CA Paris, 1re ch. H, 8 juin 2004, n° 2003-20637
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
EDF (Sté)
Défendeur :
Cogé de Kerverzet (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lacabarats
Conseillers :
Mme Penichon, M. Le Dauphin
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, Me Buret
Avocats :
Mes Saulais, Pintat, Baverez.
En vue de s'assurer de la fourniture à un moindre coût de l'énergie électrique nécessaire au chauffage des serres de production de légumes qu'elle exploite et de diversifier son activité vers la production d'électricité, la société Daré a décidé de mettre en place un système de cogénération et a créé à cette fin la société Cogé de Kerverzet.
Le 11 avril 2003 la société Eneria, agissant pour le compte de la société Cogé de Kerverzet, a transmis à EDF les pièces requises pour la réalisation de l'étude exploratoire et de l'étude détaillée de raccordement au réseau public d'électricité de l'installation de cogénération qu'elle envisageait de construire sur le site de Kerverzet, à Guipavas.
Par lettre du 17 avril 2003, EDF a accusé réception de cette demande en mentionnant qu'il avait bien noté que la société Cogé de Kerverzet souhaitait une étude exploratoire de raccordement. Le 24 avril 2003, la société Cogé de Kerverzet a adressé à EDF un document complétant sa demande d'étude de raccordement détaillée.
Par lettre du 26 mai 2003, EDF a transmis à la société Cogé de Kerverzet les résultats de l'étude exploratoire. Il y est mentionné, sous la rubrique " Chiffrage du raccordement ", la somme de 21 300 euro et précisé que ce chiffrage n'a pas valeur de devis de raccordement, un devis ne pouvant être établi qu'après étude détaillée.
Par lettre du 30 juillet 2003, la société Cogé de Kerverzet a fait savoir à EDF que, n'étant toujours pas en possession de la proposition technique et financière, laquelle aurait dû lui parvenir le 24 juillet 2007 à la suite de sa demande d'étude détaillée du 24 avril 2003, elle considérait que le " devis " transmis le 26 mai 2003 pour un montant global de 21 300 euro faisait office de proposition technique et financière pour le raccordement de son installation de cogénération sur le réseau. A cette lettre était joint un chèque de 12 737,40 euro correspondant à 50 % de montant précité qu'EDF a retourné le 8 août 2003 à la société Cogé de Kerverzet en l'informant de la prochaine transmission d'une proposition technique et financière.
Par lettre du 14 août 2003, EDF a transmis à la société Cogé de Kerverzet une proposition technique et financière en vue du raccordement de l'installation électrique de production du site de Kerverzet, mentionnant, au titre des travaux HTA qu'outre la création d'une dérivation souterraine de 320 m, " l'adaptation de 5 993 m de conducteurs HTA sur le départ du producteur ainsi que sur les autres départs du poste source sont nécessaires en raison du dépassement de la venue des conducteurs en court-circuit" et faisant état d'un prix total de 317 762 euro hors taxes incluant la somme de 289 378 euro au titre des travaux d'adaptation de 5 993 m des réseaux HTA aériens.
Le 5 septembre 2003, la société Cogé de Kerverzet, après avoir vainement demandé à EDF d'établir une proposition technique et financière correspondant à "l'ordre de grandeur" de l'étude exploratoire, a saisi la Commission de régulation de l'énergie d'une demande de règlement du différend l'opposant au gestionnaire du réseau public de distribution et lui a demandé, à titre principal, d'enjoindre à EDF de lui présenter une proposition technique et financière dont le montant soit du même ordre que l'étude exploratoire.
Le 30 octobre 2003, la Commission de régulation de l'énergie a pris la décision suivante:
Article 1er: le montant de la proposition technique et financière établie par EDF, gestionnaire du réseau public de distribution, est diminué de la somme de 289 378 euro (hors taxes) correspondant au poste travaux d'adaptation du réseau HTA",
Article 2: le surplus des conclusions de la société Cogé de Kerverzet est rejeté.
LA COUR,
Vu le recours en annulation et subsidiairement en réformation formé, dans le délai fixé à l'article 38 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000, par Electricité de France, gestionnaire du réseau public de distribution, suivant déclaration du 4 décembre 2003, contenant l'exposé complet des moyens, par lequel le requérant demande à la cour:
- à titre principal: d'annuler la décision de la Commission de régulation de l'énergie en date du 30 octobre 2003, de dire qu'EDF n'a pas manqué à son obligation de transparence, tant au niveau de l'étude exploratoire, qu'au niveau de la proposition technique et financière, compte tenu des données techniques et de l'obligation de confidentialité,
* de dire que le prix du raccordement doit être fixé conformément à la proposition technique et financière en date du 14 août 2003,
- à titre subsidiaire: d'annuler la décision de la Commission de régulation de l'énergie en date du 30 octobre 2003,
* de désigner un expert ayant pour mission de déterminer si la solution préconisée par EDF dans sa proposition technique et financière correspond à un objectif de recherche du meilleur coût et si les travaux figurant dans cette étude sent nécessaires pour le raccordement de l'installation de cogénération de la société Cogé de Kerverzet au réseau de distribution d'électricité,
* de dire que l'expert désigné obtiendra communication, en tant que de besoin, des informations protégées par le principe de confidentialité, relatives à l'établissement de la proposition technique et financière par EDF,
* de dire que l'expert devra respecter l'obligation de confidentialité en ce qui concerne les informations commercialement sensibles, vis-à-vis de la société Cogé de Kerverzet.
