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Décisions

CA Aix-en-Provence, 1re ch. civ. B, 26 janvier 1994, n° 91-14027

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Del Grande

Défendeur :

Kogan

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ransac

Conseillers :

MM. Roudil, Djiknavorian

Avoués :

SCP Martelly Maynard, Me Magnan

Avocats :

Mes Luciani, Augereau

TGI Grasse, 2e ch., du 4 juin 1991

4 juin 1991

I - Faits et procédure :

Monsieur Del Grande a vendu à Monsieur Kogan au prix de 1 800 000 F une propriété située à Saint Paul de Venge, composée d'une villa et d'une piscine, par acte authentique du 10 janvier 1986 stipulant notamment que l'acquéreur s'oblige à "prendre l'immeuble présentement vendu dans son état actuel sans pouvoir exercer aucun recours ni répétition contre le vendeur pour cause de mauvais état du sol, mitoyenneté, défaut d'alignement, d'erreur dans la désignation ou dans la contenance ..." ; les parties s'accordaient pour partager la jouissance des lieux au cours des années 1986, 1987 et 1988.

Soutenant s'être aperçu de la présence d'une fissure entre la piscine et la villa, ayant provoqué d'importantes fuites d'eaux ainsi que des infiltrations sous la villa, Monsieur Kogan obtenait l'instauration d'une expertise confiée à Monsieur Jacob par ordonnance de référé du 1er mars 1989, puis, par ordonnance du 21 juin 1989, l'autorisation de faire effectuer à ses frais, sous sa responsabilité et par les entreprises de son choix, les travaux confortatifs préconisés par Monsieur Jacob qui était commis à l'effet de contrôler leur bonne fin et de vérifier leur montant.

Monsieur Kogan avait, entre-temps, assigné Monsieur Del Grande au fond le 24 février 1989.

Par jugement en date du 4 juin 1991 le tribunal de grande instance a, sur la base d'un rapport d'expertise de Monsieur Jacob du 27 septembre 1989 contenant à la fois ses constatations initiales et le contrôle de bonne fin des travaux :

- Déclaré Monsieur Kogan recevable et bien-fondé en son action.

- Condamné Monsieur Del Grande à lui payer les sommes de :

1) 596 065,21 F (valeur septembre 1989) correspondant au coût des travaux de réfection.

2) 100 000 F à titre de dommages-intérêts.

3) 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

- Rejeté toutes autres demandes.

- Ordonné l'exécution provisoire pour les deux premières condamnations.

Ayant relevé appel de ce jugement par déclaration du19 juillet 1991,MonsieurDel Grande conclut aux fins suivantes :

- Dire que Monsieur Del Grande n'est ni constructeur professionnel ni vendeur professionnel, et qu'aucune responsabilité ne peut-être retenue contre lui sur le fondement du vice caché.

- Constater la bonne foi de l'appelant et lui donner acte de ce qu 'il offre de régler la moitié du coût des désordres constatés.

- Condamner Monsieur Kogan à la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Au soutien de son appel il invoque :

- L'irrecevabilité de l'action exercée après l'expiration du bref délai imparti, 3 années après l'acquisition.

- L'exonération de responsabilité résultant de la stipulation de non garantie, à tort qualifiée par le premier Juge de clause de style et écartée en raison de sa mauvaise foi, alors d'une part qu'il est de bonne foi, n'ayant pas la qualité de professionnel en la matière et n'ayant caché ni qu'il avait lui- même réalisé les travaux ni que la piscine était construite sur du remblai, et d'autre part que Monsieur Kogan a accepté cette clause claire et précise.

- Le caractère apparent des désordres consistant en des fissures visibles sur la piscine et ses abords ainsi que sur la partie Nord-Ouest de la villa,

- Le caractère non contradictoire de l'expertise effectuée pendant la réalisation des travaux confortatifs, ceux-ci ayant été exécutés et leur évaluation faite par l'expert sans contrôle contradictoire des parties, situation aboutissant à un coût exorbitant et à la prise en compte de travaux étrangers à l'objet de la procédure.

