Ministre de l’Économie, 22 mars 2004, n° ECOC0400349Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseil du groupe La Martinière
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maître,
Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 16 février 2004, vous avez notifié le projet d'acquisition du groupe des Editions du Seuil (ci-après "Le Seuil") par le groupe La Martinière (ci-après "La Martinière").
I. - Les entreprises concernées et l'opération
Le groupe La Martinière est composé d'une société holding, La Martinière Groupe, dont le capital est détenu par divers actionnaires individuels, et de filiales de celui-ci, en France et à l'étranger. La Martinière Groupe a principalement pour activité l'édition de livres, assurée par neuf maisons d'édition en France, deux aux Etats-Unis, deux en Suisse, et une en Allemagne, ainsi que la diffusion et la distribution de livres, par l'intermédiaire de sa filiale à 100 % Diff Edit. En 2002, La Martinière a réalisé un chiffre d'affaires mondial de 102,3 millions d'euro, dont 54,4 dans l'Union Européenne et 51,8 en France.
Le groupe des Editions du Seuil est composé de trois sociétés holdings : (i) Editions du Seuil SCA, société de tête opérationnelle du groupe Editions du Seuil, qui exerce également des activités d'édition de livres, de diffusion et de distribution et dont le capital est détenu à 54 % par divers actionnaires individuels, à 26 % par SPS et à 20 % par Seuil SA (voir ci-après) ; (ii) Seuil SA, qui a pour seule activité l'exercice de la gérance d'Editions du Seuil SCA et dont le capital est détenu à 70 % par divers actionnaires individuels et à 30 % par SPS ; (iii) SPS, société créée afin de permettre à des salariés et auteurs du groupe (qui en détiennent 65 %) et à Friedland investissement (qui en détient 12 %) d'acquérir une participation indirecte dans Seuil SA et dans Editions du Seuil SCA (qui détient pour sa part 23 % de SPS). En 2002, Le Seuil a réalisé un chiffre d'affaires de 168,2 millions d'euro, dont 153,3 dans l'Union européenne et 146,3 en France.
L'opération consiste en l'acquisition par La Martinière de 100 % des actions et droits de vote d'Editions du Seuil SCA, de 100 % des actions et droits de vote de Seuil SA et de 87,61 % des actions et droits de vote de SPS, en vertu de trois contrats d'acquisition signés le 2 février 2004. Elle constitue donc une concentration au sens des dispositions de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Les seuils exprimés en chiffres d'affaires mentionnés à l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis, et l'opération n'est pas de dimension communautaire. Cette concentration relève ainsi du contrôle national des concentrations.
Les activités des entreprises concernées se chevauchent dans les secteurs de l'édition, de la diffusion et de la distribution de livres.
II. - La définition des marchés
1. Les marchés de produits
L'analyse du secteur d'activité sur lequel sont présents La Martinière et Le Seuil conduit à isoler trois groupes de marchés (les marchés des droits, les marchés des prestations de diffusion et de distribution et les marchés de vente de livres par les éditeurs aux revendeurs), qui peuvent être eux-mêmes segmentés en plusieurs marchés de produits, conformément à l'analyse dégagée par la Commission européenne dans sa décision du 7 janvier 2004 M.2978 Lagardère/Natexis/VUP.
En ce qui concerne les droits d'édition, la commission distingue : le marché d'acquisition des droits de reproduction iconographiques et cartographiques (1), les marchés d'acquisition de droits en langue française d'une ouvre écrite originellement en français (qui peuvent être également segmentés selon la nature de l'ouvrage : littérature générale, livres pour la jeunesse, bandes dessinées, ouvrages universitaires et professionnels), le marché d'acquisition de droits en langue française d'une ouvre écrite originellement en langue étrangère, le marché d'acquisition des droits pour une réédition en format de poche et le marché de cession de droits pour une réédition en clubs de livres. La Martinière et Le Seuil sont présents sur chacun de ces marchés.
Dans sa décision M.2978 précitée, la Commission distingue les prestations de diffusion et les prestations de distribution. Les activités de diffusion consistent à prospecter les points de vente avec des équipes commerciales pour promouvoir les catalogues des éditeurs, prendre les commandes pour les nouveautés et les promotions et mettre en ouvre des actions de merchandising dans les points de vente. Les activités de distribution concernent toutes les opérations logistiques afférentes à la fourniture de livres aux détaillants, à savoir réceptionner les ouvrages sortis de chez l'éditeur, réceptionner les commandes, émettre les bons de livraison et les factures, expédier les commandes, tenir les comptes clients et gérer les retours physiques. Ces deux prestations sont rendues auprès de petits éditeurs ne disposant pas d'un outil logistique et de forces de diffusion dédiées.
Par ailleurs, dans sa décision M.2978 précitée, la Commission opère une segmentation en fonction des catégories de revendeurs auxquels les prestations de diffusion s'adressent (librairies de niveaux 1 et 2, hypermarchés, grossistes). Elle ne procède pas à la même distinction pour les prestations de distribution.
La Martinière et Le Seuil sont tous deux prestataires de services de diffusion et de distribution.
En ce qui concerne enfin la vente de livres par les éditeurs aux revendeurs, deux grandes subdivisions doivent être établies selon la Commission, d'une part en fonction du type de revendeurs (librairies de niveaux 1 et 2, hypermarchés et grossistes) et d'autre part en fonction de la catégorie d'ouvrages (littérature générale en grand format, littérature générale en format de poche, livres pour la jeunesse, livres pratiques, beaux livres, bandes dessinées, etc.). Au cas d'espèce, les parties sont présentes sur les marchés de vente de livres de littérature générale grand format, de livres pour la jeunesse, de beaux livres, de livres pratiques et de bandes dessinées, destinés à tous les niveaux de revendeurs.
En tout état de cause, la définition précise des marchés de produits peut rester ouverte, les conclusions de l'analyse ne s'en trouvant pas substantiellement modifiées quelles que soient les définitions retenues.
2. Les marchés géographiques
Dans sa décision M.2978 précitée, la Commission a estimé que les différents marchés d'acquisition et de cession des droits d'édition ont une dimension mondiale alors que les marchés de prestations de services de diffusion aux éditeurs, de prestations de services de distribution aux éditeurs et de ventes de livres aux revendeurs ont une dimension correspondant au bassin géographique francophone de l'Union européenne (France, Belgique francophone et Luxembourg).
Là encore, il n'est pas nécessaire de définir précisément les marchés géographiques concernés, les conclusions de l'analyse demeurant inchangées.
III. - Analyse concurrentielle
En ce qui concerne les différents marchés d'acquisition et de cession de droits, la part de marché cumulée de La Martinière et du Seuil n'est jamais supérieure à 10 % et les parties sont confrontées à des concurrents de taille significative avec Hachette Livre, Editis (ex-VUP) (2), Gallimard, Flammarion ou Albin Michel. L'opération n'est donc pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés des droits.
Pour les prestations de diffusion aux éditeurs destinées aux librairies de niveaux 1 et 2, la part de marché cumulée des parties est de [20-25 %], Hachette détenant [15-25 %], Editis [5-15 %], Gallimard [5-15 %] et Flammarion [0-10 %] (3). En ce qui concerne les prestations de diffusion destinées aux hypermarchés, les parties représentent [5-10 %] du marché de services derrière Hachette et Editis, leur niveau de parts de marché étant du même ordre pour les prestations de diffusion aux grossistes. Pour le marché des prestations de distribution, la part de marché des parties s'élève à [15-20 %], les principaux concurrents étant Hachette avec [25-35 %], Gallimard avec [15-20 %], Editis avec [5-15 %], Flammarion avec [5-10 %]. Compte tendu de la position des parties et de la présence de concurrents de taille non négligeable, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés de la diffusion et de la distribution.
En ce qui concerne les différents marchés de vente de livres, la part de marché cumulée des parties est toujours inférieure à 10 % pour les livres de littérature générale grand format, les livres pour la jeunesse, les livres pratiques et les bandes dessinées et ce quel que soit le niveau de revendeurs considéré. L'opération n'est donc pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur ces différents marchés.
Pour les beaux livres, le groupe La Martinière représente de l'ordre de 5 à 15 % des ventes aux libraires de niveaux 1 et 2, de 10 à 20 % des ventes aux hypermarchés et de 20 à 30 % des ventes aux grossistes. Les ventes de beaux livres par Le Seuil étant très marginales, l'opération est sans effet sur la structure de la concurrence sur les différents marchés de vente de beaux livres.
Compte tenu de ces éléments, il apparaît que la concentration notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les différents marchés concernés. Je vous informe par conséquent que j'autorise cette opération.
Je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de ma considération distinguée.
(1) Dans sa décision M.2978, la Commission n'a pas distingué entre droits iconographiques et cartographiques. On peut toutefois relever que le Conseil de la concurrence a estimé, dans une décision du 19 février 2002 relatif à une saisine au fond et à une demande de mesures conservatoires de la société mabalade.com, qu'il n'était pas exclu que l'Institut géographique national détienne une position dominante sur un marché des fonds topographiques français, ce qui pourrait justifier l'existence d'un marché spécifique des droits cartographiques. La question peut en tout état de cause rester ouverte, car les conclusions de l'analyse ne s'en trouvent pas modifiées. (2) A cet égard, compte tenu des engagements souscrits par Lagardère dans le cadre de l'acquisition d'Editis (affaire M.2978 précitée), il apparaît qu'Editis restera en concurrence avec Hachette sur l'ensemble des marchés concernés par la présente opération. (3) Les données sur les parts de marché des concurrents de La Martinière et du Seuil sont extraites de la décision M.2978 précitée.