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Décisions

CA Orléans, ch. com., 19 février 2004, n° 03-00584

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Evoc (SARL)

Défendeur :

CTP (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

President :

M. Remery

Conseillers :

Mme Magdeleine, M. Garnier

Avoués :

SCP Laval-Lueger, Me Daudé

Avocats :

SCP Laval-Croze-Cissoko, Me Terryn.

T. com. Orléans, du 22 janv. 2003

22 janvier 2003

Exposé du litige:

LA COUR statue sur l'appel d'un jugement du Tribunal de commerce d'Orléans rendu le 22 janvier 2003, interjeté par la société Evoc, suivant déclaration du 28 janvier 2003.

Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions des parties signifiées et déposées les:

* 30 septembre 2003 (société CTP),

* 5 novembre 2003 (société Evoc).

Dans le présent arrêt, il sera seulement rappelé que, depuis novembre 1994, la société Betanett, devenue la société CTP, prospectait, par l'intermédiaire d'un salarié, M. Philippe Cheny, mais dans des conditions qui sont litigieuses entre les parties, aucun accord écrit n'ayant été passé, des annonceurs pour la revue "Les Annonces de l'Automobile", éditée par la société Evoc. A partir de 1997, des difficultés sont apparues, cette société ayant décidé de modifier sa politique commerciale en Ile-de-France, ce qui a provoqué des protestations de la part de son co-contractant, et, selon les termes de ses conclusions (p. 2), elle "éprouvait de plus en plus de difficultés à discerner la personne de" celui-ci. Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception datée du 10 septembre 2001, la société Evoc informait la société CTP qu'elle n'entendait plus lui confier "la vente de notre support papier de notre journal", faisant valoir que sa marque "Annonces automobile" était nationalement connue et "qu'elle ne peut se permettre d'avoir des correspondants fantômes qui varient au gré de vos humeurs".

C'est dans ces conditions que, après avoir analysé le contrat les liant comme un mandat d'intérêt commun et considéré qu'il avait été rompu brutalement et pour un motif fallacieux, la société CTP a fait assigner, le 12 novembre 2001, la société Evoc en paiement de dommages-intérêts d'un montant correspondant à deux années de commission.

Par le jugement aujourd'hui déféré à la cour, le tribunal, retenant la qualification contractuelle proposée par la société CTP et estimant que le contrat de mandat d'intérêt commun n'avait pas été rompu pour de justes motifs, a condamné la société Evoc à payer un arriéré de commissions correspondant à des commandes prises antérieurement au 17 septembre 2001 (81 684,73 euro) et des dommages-intérêts d'un montant de 213 814,60 euro.

La société Evoc a relevé appel de cette décision.

En cause d'appel, chaque partie a présenté les demandes et moyens qui seront exposés et discutés dans les motifs ci-après.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 7 janvier 2004, ainsi que les avoués des parties en ont été avisés.

Motifs de l'arrêt:

Sur la qualification du contrat liant les parties:

Sur la distinction mandat-courtage:

Attendu que, tandis que la société CTP estime être liée à la société Evoc par un contrat de mandat, cette dernière prétend qu'il s'agit d'un contrat de courtage;

Que, cependant, en l'absence de tout contrat écrit entre les parties, les pièces versées aux débats, en particulier les multiples ordres de publicité annexés aux factures de commissions adressées à la société Evoc, suffisent à démontrer que l'intervention de la société Betanett, devenue CTP, dont M. Cheny et parfois aussi M. Collot, mentionné sur certains ordres, sont les salariés, ne s'est pas bornée à un simple rapprochement de la société Evoc avec les annonceurs démarchés, mais a consisté à prendre elle-même les commandes et ordres de publicité, sur un document à en-tête de la société Evoc, ce qui n'ôte en rien, bien au contraire, la qualité de mandataire à l'intermédiaire, dont il est ainsi établi qu'il concluait lui-même les contrats au nom et pour le compte de la société Evoc;

Sur le caractère d'intérêt commun du mandat, contesté par la société Evoc:

Attendu que, ainsi que le reconnaît la société Evoc (p. 2 de ses conclusions), le rôle de son cocontractant consistait, moyennant une commission de 25 à 30 % du montant des commandes prises, à prospecter des annonceurs pour sa revue ; que la société mandataire contribuait ainsi, par sa collaboration et son activité, qu'elle avait tout intérêt à poursuivre, à l'essor de l'entreprise mandante par la création d'une nouvelle clientèle d'annonceurs, et le démarchage et le développement de celle existante; qu'est donc établi l'intérêt commun du mandataire et du mandant;

Sur les conséquences de la qualification de mandat d'intérêt commun liant les parties:

Attendu qu'un tel mandat, en l'absence ici, de tout accord écrit, ne peut être révoqué que du consentement mutuel des parties ou pour une juste cause reconnue en justice, à défaut de quoi le mandant doit indemniser intégralement le mandataire du préjudice que lui cause la rupture;

Que, d'une part, la société Evoc entend déduire (p. 7 de ses conclusions) l'existence du consentement mutuel de l'échange de leurs lettres des 29 juillet 2001 (de CTP à Evoc) et 19 septembre 2001 (Evoc à CTP), laquelle faisait suite à la lettre de rupture du 10 septembre 2001, évoquée dans l'exposé du litige ; que, cependant, la lettre du 29 juillet 2001 se bornait à reprocher à la société Evoc le fait de faire intervenir l'un de ses salariés sur son secteur géographique d'activité en Ile-de-France et n'exprimait pas la volonté de la société CTP de mettre un terme au mandat ; qu'au contraire, la lettre du 10 septembre 2001, dont les termes significatifs ont été reproduits dans l'exposé du litige, exprimait la décision de la société Evoc d'y mettre fin unilatéralement et la lettre du 19 septembre 2001, faisant suite à un entretien des parties, si elle indique que la société Evoc prend acte de la décision de son mandataire de cesser tout travail ne correspond pas à la réalité, aucun élément ne faisant douter du fait que la société CTP s'est bornée, comme elle l'a aussitôt confirmé par une lettre en réponse du 21 septembre 2001, à tirer les conséquences de la rupture à l'initiative de la société mandante ; qu'il n'existe aucun accord des parties pour mettre fin au contrat de mandat;

Que, d'autre part, la société Evoc invoque, comme première juste cause de rupture, l'absence de transparence de son mandataire; qu'il convient de rappeler, à ce sujet, que la société Betanett, à qui la société Evoc écrivait, sans que cette dénomination lui posât de problème particulier, est une SARL dont M. Philippe Chény n'est qu'associé minoritaire (détenant 10 % des parts) et que par des actes réguliers et régulièrement publiés, elle a changé de dénomination sociale pour s'appeler CTP SARL, sans que cela change quoi que ce soit à la situation ; que s'il est exact que M. Philippe Chény, en tant que dirigeant d'une autre société, a fait l'objet d'une mesure de faillite personnelle pour une durée de 10 ans, toujours en cours, il n'est pas établi qu'il soit - la société Evoc se bornant à cet égard à des affirmations - le dirigeant de la société CTP, en contravention avec l'intervention qui le frappe, et qu'il ait agi en une autre qualité que celle de salarié, étant observé, comme il a déjà été dit, que d'autres personnes, dont M. Collot, déjà nommé, intervenaient aussi pour le compte de la société CTP et au profit de la société Evoc; que, contrairement à ce qu'indique la lettre de rupture du 10 septembre 2001, la société Evoc ne démontre par aucune pièce (attestation de ses clients...) qu'elle aurait eu à se plaindre du comportement de la société CTP ou de M. Chény ou que son image aurait subi une atteinte quelconque du fait des relations entretenues avec la société CTP ou son salarié, l'évolution du chiffre d'affaires apporté par la société CTP révélant au contraire une constante augmentation de 1994 à 2000 (les années 1998 et 1999 étant comparables, avec environ 2 200 000 F), passant de 1 336 100 F en 1995 à 3 015 330 F en 2000, avant que l'année 2001, année de la rupture, ne marque une baisse (mais le chiffre d'affaires de 1 632 228 F n'a été réalisé que sur 8 mois), ces bons résultats, au-dessus de la moyenne des autres mandataires ou préposés de la société Evoc, étant d'ailleurs soulignés par celle-ci elle-même ; que, dès lors, sous prétexte que la société CTP, qui, seule, est son mandataire, emploie un salarié frappé, par ailleurs, d'une interdiction de gérer, et que cette situation ne lui aurait pas été révélée, la société Evoc ne peut refuser toute indemnisation à une société qui lui a apporté régulièrement un tel chiffre d'affaires et dont rien ne démontre que son attitude a pu lui nuire;

Que, d'autre part, la société Evoc prétend opposer à l'indemnisation du préjudice de son mandataire que celui-ci représenterait désormais son principal concurrent, les Editions Larivière, éditeur de la revue "Best Car" ; que s'il est exact que cet éditeur a conclu un contrat d'agent commercial avec la société CTP, il sera observé que ce contrat n'a été conclu que le 18 février 2002, plusieurs mois après la rupture en septembre 2001 des relations entre la société CTP et la société Evoc, à l'initiative de cette dernière et qu'aucun élément n'établit que des contacts auraient été pris auparavant; qu'il ne peut être reproché au mandataire, qui subit la rupture du contrat de mandat à l'initiative du mandant, de chercher un nouveau client dans le même domaine d'activité;

Qu'il résulte de ce qui précède que la société Evoc ne peut justifier d'aucun motif légitime à la rupture du contrat et doit indemniser intégralement la société CTP du préjudice que cette rupture a entraîné pour elle, c'est-à-dire la perte du droit à commission;

Attendu, sur la réparation, qu'il est établi et d'ailleurs non contesté que sur les trois dernières années pleines de son activité de mandataire, de 1998 à 2000, la société CTP a perçu un montant annuel de commissions moyen de 701 258,47 F ; qu'il n'est donc ni grotesque, ni injuste, pour reprendre les termes des conclusions de la société Evoc (p. 10), d'allouer à la société CTP qui a contribué au développement de la société Evoc, en lui procurant chaque année entre 2,2 et 3 millions de francs de commandes, une indemnisation égale à 1 402 516,94 F - il existe une légère erreur de calcul dans le jugement entrepris, p. 12 - ou 213 812,33 euro - il existe aussi une erreur de conversion;

Sur le rappel de commissions;

Attendu que la société CTP prétend qu'il lui reste dû, au titre des commissions pour la période antérieure à la rupture, une somme de 81 684,73 euro que la société Evoc refuse de lui payer pour des motifs tout aussi fallacieux que ceux avancés pour s'opposer au paiement de l'indemnité de rupture ; qu'en effet, la société Evoc reprend ici son argumentation inopérante sur le courtage et ne peut reprocher à son mandataire, qui ne réclame la commission litigieuse que sur des commandes prises antérieurement à la rupture, de n'avoir pas assuré le suivi de certaines d'entre elles (notamment en ne faisant pas parvenir les clichés photographiques des véhicules des annonceurs) ; qu'en effet, par sa lettre du 21 septembre 2001, déjà analysée, la société CTP prenait acte qu'elle ne prendrait plus de commandes pour la société Evoc à compter du 17 septembre 2001, mais qu'elle assurerait le suivi de toutes celles antérieures, sollicitant, sur ce point, les instructions de sa mandante sur les dates de parution ; que, dans une lettre du 2 octobre 2001, la société Evoc a alors indiqué qu'elle n'entendait plus lui confier le moindre travail, ce qui a conduit la société CTP, par lettre du 5 octobre 2001, à interpréter la lettre du 2 précédent comme lui interdisant la transmission des clichés, ce à quoi la société Evoc n'a pas apporté le moindre démenti, malgré la forme recommandée de l'envoi de la société CTP ; que celle-ci, dès lors, a droit aux commissions afférentes aux commandes effectivement prises antérieurement ;

Qu'il y a lieu, par conséquent, de confirmer, comme le demande la société CTP, le jugement entrepris de ce second chef;

Sur les dépens et le remboursement des frais hors dépens:

Attendu que les dépens d'appel seront supportés par la société Evoc qui, à ce titre, sera tenue de payer à la société CTP une somme complémentaire de 3 000 euro en remboursement de ses frais hors dépens exposés en appel;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort: Confirme, dans toutes ses dispositions, le jugement entrepris, sauf à ramener, en raison de l'erreur matérielle affectant le calcul du premier juge, à 213 812,33 euro au lieu de 213 814,60 euro le montant de l'indemnité de rupture allouée à la société CTP SARL; Condamne la société Evoc aux dépens d'appel et à payer à la société CTP SARL la somme complémentaire de 3 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en remboursement de ses frais hors dépens exposés en appel ; Accorde à Me Daudé, titulaire d'un office d'avoué, le droit à recouvrement direct reconnu par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile;