements publicitaires et cette société affirme avoir constaté le net effet sur ses ventes des campagnes publicitaires lancées par les producteurs. La promotion des produits passe également par la force de vente des producteurs et les distributeurs expliquent, en donnant des exemples précis, l'échec du lancement de certaines gammes de produits par la faiblesse des équipes de vente concernées.

96. Toutefois, Darty met également en avant le rôle majeur joué par l'innovation et déclare que, pour un produit innovant, la promotion du produit peut être assurée par le distributeur luimême. Il cite, notamment, l'exemple d'un appareil à pop corn, de marque jusqu'à présent inconnue, dont les ventes dans ses magasins se sont fortement développées. L'échec du lacement de nouvelles gammes de produits peut, à l'inverse, s'expliquer par le caractère non innovant des produits proposés. De même, Magimix déclare " il n'existe pas de marque incontournable sur les marchés du PEM en France. La diversité des marques se retrouve sur chacun des marchés. L'arrivée de nouveaux acteurs ou de MDD ne perturbe pas la notoriété des marques existantes. En outre l'innovation est un facteur clé du développement rapide d'une marque (ex Dyson aspirateur) ".

97. De fait, même sur les segments de haut de gamme des marchés, de nouvelles marques peu connues du consommateur, ont fait leur apparition au cours des années récentes (Magimix, Georges Foreman, Russel-Hobbs, Kitchen Aid).

98. Pour les produits d'entrée de gamme et peu sophistiqués, la progression des marques de distributeurs et des produits " sans marque " montre que la marque n'est pas un élément décisif pour le choix du consommateur.

99. Une étude consommateur effectuée à la demande de Philips présente les critères de choix pour les friteuses, les cafetières et les préparateurs culinaires. Or, cette étude indique que les consommateurs interrogés citent spontanément les critères suivants : fonctions de l'appareil, prix, simplicité de nettoyage, esthétique, couleur, taille, mais ne citent pas la marque.

2. Sur l'effet de gamme.

100. Disposer d'une gamme de produits élargie peut constituer un avantage concurrentiel sur le marché du PEM, dans la mesure où ce contexte peut intéresser les grands distributeurs qui, en " massifiant " leurs achats chez un même fournisseur, peuvent espérer améliorer leurs conditions d'achat et réaliser des économies de gestion (un seul compte fournisseur à gérer en logistique, règlement, facturation etc.). Cet avantage potentiel est confirmé par But : " la gamme complète est un moyen de minimiser les contraintes logistiques liées au franco de port. L'avantage concurrentiel est partagé entre le fournisseur et le distributeur (...) " et Carrefour : " L'offre d'une gamme complète de produits par un même fournisseur peut représenter un intérêt pour le distributeur car elle permet de massifier nos chiffres d'affaires sur des périmètres de fournisseurs plus réduits ".

101. SEB/Moulinex est le seul groupe présent sur les 13 catégories observées. Philips est présent pour sa part sur 6 catégories. De Longhi est présent sur 10 catégories. Babyliss est présent sur 6 segments, à la suite du lancement de la marque Cuisinart, fin 2001. Cependant, cette situation était préexistante car, avant l'opération, SEB, avec une ou plusieurs de ses marques était déjà présente sur chacune des 13 catégories. Le risque, comme l'expose Casino, serait que le groupe SEB se présente comme une seule entité avec des remises liant les 6 marques : " le risque futur est de retrouver dans l'ensemble du groupe SEB des contraintes de gamme globalisant SEB, Rowenta, Calor, Krups, Moulinex. Cette dérive pourrait conduire à une position dominante. ".

102. Au plan international, l'examen des accords de " groupe " passés avec les centrales internationales de distributeurs, fait apparaître que les négociations portent sur le chiffre d'affaires cumulé des six marques détenues par le groupe SEB. Cependant, comme le relevait la Commission, citée par le TPICE dans l'arrêt Philips : " Les relations clients/fournisseurs se font principalement sur une base nationale. Même s'il existe des contrats mondiaux avec certains groupes de la grande distribution implantés internationalement, ils ne portent uniquement que sur des objectifs annuels et globaux de vente. Les groupes en question ont confirmé dans le cadre de l'enquête de la Commission que leur politique d'approvisionnement demeure nationale. Ainsi, des contrats sur une base nationale contiennent l'ensemble des clauses de références de produit, de prix, d'approvisionnement et de facturation.".

103. Or, au niveau national, le groupe SEB/Moulinex est constitué de trois entités commerciales indépendantes : Tefal/Rowenta, SEB/Calor et Moulinex/Krups. Ces trois entités ont des moyens et des stratégies commerciales indépendantes : chacune a ses propres équipes commerciales et ses propres conditions générales de vente (CGV). Comme le confirme Carrefour : " Pour notre part, nous continuons à négocier des conditions commerciales par marque et gérer des business plans par marque (...) de plus, la négociation porte véritablement sur la marque et non sur un groupe. ".

104. Ainsi, la portée d'éventuelles remises de gamme ne joue qu'au sein de chaque sous - groupe commercial : Tefal/Rowenta, marques présentes sur 8 catégories ; SEB/Calor, marques présentes sur 8 catégories et Moulinex/Krups, marques présentes sur toutes les catégories. Cette organisation correspond de fait à celle qui prévalait avant l'opération et celle-ci n'a donc pas eu d'incidence sur les remises de gamme négociées.

