Ministre de l’Économie, 21 juin 2004, n° ECOC0400366Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseil de la société Charly Guennec Entreprises
MINISTRE D'ÉTAT, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maître,
Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 18 mai 2004, vous avez notifié l'acquisition par la société Charly Guennec Entreprises de la totalité du capital et des droits de vote des sociétés Royaume des Mers et Ker Armor. Cette acquisition a été formalisée par un contrat de cession d'actions en date du 14 mai 2004.
I. - Les entreprises concernées et l'opération
La société Charly Guennec Entreprises contrôle plusieurs filiales et est détenue par la société Financière de Groix SARL (1). L'ensemble de ces entreprises constitue le groupe Charly Guennec (ci-après "CGE"). Ce dernier, qui a réalisé en 2003 un chiffre d'affaires total consolidé de 130 millions d'euro exclusivement en France, a pour activité principale le mareyage (2) et le commerce de gros et de demi-gros (3) de produits aquatiques (4).
Les sociétés Royaume des Mers (5) (ci-après "RDM") et Ker Armor, entités cibles qui appartiennent toutes deux à la famille Mendes, ont pour activité principale le commerce de gros et de demi-gros de produits aquatiques et ont réalisé en 2003 un chiffre d'affaires total cumulé de 53 millions d'euro exclusivement en France.
Cette opération constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Elle ne revêt pas une dimension communautaire telle que définie dans le règlement (CE) n° 4064-89 du 21 décembre 1989. Compte tenu des chiffres d'affaires précités, elle est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce, relatives à la concentration économique.
II. - La définition des marchés
L'opération concerne d'une part l'activité de mareyage et d'autre part l'activité de commerce de gros et de demi-gros de produits aquatiques.
L'activité de mareyage, tout d'abord, est exercée à proximité des criées, lieux où les espèces pêchées en mer sont vendues aux enchères juste après avoir été débarquées. Les mareyeurs peuvent ensuite soit vendre eux-mêmes ces espèces directement ou indirectement aux détaillants, soit les revendre à des négociants commissionnaires ou à d'autres mareyeurs qui assureront la vente aux détaillants.
L'activité proprement dite de mareyage, c'est-à-dire l'achat dans des criées d'espèces fraîchement débarquées en vue de leurs tri, allotissement puis conditionnement, semble constituer un marché pertinent. En effet, aucune autre activité ne peut être considérée comme substituable à ce traitement des espèces, rendu obligatoire par la réglementation et ne pouvant être réalisé que par les titulaires de la carte professionnelle de mareyeur-expéditeur.En ce qui concerne la dimension géographique de l'activité de mareyage, la proximité indispensable des entreprises de mareyage des lieux des criées ainsi que la limitation géographique de l'exercice de la profession de mareyeur-expéditeur (6) arguent en faveur d'une dimension locale de l'activité de mareyage. En tout état de cause, les questions de la définition et de la délimitation géographique d'un éventuel marché du mareyage peuvent être laissées ouvertes, les conclusions de l'analyse demeurant inchangées.
S'agissant de l'activité de commerce de gros de produits aquatiques, c'est-à-dire de poissons, coquilles et crustacés, plusieurs segmentations pourraient être envisagées.
A titre liminaire, il convient de distinguer l'activité de commerce de gros de l'activité de commerce de détail. En effet, les clientèles principales auxquelles s'adressent les entreprises actives dans le commerce de gros ou de détail ont une nature différente. Le commerçant détaillant vend principalement à des particuliers et accessoirement à des professionnels alors que le commerçant de gros vend avant tout ses produits à d'autres commerçants. En revanche, la pertinence d'une distinction entre le commerce de gros et le commerce de demi-gros semble pouvoir être mise en cause. En effet, l'activité de commerce de demi-gros est accessoire à celle de commerce de gros et ne représente d'ailleurs qu'une très faible partie du chiffre d'affaires des entreprises spécialisées dans le commerce de gros.
En ce qui concerne une éventuelle segmentation au sein de l'activité de commerce de gros, en fonction de la nature des produits vendus, il convient de remarquer que les offreurs comme les demandeurs (grandes et moyennes surfaces, entreprises de la restauration commerciale et de la restauration collective, poissonniers et traiteurs) proposent à la fois des poissons, coquilles et crustacés et ne sont donc pas spécialisés dans la vente d'un type de produits aquatiques en particulier.
Le commerce de gros et de demi-gros de produits frais, notamment de produits aquatiques, fait l'objet d'une organisation particulière. Une partie significative de cette activité est en effet réalisée sur des marchés d'intérêt national répondant à une définition précise (7).L'appréhension de la dimension géographique d'un éventuel marché de commerce de gros et de demi-gros de produits aquatiques doit donc prendre en compte cette spécificité. Plus précisément, ce regroupement géographique de l'offre et de la demande invite à adopter une dimension régionale. Le marché d'intérêt national de Rungis, par exemple, sur lequel les parties sont présentes, représente 50 % des produits frais consommés dans la région Ile-de-France. Toutefois, en l'espèce, la question de la dimension géographique du marché de commerce de gros et de demi-gros en produits aquatiques peut être laissée ouverte puisque les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.
III. - L'appréciation concurrentielle
Concernant l'activité de mareyage, l'opération notifiée ne se traduit que par un faible chevauchement. En effet, si les entreprises concernées interviennent partiellement sur les mêmes criées, elles sont confrontées à une concurrence significative.Le groupe CGE détient quatre sociétés de mareyage, toutes situées en Bretagne (8) et effectuant leurs achats sous criées bretonnes et à Boulogne-sur-Mer (département du Pas-de-Calais). Le groupe Royaume des Mers, quant à lui, détient une société de mareyage, Ker Armor, située à Penmarc'h dans le département du Finistère. Elle effectue ses achats sur les criées du Finistère sud (Le Guilvinec, Loctudy, Saint-Guénolé-Penmarc'h) et a réalisé en 2003 un chiffre d'affaires de 4 millions d'euro. La nouvelle entité restera confrontée à la pression concurrentielle de plusieurs centaines de sociétés de mareyage en France (9). Si l'on adopte une dimension locale pour délimiter le marché du mareyage, le groupe CGE, à l'issue de l'opération, devra continuer à faire face, en Bretagne, à la concurrence de cent quarante sociétés de mareyage. Il restera notamment confronté à la concurrence des sociétés du groupe Furic Marée, situées dans le département du Finistère, et qui ont réalisé en 2003 un chiffre d'affaires cumulé de 60 millions d'euro, et du groupe Lequertier situé dans le département du Calvados et qui a réalisé en 2003 un chiffre d'affaires de 30 millions d'euro. Plus précisément, sur les criées du Finistère Sud, notamment au Guilvinec et à Loctudy, CGE devra faire face à la concurrence des sociétés Halios (qui a réalisé, en 2003, un chiffre d'affaires de 16 millions d'euro), SCEO Marée (chiffre d'affaires de 8 millions d'euro), Jacob Marée (chiffre d'affaires de 2,5 millions d'euro) et d'autres opérateurs de taille moins significative.
S'agissant de l'activité de commerce de gros et de demi-gros de produits aquatiques, le seul chevauchement géographique entraîné par l'opération notifiée concerne le marché d'intérêt national de Rungis (ci-après "MIN de Rungis"). En effet, le groupe CGE, par l'intermédiaire de la société Demarne frères, dispose de deux sites, un à Boulogne-sur-Mer et l'autre sur le MIN de Rungis. Les trois sociétés de la cible, Royaume des mers, La Pêche bretonne et Le Moussaillon, quant à elles, n'exercent leur activité que sur le MIN de Rungis. En analysant l'impact de l'opération notifiée sur le MIN de Rungis, et en adoptant ainsi une délimitation géographique étroite de l'éventuel marché du commerce de gros et de demi-gros de produits aquatiques, il convient de remarquer que la nouvelle entité verra sa part de marché augmenter de sept points pour atteindre 15 % du chiffre d'affaires total réalisé par l'ensemble des sociétés de commerce de gros et de demi-gros de produits aquatiques sur le MIN de Rungis (10). La nouvelle entité restera confrontée à la pression concurrentielle d'un grand nombre de sociétés, principalement à celle des sociétés Pomona et Reynaud, qui réalisent chacune plus de 20 % du chiffre d'affaires total réalisé par l'ensemble des sociétés de commerce de gros et de demi-gros de produits aquatiques sur le MIN de Rungis mais également à celle des sociétés Baptiste Delzor (5 %), J'Océane (3 %), Ruhlman (3 %) et Gilles et Compagnie (2 %) etc.
En conclusion, il ressort de l'instruction du dossier que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement de position dominante. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.
Je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de ma considération distinguée.
(1) La société Financière de Groix SARL est elle-même contrôlée par M. Daniel Tessier, qui ne détient aucune participation dans d'autres sociétés actives sur un marché connexe, amont ou aval à ceux sur lesquels les entreprises concernées interviennent.
(2) Le décret n° 67-769 du 6 septembre 1967 modifié relatif à la profession de mareyeur-expéditeur dispose que "toute opération de commercialisation des produits de la pêche maritime impliquant une expédition au-delà d'une zone libre de circulation est subordonnée au mareyage préalable desdits produits, c'est-à-dire à leur tri, à leur allotissement et à leur conditionnement en vue d'assurer leur bonne conservation".
(3) Le commerce de gros recouvre les entreprises dont l'activité consiste en la revente de marchandises, soit en l'état, soit après reconditionnement, à des utilisateurs professionnels ou à d'autres commerçants. Le commerce de demi-gros est un commerce intermédiaire entre le gros et le détail, qui s'adresse aux particuliers mais pour des quantités importantes.
(4) Le groupe CGE exerce également une activité d'armement à la pêche, pour laquelle il dispose de cinq chalutiers, et une activité de filetage et de transformation des produits aquatiques. Ces activités sont cependant très accessoires à l'activité principale et les entités cibles ne les exercent pas.
(5) La société Royaume des Mers contrôle deux filiales (La pêche bretonne et Le Moussaillon) également actives dans le commerce de gros et de demi-gros de produits aquatiques.
(6) La carte professionnelle de mareyeur-expéditeur mentionne le ou les port(s) dans le(s)quel(s) l'activité de mareyage peut être exercée par le titulaire de la carte.
(7) L'article L. 730-1 du Code de commerce dispose que "Les marchés d'intérêt national sont des services publics de gestion de marchés dont l'accès est réservé aux producteurs et aux commerçants qui contribuent à l'organisation et à la productivité des circuits de distribution des produits agricoles et alimentaires, à l'animation de la concurrence dans ces secteurs économiques et à la sécurité alimentaire des populations".
(8) La société Men Ar Groas, située au Guilvinec (département du Finistère), les sociétés Dewaghe et Le Cossec, situées à Loctudy (Finistère), et la société Paul Le Leuch, implantée à Lorient (Morbihan).
(9) A l'issue de l'opération, la nouvelle entité ne détiendra que 1,14 % du marché du mareyage en France.
(10) Si l'on attribue une dimension nationale au marché de commerce de gros et de demi-gros de produits aquatiques, l'opération notifiée entraîne, pour la nouvelle entité, une augmentation d'un point de sa part de marché, cette dernière atteignant 3,6 % du chiffre d'affaires total réalisé par l'ensemble des sociétés exerçant une activité de commerce de gros et de demi-gros en France.