CA Reims, ch. civ. sect. 1, 9 juillet 2002, n° 675-01
REIMS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Desimeur
Défendeur :
Carpi (SA), CPAM des Ardennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Ruffier
Conseillers :
Mmes Belaval, Breton
Avoués :
SCP Six-Guillaume, SCP Delvincourt-Jacquemet, SCP Thoma le Runigo Delaveau
Avocats :
Mes Voivret, Gouet-Jenselme, Droit
LA COUR ;
Faits et procédure ;
Selon acte notarié en date du 6 décembre 1979, la société anonyme de construction et d'aménagement d'HLM Carpia vendu à terme aux époux Desimeur une maison d'habitation de type V constituant le lot n° 82 du lotissement "Gingembre" soumis à la législation des HLM et situé 8, rue Louis David, boulevard du Gingembre à Rethel (Ardennes). Le prix de 245 800 F était stipulé payable par fractions échelonnées avant et après l'achèvement.
Le 18 décembre 1979, les parties ont signé un procès-verbal de constatation d'achèvement de l'immeuble, dont les époux Desimeur ont pris immédiatement possession.
Courant décembre 1993, le canton de Rethel a subi d'importantes inondations qui ont été déclarées catastrophes naturelles par arrêté en date du 11 janvier 1994.
Madame Ginette Demachy épouse Desimeur, alors âgée de 54 ans comme née le 6 mai 1938, a été blessée le 22 décembre 1993 en descendant chercher du bois dans sa cave alors que celle-ci était inondée. L'escalier non scellé serait tombé en l'entraînant dans sa chute.
La victime a obtenu, selon ordonnance de référé rendue le 13 avril 1995 par Monsieur le Président du Tribunal de grande instance de Charleville-Mézières, l'organisation d'une mesure d'expertise médicale confiée au Docteur Ulrick Plantin-Carrenard. Ce dernier a procédé à ses opérations et a déposé son rapport le 2 septembre 1995, en concluant a:
- l'accident du 22 décembre 1993 causé par une chute dans les escaliers est à l'origine
* d'un traumatisme du rachis dorso-lombaire s'accompagnant d'une fracture stable de la 11ème vertèbre dorsale, ainsi qu'à un enfoncement du plateau supérieur de la 1ère vertèbre lombaire sans complication neurologique, d'un traumatisme du rachis cervical avec fracture de la 6ème vertèbre cervicale sans complication neurologique, d'un traumatisme crânien sans perte de connaissance initiale et sans lésion osseuse radiologiquement visible,
- ces lésions ont entraîné:
* une incapacité temporaire totale personnelle du 22 décembre 1993 au 3juin 1994,
* une incapacité temporaire totale professionnelle du 22 décembre 1993 au 17 janvier 1994,
* la consolidation des blessures au 29 juin 1995,
* une incapacité permanente partielle de 15% non susceptible d'aggravation, un pretium dolons moyen (4/7),
* l'absence de préjudice esthétique,
* la perte de l'emploi d'assistante maternelle à la DISA occupé par la victime, suite à son licenciement pour inaptitude consécutivement à l'accident,
* l'absence de préjudice d'agrément.
Selon acte introductif d'instance en date du 31 mai 1996, Madame Ginette Demachy épouse Desimeur a fait assigner la société Carpi devant le Tribunal de grande instance de Charleville- Mézières pour obtenir sa condamnation à l'indemniser de son préjudice.
La Caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes est intervenue à l'instance le 9 janvier 1998 en sollicitant la condamnation de la société Carpi à lui rembourser les prestations servies à Madame Ginette Demachy épouse Desimeur du fait de l'accident.
Par jugement rendu le 7 mai 1999, le Tribunal de grande instance de Charleville-Mézières a:
- dit que la recevabilité et le bien fondé des demandes doivent s'apprécier sur le fondement des articles R. 111-24 et suivants du Code de la construction et de l'habitation faisant référence à l'article 1792 du Code civil,
- dit que la garantie décennale n'a toutefois lieu que s'il y a eu reception,
- ordonné avant dire droit la réouverture des débats pour permettre aux parties de s'expliquer sur ce point, sur l'apparente inexistence d'un " acte par avenant " et sur les conséquences éventuelles de celle-ci.
