CA Aix-en-Provence, 2e ch. civ., 16 juin 1994, n° 91-8687
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Lombardi
Défendeur :
Corlouer, Mercedes Benz France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carrie
Conseillers :
MM. Degrandi, Isouard
Avoués :
SCP Martelly & Maynard, SCP Blanc, Me Ermeneux
Avocats :
Mes Bezzina, Saile, Fridmanis
Exposé du litige :
Le 3 décembre 1988, Madame Corlouer a acheté un véhicule d'occasion Mercedes 280 SE, modèle 1984 pour un prix de 130 000 F à M. Lombardi, courtier automobile qui venait de l'acquérir de la société Mercedes Benz France (la société Mercedes) succursale de Villeneuve-Loubet.
Par jugement du 12 avril 1991 le Tribunal de commerce de Nice a :
- rejeté l'action de Madame Corlouer en résolution de la vente ;
- condamné Monsieur Lombardi à payer à Madame Corlouer la somme de 52 500 F avec intérêts à compter du 3 décembre 1988 outre celle de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
- débouté Madame Corlouer de ses autres demandes, notamment celle à l'encontre de la société Mercedes et l'a condamnée à payer à celle-ci la somme de 2 500 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
- rejeté l'appel en garantie de Monsieur Lombardi contre la société Mercedes et l'a condamné à payer à cette dernière la somme de 2 500 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Monsieur Lombardi et Madame Corlouer ont interjeté appel de cette décision respectivement les 21 avril et 14 juin 1991.
Madame Corlouer soutient que le véhicule dont le moteur d'origine avait été remplacé par un autre plus ancien destiné à un autre modèle, présentait un vice caché. Elle conclut à la réformation du jugement attaqué, à la résolution de la vente, au remboursement de son prix par Monsieur Lombardi et à la condamnation solidaire de ce dernier et de la société Mercedes qui avait placé chez lui le véhicule en dépôt-vente aux sommes de 88 982,47 F, montant des frais engagés et de 200 000 F en réparation de ses divers préjudices outre 10 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Monsieur Lombardi demande que la société Mercedes soit condamnée à réparer le préjudice de Madame Corlouer soutenant que seule celle-là pouvait déceler le vice dont était atteint le véhicule et qu'elle lui doit en sa qualité de vendeur initial, sa garantie.
Il sollicite également la somme de 10 000 F pour ses frais non répétibles.
La société Mercedes conclut à la confirmation de la décision déférée et à la condamnation de Madame Corlouer et de Monsieur Lombardi à lui payer chacun la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle prétend que Madame Corlouer qui a acheté la voiture chez Monsieur Lombardi, n'a aucun lien de droit avec elle, aucune garantie ne lui ayant été accordée. Elle invoque contre Monsieur Lombardi, professionnel de la même spécialité qu'elle, la clause de non-garantie figurant à l'acte de vente.
Par ordonnance du 19 octobre 1993, le conseiller de la mise en état a clos l'instruction de l'affaire.
Le 28 avril 1994, Monsieur Lombardi a déposé de nouvelles conclusions qui seront rejetées pour les motifs indiqués ci-dessous.
Motifs de la décision :
Sur l'irrecevabilité des conclusions du 28 avril 1994 :
Selon l'article 783 du nouveau Code de procédure civile, après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office,
Monsieur Lombardi ne sollicite pas la révocation de l'ordonnance de clôture du 19 octobre 1993, laquelle d'ailleurs ne pourrait intervenir que s'il se révélait une cause grave non invoquée,
Dès lors ses conclusions du 28 avril 1994 doivent être déclarées irrecevables.
Sur la résolution de la vente :
Selon l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
Il ressort du rapport de l'expert Bendix, dont les conclusions ne sont pas contestées, que le véhicule acheté par Madame Corlouer, comme étant un modèle 1981, avait eu son moteur d'origine remplacé par un moteur datant de 1978, destiné à un autre type de voiture Mercedes, que le kilométrage annoncé lors de la vente (54 185 km) n'était pas conforme à la réalité et que ce changement de moteur n'était pas décelable par l'acheteur.
Cette substitution de moteur par un autre plus ancien réduisait l'usage du véhicule acheté dans une proportion telle que Madame Corlouer, si elle l'avait connue, n'aurait pas acquis cette voiture ou aurait payé un prix moindre.
Il convient donc, par application de l'article 1644 du Code civil, qui offre à l'acheteur, à son choix, soit une action rédhibitoire soit une action estimatoire, de prononcer, ainsi que le demande Madame Corlouer, la résolution de la vente et de condamner Monsieur Lombardi à rembourser à celle-ci contre restitution du véhicule, sa valeur, soit la somme de 130 000 F avec intérêts à compter du 3 décembre 1988, jour du paiement.
Sur les dommages-intérêts :
Madame Corlouer ayant acquis son véhicule auprès d'un professionnel, réputé par là connaître le vice l'affectant, a droit à obtenir, par application de l'article 1645 du Code civil, réparation de tous ses dommages.
Pour réclamer au titre des frais engagés la somme de 88 982,117 F, Madame Corlouer se fonde sur le décompte suivant :
- Réparation du véhicule : 3 289,86 F
- Frais d'immobilisation : 29 666 F
- Location de voitures : 10 183,61 F
- Frais de téléphone : 11 617 F
- Expertise privée : 5 159 F
- Frais de dépannage : 1 067,10 F
- Intérêt de l'emprunt : 35 000 F
Madame Corlouer a parcouru avec la voiture litigieuse plus de 12 000 km et, ainsi que le note l'expert, les frais de réparation représentent des dépenses d'entretien courant pour un véhicule ayant 5 à 6 ans d'âge. Ces frais ne résultent pas du vice caché mais de l'usage de la chose et ne peuvent être remboursés.
Les frais d'immobilisation correspondent à des dépenses de parking pour lesquels il est seulement produit une facture non acquittée de l'hôtel Campanile de Nice exploité par les époux Corlouer. Ce document ne peut justifier de la réalité de la dépense et la demande pour les frais d'immobilisation doit être rejetée.
Madame Corlouer ne justifie, en raison de l'immobilisation de sa voiture, que d'une location d'une automobile Peugeot du 9 au 16 juillet 1990 pour un prix de 1 750 F.
Elle avait acquis le véhicule à l'aide d'un crédit d'une durée de quatre ans d'un coût de 35 859,20 F. Cet emprunt s'est révélé inutile sauf pour une période de six mois durant laquelle elle a pu utiliser sa voiture. Il convient de fixer à 30 000 F le préjudice du chef de ce prêt.
Aucune justification n'est fournie pour les frais de téléphone. Les frais d'expertise privée et ceux de dépannage nécessités pour l'expertise judiciaire constituent des débours qui seront réparés au titre de l'indemnité allouée ci-après par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Ainsi le montant de la demande de Madame Corlouer au titre de ses frais doit être fixée à la somme de 31 750 F.
Madame Corlouer sollicite aussi la somme de 20 000 F pour le préjudice causé par la perte de temps consacré à cette affaire, par l'atteinte à son image de marque, par l'impossibilité d'utiliser la voiture acquise et par le refus de Monsieur Lombardi et de la société Mercedes de rechercher un accord amiable.
La perte de temps fait partie des préjudices réparés au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et l'impossibilité de parvenir à un règlement amiable ne dénote pas une attitude fautive de ses adversaires. L'impossibilité d'utiliser le véhicule dont l'atteinte à l'image de marque n'est que la conséquence, a causé un préjudice qui doit être chiffré à la somme de 20 000 F.
Monsieur Lombardi doit être condamné à payer au titre des frais accessoires et des dommages-intérêts à Madame Corlouer la somme de 54 750 F in solidum avec la société Mercedes.
En effet, le véhicule vendu était déjà atteint de son défaut rédhibitoire lorsque celle-ci l'a cédé à Monsieur Lombardi ainsi que l'établit l'expertise. Dès lors Madame Corlouer, sous-acquéreur, dispose contre elle également de l'action en garantie des vices cachés. La société Mercedes ne peut lui opposer la clause de non-garantie figurant dans l'acte de vente à Monsieur Lombardi car, d'une part, une telle clause est inopposable à une personne étrangère à cette cession et, d'autre part, cette clause est sans effet pour les motifs indiqués ci-dessus.
Sur l'appel en garantie de Monsieur Lombardi :
Monsieur Lombardi en demandant que la société Mercedes soit seule tenue à réparer le préjudice de Madame Corlouer, sollicite implicitement à être garanti par elle.
L'acte de vente de la société Mercedes à Monsieur Lombardi porte la mention "Vente à marchand dans l'état sans garantie aucune". Une telle clause n'est valable que si elle s'applique à une transaction entre professionnels de la même spécialité pour un vice normalement décelable.
La société Mercedes est la filiale du constructeur du véhicule et exerce outre la vente des automobiles, leur entretien et leurs réparations.
Monsieur Lombardi est courtier en automobiles d'occasion et son métier consiste à rapprocher acheteur et vendeur. Certes en l'espèce, il a acquis le véhicule litigieux pour le revendre à Madame Corlouer. Mais il convient de constater que cette voiture lui avait été confiée le 15 novembre 1988 en dépôt-vente et ce n'est qu'après que Madame Corlouer l'ait choisie et réglé un acompte de 13 000 F le 24 novembre 1988 que la société Mercedes la lui a cédée. Son rôle n'a été dans cette affaire que celui d'un intermédiaire.
Monsieur Lombardi et la société Mercedes n'exercent pas une activité identique et ne disposent pas d'une compétence comparable. Ils ne sont pas professionnels dans la même spécialité. La clause de non-garantie stipulée à l'acte de vente est sans effet et la société Mercedes doit être condamnée à relever et garantir Monsieur Lombardi des condamnations prononcées par cet arrêt étant seulement précisé que la garantie pour le remboursement du prix de vente sera limitée à la somme de 115 000 F outre intérêts, montant de la cession société Mercedes-Lombardi.
Monsieur Lombardi et la société Mercedes succombant à la procédure doivent être condamnés in solidum à payer à Madame Corlouer la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Mercedes tenue à garantir Monsieur Lombardi doit être condamnée à payer à ce dernier la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, - Déclare irrecevables les conclusions du 28 avril 1994 de Monsieur Lombardi ; - Infirme le jugement du Tribunal de commerce de Nice du 12 avril 1991 ; - Statuant à nouveau ; - Prononce la résolution de la vente du véhicule Mercedes 280 SE intervenue entre Monsieur Lombardi et Madame Corlouer ; - Condamne Monsieur Lombardi à rembourser à Madame Corlouer contre restitution du véhicule litigieux, la somme de 130 000 F (cent trente mille francs) avec intérêts à compter du 3 décembre 1988 ; - Condamne in solidum Monsieur Lombardi et la société Mercedes Benz France à payer à Madame Corlouer la somme de 54 750 F (cinquante quatre mille sept cent cinquante francs) de dommages-intérêts ; - Condamne la société Mercedes Benz France à relever et garantir Monsieur Lombardi des condamnations prononcées par cet arrêt contre restitution du véhicule et dans la limite de 115 000 F (cent quinze mille francs) outre intérêts du chef du remboursement du prix de vente ; - Condamne in solidum Monsieur Lombardi et la société Mercedes Benz France à payer à Madame Corlouer la somme de 10 000 F (dix mille francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; - Condamne la société Mercedes Benz France à payer à Monsieur Lombardi la somme de 5 000 F (cinq mille francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; - Condamne in solidum Monsieur Lombardi et la société Mercedes Benz France aux dépens et autorise la SCP d'avoués Blanc à recouvrer directement ceux d'appel dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.