- Le déséquilibre économique entre le prix de l'acquisition et le coût des travaux qui en représente le tiers, tandis que l'ensemble des sommes réclamées correspond à la moitié de son montant.

Monsieur Kogan conclut à la confirmation du jugement entrepris, avec allocation de la somme de 30 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, aux motifs que :

- L'action a été exercée à bref délai, les désordres étant apparus en octobre 1988 puis en janvier- février 1989.

- La clause d'exclusion de garantie ne peut produire effet au profit de Maître El Grande qui avait la qualité de vendeur professionnel pour avoir lui-même conçu et réalisé les constructions vendues dont il connaissait les vices, auxquels il a, en outre, tenté de remédier en octobre 1988.

- L'expertise a été réalisée au contradictoire des parties convoquées aux réunions.

- Les désordres en cause constituent des vices cachés antérieurs à la vente suivant la motivation du jugement entrepris.

II - Motifs de la décision :

- Sur le bref délai :

Attendu, sur la fin de non-recevoir tirée de l'expiration du bref délai de l'article 1648 du Code civil, qu'il résulte des éléments de la cause que Monsieur Kogan, qui n'occupait qu'épisodiquement les lieux habités par Monsieur Del Grande dans les années suivant l'acquisition, n'a découvert les désordres affectant les constructions qu'en octobre 1988 à l'occasion de la réalisation par Monsieur Del Grande de travaux, et qu'il n'en a eu une réelle connaissance, quant à leur importance au regard de leurs manifestations, causes et conséquences préjudiciables, qu'en janvier/février 1989, recourant alors à un avis technique du 7 février 1989 les caractérisant.

Qu'étant en effet dénué de compétence technique en matière de construction, Monsieur Kogan n'a pu normalement déceler plus tôt ces désordres qui n'étaient pas apparents, quand bien même certaines fissures auraient-elles été visibles, ni leur nature ni leur incidence ne pouvait alors être appréciée par un profane.

Attendu qu'en exerçant dès lors son action au fond le 24 février 1989 Monsieur Kogan a agi à bref délai au sens de l'article 1648 du Code civil, en sorte que son action est recevable.

- Sur la non-garantie :

Attendu, sur la clause d'exclusion de garantie, qu'il est constant que Monsieur Del Grande est l'auteur de la construction de la villa et de la piscine, ayant lui-même, sans recourir à des professionnels ni s'assurer de leurs conseils, procédé à leur conception en dressant les plans et dirigé la réalisation des travaux (pages 6 et 16 du rapport d'expertise) sur un terrain dont il a pu mesurer, à l'origine et en cours de travaux, les difficultés d'assise liées à son caractère accidenté ayant nécessité l'apport de remblais plus ou moins compactés.

Que ce faisant, il lui appartenait d'assumer les risques et la responsabilité lies à la qualité de constructeur, au titre de laquelle il est censé connaître les vices de l'ouvrage.

Attendu que, dans ces conditions, Monsieur Del Grande ne peut opposer à Monsieur Kogan la clause d'exclusion de garantie de l'acte de vente, celui-ci ne précisant pas que les constructions ont été réalisées par le vendeur lui-même, qui ne démontre pas en avoir autrement informé l'acquéreur avant la vente.

Attendu que la réunion des autres conditions de la garantie des vices cachés retenue par la décision entreprise n'étant pas contestée en cause d'appel et résultant notamment de ce que les défauts antérieurs à la vente compromettent gravement la destination de l'immeuble, c'est à juste titre que le premier Juge a déclaré Monsieur Kogan recevable et bien-fondé en sa demande.

- Sur l'expertise complémentaire :

Attendu qu'il ne résulte pas du rapport d'expertise ni des autres documents produits que la mission complémentaire confiée à l'expert le 21 juin 1989 ait été exécutée au contradictoire de Monsieur Del Grande en conformité avec les dispositions de l'article 160 du nouveau Code de procédure civile comme l'a été l'expertise initiale, dont la régularité n'est pas contestée à cet égard en sa partie qualifiée de "pré-rapport".