- à titre très subsidiaire, d'annuler la décision de la Commission de régulation de l'énergie en date du 30 octobre 2003, de dire qu'EDF produira auprès de la Commission de régulation de l'énergie l'ensemble des informations relatives aux "méthodes générales et aux hypothèses utilisées" pour élaborer la proposition technique et financière, conformément aux dispositions de l'article 5 du décret n° 2003-229 du 13 mars 2003.
* de dire qu'EDF communiquera à la Commission de régulation de l'énergie, en tant que de besoin, les informations protégées par le principe de confidentialité, relatives à l'établissement de sa proposition technique et financière,
* de dire que la Commission de régulation de l'énergie devra respecter l'obligation de confidentialité en ce qui concerne les informations commercialement sensibles, vis-à-vis de la société Cogé de Kerverzet,
- en tout état de cause, de condamner la société Cogé de Kerverzet à lui payer la somme de 7 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu le mémoire en réponse en date du 9 février 2004 par lequel la société Cogé de Kerverzet demande à la cour de rejeter le recours et de condamner EDF à lui payer la somme de 3 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les observations déposées par la Commission de régulation de l'énergie, le 8 mars 2004, en application des dispositions de l'article 11 du décret n° 2000-894 du 11 septembre 2000;
Vu le mémoire en réplique déposé le 5 avril 2004 par EDF;
Le Ministère public entendu en ses conclusions, mises à la disposition des parties, tendant au rejet du recours, le requérant ayant eu la parole en dernier;
Sur ce:
Considérant que le requérant fait en premier lieu grief à la Commission de régulation de l'énergie d'avoir violé le principe de la contradiction; qu'il expose, à l'appui de ce moyen, que la Commission s'est fondée, pour retenir le prétendu manquement d'EDF à son obligation de transparence, sur des éléments de fait nouveaux sur lesquels EDF n'a été invité, ni lors de l'instruction, ni lors de la séance du 30 octobre 2003, à "débattre sérieusement" et qui sont relatifs à la possibilité de modéliser le réseau nécessaire à l'étude aux fins de présentation avec des éléments agrégés, à la communicabilité des résultats de l'étude portant sur les puissances de court-circuit et aux données de coût des équipements qu'EDF doit mettre en œuvre pour raccorder le demandeur; que le requérant ajoute qu'à aucun moment il n'a été invité à débattre sur la question relative à la possibilité de connaître, dès le stade de l'étude exploratoire au vu des études supposées avoir déjà été réalisées, les contraintes de puissance de court-circuit;
Mais considérant, d'abord, que ai la Commission de régulation de l'énergie a estimé qu'en taisant les contraintes de puissance de court-circuit qu'il ne pouvait pas ignorer, EDF avait établi une étude exploratoire incomplète, elle n'a pas fondé sa décision sur cet élément;
Considérant, ensuite, que la société Cogé de Kerverzet ayant, aux termes de son mémoire du 7 octobre 2003, auquel ses observations communiquées à EDF le 27 octobre 2003 n'ajoutaient rien de nouveau, fait valoir que malgré ses demandes répétées et en dépit de l'obligation de transparence pesant sur le gestionnaire du réseau public de distribution, elle n'avait pas reçu d'explications techniques relatives aux travaux présentés, sans justification, comme nécessaires aux termes de la proposition technique et financière, c'est sans méconnaître le principe de la contradiction ni sortir des limites du litige que la Commission de régulation de l'énergie a tenu pour pertinent le moyen ainsi mis dans le débat après avoir constaté que, dans ses écritures produites devant elle, EDF n'apportait aucun élément permettant de vérifier que la proposition technique et financière établie par ses soins était la solution la plus économique et que les travaux mis à la charge de la société Cogé de Kerverzet correspondaient bien au raccordement de sa seule installation de production et relevé qu'EDF n'avait fait aucune référence, dans ces mêmes écritures, à des difficultés, invoquées en séance, pour assurer la transparence auquel il est tenu par les textes, tenant au risque de divulgation d'informations commercialement sensibles;
Considérant que le requérant soutient, en deuxième lieu, que la décision déférée encourt l'annulation pour contradiction de motifs; qu'en effet, il est selon lui pour le moins contradictoire de reconnaître, dans un premier temps, que les coûts détaillés par EDF dans une étude exploratoire n'engagent pas cet établissement, et dans un second temps, de fixer les coûts de raccordement au réseau sur le fondement de cette même étude;
Mais considérant que, loin de fixer les coûts de raccordement au réseau sur le fondement de l'étude exploratoire transmise le 26 mai 2003 à la société Cogé de Kerverzet, dont elle a rappelé qu'elle avait pour objet de donner à l'utilisateur un ordre de grandeur du coût du raccordement, sans engager le gestionnaire du réseau, la Commission de régulation de l'énergie s'est fondée, pour se prononcer comme elle a fait, sur les seuls éléments de la proposition technique et financière dont elle a réduit le montant après avoir constaté l'absence de justification du coût lié aux contraintes de puissance de court-circuit ; qu'ainsi le moyen manque par le fait qui lui sert de base;
