CA Bordeaux, 2e ch., 29 novembre 1994, n° 92006645
BORDEAUX
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Compagnie d'Assurance Navigation et Transports (Sté)
Défendeur :
Schmidt, Arcoa (SA), Axa Assurances Iard France Plaisance (Sté), Paire Vernhet & Fils (SARL), Silvestri
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bouscharain
Conseillers :
Mlle Courbin, M. Ors
Avoués :
SCP Boyreau, Me Fournier, SCP Julia, SCP Fonrouge-Barennes, Gautier, SCP Labory-Moussie-Andouard
Avocats :
Mes Grellet, Danthez, Sussat, Perret, Vieillemaringe
M. Schmidt exploitant un Centre de pêche sportive au Cap d'Agde a commandé à la Société Paire Vernhet au mois de mai 1989 un bateau de type Arcoa d'une valeur de 758 432 F outre divers matériels pour 113,882 F. Le même mois, Paire Vernhet a passé commande du bateau à la Société Constructions navales d'Aquitaine, Ce navire lui a été livré le 26 juin 1989 et elle l'a livré après réalisation des aménagements à son propriétaire au début du mois de juillet.
Au mois d'août 1989, M. Schmidt s'est plaint de divers désordres, A la fin de la saison, le chantier CNA a repris le bateau et l'a restitué au mois de mars 1990. Se plaignant de nouveaux désordres M. Schmidt a saisi en référé et au fond le Tribunal de commerce de Bordeaux pour voir prononcer la résolution de la vente pour vices cachés. L'expert désigné par ordonnance du 13 décembre 1990 a déposé son rapport le 8 juin 1991.
Par jugement du 9 octobre 1992, le Tribunal de commerce a prononcé la résolution de la vente aux torts de la Société Paire Vernhet la condamnant à restituer le prix soit 871 853,21 F outre 100 000 F à titre de dommages et intérêts, a déclaré la créance de M. Schmidt éteinte à l'égard du chantier CNA en liquidation, a dit que la Compagnie Axa ne devait pas sa garantie à la Société Paire et Vernhet, a ordonné l'exécution provisoire à charge pour le demandeur de fournir une caution et a condamné la Société Navigations et Transports assureur du Chantier CNA à relever Paire et Vernhet indemne de la condamnation prononcée contre elle à charge pour cette dernière de faire abandon du bateau.
La Compagnie Navigation et Transports a relevé appel de cette décision.
Elle soutient qu'elle ne doit pas sa garantie l'article 14 de la police souscrite par le Chantier CNA exclut les pièces atteintes de vices cachés. Au surplus, la résolution de la vente a pour effet de replacer les parties dans le même état que si la vente n'avait jamais été conclue et le vendeur est réputé avoir toujours eu la propriété de la chose, il ne peut donc demander à son assureur de lui en verser le prix. Le tribunal a ignoré l'effet relatif des contrats, si le chantier CNA est bien en liquidation, il n'a pas disparu et lui seul est habilité à recevoir le bateau après que la résolution de la vente aura été prononcée. L'obligation de l'assureur est exclusivement monétaire, on ne peut lui imposer le délaissement que si il est prévu dans le contrat, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Elle ajoute pour la demande de dommages et intérêts complémentaires, qu'elle n' intervient qu'en qualité de co assureur, qu'elle n'est donc tenue qu'à hauteur de 3,6 % du préjudice avec une franchise de 10 % du sinistre.
A titre subsidiaire, elle soulève la prescription de la demande en garantie de Paire et Vernhet, l'action en garantie contre le constructeur se prescrivant par un an en application de l'article 8 de la loi du 3 janvier 1967 M. Schmidt a assigné Paire Vernhet par acte du 21 Novembre 1990, cette dernière devait donc exercer son action récursoire avant le 21 Novembre 1991, elle ne l'a formée que par des conclusions du 10 juillet 1992.
A titre encore plus subsidiaire elle conteste la réalité des vices allégués. Elle demande que sa condamnation soit limitée au prix du bateau vendu par le chantier CNA soit 772 323 F et que M. Schmidt soit débouté de sa demande de dommages et intérêts complémentaires. Elle sollicite une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 NCPC.
Par des conclusions complémentaires elle confirme que sa garantie ne peut être retenue que pour 3,6 % du dommage subi avec une franchise de 10 %. Elle rappelle qu'elle ne doit pas sa garantie, que l'action récursoire de Paire Vernhet est prescrite, que la preuve de vices et malfaçons n'est pas rapportée, que l'action rédhibitoire est irrecevable et que le préjudice complémentaire de M. Schmidt n'est pas établi.
La société Paire Vernhet soulève l'absence de vices cachés rendant le navire impropre à l'usage auquel il était destiné. Elle soutient que M. Schmidt ne peut demander que la réparation des désordres dont souffre le bateau et ce après qu'ils auront été chiffrés à l'aide d'une expertise complémentaire. Elle conteste la somme de 100 000 F allouée à titre de dommages et intérêts complémentaires M. Schmidt a subi une gêne dans l'utilisation du navire mais il a pu l'exploiter. Elle soutient que sa compagnie d'assurance la société Axa lui doit sa garantie, en effet si l'article 8 du contrat exclut bien la garantie pour restitution du prix en cas de vices, l'article 7 prévoit la garantie au cas où le matériel livré présenterait des vices cachés.
A titre subsidiaire au cas où la garantie de la compagnie Axa ne serait pas retenue, il conviendrait de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la compagnie Navigations et Transports à la relever indemne de toutes condamnations. Son action récursoire est recevable puisque Navigations et Transports a été assignée par M. Schmidt les 21 octobre 1990 et 14 octobre 1991, toutes ces actes de procédure étant interruptifs de la prescription.
L'expert a retenu que les vices relevaient de la responsabilité du constructeur et il n'a pu relever aucun manquement à ses obligations. La compagnie Navigations et Transports ne peut dénier sa garantie et au cas d'espèce elle ne peut limiter sa garantie.
La compagnie Axa conteste devoir sa garantie d'abord du fait de la clause d'exclusion figurant au contrat et du fait que tiers au contrat de vente, son exécution ne peut être poursuivie contre lui.
Elle ne peut être tenue au remboursement du préjudice complémentaire allégué par M. Schmidt puisqu'elle ne garantit que les dommages immatériels résultant d'un dommage garanti, ce qui n'est pas le cas.
Elle sollicite 10 000 F à titre de dommages et intérêts pour appel abusif outre celle de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
M. Silvestri, es-qualité de liquidateur des Chantiers CNA, sollicite la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle l'a mis hors de cause et demande qu'une somme de 6 000 F lui soit accordée sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
M. Schmidt sollicite la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a prononcé la résolution de la vente aux torts de la Société Paire Vernhet et ce en application des articles 1641, 1643 et 1644 du Code civil.
M. Schmidt soutient qu'il a une action directe contre le constructeur du navire de même que contre l'assureur de ce dernier en application de l'article L. 124-3 du Code des assurances. Il soutient que la compagnie Navigations et Transports doit sa garantie et qu'elle ne peut en limiter l'étendue.
Il sollicite donc que la Société Paire Vernhet et la Compagnie Navigations et transports soient condamnées in solidum à lui payer la somme de 871 853,21 F avec intérêts au taux légal à compter du 9 juin 1989 ainsi que celle de 500 000 F pour son préjudice commercial et celle de 105 574,40 F au titre des frais de caution bancaire et de stockage du bateau, que le jugement soit reformé en ce qu'il a mis diverses sommes à sa charge au titre de l'article 700 du NCPC.
Sur quoi LA COUR :
Attendu qu'il résulte des énonciations du rapport d'expertise que dès sa mise en service la navire a présenté des désordres, entrées d'eau dans la cabine avant et le poste de pilotage et vibrations d'un des moteurs, qu'il a été nécessaire de changer le tableau électrique, que malgré un retour de plusieurs mois dans les locaux du constructeur ces défauts ont persisté nécessitant en particulier le remplacement à plusieurs reprises du matériel électrique endommagé par l'eau de mer.
Attendu que l'expert a relevé des traces de mouille dans la cabine avant malgré la présence d'un appareil de chauffage, ainsi que dans la cabine de pilotage, l'eau entrant par les encadrements des vitres latérales, qu'il a aussi constaté la présence de fissures du matériau composite à divers endroits, que les deux moteurs pourtant identiques ne tournaient pas de la même façon engendrant ainsi des vibrations et des importants déplacements de l'ensemble du roof du poste de pilotage avec des écartements des panneaux du pupitre de commande et des mouvements de l'encadrement de la porte, l'ensemble étant insuffisamment raidi.
Attendu que du fait de la carence du chantier, l'expert n'a pu avoir malgré sa demande ni le dossier d'homologation ni les dates auxquelles ce navire a été construit.
Attendu que ce navire présente des vices qui le rendent impropres à sa destination c'est-à-dire à une utilisation professionnelle dans le cadre de l'exploitation d'un centre de pêche sportive.
Attendu que la société Paire Vernhet en sa qualité de vendeur professionnel est tenue des vices cachés, que M. Schmidt si il exerce bien à titre professionnel une activité de pêche sportive n ' est pas un professionnel de la construction et de l'entretien des navires alors au surplus que l'expert conclut que ces vices n'étaient que latents lors de la livraison du bateau en cause.
Attendu que M. Schmidt ayant choisi d'exercer l'action rédhibitoire, il n'entre pas dans les pouvoirs de la cour de substituer à celle-ci l'action estimatoire.
Attendu que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont condamné la société Paire Vernhet à payer à M. Schmidt une somme de 871 853,21 F avec intérêts au taux légal à compter du 9 juin 1989, ce dernier devant restituer le navire.
Attendu que les pièces produites en cause d'appel justifient que le préjudice causé à M. Schmidt soit évalué à la somme de 50 000 F, somme aussi mise à la charge de la SARL Paire Vernhet.
Attendu que les clauses du contrat de la société Axa, assureur de la SARL Paire Vernhet, sont claires, que si dans un premier temps article 7 du contrat, elle garantit les dommages résultant des vices cachés des produits, dans un second temps article 8 du contrat, elle exclut sa garantie en cas d'exercice de l'action rédhibitoire, que ces clauses sont parfaitement compatibles et ne sont pas sujettes à interprétations divergentes.
Attendu que les définitions du contrat liant la Société Axa et la Société Paire Vernhet précisent que sont couverts les dommages immatériels (en l'espèce le préjudice commercial subi par M. Schmidt) lorsqu'ils sont consécutifs à un dommages matériel ou corporel garanti.
Attendu qu'en l'espèce, le "dommage" n'est pas garanti que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont dit que la Société Axa ne devait pas sa garantie.
Attendu que la Société Paire Vernhet a conclu contre la société Navigations et Transports pour exercer son action récursoire le 12 juillet 1992, qu'il faut constater qu'elle avait été assignée au fond en résolution de la vente par son acquéreur le 21 Novembre 1990.
Attendu que l'article 8 de la loi du 3 janvier 1967 édicte que l'action en garantie contre le constructeur se prescrit par un an, le délai commençant à courir au moment de le découverte du vice caché.
Attendu qu'en l'espèce, les vices ont été découverts de façon incontestable lors du dépôt du rapport par l'expert soit le 8 juin 1991, que la société Paire Vernhet devait exercer son action avant le 9 juin 1992, qu'elle ne l'a pas fait, les actes de procédure effectués par une autre partie au procès sur un fondement juridique différent ne pouvant pas lui profiter.
Attendu que c'est à bon droit même sans avoir déclaré sa créance à la liquidation judiciaire des chantiers CNA, que M. Schmidt a appelé ceux-ci en la cause pour voir reconnaître leur responsabilité aux fins d'obtenir une indemnisation par leur assureur.
Attendu que M. Schmidt exerce une action directe contre le fabricant vendeur originel du navire qu'il convient de relever que cette action directe en résolution est irrecevable puisque désirant obtenir la restitution du prix qu'il a payé, il ne peut présenter cette demande que contre son vendeur, le prix qu'il a versé à ce dernier étant différent que celui-ci a payé au fabricant.
Attendu en conséquence que les demandes dirigées contre l'assureur des Chantiers CNA sont irrecevables, ces derniers n'étant pas tenus.
Attendu que les demandes de dommages et intérêts présentées par les différentes parties du fait de la procédure en appel ne sont pas justifiées, qu'il n'y a lieu d'y faire droit.
Attendu qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais qu'elles ont exposés tant en première instance qu'en appel.
Attendu que la SARL Paire Vernhet supportera les dépens de première instance et d'appel.
Par ces motifs, LA COUR, déclare la compagnie Navigations et Transports fondée en son appel,
déclare la Sari Paire Vernhet mal fondée en son appel incident, déclare M. Schmidt mai fondé en son appel incident, en conséquence réforme la décision entreprise et statuant à nouveau, prononce la résolution de la vente du navire aux torts de la Sari Paire Vernhet et la condamne à rembourser à M. Schmidt la somme de 871 853,21 F avec intérêts au taux légal à compter du 9 juin 1989, dit que celui-ci devra procéder à la restitution du navire, condamne la SARL Paire Vernhet à verser une somme de 50 000 F à M. Schmidt à titre de dommages et intérêts, déboute la Sari Paire Vernhet de ses demandes dirigées contre les compagnies Axa et Navigations et Transports, déboute M. Schmidt de ses demandes dirigées contre M. Silvestri es qualité de liquidateur des Chantiers CNA et contre la Compagnie Navigations et Transports, dit qu'il n'y a lieu à dommages et intérêts du fait de la procédure, dit qu'il n'y a lieu à application des dispositions de l'article 700 du NCPC, met les dépens de première instance et d'appel à la charge de la SARL Paire Vernhet dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP Boyreau, de Maître Fournier, de la SCP Labory- Moussie- Andouard et de la SCP Julia, Avoués à la Cour, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.