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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 6 avril 2004, n° 2003-18241

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

France-Manche (SA), The Channel Tunnel Group Limited (Sté)

Défendeur :

EDF (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Grellier

Conseillers :

M. Le Dauphin, Mme Penichon

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Monin

Avocats :

Mes Chemla, Vogel, Calvet

Com. Rég. Ener., du 11 sept. 2003

11 septembre 2003

Après avoir, à l'audience publique du 9 mars 2004, entendu les conseils des parties et de la Commission de la régulation de l'énergie et les observations du Ministère public, les conseils des parties ayant eu la parole en dernier Les sociétés France-Manche et The Channel Tunnel Group Limmited (ci-après CTG) sont associées au sein de la société en participation Eurotunnel ayant pour objet la gestion des infrastructures du tunnel sous la manche qui leur a été concédée, le 14 mars 1989, par la France et la Grande-Bretagne.

Eurotunnel, qui est un client éligible au sens de l'article 22 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, a mis fin, le 1er avril 2000, au contrat intégré conclu avec EDF, portant tant sur la fourniture de l'énergie nécessaire à l'alimentation de ses installations que sur son transport.

Eurotunnel a alors conclu un contrat d'achat d'électricité avec un fournisseur de son choix et a, parallèlement, conclu avec le service gestionnaire, au sein d'EDF, du réseau public de transport d'électricité (ci-après dénommé le gestionnaire du réseau public de transport d'électricité ou RTE) plusieurs contrats successifs de mise à disposition d'électricité, dits contrats MADE.

A la suite de l'entrée en vigueur, le 1er novembre 2002, du décret n° 2002-1014 du 19 juillet 2002 fixant, sur proposition de la Commission de régulation de l'énergie, les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité en application de l'article 4 de la loi du 10 février 2000, RTE a proposé à Eurotunnel un projet de contrat d'accès au réseau public de transport d'électricité (dit contrat "CART").

Un différend a alors opposé les parties, portant principalement sur le point de savoir si la tension de raccordement qu'il y avait lieu de retenir pour la détermination du tarif d'accès au réseau public de transport d' électricité devait être de 400 kV, comme le soutenait Eurotunnel, ou de 225 kV, comme le soutenait RTE, ce dernier tarif, correspondant au domaine de tension HTB 2, étant plus élevé que celui appliqué aux utilisateurs raccordés à la tension 400 kV, correspondant au domaine de tension HTB 3.

Le 6 juin 2003, les sociétés France-Manche et CTG ont, en application des dispositions de l'article 38 du 10 février 2000, saisi la Commission de régulation de l'énergie d'une demande de règlement d'un différend l'opposant au gestionnaire du réseau public de transport d'électricité et relative, en premier lieu, à la détermination du tarif d'accès audit réseau et, en second lieu, à la désignation des ouvrages pour lesquels Eurotunnel doit supporter les frais d'exploitation, d'entretien et de renouvellement (EER).

Par décision du 11 septembre 2003, la Commission de régulation de l'énergie a tranché le différend qui lui était soumis dans les termes suivants :

Article 1 - Pour la facturation de l'accès au réseau public de transport, RTE doit appliquer à Eurotunnel le tarif défini par le décret n° 2002-1014 du 19 juillet 2002 correspondant à la tension de raccordement HTB 2.

Article 2 - RTE n'est pas fondé à appliquer la facturation de frais d'exploitation, entretien et renouvellement de la ligne n° 3 du raccordement d'Eurotunnel.

Article 3 - Le surplus des conclusions d'Eurotunnel est rejeté.

LA COUR,

Vu le recours formé, dans le délai fixé à l'article 38 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000, par les sociétés France-Manche et CTG suivant déclaration du 16 octobre 2003, contenant l'exposé des moyens, par lequel les requérantes demandent à la cour:

- à titre principal, de réformer la décision déférée, à l'exception de son article 2 et, statuant à nouveau :

* de retenir que la tension de raccordement des installations d'Eurotunnel est de 400 kV ; de juger en, conséquence, que pour la facturation de l'accès au réseau public de transport d'électricité, RTE doit facturer à Eurotunnel le tarif applicable au domaine de tension HTB 3, défini par le décret du 19 juillet 2002,

* de juger en conséquence que RTE n'était pas fondé à facturer à Eurotunnel le tarif applicable au domaine de tension HTB 2 depuis le 1er avril 2000 et de condamner en conséquence RTE à restituer à Eurotunnel les sommes trop perçues de ce fait depuis cette date avec intérêts au taux légal à compter de la même date,

* de nommer tel expert qu'il appartiendra aux frais de RTE avec mission de faire les comptes entre les parties et de déterminer la somme devant revenir à Eurotunnel du fait de l'application du tarif correspondant au domaine de tension HTB 3 depuis le 1er avril 2000.

* de juger que le raccordement d'Eurotunnel ne comporte qu'un seul point de raccordement et que certains ouvrages du raccordement lui sont réservés dans les conditions prévues dans sa convention de raccordement,

- à titre subsidiaire, de condamner RTE à rembourser à Eurotunnel la somme de 6 256 507,60 euro correspondant aux coûts des ouvrages à la tension 400 kV qui ont été mis à la charge d'Eurotunnel,

- en tout état de cause, de condamner RTE à lui payer la somme de 35 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu le mémoire en réponse du 22 décembre 2003 par lequel RTE demande à la cour de:

"Confirmer la décision rendue par la CRE le 11 septembre 2003 dans le différend opposant RTE à Eurotunnel,

1 - Sur la tension de raccordement:

* de déclarer irrecevable la demande formulée à titre subsidiaire par Eurotunnel en remboursement de ses ouvrages de raccordement,

* de dire que RTE est fondé à appliquer à Eurotunnel le tarif d'accès au réseau public de transport à la tension de 225 kV,

2 - Sur la ligne d'alimentation des auxiliaires d'Eurotunnel,

* de dire qu'à défaut de frais d'EER, la ligne d'alimentation des auxiliaires doit faire l'objet d'un contrat d'accès au réseau (CART) distinct, à titre subsidiaire, de dire que RTE est fondé à percevoir une rémunération pour la mise à la disposition de la ligne d'alimentation des auxiliaires,

3 - En tout état de cause, de condamner Eurotunnel au paiement de la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile" ;

Vu les observations déposées par la Commission de régulation de l'énergie, le 20 janvier 2004, en application des dispositions de l'article 11 du décret n° 2000-894 du 11 septembre 2000 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 23 février 2004 par Eurotunnel ;

Le Ministère public entendu en ses conclusions, mises à la disposition des parties, tendant au rejet du recours ;

Sur ce:

Sur la demande relative à la tension de raccordement des installations d'Eurotunnel:

Considérant que les tarifs d'accès au réseau public de transport d'électricité qui, selon l'article 4 du décret n° 2001-365 du 26 avril 2001 relatif aux tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité, sont fonction de la tension de raccordement, sont fixés par les dispositions annexées au décret n° 2002-1014 du 19 juillet 2002 ; que ces dispositions, qui définissent les domaines de tension des réseaux précités et déterminent les valeurs des coefficients de la formule tarifaire correspondants, précisent, à la section 3 du chapitre 11, que "la tarification de l'utilisation des réseaux publics s'effectue par point de raccordement" ; qu' il s'ensuit que la tension de raccordement doit être mesurée au point de raccordement de l'utilisateur et que la mise en œuvre de la réglementation tarifaire implique que soit définie la notion de point de raccordement;

Considérant qu'Eurotunnel soutient que la réglementation en vigueur commande de définir le point de raccordement comme étant le point de connexion des ouvrages de raccordement au réseau public de transport, en amont de ces ouvrages et que l'application de cette définition conduit, ce que conteste RTE, à situer le point de raccordement de son site au poste 400 kV des Mandarins de sorte qu'il y a lieu de retenir le domaine de tension HTB 3 pour la détermination du tarif d'accès au réseau public de transport d'électricité ;

Mais considérant, en premier lieu, que c'est sans encourir aucune des critiques du recours que la Commission de régulation de l'énergie énonce que le point de raccordement doit s'entendre, au sens des textes relatifs aux tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité, comme le point limite de propriété des ouvrages électriques entre les ouvrages de l'utilisateur et ceux relevant de la concession du réseau d'alimentation générale ;

Considérant, à cet égard, qu'Eurotunnel se prévaut vainement de la définition du point de raccordement figurant à l'article 2 du décret n° 2003-588 du 27 juin 2003 relatif aux prescriptions techniques générales de conception et de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les installations en vue de leur raccordement au réseau public de transport d' électricité, à savoir le "point physique projeté pour la connexion de l'installation au réseau public par l'intermédiaire d'ouvrages de raccordement à construire" ; qu'en effet, cette définition n'est donnée, ainsi que le rappelle expressément l'article susvisé, que "pour l'application" du décret qui la contient tandis que l'article 3 dudit décret dispose que celui-ci, dont l'objet est de fixer les prescriptions techniques générales de conception et de fonctionnement, prévues à l'article 14 de la loi du 10 février 2000, auxquelles doivent satisfaire les installations pour leur raccordement au réseau public de transport d' électricité, s'applique aux installations devant faire l'objet d'un premier raccordement au réseau public de transport ou qui font l'objet de modifications importantes de leurs caractéristiques électriques précisées, pour chaque type d'installation, par arrêté du ministre chargé de l'Energie; qu'ainsi ce texte n'a pas vocation à s'appliquer en matière de tarification ;

Considérant, en second lieu, que la Commission de régulation de l'énergie a, sans davantage encourir les griefs du recours, constaté que les points physiques de connexion d'Eurotunnel au réseau public de transport, concédé à EDF et dont RTE est le gestionnaire, sont à la tension de 225 kV, étant ici précisé qu'aux termes de l'article 1er de la convention de raccordement du poste d'Eurotunnel au réseau d'EDF conclue le 17 février 1989, "le poste "'tunnel" sera alimenté en énergie électrique par 3 câbles 225 kV depuis le poste EDF 225 kV de Mandarins", ces 3 liaisons câbles et les 3 cellules 225 kV au poste 225 kV de Mandarins faisant partie des ouvrages de raccordement, et que selon l'article 2 de ladite convention les ouvrages de raccordement décrits à l'article 1er font partie de la concession d'EDF jusqu'aux limites de propriété dans le poste "tunnel" lesquelles se situent aux plages de raccordement des têtes de câble 225 kV, ces éléments relevant du réseau concédé;

Qu'au demeurant, Eurotunnel, s'il soutient que la CRE s'est fondée sur une définition erronée de la notion de point de raccordement, ne conteste pas que les points physiques de connexion de ses installations électriques et de celles intégrées au réseau d'alimentation générale, situés en aval des ouvrages de raccordement, sont à la tension de 225 kv;

Considérant qu'il résulte des constatations qui précèdent que la CRE n'a fait qu'appliquer les dispositions réglementaires déterminant le tarif d'accès au réseau public de transport d'électricité en décidant que pour la facturation de l'accès au réseau public de transport, RTE doit appliquer le tarif correspondant au niveau de tension HTB 2 ;

Et considérant qu'en vertu de l'article 1er du décret susvisé n° 2000-365 du 26 avril 2001 les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité sont fixés conformément aux dispositions de ce décret et de celles du décret n° 2002-1014 du 19 juillet 2002 nonobstant toute disposition contraire des cahiers des charges des concessions, des règlements de service des régies, des contrats et des protocoles;

Qu'il en résulte, comme le relève à bon droit la CRE, que quels que soient les engagements contractuels conclus entre EDF et Eurotunnel pour le raccordement avant l'entrée en vigueur de la loi du 10 février 2000, le tarif d'utilisation applicable ne peut être déterminé que selon les règles définies par les décrets susvisés ;

Qu'est en conséquence inopérant le moyen d'Eurotunnel fondé sur la prétendue méconnaissance par la Commission de régulation de l'énergie de la convention de raccordement conclue le 17 février 1989 avec EDF, alors même que celle-ci ne serait considérée que sous le rapport de la détermination des caractéristiques techniques du raccordement dès lors que l'application à ces dernières de la définition du point physique de raccordement retenue par la décision déférée conduit à la tarification fixée par celle-ci;

Considérant que sont pareillement inopérants les moyens critiquant les motifs surabondants par lesquels la Commission de régulation de l'énergie a répondu aux divers arguments articulés par Eurotunnel et qui, selon les requérantes, exprimeraient "la logique économique qui fonde la décision de la CRE", observation étant faite que le motif relatif à l'existence de deux points physiques de raccordement distincts, loin de venir au soutien du chef de la décision relatif à la fixation du tarif d'accès au réseau public de transport d'électricité, n'est que l'un des éléments de la motivation par laquelle la CRE a répondu, pour la déclarer dépourvue de fondement, à l'argumentation de RTE tendant à faire dire que le gestionnaire du réseau public de transport était fondé à facturer à Eurotunnel des frais d'EER au titre de la ligne n° 3 ;

Considérant, dès lors, que le recours en réformation d'Eurotunnel ne peut qu'être rejeté ;

Sur les autres demandes

Considérant qu'Eurotunnel demande à la cour, à titre subsidiaire, de condamner RTE à lui rembourser la somme de 6 256 507,60 euro correspondant aux coûts des ouvrages de son raccordement à la tension de 400 kV qui ont été mis à sa charge ; qu'elle précise, aux termes de son mémoire en réplique, qu'il s'agit là d'une "demande d'indemnisation en matière de travaux publics" ;

Mais considérant qu'une telle demande est irrecevable faute d'avoir été évoquée lors de la procédure de règlement du différend l'opposant à RTE suivie devant la Commission de régulation de l'énergie ; qu'il doit être, au surplus, observé qu'il n'aurait pas été au pouvoir de la Commission, à laquelle il appartient de préciser les conditions d'ordre technique et financier de règlement du différend dont elle a à connaître, de condamner le gestionnaire du réseau public de transport d'électricité à payer à Eurotunnel une somme destinée à réparer le préjudice prétendument subi du fait du financement de certains ouvrages de raccordement au réseau;

Considérant que tout en précisant dans le corps de son mémoire en réponse (p. 24, dernier alinéa) qu'il "est demandé à la cour de confirmer en son intégralité la décision rendue par la CRE le 11 septembre 2003", cette demande de confirmation étant réitérée au dispositif dudit mémoire, RTE demande par ailleurs à la cour, aux termes de ce même dispositif, de dire, quant à la ligne d'alimentation des auxiliaires d'Eurotunnel, qu'à défaut de frais d'EER, la ligne d'alimentation des auxiliaires doit faire l'objet d'un contrat d'accès au réseau et, à titre subsidiaire, de dire qu'il est fondé à percevoir une rémunération pour la mise à disposition de la ligne d'alimentation des auxiliaires ;

Considérant, cependant, qu'à supposer que ces termes doivent être regardés, en dépit des mentions ci-dessus reproduites de son mémoire, comme constituant l'énoncé de prétentions par RTE, celles-ci doivent être déclarées irrecevables dès lors qu'elle tendent à la réformation de la décision du 11 septembre 2003, laquelle a rejeté toutes les prétentions de RTE relatives aux frais d'EER, et que leur auteur n'a pas formé de recours contre ladite décision ;

Considérant qu'il convient de rejeter les demandes réciproquement formées en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, Confirme la décision déférée ; Rejette toute autre demande ; Dit que chaque partie conservera la charge des frais par elle exposés au titre du présent recours.