Considérant qu'EDF fait valoir, en troisième lieu, que c'est à tort que la Commission de régulation de l'énergie a considéré qu'il avait commis un manquement à son obligation de transparence, d'une part, lors de l'établissement de l'étude exploratoire et, d'autre part, lors de la transmission de la proposition technique et financière; qu'il expose, sur ce point, que la communication à la société Cogé de Kerverzet de l'ensemble des informations de nature à justifier que la solution technique proposée correspondait à un objectif de recherche de meilleur coût et que les travaux figurant dans cette étude étaient nécessaires pour le raccordement de son installation de cogénération au réseau, aurait nécessairement impliqué la transmission d'informations dont la confidentialité doit être préservée, lesquelles sont définies par l'article 1er du décret n° 2001-630 du 16 juillet 2001 pris pour l'application des articles 16 et 20 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 ; qu'il précise qu'une telle communication aurait impliqué, en particulier, de transmettre les caractéristiques des machines tournantes connectées au réseau, qu'elles soient d'un site consommateur ou d'un site producteur, et leur puissance nominale, lesquelles constituent des informations commercialement sensibles; que le gestionnaire du réseau public de distribution fait en outre valoir qu'il appartenait à la Commission, dès lors qu'elle ne disposait d'aucun élément objectif pour préciser les conditions d'utilisation technique et financière du raccordement, soit de se livrer à toutes investigations utiles, conformément aux pouvoirs qui lui sont conférés par la loi, soit de fixer un délai à EDF pour rendre publiques les " méthodes générales et les hypothèses utilisées" pour élaborer la proposition technique et financière conformément aux dispositions de l'article 5 du décret n° 2003-229 du 13 mars 2003 relatif aux prescriptions techniques générales de conception et de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les installations en vue de leur raccordement aux réseaux publics de distribution; qu'en s'abstenant d'user de ses pouvoirs et en fixant arbitrairement le prix du raccordement, la Commission de régulation de l'énergie a, selon le requérant, poursuivi un objectif de sanction à son encontre et d'indemnisation indirecte au profit de la société Cogé de Kerverzet;
Mais considérant qu'après avoir exactement rappelé qu'en application de l'article 1 du décret du 13 mars 2003 précité, selon lequel l'étude de raccordement est menée dans un cadre transparent et non discriminatoire, le gestionnaire du réseau public de distribution est assujetti à une obligation de transparence et qu'à ce titre il doit apporter au demandeur les éléments lui permettant d'apprécier les raisons pour lesquelles le raccordement doit être réalisé dans les conditions techniques et financières proposées, la Commission de régulation de l'énergie a constaté qu'EDF n'avait transmis les informations requises à la société Cogé de Kerverzet ni lors de l'envoi de la proposition technique et financière, le 14 août 2003, ni lorsque la société Cogé de Kerverzet lui en avait fait la demande par télécopie le 19 août 2003, puis par courrier du 30 août 2003 et qu'au cours de la procédure de règlement du différend, EDF n'avait apporté aucun élément permettant de vérifier que sa proposition technique et financière était la solution la plus économique et que les travaux mis à la charge de l'utilisateur du réseau correspondaient bien au raccordement de sa seule installation;
Qu'en l'état de ces constatations, et alors qu'il est vainement prétendu par EDF que la communication de " l'ensemble des informations" (cf exposé des moyens p. 16, 17, 19) de nature à justifier que la solution proposée le 14 août 2003 correspondait à l'objectif de recherche du meilleur coût l'aurait nécessairement conduit à divulguer des informations couvertes par l'obligation de confidentialité dès lors que la Commission a constaté qu'EDF n'avait communiqué aucune information propre à justifier le prix demandé au titre des contraintes de puissance de court-circuit, pas même les données de coût des équipements devant être mis en place, lesquelles ne sauraient être regardées comme des informations dont la confidentialité doit être préservée, la Commission de régulation de l'énergie, loin de méconnaître l'étendue de ses pouvoirs, n'a fait qu'user de ceux qu'elle tient de l'article 38 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000, en précisant les conditions financières de règlement du différend dont elle était saisie, sans nullement réparer un préjudice subi par la société Cogé de Kerverzet ni prononcer de sanction à l'encontre d'EDF;
Qu'il s'ensuit que le recours, dénué de fondement, ne peut qu'être rejeté;
Et considérant que l'équité commande d'accueillir la demande présentée par la société Cogé de Kerverzet en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, Rejette le recours; Condamne Electricité de France à payer à la société Cogé de Kerverzet la somme de 3 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.