Attendu qu'en effet le rapport de contrôle de bonne fin, particulièrement en ses énonciations relatives aux diligences de l'expert et des parties, n'indique aucunement que les opérations relatives à la réalisation des travaux et à la détermination de leur montant définitif normal aient donné lieu à convocation des deux parties ou à exécution de diligences quelconques en leur présence, étant seulement précisé sur ce point que l'expert s'est déplacé 14 fois sur les lieux, dont une fois avec le sapiteur désigné par le demandeur.

Qu'il n'est pas davantage établi que les résultats des vérifications et travaux accomplis par l'expert aient été communiqués aux parties pour observations avant établissement des conclusions définitives du technicien ; que si l'intimé fait état, dans ses conclusions de première instance, d'une lettre adressée par l'expert le 27 septembre 1989 au conseil de Monsieur Del Grande, cette correspondance n'est pas produite devant la cour.

Attendu que ces opérations procèdent donc d'une violation du caractère contradictoire de l'expertise, qui correspond, conformément aux dispositions des articles 175 et 112 à 115 du nouveau Code de procédure civile à une nullité de forme.

Que cette nullité n~ a pas été régularisée ni couverte, Monsieur Del Grande l'ayant soulevée avant toute défense au fond ou fin de non recevoir après dépôt du rapport, et qu'elle cause grief à ce dernier qui n' a pu, alors que Monsieur Kogan était assisté d'un technicien, exercer son droit de contrôle et formuler ses observations sur l'évaluation des travaux exécutés.

Attendu qu'il y a lieu, dans ces conditions et en application de l'article 176 du nouveau Code de procédure civile, d'annuler les opérations d'expertise afférentes à la mission complémentaire du 21 juin 1989 et, en conséquence, de ne prendre en considération que le seul rapport d'expertise du 27 septembre 1989 en sa partie antérieure à l'exécution des 'w travaux de reprise, qualifiée de "pré- rapport

- Sur la réparation des vices :

Attendu que l'évaluation de l'indemnisation au titre des travaux de reprise, qui n'est pas nécessairement proportionnelle au prix de vente comme le soutient l'appelant, doit se faire, en l'état de l'annulation de l'expertise complémentaire, compte tenu du rapport contradictoire de l'expert, en date du 27 septembre 1989.

Attendu que le technicien a ainsi procédé à une évaluation s'élevant à 515 819,64 F TTC qui, correspondant au coût normalement prévisible des travaux de reprise, justifiée par ses premières opérations, non discutée depuis par les parties ni contredite par aucun document contradictoire, sera retenue comme base de détermination suffisante, sans qu'il y ait lieu de recourir à une nouvelle mesure d'instruction ; qu'il échet, en conséquence, de confirmer le jugement entrepris, qui a fait une exacte appréciation des troubles de jouissance consécutifs à l'existence des vices et à l'exécution des travaux de réparation en fixant leur indemnisation à la somme de 100 000 F, sauf à réduire le montant de la condamnation principale prononcée contre Monsieur Del Grande à la somme de 515 819,64 F.

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur Kogan l'intégralité des frais distincts des dépens exposés en cause d'appel ; qu'à ce titre la somme supplémentaire de 5 000 F lui sera allouée.

Attendu que les dépens d'appel seront laissés à la charge de Monsieur Del Grande qui succombe sur l'essentiel de son recours,

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, - Reçoit Monsieur Del Grande en son appel. - Infirme partiellement le jugement entrepris en ses dispositions relatives au coût des travaux de réfection, et statuant à nouveau, Annule les opérations d'expertise afférentes à la mission complémentaire du 21 juin 1989. Condamne Monsieur Del Grande à payer à Monsieur Kogan la somme de cinq cent quinze mille huit cent dix neuf F soixante quatre centimes (515 819,64 F) TTC au titre des travaux de réfection. - Confirme le jugement entrepris en toutes autres dispositions non contraires. - Condamne Monsieur Del Grande à payer à Monsieur Kogan la somme supplémentaire de cinq mille F (5 000 F) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. - Rejette toutes autres prétentions des parties. - Condamne Monsieur Del Grande aux dépens d'appel, que Maître Magnan, Avoué, est autorisé à recouvrer conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile,