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Décisions

Ministre de l’Économie, 16 août 2004, n° ECOC0400380Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseils de la société Seb

Ministre de l’Économie n° ECOC0400380Y

16 août 2004

MINISTRE D'ÉTAT, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maîtres,

Par jugement du 22 octobre 2001, le Tribunal de commerce de Nanterre a agréé le plan de cession partielle de la société Moulinex présenté par la société Seb, après que celle-ci eut obtenu de la Commission européenne l'autorisation de n'assortir son offre de reprise d'aucune condition suspensive. Saisie le 13 novembre 2001 de cette concentration par la société Seb, la Commission européenne, sur demande présentée par les autorités françaises sur le fondement du a du paragraphe 2 de l'article 9 du règlement n° 4064-89-CE du 21 décembre 1989 a, par décision du 8 janvier 2002, renvoyé à ces autorités l'appréciation des effets de cette opération de concentration sur les marchés français du petit électroménager. Le ministre a, après avis du Conseil de la concurrence (1), autorisé le 5 juillet 2002 la reprise de Moulinex par Seb. Tout en analysant cette concentration comme étant de nature à porter atteinte à la concurrence sur au moins neuf marchés du petit électroménager (PEM), le ministre a estimé qu'elle "releve[ait] de l'exception de l'entreprise défaillante, dans la mesure où, en l'absence de l'opération, la dégradation de la situation concurrentielle que l'on constate[ait] sur au moins neuf des marchés concernés aurait été équivalente à celle résultant de l'opération examinée."

Plusieurs concurrents de Seb (Philips, De Longhi et Babyliss) ont formé un recours devant le Conseil d'Etat contre la décision ministérielle d'autorisation.

Par décision du 6 février 2004 (2), notifiée au ministre le 16 février 2004, le Conseil d'Etat a annulé l'autorisation ministérielle en jugeant que les motifs invoqués par le ministre "ne suffisaient pas à justifier qu'était remplie la troisième des conditions exigées pour le recours à l'exception de l'entreprise défaillante". Dans sa décision, le Conseil d'Etat a précisé que le ministre, qui restait saisi du renvoi décidé par la Commission européenne, devrait se prononcer à nouveau dans le délai prévu par l'article L. 430-3 du Code de commerce avant sa modification par la loi du 15 mai 2001, et qu'à cet effet il pourrait prendre en compte l'ensemble des données de fait existant à la date à laquelle il statuerait, au regard des règles de fond et de procédure énoncées par le titre III du livre IV du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 15 mai 2001.

Par lettre du 16 avril 2004, le ministre a saisi pour avis le Conseil de la concurrence (ci-après le "conseil"). Ce dernier a rendu son avis le 28 juillet 2004 (avis n° 04-A-16).

I. - Définition des marchés

Les marchés pertinents ont été déjà définis au cours des différentes étapes de la procédure, tant nationales que communautaires.

Le conseil constate que "le transfert des achats de fers à vapeur au profit de centrales vapeur s'étant accentué depuis deux ans, et les deux produits ayant des gammes de prix très différentes", ces deux marchés doivent être désormais analysés séparément (point 17 de l'avis n° 04-A-16). Cette distinction n'avait pas été effectuée par le Conseil dans son avis du 15 mai 2002. La Commission européenne, qui avait évoqué cette distinction dans sa décision du 8 janvier 2002, a conclu dans sa décision du 11 novembre 2003, après avoir identifié quatre catégories d'appareils (fer sec, fer de voyage, fer vapeur, centrale vapeur), que son enquête "a[vait] confirmé le fait qu'il n'était pas possible de distinguer des marchés distincts au sein des produits destinés au repassage". En tout état de cause, je constate que le transfert des achats de fers à vapeur au profit de centrales vapeur relevé par le Conseil semble au contraire confirmer l'existence d'un marché unique des appareils à repasser. Toutefois, il n'est pas besoin de trancher si les centrales vapeur constituent un marché distinct de celui des fers vapeur, les conclusions de l'analyse concurrentielle restant inchangées.

Par ailleurs, le conseil estime que, "le groupe Moulinex étant très peu présent sur le marché des soins de la personne avant l'opération", il n'y a pas lieu de reprendre l'examen de ce marché (point 24).

Eu égard à ces éléments, les treize marchés suivants, de dimension nationale, seront donc examinés : friteuses électriques, grille-pain, cafetières électriques, machines à expresso, bouilloires, fours posables, barbecues et grils électriques, cuiseurs vapeur, appareils à sandwichs et à gaufres, préparateurs culinaires, appareils pour repas informels (raclette, pierrades, etc.), fers à vapeur et centrales vapeur.

II. - Analyse concurrentielle

1. L'évolution des parts de marché

Le Conseil constate (point 33) que "le nouveau groupe détient, en 2003, des parts de marché très importantes sur la totalité des 13 marchés. En valeur, elles sont comprises entre 30 et 50 % sur trois marchés (cafetières, centrales vapeur, expressos). Elles sont comprises entre 50 et 70 % sur six marchés (barbecue, grills, fers vapeur, bouilloires, friteuses, grille-pain, préparateurs culinaires) et supérieures à 70 % sur quatre d'entre eux (minifours, repas informels, sandwich-gaufriers, cuiseurs vapeur). Sur cinq marchés, la part du nouveau groupe est cependant supérieure de moins de 5 points à celle que détenait le seul groupe Seb avant l'opération (repas informels, cuiseur vapeur, barbecue, fers vapeur, centrale vapeur). Sur deux d'entre eux, le gain de parts de marché que réalise l'ancien groupe Seb grâce à l'acquisition est compris entre 5 et 10 points (minifours, friteuses). Sur les six autres marchés, le gain de parts de marché du nouveau groupe, par rapport au groupe Seb en 2000, est de 11,6 points (sandwich-gaufriers), 15,2 points (bouilloires), 18,9 points (grille-pain), 20,1 points (cafetières), 29,3 points (expressos), 34,1 points (préparation culinaire)."

En volume les positions de la nouvelle entité en 2003 sont moins fortes, ce qui traduit selon le Conseil (point 34) "le repositionnement sur le haut de gamme du nouveau groupe". En effet, le Conseil observe que " la part de marché en volume n'est supérieure à la part en valeur que pour les préparateurs culinaires et les expressos, étant précisé que le prix moyen des produits du groupe Seb est, sur ces marchés, inférieur au prix moyen global".

Malgré les fortes positions de Seb en 2003, le Conseil note (point 40) que "sur plusieurs des marchés concernés, une partie des parts perdues par la marque Moulinex a été récupérée par une ou plusieurs marques notoires : De Longhi, en fours posables (+ 5,1 points) ; Philips, en fers vapeur (+ 7 points) ; De Longhi, Philips et Magimix en friteuses (+ 15,9 points au total) ; Philips, pour les cafetières filtres (+ 20 points) ; Magimix et De Longhi, pour les expressos (+ 30 points au total). Par ailleurs, les produits à la marque Moulinex disparaissent quasiment de certains marchés (cuiseurs vapeurs, barbecues, centrale vapeur). Plus généralement, comme précisé ci-dessus, le recul de Moulinex est largement dû à l'arrêt de la fabrication de nombreuses références, dont Seb déclare qu'elles étaient sources de pertes pour l'ancien groupe, parce qu'elles rivalisaient directement avec des produits équivalents, fabriqués avec des coûts moindres en Chine. Les produits sans marque et les MDD ont pris la place de la marque Moulinex pour les marchés concernés (appareils de repas informels, barbecues-grills, bouilloires, grille-pain, cafetières filtres). Seb a déclaré avoir quasiment abandonné le premier quartile pour de nombreux produits et avoir repositionné ses marques vers le haut de gamme. Aussi, près de trois ans après la reprise des actifs Moulinex par Seb, une éventuelle reconquête par le groupe Seb, au cours des prochaines années, des parts de marché perdues par Moulinex ou Krups devrait s'appuyer sur des produits innovants et des investissements publicitaires et relèverait donc des mérites propres du nouveau groupe et non des effets de cette acquisition."

2. Evolution des prix de vente

Il ressort de l'avis du Conseil que, entre 2000 et 2003, les prix moyens de la nouvelle entité ont augmenté plus vite que les prix moyens du marché sur neuf marchés (bouilloires, grille-pain, centrales à vapeur, friteuses, fers à vapeurs, barbecues/grills, fours, sandwich-gaufriers, préparateurs culinaires).

Le Conseil note cependant (point 52) que "selon Seb, les hausses de prix moyens constatées pour ses produits s'expliquent essentiellement par un effet de structure, dû au repositionnement de ses gammes de produits vers le haut.La chute de ses ventes sur les produits à bas prix, liée à une perte de compétitivité par rapport aux produits importés et à l'arrêt de la production de nombreuses références à bas prix (...) ont arithmétiquement entraîné une hausse des prix moyens de ses fabrications, du fait du poids moins important des produits à bas prix dans son "mix-produits".

Le Conseil constate (points 56 et 58) que cet effet de structure est confirmé, tant par les déclarations de Philips (pour les préparateurs culinaires) que par Darty et GSK, "qui lui imputent l'essentiel des mouvements de prix constatés."

En outre, le conseil note que "Seb explique, (...), qu'à référence constante les prix n'évoluent jamais à la hausse, mais plutôt à la baisse.Les quelques données de prix par référence extraites des relevés de prix IFR (...) confirment ces déclarations. La succession très rapide des références rend ce type d'évolution plausible : au fur et à mesure que de nouveaux produits apparaissent dans les gammes, les anciens modèles font l'objet de discount."

Enfin, le Conseil souligne (point 60) que les nouveaux produits mis sur le marché "peuvent présenter un caractère innovant plus ou moins important qui rend leur prix difficilement comparable à celui des produits qu'ils sont censés remplacer.La simple mise en regard de l'évolution des coûts marginaux de production des anciens produits et de ceux des nouveaux produits, d'une part, et de leurs prix de vente au détail, d'autre part, ne pourrait suffire à caractériser comme excessives, ou non excessives, les hausses de prix constatées. L'évolution des coûts marginaux peut, en effet, recouvrir à la fois des baisses de coûts résultant des restructurations industrielles réalisées par Seb à la suite de l'acquisition des actifs de Moulinex et des hausses de coûts, liées à l'amélioration de la qualité. Dans ces conditions, une hausse de la marge sur ces nouveaux produits peut être justifiée par des gains d'efficacité, mais le partage de ces gains entre la marge et une modération de la hausse des prix aux consommateurs qui augmenterait moins vite que ce que l'amélioration de la qualité des produits justifierait ne peut être mesuré."

Il peut donc s'en conclure, à l'instar du Conseil de la concurrence, que "les évolutions de prix relevées sur les marchés concernés (...) n'indiquent pas que l'opération aurait eu pour effet de renforcer le pouvoir de marché du nouveau groupe."

3. Les concurrents

Le Conseil constate que les fortes positions de Seb sont susceptibles d'être remises en cause par les concurrents.

En premier lieu le Conseil souligne (points 62 à 71) que, face à Seb, il existe plusieurs grands groupes concurrents (Philips, Babyliss, De Longhi, Magimix, Gillette, Braun), présents sur les marchés français du petit électroménager et détenant des marques notoires, et que ces derniers ont "bénéficié de la disparition des rayons de nombreux produits de marque Moulinex".

En second lieu, le conseil note (points 72 à 78) une "tendance à une pénétration accrue de ces marchés par des produits d'entrée de gamme, en provenance de pays à moindres coûts de fabrication, qu'il s'agisse des MDD ou des marques "autres". Entre 2000 et 2003, les MDD sont apparues, même modestement, sur tous les marchés, à l'exception des friteuses électriques et des cuiseurs vapeur. Ainsi, en 2003, on trouve des MDD sur des produits à fort contenu technologique comme les expressos ou les centrales vapeur. Carrefour, Cora, Auchan et Darty ont lancé respectivement les MDD suivantes : Bluesky, Domeos, Selecline et Proline".

4. La demande

Le Conseil observe que "en 2003, [la grande distribution] représente 67 % des ventes en volume et 51 % en valeur des marchés du PEM" (point 79) et que "les distributeurs ont affirmé (...) qu'ils avaient pris des mesures pour conserver leurs marges de négociation vis-à-vis du nouveau groupe" (point 82).

Certes, ainsi que le note le Conseil (point 83), "le nouveau groupe issu de la concentration présente deux caractéristiques remarquables qui pourraient lui conférer, dans ses négociations avec la grande distribution, une position de force que n'auraient pas ses principaux concurrents. D'une part, il détient un portefeuille de six marques notoires. D'autre part, il est présent sur l'ensemble des marchés du PEM et est donc en mesure de proposer une gamme très large de produits aux distributeurs".

Toutefois, comme l'indique le conseil, ces caractéristiques peuvent être sensiblement relativisées, la puissance de négociation de la grande distribution lui permettant de jouer un rôle de contrepoids.

En premier lieu, Seb dispose au mieux (points 86 et 87) "de 1 à 2 marques réellement implantées sur chaque segment, les autres marques étant très faiblement représentées et ne s'étant pas développées depuis l'opération".

En deuxième lieu (point 89), "la détention d'une multiplicité de marques induit aussi des surcoûts :pour une entreprise, entretenir la notoriété et l'image de six marques représente des investissements publicitaires plus lourds que dans le cas d'une entreprise mono-marque. De surcroît, le coût ne se chiffre pas seulement en investissements publicitaires mais également en coût industriel : le groupe Seb développe des produits identiques mais sous des marques différentes selon les pays (ex. : la marque en soins de la personne est Calor en France et Rowenta partout ailleurs en Europe).

En troisième lieu, il n'est pas nécessaire de posséder une marque notoire pour pénétrer les marchés du PEM (point 95 à 98).D'une part, pour ce qui concerne les produits haut de gamme ou les plus sophistiqués, même si "les distributeurs entendus par le Conseil en séance considèrent qu'il est indispensable pour eux d'être en mesure d'offrir des produits de marque notoire à leur clientèle", le Conseil observe que sur ces segments "de nouvelles marques peu connues du consommateur ont fait leur apparition au cours des années récentes (Magimix, Georges Foreman, Russel-Hobbs, Kitchen Aid)". D'autre part, le Conseil constate que "pour les produits d'entrée de gamme et peu sophistiqués, la progression des marques de distributeurs et des produits "sans marque" montre que la marque n'est pas un élément décisif pour le choix du consommateur".

En quatrième lieu, le Conseil note (points 102 à 104) que les relations clients/fournisseurs se font principalement sur une base nationale, et qu'"au niveau national, le groupe Seb/Moulinex est constitué de trois entités commerciales indépendantes : Tefal/Rowenta, Seb/Calor et Moulinex/Krups. Ces trois entités ont des moyens et des stratégies commerciales indépendantes : chacune a ses propres équipes commerciales et ses propres conditions générales de vente (CGV). (...) Ainsi, la portée d'éventuelles remises de gamme ne joue qu'au sein de chaque sous-groupe commercial : Tefal/Rowenta, marques présentes sur huit catégories ; Seb/Calor, marques présentes sur huit catégories et Moulinex/Krups, marques présentes sur toutes les catégories. Cette organisation correspond de fait à celle qui prévalait avant l'opération et celle-ci n'a donc pas eu d'incidence sur les remises de gamme négociées".

En cinquième lieu, les déclarations des distributeurs et producteurs faites devant le Conseil attestent (point 105), selon ce dernier, que "les référencements des produits PEM dans les rayons et leurs conditions s'appuient moins sur la puissance des marques ou la largeur des gammes que sur le potentiel commercial de chaque référence, pour le distributeur, en termes de marges et de développement de son chiffre d'affaires". A cet égard, le Conseil constate qu'"aucun élément ne vient au soutien de la thèse selon laquelle les conditions commerciales consenties par Seb/Moulinex à la grande distribution auraient été modifiées ou renégociées en sa faveur à la suite de l'opération" et que "l'évolution du nombre de références recensées sur les linéaires de la grande distribution montre de fait que la présence du groupe Seb ne s'est pas accrue au dépens des autres fabricants".

Je partage donc la conclusion du Conseil selon laquelle "il n'apparaît pas que la détention par le groupe Seb d'un portefeuille de six marques notoires ou sa présence sur l'ensemble des gammes du PEM soient de nature à contrebalancer la puissance d'achat de la grande distribution et à contraindre l'accès aux linéaires des concurrents.Les évolutions constatées depuis la réalisation de l'opération, tant en termes de parts de marché qu'en ce qui concerne les prix au détail relevés sur les marchés concernés, ne montrent d'ailleurs pas que l'opération ait porté atteinte à la concurrence sur ces marchés".

Il s'en conclut que la reprise de Moulinex par Seb n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence.

Au surplus, selon les éléments communiqués par Seb, l'opération a eu pour effet de contribuer au progrès économique et social.

Il ressort des éléments du dossier que les synergies au niveau de la production, des achats, de la commercialisation, de la logistique et des structures de gestion ont permis des gains d'efficience évalués par Seb à [...] millions d'euro à la fin 2003. Seb fait par ailleurs valoir qu'une partie de ces gains d'efficacité a été transférée aux consommateurs français sous forme d'une amélioration de la qualité des produits, de la sécurité et de la fiabilité.

Au plan social, l'opération a eu pour effet immédiat de préserver 1 670 emplois directs sur certains des sites Moulinex. Seb avance par ailleurs que l'opération a permis de préserver des emplois sur des sites de Seb qui auraient pu sinon être menacés. En prenant en compte les emplois indirects, Seb estime qu'environ 10 000 emplois ont été sauvegardés du fait de l'opération.

Sur la base des considérations qui précèdent, je vous informe que j'autorise cette concentration.

Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de ma considération distinguée.

(1) Avis n° 02-A-07 du 15 mai 2002. (2) No 249262-252297-252350-252809 Société Royal Philips Electronic et autres.

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées.

Ces informations relèvent du "secret des affaires", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.