Par jugement rendu le 12 mai 2000, le Tribunal de grande instance de Charleville-Mézières a:
- vu le rapport du Docteur Plantin-Carrenard du 2 septembre 1995,
- vu le jugement du 7 mai1999,
- dit n'y avoir lieu à déclarer prescrite l'action de Madame Ginette Demachy épouse Desimeur,
- déclaré celle-ci recevable et fondée pour partie,
- fixé à la somme de 110 000 F le préjudice corporel résiduel de ladite dame et condamné Carpi (SA) à lui payer celle-ci, avec intérêts de droit du jour du jugement,
- condamné également la SA GARPI à payer à la Caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes la somme de 44 842.72 euros, également avec intérêts de droit du jour du jugement,
- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du jugement,
- déclaré Madame Ginette Demachy épouse Desimeur mal fondée dans le surplus de ses demandes et l'en a déboutée,
- dit n'y avoir lieu en la cause à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- déclaré Carpi (SA) mal fondée en sa demande reconventionnelle et l'en a déboutée,
- condamné Carpi (SA) aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Manil Manil et de Maître Droit, avocats aux offres de droit.
Madame Ginette Demachy épouse Desimeur a relevé appel de cette décision le 20 juin 2000.
Prétentions et moyens des parties ;
Aux termes de ses conclusions déposées le 21 décembre 2000, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé de son argumentation en application des dispositions de l'article 455, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile, Madame Ginette Demachy épouse Desimeur demande de lui donner acte de ce qu'elle limite son appel aux dispositions du jugement entrepris relatives à l'indemnisation du préjudice subi.
Elle sollicite l'infirmation de la décision sur ce point et la condamnation de Carpi (SA) à lui payer:
1.La somme de 14 649,61 F au titre des frais médicaux restés à sa charge,
2.La somme de 131 329,49 F au titre des pertes de salaires de décembre 1994 à mai 1998,
3.La somme de 15 000 F en indemnisation de son préjudice d'agrément,
4.La somme de 25 000 F "au titre de son pretium dolons",
5.La somme de 100 000 F en indemnisation de son incapacité permanente partielle.
Elle réclame en outre la condamnation de Carpi (SA) à lui verser une indemnité de 20 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de première instance, comprenant les frais d'expertise, et d'appel avec droit de recouvrement direct de ces derniers au profit de son avoué. La Caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes, dans ses conclusions signifiées le 22 mars 2001, sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné Carpi (SA) à lui verser la somme de 44 842,72 euro avec intérêts au taux légal à compter du jugement. Elle demande subsidiairement l'organisation d'une mesure d'expertise afin de déterminer la cause de l'accident dont Madame Ginette Demachy épouse Desimeur a été victime. Elle réclame enfin la condamnation de la Carpi (SA) à lui verser la somme de 10 000 F en indemnisation de ses frais irrépétibles et à supporter les entiers dépens, avec droit de recouvrement direct des dépens de l'instance d'appel au profit de son avoué.
Selon ses dernières écritures signifiées le 3 octobre 2001, Carpi (SA), qui a formé appel incident, soutient que les époux Desimeur ne rapportent pas la preuve qui leur incombe d'un vice de construction à l'origine du dommage que Madame Ginette Demachy épouse Desimeur aurait subi et prétend qu'en tout état de cause l'accident est imputable à un cas de force majeure l'exonérant de toute responsabilité. Elle conclut en conséquence à la réformation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser à Madame Ginette Demachy épouse Desimeur la somme de 110 000 F en réparation de son préjudice et à rembourser à la Caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes la somme de 294 148,99 F.
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où Madame Ginette Demachy épouse Desimeur apporterait la preuve d'une vice de l'escalier, Carpi (SA) prétend qu'il ne peut s'agir que d'un vice caché couvert par la garantie à bref délai et fait valoir que l'appelante a l'usage de cet escalier depuis 14 ans. Elle ajoute qu'alors que l'accident est survenu fin décembre 1993, Madame Ginette Demachy épouse Desimeur n'a fait établir un constat que 5 mois plus tard et ne l'a assignée qu'en mai 1996, de sorte qu'elle doit être déclarée déchue de son action, comme la Caisse primaire d'assurance maladie subrogée dans ses droits.
Plus subsidiairement, Carpi (SA)fait valoir que le jugement du 7 mai 1999 a autorité de la chose jugée en ce qu'il a déclaré que le fondement de l'action de Madame Ginette Demachy épouse Desimeur était l'article 1792 du Code civil et que pourtant les premiers juges ont retenu que la prescription décennale ne pouvait être opposée à la victime. Elle demande à la Cour de constater que l'article IV du contrat intervenu entre les parties écarte l'application de toute garantie autre que la garantie des vices cachés au sens et dans les termes de l'article 1646-1 du Code civil, de sorte qu'elle n'est tenue à l'égard de Madame Ginette Demachy épouse Desimeur qu'à la garantie décennale des vendeurs d'immeubles à construire. Elle affirme également que les dispositions de l'article 189bis du Code de commerce (ancien) sont applicables en la cause.
Elle prétend que dès lors que la construction a été réceptionnée le 18 décembre 1979 et que le fait dommageable est survenu plus de dix années plus tard, l'action engagée à son encontre est prescrite en application de l'article 2270 du Code civil et de l'article 189 bis précité.
Encore plus subsidiairement, Carpi (SA)conteste l'évaluation du préjudice subi par Madame Ginette Demachy épouse Desimeur. Elle réclame en tout état de cause sa condamnation in solidum avec la Caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes au paiement de la somme de 30 000 F en indemnisation de ses frais irrépétibles aux entiers dépens, avec droit de recouvrement direct des dépens de l'instance d'appel au profit de son avoué.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 mars 2002.
Discussion ;
Sur l'existence d'un vice de l'escalier de la cave ;
Carpi (SA) soutient que la demande repose sur les seules affirmations des époux Desimeur et que les causes de la chute de Madame Ginette Demachy épouse Desimeur n'ont en réalité jamais été clairement déterminées. Elle prétend en conséquence que l'appelante ne démontre pas que les lésions qu'elle a subies le 22 décembre 1993 sont en relation directe avec un vice de construction du pavillon. Elle affirme qu'aucun élément ne permet d'affirmer que l'escalier n'aurait jamais été scellé ou à tout le moins cloué à l'un des murs au moment de l'accident et rappelle qu'il n'a pas bougé pendant près de 14 ans d'utilisation normale.
Madame Ginette Demachy épouse Desimeur verse aux débats un procès-verbal établi le 25 mai 1994, par Maître Bloch, huissier de justice à Rethel, dont il résulte que l'escalier litigieux est simplement posé sur un pied en ciment large d'environ 39 centimètres et contre la dalle de l'étage, qu'il s'agit d'un escalier en bois composé de 10 marches, dont 6 sont abîmées et que la cage d'escalier, large d'environ 89 centimètres, présente encore des traces d'eau à environ 1,10 mètre du sol.
Si ce constat a été dressé cinq mois après l'accident, il n'en reste pas moins que l'huissier de justice instrumentaire, qui a examiné la cage d'escalier, n'a constaté l'existence d'aucune trace de scellement inférieur ou supérieur de l'escalier litigieux. Or, les documents médicaux font clairement état d'un traumatisme sévère par chute d'une hauteur de 3 mètres. S'il ne précisent pas dans quelles circonstances cette chute est survenue, il est constant qu'elle est intervenue dans le pavillon où Madame Ginette Demachy épouse Desimeur a été secourue pas les pompiers qui ont dû l'évacuer en barque. Par ailleurs l'inondation de la cave au moment de l'accident ne fait l'objet d'aucune contestation sérieuse et n'a pu qu'exercer une force dirigée verticalement sur l'escalier litigieux.
L'ensemble de ces circonstances constitue un faisceau de présomptions suffisant pour permettre à la cour de retenir que la chute de Madame Ginette Demachy épouse Desimeur est bien imputable à un vice de la construction, à savoir un défaut de scellement de l'escalier de la cave qui a permis la chute de celui-ci lorsque la victime l'a emprunté.
C'est par ailleurs vainement que Carpi (SA) invoque l'existence d'un cas de force majeure en faisant valoir que les pluies torrentielles qui ont frappé le canton de Rethel en décembre 1993 et qui a donné lieu à un arrêté en date du il janvier 1994 constatant un état de catastrophe naturelle constituaient un événement extérieur, imprévisible et irrésistible, alors qu'il est manifeste que l'escalier litigieux serait resté en place nonobstant l'inondation de la cave s'il avait été correctement scellé
Sur la garantie de Carpi (SA) ;
Comme l'a justement retenu le Tribunal de grande instance de Charleville-Mézières dans son jugement rendu le 7 mai 1999, la seule action ouverte à Madame Ginette Demachy épouse Desimeur contre Carpi (SA) est l'action en garantie décennale, dès lors que l'article IV du contrat stipule que le vendeur doit à l'acquéreur la garantie des vices au sens et dans les termes des articles 1642-1,1646-1 et 1648, alinéa 2, du Code civil et précise que les dites garanties se substituent à celles ordinaires de la vente résultant notamment des articles 1641 à 1649 du même Code et que le vendeur ne sera pas tenu à la garantie des vices cachés telle qu'elle résulte de l'article 1643 du Code civil.
Il échet de considérer que l'insertion d'une telle clause de substitution conventionnelle de garantie dans un contrat de vente à terme est à la fois parfaitement licite et opposable à l'acquéreur et qu'elle exclut toute garantie de la part du vendeur au-delà de 10 ans à compter de l'achèvement de l'ouvrage pour des désordres imputables comme en l'espèce à des vices de construction, ce nonobstant l'absence de transfert de propriété de l'ouvrage à l'acquéreur jusqu'au paiement intégral du prix, qui ne permet pas pour autant aux acquéreurs d'invoquer les dispositions des articles 1719, § 30 et 1720 du Code civil. Il s'ensuit que c'est à tort que les premiers juges ont retenu que la prescription décennale ne pouvait être opposée au locataire- attributaire avant le transfert de propriété.
La cour observe au demeurant que Madame Ginette Demachy épouse Desimeur n'a proposé aucun autre fondement juridique à son action en indemnisation de son préjudice.
Carpi (SA) justifie en l'occurrence que l'achèvement des travaux a été contradictoirement constaté par les parties selon procès-verbal daté du 18 décembre 1979. Il s'évince en outre des stipulations de l'article IV du contrat de vente que cette constatation contradictoire de l'achèvement des travaux avec les acquéreurs, qui vaut prise de possession des lieux par ces derniers, constitue le point de départ des différents délais de garantie, de sorte que c'est à tort que dans ses écritures de première instance, Madame Ginette Demachy épouse Desimeur a soutenu que le délai de garantie décennale n'avait jamais couru, faute pour Carpi (SA) de justifier de la réception contradictoire de l'ouvrage avec les constructeurs.
Dès lors, Carpi (SA) est fondée à opposer à Madame Ginette Demachy épouse Desimeur et à la Caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes la prescription de leur action fondée sur l'existence d'un vice cache affectant la construction.
Il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement entrepris en toutes dispositions et de débouter Madame Ginette Demachy épouse Desimeur et la Caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes de l'ensemble de leurs prétentions.
Compte tenu des éléments de la cause, il s'avère conforme à l'équité de laisser entièrement à la charge des parties les frais irrépétibles qu'elles ont exposés.
Par ces motifs , LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Dit recevable, mais mal fondé l'appel formé à titre principal par Madame Ginette Demachy épouse Desimeur; Dit en revanche recevable et bien fondé l'appel incident formé par la société anonyme Carpi; Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 12 mai 2000 par le Tribunal de grande instance de Charleville-Mézières; et, statuant a nouveau, Constate en application des articles 1646-1, 1792 et 2270 la forclusion décennale des actions en réparation formées par Madame Ginette Demachy épouse Desimeur et la Caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes à l'encontre de la société anonyme Carpi et fondées sur l'existence d'un vice de construction ; Déboute en conséquence Madame Ginette Demachy épouse Desimeur et la Caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes de l'ensemble de leurs prétentions; Déboute la société anonyme Carpi de Sa demande en paiement d'une indemnité au titre de ses frais irrépétibles; Condamne Madame Ginette Demachy épouse Desimeur et la Caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes aux dépens de première instance et d'appel et autorise la société civile professionnelle Delvincourt Jacquemet, Avoués, à procéder au recouvrement direct des dépens de l'instance d'appel dans les conditions fixées par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.