3. Les conditions commerciales négociées par les distributeurs et les producteurs.

105. Les déclarations des distributeurs et des producteurs attestent que les référencements des produits PEM dans les rayons et leurs conditions s'appuient moins sur la puissance des marques ou la largeur des gammes que sur le potentiel commercial de chaque référence, pour le distributeur, en termes de marges et de développement de son chiffre d'affaires.

106. Ainsi, le groupement E. Leclerc déclare : " Le choix d'un produit de petit électroménager est fonction de plusieurs critères. Concernant notre enseigne, le principal critère est en règle générale le rapport qualité/prix. D'autres critères de choix peuvent toutefois intervenir : - le prix (...) - l'innovation (...) ". Carrefour émet un avis similaire : " Les critères de décision n'ont pas évolué [depuis 2001] et s'appuient toujours sur la pertinence de l'offre, le dynamisme de la marque, sa compétitivité et la non redondance avec des produits à notre propre marque. ". Casino : " ce qui prime est la pertinence produits-prix-conditions ". Du côté des producteurs, l'accent est mis sur les sollicitations des distributeurs. Philips déclare : " Cela coûte de plus en plus cher pour être présent en rayon, dans un contexte de réduction du nombre de références proposées ". De même SEB précise : " Le rôle des distributeurs étant incontournable, l'enjeu principal est donc de satisfaire leurs exigences financières pour qu'ils référencent les produits dans leurs magasins. ".

107. A cet égard, le partenariat commercial constitue un enjeu très important, comme l'indique [...] : " (...) Carrefour sollicitait les marques pour faire des lots virtuels en petit-déjeuner. Un lot virtuel consiste à accorder au consommateur qui fait l'acquisition de plusieurs produits, une réduction de prix importante [...] ne souhaitait pas, pour des raisons de rentabilité s'associer à ce genre de démarche. Le groupe SEB a accepté de le faire (...) ". Comme déjà relevé ci-dessus, pour les produits de haut de gamme, le rôle de l'innovation, qu'il soit dans le mode de commercialisation, comme ci-dessus, ou dans les performances du produit est essentiel. Les distributeurs mettent également en avant l'adaptation aux attentes des consommateurs et expliquent, notamment, les déréférencements dont se plaignent certains concurrents du groupe SEB par le caractère inadapté de leurs produits. [...] aurait ainsi constaté que les ventes de friteuses à la marque [...] ne correspondaient pas à leurs prévisions.

108. Par ailleurs, aucun élément ne vient au soutien de la thèse selon laquelle les conditions commerciales consenties par SEB/Moulinex à la grande distribution auraient été modifiées ou renégociées en sa faveur à la suite de l'opération.Ainsi, Darty indique qu'aucun tarif ou conditions de vente communes n'ont été mis en place, et qu'il n'a pas été constaté de changements profonds dans la façon de SEB/Moulinex d'aborder la négociation (tarifs, gammes, conditions). Le Galec également n'a pas noté de changements et souligne que SEB et Moulinex ont continué à présenter des tarifs et CGV séparés. Il indique même que : " Le Galec leur a demandé d'organiser des négociations communes avec l'ensemble des marques du groupe. Il reste que les conditions accordées par chacune de ces marques ont été appréciées au cas par cas. En fonction de l'évolution du groupe SEB-Moulinex, le Galec pourrait adopter une position différente pour les négociations 2005. ". But, les groupements d'indépendants Pulsat et Expert n'ont également constaté aucun changement. Provera (enseignes Cora et Match) déclare : " Pas de forcing de la part du groupe SEB. Le groupe SEB a su maintenir une concurrence entre ses marques. ". Auchan indique que ses relations avec le groupe sont gérées à travers cinq contrats différents (un pour Moulinex-Krups ; un pour Calor ; un pour Téfal, un pour la marque SEB et un pour la marque Rowenta) et indique que ces conditions n'ont pas changé depuis l'opération.

109. L'évolution du nombre de références recensées sur les linéaires de la grande distribution montre de fait que la présence du groupe SEB ne s'est pas accrue au dépens des autres fabricants.

<emplacement tableau>

110. Au total, il n'apparaît pas que la détention par le groupe SEB d'un portefeuille de six marques notoires ou sa présence sur l'ensemble des gammes du PEM soient de nature à contrebalancer la puissance d'achat de la grande distribution et à contraindre l'accès aux linéaires des concurrents. Les évolutions constatées depuis la réalisation de l'opération, tant en termes de parts de marché qu'en ce qui concerne les prix au détail relevés sur les marchés concernés, ne montrent d'ailleurs pas que l'opération ait porté atteinte à la concurrence sur ces marchés. Sur la base des considérations qui précèdent, et au vu, notamment, des constatations qui ont pu être faites sur les marchés concernés, en ce qui concerne l'évolution des parts de marché, des prix de vente aux consommateurs, de la situation des concurrents et du comportement des distributeurs, le Conseil de la concurrence est d'avis que la concentration résultant du plan de reprise partielle d'actifs du groupe Moulinex par le groupe SEB arrêté par le tribunal de commerce de Nanterre n'a pas été et n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés.