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Décisions

CCE, 29 septembre 2004, n° 2005-503

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Brasseries Kronenbourg; Brasseries Heineken

CCE n° 2005-503

29 septembre 2004

LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,

Vu le traité instituant la Communauté européenne, vu le règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (1), et notamment son article 23, paragraphe 2, vu la décision de la Commission du 4 février 2004 d'ouvrir la procédure dans la présente affaire, après avoir donné aux entreprises concernées l'occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission, conformément à l'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17 du Conseil du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (2), et à l'article 2 du règlement (CE) n° 2842-98 de la Commission du 22 décembre 1998 relatif à l'audition dans certaines procédures fondées sur les articles 85 et 86 du traité CE (3), après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, vu le rapport final du conseiller-auditeur dans la présente affaire, considérant ce qui suit :

1. LES FAITS

1.1. Objet de l'affaire et procédure

(1) La présente décision vise un accord d' " armistice " daté du 21 mars 1996 entre les deux principales entreprises de brasserie françaises, Brasseries Kronenbourg SA (" Brasseries Kronenbourg ") et Heineken France SA (" Heineken France ", auparavant Société Générale de Brasserie SA) et leurs sociétés mères respectives au moment des faits, Groupe Danone (" Danone ") et Heineken NV. Cet accord d'armistice porte sur l'acquisition d'entrepositaires-grossistes de boissons et l'équilibrage des réseaux de distribution intégrés des parties, en violation de l'article 81 du traité.

(2) Dans sa réponse du 23 décembre 1999 à une demande de renseignements de la Commission dans le cadre de l'affaire COMP/37.614/F3 - Interbrew et Alken Maes, Interbrew NV a informé la Commission du fait que certaines pratiques anti-concurrentielles entre Interbrew et Alken Maes sur le marché de la bière en Belgique se seraient inspirées de pratiques similaires entre Brasseries Kronenbourg et Brasseries Heineken SA (ci-après " Brasseries Heineken ") en France (4). Suite à cette réponse, la Commission a procédé, les 25 et 26 janvier 2000, à des vérifications aux bureaux de Danone et Heineken France à Paris et de Brasseries Kronenbourg à Strasbourg au titre de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17.

(3) Au cours de la procédure, le groupe Interbrew a adressé plusieurs courriers supplémentaires à la Commission concernant des pratiques sur le marché français.

(4) Les 22 et 23 mars 2000, sur demande de la Commission, la Nederlandse mededingingsautoriteit (autorité de concurrence néerlandaise) a mené une vérification au titre de l'article 13, paragraphe 1, du règlement n° 17 aux bureaux de Heineken NV à Amsterdam.

(5) Le 30 mars 2000, la Commission a adressé à Danone, Heineken France, Tafanel SA (un entrepositaire-grossiste situé à Paris) et à la Fédération Nationale des Boissons des demandes de renseignements conformément à l'article 11 du règlement n° 17 concernant les documents recueillis lors des vérifications de janvier et mars 2000, auxquelles il a été répondu entre le 20 avril 2000 et le 19 mai 2000.

(6) Le 15 mai 2000, la Commission a adressé à l'Association des Brasseurs de France (" ABF ") une demande de renseignements conformément à l'article 11 du règlement n° 17 concernant la distribution de la bière dans les points de vente " cash " à laquelle il a été répondu le 9 juin 2000.

(7) Les 30 mars et 6 avril 2001, la Commission a envoyé des demandes de renseignements au titre de l'article 11 du règlement n° 17 à Interbrew France, Heineken France, Danone, Brasseries Kronenbourg, la Fédération Nationale des Boissons et l'ABF concernant le secteur de la brasserie en France et certains documents recueillis lors des vérifications de janvier et mars 2000. Il a été répondu à ces demandes entre le 20 avril et le 18 mai 2001.

(8) Le 19 mars 2002, la Commission a envoyé des demandes de renseignements au titre de l'article 11 du règlement n° 17 à Interbrew France, Heineken France et Brasseries Kronenbourg concernant, entre autres, les ventes de ces parties et certains documents recueillis antérieurement. Il a été répondu à ces demandes entre le 16 et le 24 avril 2002.

(9) Respectivement, le 19 décembre 2003 et le 27 janvier 2004, Heineken NV et Heineken France et Danone et Brasseries Kronenbourg ont répondu spontanément à une demande informelle de la Commission quant à l'absence de mise en œuvre et d'effets de l'accord incriminé (5).

(10) Le 4 février 2004, la Commission a adopté une communication des griefs adressée à Danone, Brasseries Kronenbourg, Heineken NV et Heineken France. Les quatre parties ont présenté leurs observations écrites entre le 2 et le 6 avril 2004. Dans leur réponse, elles ont expressément renoncé à leur droit de faire valoir leur point de vue lors d'une audition.

1.2. Les parties

(11) Brasseries Kronenbourg est le premier brasseur du marché français par le volume de ses ventes. En 1999 sa production était de [5-15] millions d'hectolitres et elle a importé [250-300 000] hectolitres. Sa part de marché (en volume) a évolué conformément au tableau 1 entre 1990 et 1999 (6).

Tableau 1 : parts de marché (en volume) de Brasseries Kronenbourg entre 1990 et 1999

<emplacement tableau>

(12) Par l'intermédiaire de sa filiale, Kronenbourg Holding, anciennement Elidis Holding (" Elidis "), Brasseries Kronenbourg dispose d'un réseau national d'entrepositaires-grossistes (9) qui distribuent de la bière et d'autres boissons principalement au circuit " consommation hors domicile " (" circuit CHD "). En 1999, Brasseries Kronenbourg a réalisé un chiffre d'affaires de [700-750] millions d'euro par son activité de brasserie en France et de [450- 500] millions d'euro par les activités de distribution d'Elidis (10).

(13) Jusqu'en juillet 2000, Brasseries Kronenbourg appartenait à 100% à Danone, l'un des leaders de l'industrie alimentaire dans le monde. Les trois activités de base de Danone sont les produits laitiers frais, les eaux minérales et les biscuits. Ses autres intérêts brassicoles comprenaient Alken Maes en Belgique, des participations dans San Miguel et Mahou en Espagne et Birra Peroni en Italie, ainsi que deux joint ventures en Chine. En 1999, le chiffre d'affaires consolidé du groupe était de 13,3 milliards d'euro (11). En juillet 2000, Danone a cédé Brasseries Kronenbourg et Alken Maes au brasseur britannique Scottish and Newcastle Plc, [CONFIDENTIEL] (12).

(14) Brasseries Heineken est le deuxième brasseur du marché français. En 1999, sa production était d'environ [6-8] millions d'hectolitres (13). Elle a également importé environ [70 000-80 000] hectolitres (14). Brasseries Heineken est une filiale à 100% de Heineken France, la société holding du groupe Heineken en France. En 1996 Heineken France a acquis les Brasseries de Saint-Omer (groupe Saint-Arnould) et le groupe Fischer. La part de marché (en volume) de Heineken France a évolué conformément au tableau 2 (15).

Tableau 2 : parts de marché (en volume) de Heineken France entre 1990 et 1999

<emplacement tableau>

(15) Heineken France contrôle également la société France Boissons SA (" France Boissons "), dont les filiales distribuent la bière et d'autres boissons au circuit CHD au travers d'un réseau national d'entrepôts (16). En 1999, Heineken France a réalisé un chiffre d'affaires de [700 à 750] millions d'euro dans le domaine de la brasserie et de [600 à 650] millions d'euro dans la distribution de boissons (17).

(16) Heineken France est une filiale de Heineken NV, société de droit néerlandais, cotée à la bourse d'Amsterdam. Heineken NV contrôle le groupe Heineken, l'un des principaux groupes brassicoles du monde. En 1999, le chiffre d'affaires consolidé du groupe était de 6,1 milliards d'euro (18).

1.3. Les autres producteurs dans le secteur brassicole français

(17) Interbrew France SA (ci-après " Interbrew France ") est le troisième brasseur du marché français. Depuis 1993, elle importe la totalité des produits qu'elle commercialise. En 1999 son volume a atteint environ [1-3] millions d'hectolitres (19). Sa part de marché (en volume) a évolué conformément au tableau 3 (20).

Tableau 3 : parts de marché (en volume) d'Interbrew France entre 1990 et 1999

<emplacement tableau>

(18) Interbrew France contrôle également des entrepositaires-grossistes de boissons, mais son réseau est moins étendu que ceux de Brasseries Kronenbourg et Heineken France (21). En 1999, son chiffre d'affaires était de [200-250] millions d'euro et celui de ses filiales de distribution de [100-150] millions d'euro (22).

(19) Interbrew France est une filiale indirecte d'Inbev NV (anciennement " Interbrew NV "), société de droit belge, inscrite à la bourse de Bruxelles (23). Inbev NV contrôle le groupe Interbrew, qui est parmi les trois premiers groupes de brasserie au monde. En 1999, le chiffre d'affaires consolidé du groupe était d'environ 4,35 milliards d'euro (24).

(20) En 1999, les cinq autres brasseries les plus importantes en France étaient : Saverne (groupe Karlsbräu), Terken, Météor, Schutz et Brasseurs de Gayant. Certaines autres entreprises ont une présence purement régionale, par exemple Castelain, Saint-Sylvestre, la Choulette et Annoeuillin situées dans la région du Nord Pas-de-Calais (25).

1.4. La structure du marché

1.4.1. Structure de l'offre

(21) En 1999, les entreprises de brasserie actives en France ont réalisé un chiffre d'affaires d'environ 1,75 milliard d'euro sur la base d'une production de 19,9 millions d'hectolitres de bière (exportations comprises). Ce volume est en léger recul par rapport à 1992 (21,3 millions d'hectolitres). En outre, entre 1990 et 2000, le nombre de ces entreprises a diminué de 27 à 15 (26).

(22) La structure de l'offre est restée relativement stable depuis dix ans. Brasseries Kronenbourg, Brasseries Heineken et Interbrew France concentraient plus de [75-85] % du volume de production en 1999. Ces trois entreprises détenaient déjà environ [75-85] % du marché en 1990 et leurs parts de marché respectives ont relativement peu évolué au cours de cette période (27). En effet, l'augmentation de la part de marché de Heineken France au milieu des années 1990 est due principalement à son acquisition des groupes Saint-Arnould et Fischer plutôt qu'à une croissance interne (28). De même, les principales marques de bière ont connu peu de changements depuis dix ans.

(23) Depuis 1995, Brasseries Kronenbourg, Brasseries Heineken et Interbrew France ont, en outre, intégré une part importante de la distribution de bière en gros (voir le point (26)).

1.4.2. La demande

(24) 21,4 millions d'hectolitres de bière ont été vendus en France en 2000 (29). La consommation totale a diminué légèrement depuis dix ans. De même que dans d'autres États membres, la demande comporte deux circuits de distribution : d'une part, le circuit des ventes destinées à la consommation à domicile ou " circuit alimentaire " et, d'autre part, celui des ventes destinées à la consommation hors domicile (circuit CHD). Dans le circuit alimentaire, le volume de la demande a augmenté très légèrement entre 1990 et 2000, alors que dans le circuit CHD il a chuté d'environ 25% au cours de cette période, ainsi que le montre le tableau 4 (30).

Tableau 4 : Volume de ventes en France entre 1990 et 2000

<emplacement tableau>

(25) Le circuit alimentaire, composé principalement des supermarchés et hypermarchés, représente un peu plus des deux tiers du volume total des ventes de bière en France en 2000 (31), part à tendance croissante depuis dix ans. Environ 90% de la demande dans ce circuit est concentrée entre les mains de sept groupes de grande distribution (32). En général, ces derniers s'approvisionnent directement auprès des brasseurs.

(26) Le circuit CHD représente moins d'un tiers du marché total par son volume et sa part diminue depuis dix ans (33). Dans ce circuit, la demande comporte deux niveaux : la distribution en gros et la vente au détail. La distribution en gros est assurée par des entrepositaires-grossistes, qui revendent également d'autres types de boissons. Depuis 1995, les deux groupes de brasseurs concernés par la présente affaire et Interbrew ont intégré une part substantielle de la demande en gros, en acquérant de nombreux entrepositaires-grossistes indépendants. Ainsi, [65-75] % du volume total de bière vendue en fûts (34) en 2000 a été distribué par les filiales de ces trois entreprises, dont [55-65] % par les filiales du groupe Heineken et de Danone/Brasseries Kronenbourg, alors qu'en 1995, [70-80] % de ce total transitait encore par des distributeurs indépendants. Cette tendance est surtout attribuable à l'expansion des réseaux de Heineken France et de Brasseries Kronenbourg. En effet, la part du volume total de fûts vendue par les filiales de Heineken France a grimpé de [5-15] % à [30-40] % au cours de cette période et celle des filiales de Brasseries Kronenbourg de [5-15] % à [25-35] %, alors que la part des filiales d'Interbrew France est passée de [1-5] % à [5-10] % (35). Les entrepôts des réseaux Heineken France et Brasseries Kronenbourg sont répartis dans la plupart des régions françaises ; leur couverture géographique est donc supérieure à celle des réseaux concurrents (36).

(27) Ce mouvement d'intégration verticale a créé des relations de fournisseur à client entre les principales brasseries pour des quantités importantes de bière. Ainsi, depuis 1996 les réseaux de distribution de Heineken France et de Brasseries Kronenbourg distribuent chacun plus de [250 000-350 000] hectolitres de bières aux marques de leurs concurrents (37), y compris, en 2000, plus [de 25-35%] de la bière en fûts commercialisée par Interbrew France (38).

(28) En ce qui concerne la vente au détail dans le circuit CHD, la profession opère une distinction entre deux segments. Premièrement, le segment " CHR " ou " Horeca " se compose des traditionnels cafés, hôtels et restaurants indépendants. La demande y est très dispersée, le nombre des établissements étant estimé à 170 000. Deuxièmement, le segment plus moderne dit du " troisième marché " comprend les chaînes nationales d'hôtels et de restaurants, en particulier la restauration rapide, les restaurants des collectivités, les transports, sites de loisirs, automates et magasins de proximité (39).

1.4.3. Les échanges entre États membres

(29) Entre 1991 et 2000 le volume des importations et exportations de bière et leur part de la consommation nationale ont augmenté conformément au tableau 5 (40).

Tableau 5 : volume des importations et exportations et leur part de la consommation en France entre 1991 et 2000

<emplacement tableau>

(30) Les importations proviennent principalement de la Belgique (environ 45%), de l'Allemagne (20-25%), des Pays-Bas (environ 10%) et du Royaume-Uni (environ 10%). Environ la moitié des importations est attribuable à Interbrew France, dont les produits sont brassés majoritairement par le groupe Interbrew en Belgique. Quant aux exportations, celles-ci sont destinées pour la plupart au Royaume-Uni (environ 60%), à la Belgique (environ 15%) et à l'Allemagne (5-10%) (41). A ces exportations officielles s'ajoutent les volumes importants achetés par les particuliers britanniques dans les grandes surfaces françaises (plus de 2 millions d'hectolitres en 2000) (42). L'ampleur de ces achats est surtout attribuable à la différence entre le niveau des accises sur la bière en France et au Royaume-Uni.

1.5. L'accord d'armistice du 21 mars 1996

1.5.1. Introduction

(31) Comme décrit aux points (33) à (46), le 21 mars 1996, Danone, Heineken NV et leurs filiales respectives au moment des faits, Brasseries Kronenbourg et Heineken France, ont conclu un " armistice " concernant leurs acquisitions d'entrepositaires-grossistes et l'équilibrage de leurs réseaux de distribution.

(32) En particulier, elles ont convenu, premièrement, d'un gel provisoire dans le domaine des acquisitions (interdiction de procéder à de nouvelles acquisitions de distributeurs en dehors d'une liste agréée), deuxièmement, d'un équilibrage du volume total de bière distribué par le réseau de chaque partie, et, troisièmement, d'un équilibrage du volume des marques de bière commercialisées par chaque partie qui serait distribué par l'autre.

1.5.2. Contexte de l'accord

(33) Le 12 février 1996 (43), un membre du directoire de Heineken NV et le Président- directeur général (" PDG ") de Heineken France à cette époque, se sont réunis dans les bureaux de Danone à Paris avec le directeur de Danone et le PDG de Brasseries Kronenbourg. Les dirigeants de Heineken France ont décidé de tenir cette réunion pour annoncer à Danone leurs projets d'acquisition des groupes Fischer et Saint Arnould et pour appréhender les éventuelles réactions de Danone [SECRETS D'AFFAIRES], en raison de la distribution par le groupe Saint- Arnould d'importantes quantités de bière Kronenbourg. D'après Heineken France, lors de cette réunion, le directeur de Danone et le PDG de Brasseries Kronenbourg ont réagi avec véhémence à l'annonce de l'opération de Heineken France sur le groupe Saint-Arnould. " Compte tenu de cette réaction, il fut envisagé à leur demande que des discussions sur un éventuel rééquilibrage des positions en distribution CHD aient lieu." (44)

(34) Heineken France affirme toutefois que de telles discussions n'ont jamais eu lieu et que Brasseries Kronenbourg a réagi unilatéralement aux acquisitions des groupes Fischer et Saint-Arnould en prenant le contrôle des entrepositaires-grossistes Blanchet, Lemay, GBN, Freyssinet et Soleilhavoup, qui distribuaient d'importants volumes de bière Heineken. " Au total, en à peine quelques semaines, Kronenbourg avait pris le contrôle d'entrepôts distribuant pour près de [180 000 - 230 000] hectolitres de bières en fût du groupe Heineken, soit environ [5-15%] des ventes du groupe sur le marché français de la vente de bière en CHD. " (45) Heineken France a réagi à son tour en achetant une vingtaine d'entrepositaires- grossistes, ce qui a entraîné une inflation très forte de la valeur des fonds de commerce. D'après Heineken France, " [s]i cette situation avait perduré ou s'était intensifiée, elle aurait très certainement affecté durablement la rentabilité et la capacité d'investissement des deux entreprises. C'est pourquoi, un " cessez-le-feu " fut conclu, dont le seul effet fut le retour à une concurrence normale. N'ayant donné lieu à aucun suivi, il n'affecta pas le comportement des deux entreprises qui continuèrent à se livrer une concurrence intense. " (46)

(35) La réunion du 12 février 1996 est également mentionnée dans trois notes internes du groupe Heineken. Premièrement, dans un compte rendu de cette réunion adressé au directoire de Heineken NV le 14 février 1996, un membre du directoire de Heineken NV décrit la réaction des représentants de Danone à l'annonce des projets d'acquisition de Heineken France, avant de constater (47) : " Nous sommes arrivés assez vite à la conclusion qu'il y a seulement un problème dans la distribution et que les deux parties devaient s'occuper d'y trouver une solution. [Le directeur de Danone] a insisté que ceci devait se produire avant mi-mars (48). "

Le compte rendu conclut à ce sujet :

" Il est de la plus grande importance que nous fassions en sorte qu'il y ait une solution pour la question de la distribution. " (49)

(36) Deuxièmement, une note du directeur général de Heineken NV au directoire de cette société, datée du 22 mars 1996, décrit les conclusions de cette réunion comme suit (50) :

" Notre acquisition du groupe Fischer et de St-Arnould a eu pour conséquence de perturber l'équilibre dans la distribution Horeca.

Pendant la réunion en France avec nos " amis " français il a été convenu que d'ici un mois nos directeurs généraux respectifs devaient arriver à une proposition afin de restaurer l'équilibre. " (51)

(37) Troisièmement, les conclusions de cette réunion sont résumées dans une note du PDG de Heineken France au directoire de Heineken NV intitulée " Acquisitions de distributeurs Horeca en France (guerre des prix) (52) ", datée du 17 mars 1996 (53) :

" Dans une première réaction pendant la réunion avec Danone (en présence de [un membre du directoire de Heineken NV]), le 12 février, Danone a paru surpris mais son seul sujet d'inquiétude était les développements dans la distribution Horeca. Toutefois, au cours de la réunion il a été convenu que [...] (PDG Kronenbourg) et moi-même reviendrions dans un mois avec une proposition qui serait acceptable pour les deux parties. " (54)

(38) Cette guerre des acquisitions est également exposée dans la note du PDG de Heineken France du 17 mars 1996 mentionnée au point (37). Le PDG de Heineken France commence par présenter la situation dans le secteur de la distribution suite à l'acquisition par Heineken France des groupes Fischer et Saint-Arnould. D'après le PDG de Heineken France, ces acquisitions ont perturbé l'équilibre existant entre le volume de bières Kronenbourg distribué par le réseau intégré de Heineken France et le volume de bières Heineken distribué par les filiales de Brasseries Kronenbourg. La note constate qu'avant ces acquisitions, France Boissons, filiale de Heineken France, distribuait [100-200 000] hectolitres de bières Danone/Kronenbourg, alors que les filiales de Danone distribuaient [100-200 000] hectolitres de bières Heineken. En revanche, suite à ces acquisitions, le volume de bières Danone/Kronenbourg distribué par les filiales de Heineken France a plus que doublé, pour atteindre [200-300 000] hectolitres.

(39) La note du PDG de Heineken France décrit ensuite l'accélération des acquisitions de distributeurs dans les jours suivant la réunion du 12 février 1996. Ainsi, Danone aurait acquis les entreprises Blanchet, Lemay, GBN, Freyssinet et Soleilharous [sic], alors que Heineken France aurait acheté les entreprises Weber-Ritt, Begin, Paray, Michenot, Chaffard, Barth et Rivoise. D'après le PDG de Heineken France, Danone aurait payé des prix très élevés pour ces acquisitions. Il constate que, suite à ces opérations, [200-300 000] hectolitres de bières Heineken sont distribués par les filiales de Danone, alors que [300-400 000] hectolitres de bières Kronenbourg sont distribués par le réseau Heineken France/France Boissons. La note continue :

" Deux choses sont particulièrement inquiétantes actuellement.

- Une vraie guerre des prix a commencé en ce qui concerne le prix des acquisitions. Avant cette guerre, il nous était possible d'acquérir un entrepositaire-grossiste pour environ [...] de sa Marge Brute, ce qui nous assurait un TRI entre [...] et [...]. A présent, des prix allant jusqu'à [...] et [...] de la Marge Brute sont pratiqués, qui ne permettront jamais un rendement satisfaisant au niveau de l'entrepositaire-grossiste. Cependant, les deux parties continuent parce que le contrôle de leurs volumes de bière en fûts est en jeu, même si ce n'est pas dans l'immédiat, en tout cas dans le long terme.

...

...si Danone et Interbrew n'arrêtent pas la guerre, nous ne pouvons pas nous permettre de nous arrêter unilatéralement sans mettre en danger notre position à long terme. " (55)

(40) A la suite de cet exposé de la situation, la note du 17 mars 1996 développe la stratégie adoptée par Heineken France :

" Notre stratégie à présent est de convaincre Danone que les seuls perdants sont nos deux entreprises et qu'il serait bien mieux de faire la paix, de s'accorder sur une liste d'entrepositaires-grossistes qui " naturellement " leur appartiennent et sur ceux qui nous appartiennent. Cette liste devrait indiquer un équilibre des volumes totaux intégrés par chaque entreprise, ainsi qu'un équilibre des volumes de bière en fûts à marques contrôlés par chaque partie. Ainsi, dans les prochaines années nous pourrions poursuivre nos processus d'intégration respectifs à des prix raisonnables, selon ces règles du jeu. Cependant, cette politique sera difficile à mettre en œuvre car Interbrew est entré sur le champ de bataille et essaie d'acheter les entrepositaires-grossistes indépendants qui restent.

Jusqu'à présent, Danone s'est montré d'accord avec ce principe. Cependant, ils ne veulent pas reconnaître que des volumes sont " sous leur contrôle ", si ces volumes sont écoulés par des entrepositaires-grossistes dans lesquels ils n'ont qu'une participation minoritaire - même s'ils disposent d'un droit de préemption. Bien entendu, nous n'avons pas accepté cela.

J'ai eu une conversation téléphonique avec [le directeur général de Brasseries Kronenbourg] le 15 mars et il s'est montré d'accord à nouveau sur l'urgence d'arrêter cette guerre stupide, mais il n'était pas entièrement persuadé que [le vice-PDG et le directeur de Danone] partageront son point de vue. Il me rappellera lundi matin pour me donner la position de Danone. " (56)

1.5.3. L'accord d'armistice

(41) Dans une seconde note au directoire de Heineken NV, également intitulée " Acquisitions de distributeurs Horeca en France (guerre des prix) (57), datée du 22 mars 1996, le PDG de Heineken France expose les termes de l'accord " d'armistice " conclu la veille entre Heineken France et Danone (58) : " Armistice Hier nous sommes convenus avec Danone de mettre fin à la guerre stupide et coûteuse des acquisitions. Nous partageons l'objectif qu'il doit exister un équilibre entre nos deux groupes conformément à une règle générale selon laquelle aucun des deux ne doit être dominant sur le marché Horeca en ce qui concerne trois aspects principaux :

1. Le volume intégré à travers chaque réseau de distribution doit être égal. Pour l'instant, les participations minoritaires assorties d'un droit de préemption sont à considérer comme des droits de contrôle. Cependant, Danone a réservé le droit de réexaminer cette question.

2. Le volume des marques de l'autre partie contrôlé par le réseau intégré du concurrent doit être égal.

3. Les entrepositaires-grossistes qui seront intégrés à l'avenir doivent être identifiés comme appartenant " naturellement " à l'un ou l'autre groupe, sous réserve de l'équilibre à long terme conformément aux points 1 et 2.

Afin d'éviter tout malentendu à court terme, nous avons chacun signé une liste d'entrepositaires-grossistes qui, soit ont effectivement été acquis pendant la guerre, soit ont fait l'objet d'une offre d'achat ferme pour laquelle nous attendons la réaction du propriétaire actuel. Pour l'instant aucune partie ne s'engagera en dehors de ces deux listes.

Le statu quo en ce qui concerne l'équilibre sera déterminé sur la base des chiffres de volumes réels pour 1995 et, si nécessaire, des ajustements seront effectués au moyen de transferts entre entrepositaires-grossistes dans chaque sens.

Le tableau suivant montre le statu quo en termes de volume intégré par chaque partie et de volumes contrôlés de part et d'autre :

Statu Quo

<emplacement tableau>

Comme l'indique ce tableau, les distributeurs Heineken contrôlent actuellement [250 000-350 000] hectolitres de bière en fûts à marques Danone, alors que Danone ne contrôle que [250 000-350 000] hectolitres de bière en fûts à marques Heineken. Dans les négociations à venir nous devrons déterminer si cela est suffisamment stable pour être considéré et accepté comme " équilibre " ou pas. Le tableau suivant indique que dans la situation finale quand tous les entrepositaires- grossistes concernés auront été intégrés, la position restera favorable à Heineken. (Intégration selon la règle " un entrepositaire-grossiste actuellement indépendant appartient naturellement à la partie qui détient la majorité de son volume ").

Situation finale

<emplacement tableau>

(42) [SECRETS D'AFFAIRES] (60).

(43) Deux listes d'entrepositaires-grossistes sont annexées à cette note (61). La première énumère onze entrepositaires-grossistes dans lesquels Danone a pris une participation et deux autres qui ont été " approchés " par celle-ci. La deuxième liste contient dix-sept nouvelles filiales acquises par Heineken France et onze autres entrepositaires-grossistes faisant l'objet de " synergies " avec cette dernière. Les entrepositaires-grossistes figurant sur ces listes sont répartis sur l'ensemble du territoire français.

(44) L' " armistice " du 21 mars 1996 est également évoqué dans une note du 22 mars 1996 adressée par le directeur général de Heineken NV au directoire de Heineken NV (62) :

" Après des contacts intensifs par téléphone, un statu quo provisoire a été annoncé et les directeurs généraux essaient de trouver un accord pour arrêter l'envolée des prix. En principe, les présidents des trois entreprises concernées (63) se réuniront la semaine prochaine si les directeurs généraux ne trouvent pas de solution. " (64)

(45) Ensuite, la séquence des événements menant à l'accord " d'armistice " est récapitulée par une note manuscrite rédigée sur du papier à en-tête du directeur général de Heineken NV (65) :

" fév 12 : Lunch : [un membre du directoire de Heineken NV] / [le PDG de Heineken France] . [le directeur de Danone] / [le directeur général de Brasseries Kronenbourg]

[le PDG de Heineken France] + [le directeur général de Brasseries Kronenbourg] : Proposition pour redistribuer entrepositaires-grossistes dans le Nord

...

mars 4-9 : Encore des acquisitions

11 : Nous donnons l'accord à [PDG de Heineken France] pour réagir " Nous tenir au courant "

14 : Annonce de [membre du directoire de Heineken NV] au conseil de surveillance

17 : Sonnette d'alarme : avertissement du [PDG de Heineken France]

- Contacts intensifs par téléphone : [le PDG de Heineken France - directeur général de Heineken NV] / [le directeur de Danone]

- Réunion [le PDG de Heineken France] - [le directeur général de Brasseries Kronenbourg] : statu quo

22 : Lettre [directeur général de Heineken NV] - conseil de surveillance. " (66)

(46) Enfin, dans sa réponse du 12 mai 2000 à une demande d'information de la Commission, Heineken France a confirmé que, suite à la réunion du 12 février 1996, le PDG de Heineken France et le directeur général de Brasseries Kronenbourg se sont effectivement réunis en mars 1996 pour étudier la possibilité d'un " cessez-le-feu " dans la guerre des acquisitions de distributeurs (67).

(47) Dans sa réponse à la demande d'information du 30 mars 2000 au titre de l'article 11 du règlement n° 17, Danone a refusé de se prononcer sur les questions concernant l'accord d'armistice, au motif que ces questions auraient visé à amener Danone à reconnaître l'existence d'une infraction aux règles de la concurrence. En réponse à une demande d'information ultérieure, Brasseries Kronenbourg a confirmé que certains cadres de la société ont participé à des réunions avec des employés du groupe Heineken de janvier à avril 1996. Brasseries Kronenbourg n'aurait cependant pas retrouvé de documents se rapportant à ces réunions (68).

1.6. Absence de mise en œuvre de l'accord

(48) Dans le cas d'espèce, les informations dont dispose la Commission indiquent que l'accord d'armistice n'a pas été mis en œuvre. En effet, d'une part il y a lieu de constater que les parties n'ont pas respecté l'aspect " court terme " de cet accord, c'est-à-dire l'engagement de ne pas acquérir d'entrepositaires-grossistes attribués à l'autre partie, conformément à deux listes, et de ne pas acquérir des entrepositaires-grossistes en dehors de ces listes (voir les points (41) à (43)). De fait, certains entrepositaires-grossistes affectés à une partie ont finalement été acquis par l'autre et les parties ont continué à acquérir des entrepositaires-grossistes en dehors de ces listes. D'autre part, l'aspect " long terme " de l'accord - c'est-à-dire l'équilibre à atteindre relatif au volume des marques de chaque partie intégré dans le réseau de distribution contrôlé par l'autre partie et relatif au volume total intégré dans le réseau de chaque partie (voir le point (41)) - n'a jamais été poursuivi en pratique. En effet, dans la période de 1996 à 2002, les parties tendaient plutôt à remplacer, dans le réseau de distribution qu'elles contrôlaient, la bière de leurs concurrents par leur propre bière (69). Un accord visant à assurer un équilibre entre les marques a ainsi perdu tout son intérêt.

2. PRINCIPALES OBSERVATIONS DES PARTIES

(49) Dans leurs réponses écrites à la communication des griefs, les parties ont présenté les arguments suivants.

(50) Danone a fait valoir, pour l'essentiel, les éléments suivants :

- La réunion du 12 février 1996, à l'initiative de Heineken, n'a pas débouché sur un accord ou une pratique concertée. Danone n'avait pas intérêt à conclure un tel accord et a mis en œuvre une stratégie agressive unilatérale tout en laissant croire à Heineken qu'une solution négociée était envisageable. Le 12 février 1996, les parties n'ont fait que constater le déséquilibre et ont reporté la réunion. La guerre des acquisitions après la réunion et la note de Heineken de 17 mars 1996, et notamment le passage soulignant la nécessité de convaincre Danone de faire la paix (voir le point (40)), confirment l'absence d'accord ou de pratique concertée.

- Elle ne conteste pas que les discussions du 21 mars 1996 ont débouché sur l'accord d'armistice. Heineken a cependant pris l'initiative de cette réunion et l'accord est resté sans effets.

- En fixant le montant de l'amende, il faut tenir compte du fait que l'armistice n'a eu aucun impact sur la concurrence, ne concerne qu'un secteur d'activité très limité en net déclin et a eu une durée d'une journée seulement. De plus, l'étendue géographique du marché concerné était réduite. Il n'y a pas lieu de retenir des circonstances aggravantes, telle que la récidive. Au contraire, il faut tenir compte de circonstances atténuantes, et notamment du fait que l'armistice n'a jamais été mis en œuvre, du rôle passif de Danone et de la coopération de Danone lors de la procédure.

(51) Brasseries Kronenbourg a renvoyé aux observations de Danone.

(52) Heineken NV et Heineken France ont pour l'essentiel fait valoir les éléments suivants :

- Aucun accord n'a été conclu au cours de la réunion du 12 février 1996. Cette réunion avait uniquement pour but de rassurer Brasseries Kronenbourg en vue des acquisitions par Heineken des groupes Fischer et Saint-Arnould (avec sa filiale Brasserie Saint-Omer) qui distribuaient un volume important de bière Kronenbourg. La discussion a été reportée à une réunion qui n'a pas eu lieu. L'absence d'accord est démontrée par la guerre commerciale (" guerre des entrepôts ") qui a suivi la réunion et par les documents relatifs à cette réunion.

- Aucun accord n'a été conclu au cours de la réunion du 21 mars 1996. Bien que les parties se soient réunies à cette date, la réunion a porté pour l'essentiel sur le gel provisoire des acquisitions, c'est-à-dire l'engagement de mettre fin à la " guerre des entrepôts " et de s'en tenir aux entrepôts acquis au cours de cette guerre. Les autres aspects de l'armistice n'étaient que de vagues objectifs, trop généraux pour avoir une signification pratique et n'ont jamais été concrétisés. L'existence d'un accord concernant le gel provisoire des acquisitions doit également être remise en question compte tenu des circonstances et du contexte de ce prétendu accord: il n'a jamais été mis en œuvre ; l'objectif des notes internes décrivant l'armistice (70) était de rassurer le directoire d'Heineken NV quant à la rentabilité des acquisitions faites et l'armistice n'est mentionné par aucun des documents saisis au siège de Brasseries Kronenbourg ou de Danone. Une présentation interne de Brasseries Kronenbourg " objectifs préliminaires 1997-1999 " mentionne, au contraire, " une riposte graduée pour contrer l'offensive Heineken " (71).

- Même si un accord d'armistice avait réellement été conclu entre les parties, ses effets sur la concurrence auraient été de minimis, l'accord n'étant pas susceptible d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence d'une manière sensible. La définition du marché de produits à retenir est en outre celui de la vente des entrepôts, plutôt que le marché CHD. L'accord n'avait donc pas d'impact sur le consommateur final.

- L'accord d'armistice n'était pas susceptible d'affecter d'une manière sensible le commerce entre Etats membres en raison de ses effets extrêmement réduits sur la concurrence et du fait qu'il portait sur la concurrence entre les brasseurs pour l'acquisition des entrepôts et non pas sur les conditions de distribution de produits importés.

- En ce qui concerne les amendes, compte tenu du contexte et des circonstances très particulières de l'espèce, et notamment de la nature et de l'objet limités du prétendu accord, de l'absence totale d'impact concret sur le marché et de l'étendue limitée des marchés géographique et de produits concernés, l'armistice peut tout au plus être qualifié d'infraction " peu grave ". Il n'y a pas de raisons de majorer l'amende au titre de l'effet dissuasif ou de la durée de l'infraction, l'armistice constituant une infraction " instantanée ", qui n'est ni une infraction " particulièrement nuisible ", ni une infraction " classique ". En outre, aucune circonstance aggravante ne saurait être retenue à l'encontre d'Heineken. Heineken n'a en particulier pas joué le rôle de meneur ni d'incitateur de l'armistice, ni mis en œuvre de mesures de rétorsion ou tiré un bénéfice de l'accord. Au contraire, à titre de circonstances atténuantes, il y a lieu de retenir la non-application effective de l'armistice, la coopération de Heineken au cours de la procédure et l'existence d'un doute raisonnable sur le caractère infractionnel de l'accord. Si une amende est imposée, elle doit donc être limitée à un montant tout au plus symbolique.

3. APPRECIATION JURIDIQUE

3.1. Le secteur concerné

(53) A titre liminaire, la Commission observe que, selon la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, il n'est pas indispensable, aux fins d'apprécier des restrictions patentes de la concurrence comme la répartition des marchés au titre de l'article 81, paragraphe 1, du traité, de tenir compte de la structure du marché concerné et donc de délimiter le marché en cause (72). En l'espèce, compte tenu du fait que la restriction incriminée est une restriction par objet (voir également les points (66) à (68)), une définition du marché n'est nullement nécessaire. La Commission se borne dès lors à présenter les observations suivantes relatives au secteur concerné.

(54) Dans ses décisions antérieures relatives à l'industrie brassicole, qui ne concernaient pas de restrictions par objet, la Commission a conclu qu'il existe un marché séparé de la bière, qui se distingue des autres boissons, en raison, notamment, de ses propriétés alcooliques, de son goût et de son prix (73). L'investigation de la Commission dans la présente affaire n'a révélé aucun élément susceptible d'indiquer que le secteur concerné serait plus large. Ainsi, outre le fait que la pratique visée par la présente décision est limitée aux produits brassicoles, de nombreuses études recueillies auprès des entreprises concernées indiquent qu'elles considèrent que le secteur en cause ne s'étend pas au-delà des bières et panachés (74).

(55) La jurisprudence de la Cour ainsi que les décisions de la Commission dans ce secteur ont également opéré une distinction entre le marché des débits de boissons ou marché " Horeca " et celui du commerce de détail ou marché " alimentaire ", aux motifs, entre autres, que, du point de vue du consommateur, la vente dans les débits de boissons est associée à une prestation de services et que, du côté de l'offre, les brasseurs organisent des systèmes de distribution propres à ce circuit (75). Cette appréciation a été confirmée par l'examen du secteur par la Commission dans la présente affaire. En particulier, les entreprises concernées définissent leur politique commerciale, y compris en matière de prix, et organisent la distribution de leurs produits séparément pour chacun des circuits " Horeca " et du commerce de détail ou marché " alimentaire ". Compte tenu du fait que la restriction incriminée concerne la distribution par le biais des entrepositaires-grossistes et qu'en général, ceux-ci ne livrent pas le circuit alimentaire (voir le point (25)), la Commission considère que le secteur concerné est celui du " Horeca ".

(56) Heineken NV et Heineken France maintiennent que le marché de produits en cause est celui de la vente des entrepôts, l'armistice portant pour l'essentiel sur le gel provisoire des acquisitions d'entrepôts. La Commission ne partage pas ce point de vue. L'accord d'armistice ne concernait pas uniquement le gel ou " statu quo " provisoire des acquisitions, mais s'inscrivait plutôt dans l'objectif général " qu'il doit exister un équilibre entre [les] deux groupes conformément à une règle générale selon laquelle aucun des deux ne doit être dominant sur le marché Horeca " (introduction de la description de l'accord d'armistice, voir le point (41)). En outre, comme il ressort des discussions du 12 février 1996, la volonté de maintenir ou de rétablir un tel équilibre existait déjà bien avant l'accord d'armistice (voir les points (33) à (40)). Au-delà du contrôle des investissements, le statu quo provisoire des acquisitions était un premier pas vers le rétablissement d'un équilibre entre les réseaux de distribution des parties dans le secteur Horeca. De toute manière, il y a lieu de répéter qu'il n'est nullement nécessaire de définir le marché, compte tenu des restrictions patentes de la concurrence en cause (voir également le point (53)).

(57) Par conséquent, conformément à la jurisprudence de la Cour et à ses précédentes décisions dans ce secteur, la Commission considère que le secteur en cause dans la présente affaire correspond à celui de la fourniture de bière à destination des débits de boissons ou " circuit CHD ".

(58) En outre, la jurisprudence de la Cour, ainsi que les décisions antérieures de la Commission dans ce secteur, dont une décision récente concernant la France, ont conclu que les marchés de la bière sont, au plus large, nationaux (76). Parmi les motifs évoqués pour cette conclusion figurent la variation entre les préférences et les habitudes des consommateurs dans les différents États membres, qui se traduit dans le caractère généralement national des marques, l'organisation nationale des réseaux de distribution, ainsi que les différences entre les législations et normes nationales, par exemple en matière de taxation des boissons alcoolisées, de recyclage des emballages, de publicité et de réglementation des débits.

(59) En l'espèce, les éléments à la disposition de la Commission indiquent que géographiquement, le secteur concerné ne s'étend pas au-delà de la France métropolitaine. En particulier, les principales marques de bière commercialisées en France n'ont pas une position comparable dans les pays limitrophes, les systèmes de distribution des entreprises concernées sont limités au territoire national et leur politique commerciale est définie par référence au territoire national (77).

3.2. Article 81, paragraphe 1, du traité

(60) Aux termes de l'article 81, paragraphe 1, du traité, sont incompatibles avec le Marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun, et notamment ceux qui consistent à fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction, à limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements, ou à répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement.

3.3. L'existence d'un accord au sens de l'article 81, paragraphe 1, du traité

(61) Selon une jurisprudence constante, il y a accord au sens de l'article 81, paragraphe 1, du traité lorsque les entreprises en cause ont exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée (78). Il n'est pas nécessaire qu'un tel accord soit établi par écrit; aucune formalité n'est nécessaire; ni sanctions contractuelles ni procédures d'exécution ne sont requises. L'accord peut être exprès ou ressortir implicitement du comportement des parties.

(62) L'"armistice" conclu le 21 mars 1996 entre Heineken NV et Heineken France, d'une part, et Danone et Brasseries Kronenbourg, d'autre part, constitue un accord au sens de l'article 81, paragraphe 1, du traité. Ceci ressort clairement de la note du PDG de Heineken France du 22 mars 1996 :

" Hier nous sommes convenus avec Danone de mettre fin à la guerre stupide et coûteuse des acquisitions. Nous partageons l'objectif qu'il doit exister un équilibre entre nos deux groupes conformément à une règle générale selon laquelle aucun des deux ne doit être dominant sur le marché Horeca en ce qui concerne trois aspects principaux :

1. Le volume intégré à travers chaque réseau de distribution doit être égal...

2. Le volume des marques de l'autre partie contrôlé par le réseau intégré du concurrent doit être égal.

3. Les entrepositaires-grossistes qui seront intégrés à l'avenir doivent être identifiés comme appartenant " naturellement " à l'un ou l'autre groupe, sous réserve de l'équilibre à long terme conformément aux points 1 et 2.

Afin d'éviter tout malentendu à court terme, nous avons chacun signé une liste d'entrepositaires-grossistes qui, soit ont effectivement été acquis pendant la guerre, soit ont fait l'objet d'une offre d'achat ferme pour laquelle nous attendons la réaction du propriétaire actuel. Pour l'instant aucune partie ne s'engagera en dehors de ces deux listes. " (79).

(63) En outre, contrairement à ce qu'allèguent Heineken NV et Heineken France (voir le point (52), deuxième tiret), la réunion du 21 mars 1996 et l'armistice qui en résultait ne portaient pas uniquement sur un statu quo provisoire des acquisitions (" Pour l'instant aucune partie ne s'engagera en dehors de ces deux listes. "). L'accord portait également sur l'établissement d'un équilibre entre les réseaux de distribution des deux groupes (" Nous partageons l'objectif qu'il doit exister un équilibre entre nos deux groupes conformément à une règle générale selon laquelle aucun des deux ne doit être dominant sur le marché Horeca en ce qui concerne trois aspects principaux : "). Loin de constituer des objectifs généraux et vagues, un accord concret a été atteint sur la nécessité d'atteindre un équilibre sur le marché CHD et sur les trois aspects principaux pour l'atteindre.

(64) Les circonstances que (i) certains détails de l'accord d'armistice étaient à négocier plus tard, que (ii) cet accord n'a jamais été exécuté (ce qui ressort également de la présentation interne de Brasseries Kronenbourg intitulée " objectifs préliminaires 1997/1999 ") ou (iii) les motifs de l'auteur de la note décrivant l'armistice n'influencent en rien l'existence d'un accord. Enfin, il faut souligner que Danone et Brasseries Kronenbourg ne contestent pas que les discussions du 21 mars 1996 aient débouché sur un " armistice ".

(65) Enfin, la Commission partage le point de vue des parties selon lequel il n'y a pas eu d'accord ou de pratique concertée entre le 12 février et le 21 mars 1996. Ainsi qu'il ressort des notes internes de Heineken NV et Heineken France décrits aux points (33) à (40), à la réunion du 12 février 1996 les parties ont constaté la nécessité de trouver une solution pour le déséquilibre des réseaux de distribution suite à l'acquisition par Heineken France des groupes Fischer et Saint-Arnould. Les directeurs généraux des entreprises respectives devaient se rencontrer dans un mois afin de restaurer l'équilibre. Cependant, tout de suite après la réunion, les parties se sont livrées à une guerre d'acquisitions d'entrepositaires-grossistes. Plutôt que de rétablir un équilibre, elles s'en sont donc éloignées. En outre, ainsi qu'il ressort de la note interne du PDG de Heineken France du 17 mars 1996, Heineken France insistait à cette époque encore sur la nécessité de convaincre Danone de terminer la guerre des acquisitions et d'établir un équilibre. Pour ces raisons, la Commission considère qu'il n'y a pas suffisamment de preuves pour établir l'existence d'un accord ou d'une pratique concertée lors de la réunion du 12 février 1996.

3.4. Nature de l'infraction

(66) L'article 81, paragraphe 1, du traité mentionne expressément comme des restrictions de concurrence les accords entre entreprises qui limitent ou contrôlent les investissements où répartissent les marchés. Or, en l'espèce, l'accord " d'armistice " du 21 mars 1996 avait d'abord pour objet de contrôler les investissements des groupes Heineken et Danone car il visait à maîtriser à court terme l'accélération du coût d'acquisition des entrepositaires-grossistes (80). Ensuite, ce même accord s'apparente à un accord ayant pour objet de répartir le marché du circuit CHD entre ces deux groupes. En effet, en établissant un double équilibre, les parties visaient à éviter qu'une partie domine l'autre sur ce marché. À cette fin, les parties se sont mises d'accord, premièrement, sur un équilibre entre les volumes totaux de bière (81) distribués par chaque groupe et, deuxièmement, sur un équilibre entre les volumes de marques de l'autre partie distribués par chaque groupe. Ceci limitait le risque qu'une partie, tout en respectant le premier équilibre (des volumes totaux), réduise, dans le réseau de distribution qu'elle contrôle, le volume de bière de l'autre partie, notamment au profit de ses propres bières. Ces objectifs ressortent en particulier de la note adressée par le PDG de Heineken France à Heineken NV le 22 mars 1996 (cité au point (62)).

3.5. Restriction par objet

(67) Il est de jurisprudence constante que, aux fins de l'application de l'article 81, paragraphe 1, du traité, la prise en considération des effets concrets d'un accord est superflue, dès lors qu'il apparaît que celui-ci a pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun (82). Il ressort des points (62) à (66) que l'accord visé dans la présente affaire avait pour objet de restreindre la concurrence, notamment en prescrivant un statu quo des acquisitions et en établissant un équilibre entre les réseaux de distribution des parties. Dès lors, la Commission est en mesure de constater l'existence d'une infraction au sens de l'article 81, paragraphe 1, du traité même si cet accord n'a pas produit d'effets (voir le point (48)).

(68) Contrairement à ce qu'allèguent Heineken NV et Heineken France, la circonstance que l'accord d'armistice n'a pas produit d'effets n'influence pas le fait qu'il était de nature à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence d'une manière sensible, au sens de l'article 81, paragraphe 1, du traité. L'accord avait notamment pour objet de restreindre le jeu de la concurrence entre les deux groupes brassicoles les plus importantes sur le marché français au détriment d'autres brasseurs, et finalement au détriment (du choix) des consommateurs. Un tel accord ne peut nullement être qualifié comme étant de minimis.

3.6. Affectation sensible du commerce entre États membres

(69) Selon une jurisprudence constante, pour être susceptible d'affecter le commerce entre États membres, une entente entre entreprises doit, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États membres (83). Contrairement à ce que suggèrent Heineken NV et Heineken France, il n'est donc nullement nécessaire que l'accord ait produit des effets concrets. Or, l'accord visé dans la présente affaire était susceptible d'influencer le volume des importations de bière vers la France depuis d'autres États membres pour les raisons suivantes.

(70) Comme il a déjà été souligné au point (56), l'accord " d'armistice " ne concernait pas seulement le contrôle des investissements par un statu quo provisoire des acquisitions d'entrepositaires-grossistes, mais visait également à créer un équilibre entre les deux réseaux de distribution les plus développés du marché. La Commission rappelle qu'entre 1995 et 2000 la part du volume total de bière vendue en fûts distribuée par ces deux réseaux est passée d'environ [15-25] % à plus de [55-65] % (84). Cet accord n'était donc pas seulement susceptible d'influencer la concurrence entre les brasseurs pour l'acquisition d'entrepôts mais également les conditions de la distribution des produits originaires d'autres Etats membres. En effet, pour des brasseurs étrangers ne disposant pas de réseaux de distribution en France, les réseaux des brasseurs français constituent l'un des principaux moyens d'accès au marché. Dans ces conditions, un accord visant l'équilibre à l'échelle nationale (85) entre les réseaux de Heineken France et Brasseries Kronenbourg était susceptible d'affecter les conditions d'accès au marché CHD pour les brasseurs étrangers et, partant, le volume des importations. Ceci a d'ailleurs été reconnu par Brasseries Kronenbourg dans une analyse stratégique de 1996 lorsqu'elle a constaté que la bipolarisation de la distribution constituait " un rempart contre une entrée massive et non contrôlée - de brasseurs étrangers " (86).

(71) En outre, Interbrew France, première importatrice de bière en France (87), dépendait et dépend encore des réseaux de Heineken France et de Brasseries Kronenbourg pour assurer la distribution d'un volume important de ses produits dans le marché CHD (88). Or, un accord visant à restreindre la concurrence entre les réseaux de distribution de ces entreprises était susceptible d'affecter les conditions commerciales qu'elles proposaient à Interbrew France pour la distribution de ses produits.

(72) Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que l'accord visé par la présente décision était susceptible d'affecter le volume des importations de bière vers la France et ce de manière sensible.

3.7. Durée de l'infraction

(73) Les parties qui concluent un accord ayant pour objet de restreindre la concurrence visent nécessairement à s'entendre sur leur comportement concurrentiel futur. Toutefois, dans le cas d'espèce, la Commission reconnaît que les éléments de preuve dont elle dispose indiquent que l'accord d'armistice n'a pas été mis en œuvre. Il n'y a dès lors pas lieu de déterminer la durée de l'infraction.

3.8. Destinataires de la présente décision

(74) La présente décision doit être adressée aux entreprises directement impliquées dans l'infraction, c'est-à-dire Danone, Heineken NV, Brasseries Kronenbourg et Heineken France.

3.9. Article 81, paragraphe 3, du traité

(75) L'accord " d'armistice " entre Danone, Heineken NV, Brasseries Kronenbourg et Heineken France avait pour objet de répartir le marché et de limiter les investissements (89). Ce type d'accords ne peut pas contribuer à améliorer la production ou la distribution, ni à promouvoir le progrès technique ou économique. En outre, aucun bénéfice ne peut en résulter pour les utilisateurs. Dès lors, les conditions prévues par l'article 81, paragraphe 3, du traité ne sont pas remplies et l'accord ne peut pas être exempté des dispositions de l'article 81, paragraphe 1, du traité.

4. SANCTIONS

4.1. Article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement (CE) n° 1-2003 (Article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17) : observations générales

(76) En vertu de l'article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1-2003, la Commission peut infliger, par voie de décision, des amendes aux entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles commettent une infraction aux dispositions de l'article 81 du traité. Selon l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, disposition applicable au moment de l'infraction, l'amende infligé à chaque entreprise participant à l'infraction ne peut excéder 10 % de son chiffre d'affaires total réalisé au cours de l'exercice social précédent. La même limite résulte de l'article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1-2003.

(77) En vertu aussi bien de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 que de l'article 23, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 1-2003, la Commission doit, pour déterminer le montant de l'amende, prendre en considération la gravité de l'infraction et la durée de celle-ci. L'amende infligée doit en outre tenir compte des circonstances aggravantes et atténuantes.

4.2. Détermination du montant de l'amende

(78) Il ressort des éléments de faits que Danone, Brasseries Kronenbourg, Heineken NV et Heineken France ont toutes participé aux discussions menant à l'accord d'armistice avec l'intention de limiter les investissements liés à l'acquisition d'entrepositaires-grossistes et dans le but explicite d'établir un équilibre entre les réseaux de distribution des deux groupes pour éviter qu'un des groupes domine le marché CHD en France. La Commission estime que cette infraction doit être considérée comme ayant été commise de propos délibéré, les parties n'ayant pu ignorer le fait qu'un tel accord visait à restreindre la concurrence. À cet égard, il y a également lieu de tenir compte du fait que des entreprises d'une dimension aussi grande que celles en cause disposent normalement des connaissances et des infrastructures juridico-économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence.

(79) En conséquence, chaque entreprise doit être sanctionnée en ce qu'elle a pris, ainsi qu'il ressort de l'examen des faits et de leur appréciation juridique, une part individuelle à l'infraction reprochée. Les sociétés mères, Danone et Heineken NV, sont dès lors considérées comme conjointement et solidairement responsables avec leurs filiales respectives (à l'époque des faits), Brasseries Kronenbourg et Heineken France, des faits reprochés.

(80) Dans leurs réponses à la communication des griefs, les parties ont invoqué un certain nombre de décisions de la Commission pour soutenir leurs arguments concernant le montant de l'amende. À cet égard, il suffit de souligner qu'une comparaison des amendes infligées dans des affaires distinctes est un exercice largement théorique, compte tenu du fait que le montant de l'amende dépend d'une série de critères qui sont examinés au cas par cas, en tenant compte des circonstances propres de chaque affaire. Des décisions antérieures de la Commission concernant des amendes ne lient donc pas la Commission au-delà des affaires concernées. Les seules limites posées à la liberté d'appréciation de la Commission dans la détermination des amendes sont constituées par le cadre juridique défini dans le règlement (CE) n° 1-2003. Dans ce cadre juridique, la Commission a précisé les critères qu'elle compte appliquer dans le cadre de l'exercice de son pouvoir d'appréciation par les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA (90) (ci-après les " lignes directrices "). Ces lignes directrices comportent les règles indicatives que la Commission s'est imposée (91). La pratique décisionnelle de la Commission ne constitue dès lors pas un cadre juridique contraignant pour les amendes dans des affaires de concurrence.

4.2.1. Détermination du montant de base de l'amende

(81) Pour déterminer le montant de l'amende, la Commission doit prendre en considération tous les éléments pertinents et, notamment, la gravité et la durée de l'infraction.

4.2.1.1. Gravité de l'infraction

(82) L'évaluation de la gravité de l'infraction doit tenir compte de la nature propre de l'infraction, de son impact concret sur le marché lorsqu'il est mesurable et de l'étendue du marché géographique concerné.

Nature de l'infraction

(83) En l'espèce, les objectifs de l'accord d'armistice étaient de maîtriser le coût d'acquisition des entrepositaires-grossistes et d'établir un équilibre dans le marché CHD entre les deux principaux groupes brassicoles en France. Il s'agit donc d'un accord horizontal visant à restreindre la concurrence entre des entreprises détenant des parts de marché élevées. Cependant, un accord visant à maîtriser à court terme les coûts d'acquisition des entrepositaires-grossistes en mettant fin à une guerre d'acquisitions ne saurait être assimilé à une infraction caractérisée, comme un accord fixant le niveau des prix. Quant à l'accord établissant un équilibre à plus long terme entre les réseaux de distribution des deux groupes brassicoles, il y a lieu de souligner qu'un tel accord s'apparente à un partage du marché. Il ne s'agit toutefois pas d'un partage du marché au sens " classique ", l'accord visant surtout à éviter qu'un groupe domine le marché plutôt qu'à éliminer toute concurrence entre ces groupes ou à entraver des parties tierces.

Impact concret de l'accord sur le marché

(84) Ainsi qu'il est indiqué au point (48), l'accord n'a pas été mis en œuvre et n'a dès lors pas eu d'effets sur le marché.

(85) Contrairement à ce qu'allèguent Danone et Brasseries Kronenbourg, le fait que le marché concerné est en net déclin ne saurait être pris en considération dans l'évaluation de la gravité de l'infraction. En effet, très souvent, des cartels sont formés précisément dans des secteurs confrontés à des situations de crise. Si l'argumentation de Danone et de Brasseries Kronenbourg était suivie, l'amende devrait être réduite dans presque tous les cas (92).

Taille du marché géographique en cause

(86) S'agissant de l'étendue du marché géographique en cause, la Commission tient compte du fait que l'accord couvrait l'ensemble du territoire de la France métropolitaine, mais qu'il se limitait au circuit CHD, qui représente moins d'un tiers du volume total des ventes en France (voir les points (54) à (59)).

Conclusion en ce qui concerne la gravité de l'infraction

(87) Si l'on tient compte de la nature de l'accord d'armistice, de l'absence d'impact concret sur le marché et du fait que l'accord était limité au circuit CHD du territoire de la France métropolitaine, il y a lieu de conclure que les entreprises concernées ont commis une infraction grave à l'article 81 du traité.

(88) Il n'y a pas lieu d'opérer une distinction reflétant le rapport de force des différentes parties, Danone/Brasseries Kronenbourg et Heineken NV/Heineken France étant tous deux des groupes internationaux et les acteurs les plus importants sur le marché de la bière en France au moment des faits.

4.2.1.2. Durée de l'infraction

(89) Ainsi qu'il a été décrit au point (73), la Commission reconnaît que les éléments de preuve dont elle dispose indiquent que l'accord d'armistice n'a pas été mis en œuvre. Dès lors, il n'y a pas lieu de majorer le montant de base.

4.2.1.3. Conclusion quant au montant de base de l'amende

(90) Au vu de ce qui précède, le montant de base de l'amende résultant de la gravité et de la durée de l'infraction est fixé à 1 000 000 euro, aussi bien pour Danone/Brasseries Kronenbourg que pour Heineken NV/Heineken France.

4.2.2. Circonstances aggravantes et atténuantes

4.2.2.1. Circonstances aggravantes

(91) Il convient de constater que Danone (alors dénommée BSN) a déjà été condamnée en 1984 (93) pour des accords de partage du marché visant notamment à maintenir un statu quo dans la situation globale des parties et à établir un équilibre dans le marché. Étant donné que Danone a à nouveau commis une infraction après avoir été sanctionnée pour des faits du même type, on peut parler en l'occurrence de récidive (94).

(92) Danone et Brasseries Kronenbourg ont fait valoir que l'application de la notion de récidive serait contraire au principe de proportionnalité puisque des faits remontant à de très nombreuses années seraient pris en compte au titre de la récidive. En outre, l'absence de toute limitation dans le temps du concept de récidive, a fortiori lorsqu'il est appliqué à des personnes morales dont la durée de vie est illimitée, violerait le principe de la sécurité juridique.

(93) Or, il y a lieu de constater que la notion de récidive n'est pas soumise à une quelconque prescription.Les lignes directrices ne comportent pas de limitation dans le temps entre la constatation de la précédente infraction et la condamnation pour la nouvelle infraction. Cette situation est comparable à la situation quant à la prescription pour l'imposition d'amendes avant l'adoption du règlement (CEE) n° 2988-74 du Conseil du 26 novembre 1974 relatif à la prescription en matière de poursuites et d'exécution dans les domaines du droit des transports et de la concurrence de la Communauté économique européenne (95). À cette époque, aucune prescription n'était prévue pour l'imposition d'amendes. Dans ce cadre la Cour a estimé qu'il n'y avait aucune prescription (96). Dans le même ordre d'idée, il doit être conclu qu'il n'y a pas de limitation au délai de récidive, faute de fixation à l'avance de la limite à la récidive. La récidive constituant en outre la preuve de ce que la sanction antérieurement imposée n'a pas été suffisamment dissuasive (voir également le point (94)), une augmentation de l'amende pour récidive n'est pas disproportionnée, même si la décision à la base de la récidive date d'il y a vingt ans. Dès lors, il convient de retenir la condamnation de Danone en 1984 pour l'établissement de la récidive dans le cas d'espèce, sans que ceci viole les principes de proportionnalité ou de sécurité juridique.

(94) Enfin, se référant au principe " nulla poena sine lege ", Danone et Brasseries Kronenbourg ont également discuté l'existence d'un fondement légal de la notion de récidive, l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ne s'y référant pas explicitement. Une telle argumentation revient implicitement à critiquer la compatibilité des lignes directrices avec l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Cette argumentation méconnaît la jurisprudence du Tribunal de première instance des Communautés européennes. En effet, le 20 mars 2002, le Tribunal a rejeté des exceptions d'illégalité qui avaient été soulevées à l'encontre des lignes directrices. Il a ainsi jugé que : " la Commission, dans l'élaboration de ses lignes directrices, n'a aucunement dépassé les limites du pouvoir discrétionnaire attribué par le règlement n° 17. " (97) En outre, à plusieurs occasions, le Tribunal s'est déjà prononcé sur l'existence de récidive comme circonstance aggravante. Dans son arrêt du 30 septembre 2003, il a même explicitement confirmé : " la récidive est une circonstance qui justifie une augmentation considérable du montant de base de l'amende. En effet, la récidive constitue la preuve de ce que la sanction antérieurement imposée n'a pas été suffisamment dissuasive. " (98)

(95) Pour ces raisons, la Commission estime qu'il convient d'augmenter le montant de base de l'amende de 50 % dans le cas de Danone et de Brasseries Kronenbourg.

(96) En ce qui concerne Heineken NV et Heineken France, il ressort du contexte de l'accord d'armistice et des notes internes de ces entreprises, décrites aux points (33) à (46), que les parties ont participé à égalité à la réunion du 21 mars 1996 et aux discussions qui la précédaient. Même s'il ressort de la note du 17 mars 1996 (voir le point (40)) que Heineken France voulait convaincre Danone sur les détails de l'accord, il ressort de la même note que Danone était déjà d'accord sur le principe de l'accord d'armistice (" Jusqu'à présent, Danone s'est montré d'accord avec ce principe "). En outre, dans les discussions qui ont précédé la réunion du 21 mars 1996, Danone a également insisté pour qu'une solution soit trouvée au "problème dans la distribution " (voir en particulier les points (33) et (35) à (37)). La Commission considère dès lors que Heineken NV et Heineken France n'ont pas joué de rôle de meneur ou d'incitateur justifiant une augmentation de l'amende dans le chef de ce groupe.

4.2.2.2. Circonstances atténuantes

(97) Au titre des circonstances atténuantes, Danone et Brasseries Kronenbourg invoquent le rôle passif qu'elles auraient joué dans la conclusion de l'armistice. Cependant, ainsi qu'il a été décrit au point (96), il ressort des notes internes du groupe Heineken que les deux groupes souhaitaient maintenir ou rétablir l'équilibre entre leurs réseaux de distribution et qu'ils se sont réunis et ont négocié l'accord d'armistice sur un pied d'égalité. Dès lors, il n'y a pas lieu de retenir cette circonstance atténuante dans le cas de Danone et/ou de Brasseries Kronenbourg.

(98) La Commission admet l'argument des parties selon lequel elles n'ont pas mis en œuvre l'accord d'armistice et que l'accord n'a pas eu d'effets sur le marché. Ces éléments ont néanmoins déjà été pris en considération lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction et ne peuvent donc pas être pris en considération une deuxième fois en tant que circonstance atténuante.

(99) Quant à l'existence d'un doute raisonnable sur le caractère infractionnel de l'accord d'armistice du 21 mars 1996, invoqué par Heineken NV et Heineken France, la Commission est d'avis que les parties ne pouvaient ignorer le fait qu'un tel accord visait à restreindre la concurrence (voir également le point (78)). La Commission ne peut donc retenir une circonstance atténuante pour cette raison.

(100) Ensuite, Danone et Brasseries Kronenbourg ainsi que Heineken NV et Heineken France ont invoqué le fait que leur coopération lors de la procédure devrait être prise en compte en tant que circonstance atténuante. Cependant, dans des procédures concernant des cartels secrets, la coopération doit en principe être prise en compte sur la base de la communication de la Commission concernant la non-imposition d'amendes ou la réduction de leur montant dans des affaires portant sur des ententes (99) (ci-après " la communication sur la clémence de 1996 ") ou de la communication de la Commission sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (100) (ci-après " la communication sur la clémence de 2002 "), afin de ne pas miner l'objectif de ces communications.

(101) En ce qui concerne les parties à cette procédure, la communication sur la clémence de 2002 devrait être appliquée ratione temporis. Cependant, aucune des parties n'a introduit de demande au titre de cette communication et celle-ci, contrairement à la communication sur la clémence de 1996, ne prévoit pas la possibilité d'une réduction de l'amende pour non-contestation des faits.

(102) De plus, le fait que les parties n'ont pas contesté les faits exposés par la Commission dans sa communication des griefs et que Danone/Brasseries Kronenbourg n'a pas contesté que les discussions du 21 mars 1996 ont débouché sur un " armistice " ne peut être retenu comme circonstance atténuante au titre des lignes directrices, puisque, de toute façon, ces éléments n'ont pas contribué de manière significative à l'établissement de l'existence de l'infraction.

(103) En outre, contrairement à ce que prétendent Heineken NV et Heineken France, le fait que ces parties auraient systématiquement répondu aux questions qui leur étaient posées en vertu de l'article 11 du règlement n° 17 ne constitue pas une circonstance atténuante, les parties étant obligées de répondre à de telles questions (101). De même, le fait que le 19 décembre 2003 et le 27 janvier 2004, les parties ont répondu spontanément à une demande informelle de la Commission quant à l'absence de mise en œuvre et d'effets de l'accord d'armistice (102) ne peut être retenu comme collaboration justifiant une circonstance atténuante. En effet, ces réponses n'ont contribué qu'à confirmer - à l'initiative de la Commission - l'absence d'effets de l'accord. Les parties avaient dès lors tout intérêt à fournir une telle réponse. De plus, l'absence d'effets sur le marché a déjà été prise en compte pour l'établissement de la gravité de l'infraction. Enfin, le fait que les parties ont renoncé à leur droit à une audition ne saurait pas non plus être retenu comme collaboration justifiant une circonstance atténuante. Une telle renonciation ne contribue pas en soi à la détermination de l'infraction et peut être faite dans l'intérêt propre des parties.

(104) Dès lors, aucune circonstance atténuante pour coopération effective lors de la procédure ne saurait être retenue.

(105) En conclusion, aucune circonstance atténuante n'est retenue dans la présente affaire.

4.2.3. Autres circonstances et conclusion quant au montant final de l'amende

(106) Bien que Heineken NV et Heineken France aient invoqué les " circonstances très particulières de l'espèce " en se référant, entre autres, à la guerre d'acquisitions des entrepositaires-grossistes, de telles circonstances ne peuvent nullement être qualifiées de circonstances spécifiques justifiant d'adapter in fine les montants d'amende envisagés. Pour les raisons évoquées ci-dessus et compte tenu du caractère clair de l'infraction qui est une infraction par objet, la Commission considère en outre qu'il n'y a pas lieu, dans le cas d'espèce, d'appliquer une amende symbolique.

(107) Dans ces conditions, le montant final de l'amende à infliger à chaque entreprise doit être le suivant:

- Danone et Brasseries Kronenbourg, conjointement et solidairement: 1 500 000 euro,

- Heineken NV et Heineken France, conjointement et solidairement: 1 000 000 euro,

A arrêté la présente décision :

Article premier

Le Groupe Danone, les Brasseries Kronenbourg SA, Heineken NV et Heineken France SA ont enfreint l'article 81 du traité en concluant le 21 mars 1996 un accord ayant pour objet de geler provisoirement les acquisitions d'entrepositaires-grossistes et d'établir un équilibre entre les réseaux de distribution respectifs des groupes dans le secteur des ventes de bière destinées à la consommation hors domicile en France.

Article 2

Les amendes suivantes sont infligées pour l'infraction visée à l'article 1er :

- Groupe Danone et Brasseries Kronenbourg SA, conjointement et solidairement : 1 500 000 euro,

- Heineken NV et Heineken France SA, conjointement et solidairement: 1 000 000 euro,

Article 3

Les amendes prévues à l'article 2 sont payables, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, sur le compte bancaire suivant :

Compte N° 001-3953713-69 de la Commission européenne auprès de FORTIS Bank, Rue Montagne du Parc 3, 1000 Bruxelles (Code SWIFT GEBABEBB - Code IBAN BE71 0013 9537 1369) À l'expiration de ce délai, des intérêts seront automatiquement dus au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à ses principales opérations de refinancement au premier jour du mois au cours duquel la présente décision a été adoptée, majoré de 3,5 points de pourcentage, soit 5,52%.

Article 4

Sont destinataires de la présente décision :

Groupe Danone 17 boulevard Haussmann 75009 Paris France

Brasseries Kronenbourg SA 68 Route d'Oberhausbergen 67200 Strasbourg France

Heineken NV Tweede Weteringplantsoen 21 1017 ZD Amsterdam Nederland

Heineken France SA 19 Rue des deux Gares 92500 Rueil-Malmaison France

1 JO L 1 du 4.1.2003 p. 1. Règlement modifié par le règlement (CE) n° 411-2004 (JO L 68 du 6.3.2004, p. 1).

2 JO 13 du 21.2.1962, p. 204/62. Règlement abrogé par le règlement (CE) n° 1-2003.

3 JO L 354 du 30.12.1998, p. 18. Règlement abrogé par le règlement (CE) n° 773-2004 (JO L 123 du 27.4.2004, p. 18).

4 Décision 2003-569-CE de la Commission du 5 décembre 2001 relative à une procédure d'application de l'article 81 du traité CE (Affaire IV/37.614/F3 - PO/Interbrew et Alken-Maes), point 54 (JO L 200 du 7.8.2003, pp. 1).

5 Doc 10695 à 10703 et 10736 à 10737.

6 Estimation de Brasseries Kronenbourg, doc. 10093-162, en particulier : doc. 10097.

7 Circuit des ventes destinées à la consommation hors domicile.

8 Circuit des grandes et moyennes surfaces, qui comprend les produits à marques de distributeur et à marques premiers prix brassés pour le compte de la grande distribution.

9 Voir p.ex. doc. 8031.

10 Doc. 10093-162, en particulier : doc. 10095.

11 Source : site internet de Danone, voir en particulier doc. 10514.

12 Décision de la Commission du 11 juillet 2000 déclarant la compatibilité avec le Marché commun d'une concentration (Affaire n° IV/M.1925 - Scottish & Newcastle/Groupe Danone) sur base du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil (JO C 238 du 27.8.2000, p. 9).

13 Réponse de Heineken France, doc. 9297-9334, en particulier doc. 9304.

14 Réponse de Heineken France, doc. 9297-9334, en particulier doc. 9304.

15 Estimation de Heineken France, doc. 9297-9334, en particulier doc. 9308.

16 Doc. 8043.

17 Réponse de Heineken France du 10 mai 2001, doc. 10166.

18 Réponse de Heineken France, doc. 9297.

19 Réponse d'Interbrew France, doc. 10342-363, en particulier doc. 10344.

20 Estimations d'Interbrew France, doc. 10730.

21 Doc. 8055.

22 Réponse d'Interbrew France du 18 mai 2001, doc. 10342-363, en particulier doc. 10344.

23 A l'époque des faits, Interbrew France appartenait à 99,9% à Immobrew, société détenue a 95% par Interbrew Belgium, elle-même une filiale à 100% d'Interbrew NV, voir doc. 10047.

24 Réponse d'Interbrew France du 18 mai 2001, doc. 10342-363, en particulier doc. 10343.

25 Magazine " Boissons de France " février 2000, doc. 7346.

26 Sources : Confédération des Brasseurs du Marché commun (" CBMC "), doc. 10518 et ABF doc. 7219.

27 Voir les parts de marché mentionnées aux points (11), (14) et (17).

28 Voir p.ex. arrêté ministériel du 20 août 1996 relatif à une concentration dans le secteur de la bière, Bulletin officiel de la Concurrence, 25 mars 1997, doc. 10519-10528.

29 Réponse de l'ABF, doc. 7219-7230, en particulier doc. 7220.

30 Source : ABF, doc. 7219-7230, en particulier doc. 7220.

31 Réponse de l'ABF, doc. 7219-7230, en particulier doc. 7220.

32 Voir par exemple la décision de la Commission du 30 octobre 1997 déclarant la compatibilité avec le Marché commun d'une concentration (Affaire n° IV/M.991 - Promodès/Casino) sur base du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil (JO C 376 du 11.12.1997, p. 12) et la décision de la Commission du 25 janvier 2000 déclarant la compatibilité avec le Marché commun d'une concentration (Affaire n° IV/M.1684 - Carrefour/Promodès) sur base du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil (JO C 164 du 14.6.2000, p. 5).

33 Réponse de l.ABF, doc. 7219-7230, en particulier doc. 7220.

34 80% de la bière consommée dans le circuit CHD est conditionnée en fûts, Magazine " Boissons de France " février 2000, doc. 7346.

35 Estimation d'Interbrew France, doc. 7875-8078, particulièrement 8067.

36 Doc. 9141-9157.

37 Réponse de Brasseries Kronenbourg, doc. 8957-8963 ; doc. 10093-10162, en particulier doc. 10105 ; Réponse d'Interbrew, doc. 10713-10723 et réponse de Heineken France, doc. 9335-9356 et doc. 10167-10168.

38 Doc. 8066.

39 Magazine " Boissons de France " janvier 2001, doc. 7344.

40 Source : CBMC, voir en particulier doc. 10502 et 10504.

41 Source : ABF : Enquête mensuelle des douanes, doc. 592-601.

42 Réponse de l'ABF du 20.4.2001, doc. 7219-30, particulièrement 7221.

43 Cette date est indiquée dans les documents 4680 ; 10175-10180, en particulier doc. 10176 ; 9252- 9296, en particulier doc. 9267 et doc. 10170-10171, mais la date du 13 février 1996 est indiquée dans le document 4676-8.

44 Doc. 9252-9296 et en particulier 10170-10171.

45 Texte original français.

46 Doc. 9252-9296, 10170-10171.

47 Doc. 4676-4677.

48 Texte original néerlandais : " Gezamenlijk kwamen wij vrij snel tot de conclusie dat er alleen een probleem ligt in de distributie en dat beide partijen er voor moeten zorgdragen dat er een oplossing gevonden wordt. Door [.] werd er op aangedrongen dat zulks voor medio maart moet plaatsvinden. "

49 Texte original néerlandais : " Het is van het grootste belang dat wij zorgen, dat er een oplossing komt voor het distributie vraagstuk. "

50 Doc 10172-10174.

51 Texte original néerlandais : " Als een consequentie van onze koop van de Fischer groep en van St-Arnould is het machtsevenwicht in de horecadistributie verstoord. Tijdens de vergadering met onze " vrienden " in Frankrijk werd afgesproken dat na een maand onze respectievelijke general managers een voorstel zouden uitwerken teneinde de balans te herstellen. "

52 Titre original anglais : " Horeca Distributor acquisitions in France (price war) ".

53 Doc. 10175-10180.

54 Texte original anglais : " In a first reaction during the meeting with Danone (Mr. [...] present), on February 12, Danone appeared surprised but only worried about the Horeca distributor development. However during the meeting it was agreed that within one month [...] (KRO General Manager) and myself would come back with an acceptable proposal to both parties. "

55 Texte original anglais : " Two things are particularly worrying at this point in time.

- A real price war has begun regarding acquisition prices. Until the war, we were able to acquire a wholesaler for approximately [...] of its Gross Margin, which gave us an IRR of [...] to [...]. Now prices are paid of up to [...] and [...] of Gross Margin, which will never allow for a satisfactory return at wholesaler level. Yet both parties continue because the control of their very keg beer volume is at stake, if not tomorrow, in the long run in any case. if Danone and Interbrew do not stop the war, we cannot afford to stop on our own without jeopardising our long term position. "

56 Texte original anglais : " Our strategy now is to convince Danone that the only losers are our two companies and that it would be much better to make peace, agree on a list of wholesalers " naturally " belonging to them and those belonging to us. Such list should indicate an equilibrium of total integrated volumes by each company as well as an equilibrium of the branded keg beer volumes controlled back and forth. We could then in the next years continue our respective integration processes at reasonable prices, according to these rules of game. However this policy will be difficult to implement as Interbrew has now entered the battle field and tries to buy the remaining free wholesalers. So far Danone.s position has been agreement to the principle. However, they do not want to recognise volumes as being " controlled " by them, if realised through wholesalers where they are minority shareholder - even if they have a right of first refusal. Clearly we have not accepted that. . I have had a telephone conversation with [...] on March 15 and he again agreed with the urgency to stop this stupid war, but he was not fully convinced that Messrs. [...] will share his view. He will call me back Monday morning to give me the Danone position. "

57 Titre original anglais : " Horeca Distributor acquisitions in France (price war) ".

58 Doc. 8335-8337 et doc. 10181-10185.

59 Texte original anglais : " Armistice Yesterday we have reached agreement with Danone to put an end to the stupid and costly acquisition war. We share the objective that between our two groups equilibrium must exist according to a general rule that none of the two is dominant in the Horeca market with regard to three main aspects :

1. Volume integrated through each of the distribution networks must be equal. For the time being, minority shareholdings with pre-emptive rights count as controlled by. However, Danone reserved the right to come back to this issue.

2. Volume of the other party.s brands, controlled by integrated network of the competitor must be equal.

3. Wholesalers to be integrated in the future must be identified as " naturally " belonging to one of the two groups, conditional to the long term equilibrium according to items 1 and 2. In order to avoid any misunderstanding for the short run, we have both signed a list of wholesalers that were either actually acquired during the war, or where we committed ourselves to a firm offer and now await the reaction of the present owner. For the time being no other engagements will be made by either party outside these two lists.

Based on actual 1995 volume figures the status quo regarding the equilibrium will be determined and if necessary adjustments through wholesaler transfers back and forth will be effectuated.

The following table shows the status quo in terms of volume integrated by each party and volumes controlled back and forth.

Status Quo

[table]

As can be seen from the table, currently Heineken distributors control [250-350 000] hectolitres of Danone-brands keg beer, whereas Danone controls only [250-350 000] hectolitres of Heineken-brands keg beer. In the following negotiations we will have to determine whether this is sufficiently stable to be regarded and accepted as " equilibrium " or not. The following table indicates that in the end situation when all relevant wholesalers would be integrated, the position will still be favourable to Heineken. (Integration according the rule " a current independent wholesaler naturally belongs to that party with a majority volume position in it ").

End Situation

[table] "

60 [SECRETS D.AFFAIRES].

61 Doc. 10184-10185.

62 Doc. 10172-10174.

63 Il ressort de cette note que la troisième entreprise en question est le groupe Interbrew (" onze Belgische vriend ", notre ami belge). Cependant, la Commission ne dispose pas de preuves de la participation de cette entreprise dans l'accord " d'armistice " en cause.

64 Texte original néerlandais : " Na intensief telefonisch kontakt is voorlopig een status quo afgekondigd en trachten de general managers tot een vergelijk te komen om deze prijsopdrijving te stoppen. In principe hebben de Voorzitters van de drie betrokken ondernemingen een afspraak volgende week voor het geval de general managers er niet uitkomen. "

65 Doc. 4680.

66 Texte original anglais : " Febr. 12 : Lunch : [...]/[...] . [...]/[...] ; [...] + [...] : Proposal to redistr. wholes. in North. . March 4-9 : More acquisitions ; 11 : We give [...] approval to react " Keep us informed " ; 14 : [...] announces in RvC ; 17 : Noodklok :[...] warns ; Intensive teleph. contact : [...]/[...] ; Meeting [...] . [...] : statu quo ; 22 : Brief [...] . RvC. "

67 Doc. 6924-73 ; 9252-9296, en particulier doc. 9267 et doc. 10565.

68 Doc. 8942 ; 8885 ; 10102 ; voir aussi doc. 8874-8875.

69 Voir doc. 10695-10703 et doc. 10736-10737.

70 Doc. 4680, 8335-8337, 10172-10174 et 10181-10185.

71 Doc. 10151-10153.

72 Arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 15 septembre 1998, European Night Services et autres/Commission, affaires jointes T-374-94, T-375-94, T-384-94 et T- 388-94, Rec. p. II-3141, point 136.

73 Décision 96-204-CE de la Commission du 20 septembre 1995 déclarant une concentration compatible avec le Marché commun et le fonctionnement de l'accord sur l'Espace économique européen (n° IV/M.582 - Orkla/Volvo) (JO L 66 du 16.3.1996 p. 17).

74 Par exemple, docs. 931-960 et 1961-1972.

75 Par exemple, l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 28 février 1991, Stergios Delimitis/Henninger Bräu AG., affaire 234-89, Rec. p. I-935 et la décision 1999-230-CE de la Commission du 24 février 1999 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (Affaire nº IV/35.079/F3 - Whitbread) (JO L 88 du 31.3.1999, p. 26).

76 Par exemple, arrêt Stergios Delimitis/Henninger Bräu AG précité, décision 96-204-CE précitée, décision Scottish & Newcastle/Groupe Danone précitée et décision 1999-230-CE précitée.

77 Voir, par exemple, l'étude de marché " Le marché bières et panachés - Sources et methodologie ", doc. 931-960.

78 Voir notamment arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij NV et autres/Commission (PVC II), affaires jointes T-305-94 etc., Rec. p. II-931, point 715.

79 Voir le point (41).

80 Voir notamment les points (39) à (41) et (44).

81 C'est-à-dire le volume distribué de leurs propres marques, des marques de l'autre partie et des tiers.

82 Voir par exemple l'arrêt PVC II précité, point 741.

83 Arrêt de la Cour du 11 juillet 1985, Remia et autres/ Commission, affaire 42-84, Rec. p. 2545, point 22.

84 La bière vendue en fûts représente environ 80% de la consommation dans le circuit CHD en France. Voir aussi le point (26).

85 Voir le point (43) et l'arrêt de la Cour du 19 février 2002, Wouters, affaire C-309-99, Rec. p. I-1577, point 95.

86 Doc. 8419 ; 10093-10162, en particulier doc. 10147.

87 Voir les points (11) à (19).

88 Voir le point (27).

89 Voir les points (33) à (46).

90 JO C 9 du 14.1.1998, p. 3.

91 Arrêt du Tribunal du 29 avril 2004, Tokai Carbon Co. Ltd et autres/Commission, affaires jointes T- 236-01, T-239-01, T-244-01 à T-246-01, T-251-01 et T-252-01, non encore publié au Recueil, points 157, 191 et 192.

92 Arrêt du Tribunal Tokai Carbon précité, point 345.

93 Décision 84-388-CEE de la Commission du 23 juillet 1984 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/30.988 - Accords et pratiques concertées dans le secteur du verre plat dans les pays du Benelux) (JO L 212 du 8.8.1984, p. 13). La décision 74-292-CEE de la Commission du 15 mai 1974 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/400 - Accords entre fabricants de verre d'emballage) (JO L 160 du 17.6.1974, p. 1), à laquelle la communication des griefs fait également référence, concernait surtout des accords de prix. De tels accords étant de type différent de l'accord d'armistice en cause, cette décision n'est pas prise en compte pour l'établissement de la récidive comme circonstance aggravante en l'espèce.

94 Arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen Stahl AG/Commission, T-141-94, Rec. p. II-347, point 617.

95 JO L 319 du 29.11.1974, p. 1. Règlement modifié par le règlement (CE) n° 1-2003.

96 " Attendu que les textes régissant le pouvoir de la Commission d'infliger des amendes en cas d'infraction aux règles de concurrence ne prévoient aucune prescription ; Que, pour remplir sa fonction d'assurer la sécurité juridique, un délai de prescription doit être fixé à l'avance. " (Arrêt de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma NV/Commission, affaire 41-69, Rec. p. 661, points 18 et 19).

97 Arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, HFB et autres/Commission, affaire T-9-99, Rec. p. II-1487, point 458.

98 Arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, affaire T-203-01, non encore publié au Recueil, points 282 à 293, et en particulier le point 293. Voir également arrêt du Tribunal PVC-II précité, point 1162, arrêt du Tribunal Thyssen Stahl précité, points 614 à 626, et arrêt du Tribunal du 7 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, affaire T-6-89, Rec. p. II-1623, point 295.

99 JO C207 du 18.7.1996, p. 4.

100 JO C 45 du 19.2.2002, p. 3.

101 Arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Solvay/Commission, affaire T 12-89, Rec. p. II-907, points 341 et 342.

102 Doc 10695 à 10703 et 10736 à 10737.