CA Paris, 5e ch. C, 6 octobre 1995, n° 94-019344
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Provence Transports Affretement (SARL)
Défendeur :
Chrétien et Gervais (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Besancon
Conseillers :
Mme Cabat, M. Betch
Avoués :
SCP bourdais- Virenque, SCP Faure Arnaudy
Avocats :
Mes Riviere, Feschotte-Desbois.
La Cour statue sur l'appel formé par la Société Provence Transports Affretement ci-après dénommée "PTA" à l'encontre d'un jugement rendu le 4 juillet 1994 par le Tribunal de commerce de Melun qui l'a déboutée de sa demande en résolution de la vente d'un camion d'occasion, et qui après avoir constaté l'existence de vices cachés au jour de la vente, a ordonné la réduction du prix de vente de 120 000 F HT à 100 000 F HT, a ordonné en conséquence la mainlevée de la somme de 38 020 F "séquestrée à la Carpa, au profit de la Société PTA" et a condamné la société venderesse, la société Chrétien et Gervais à lui payer en deniers ou quittances les sommes suivantes:
+ 3.721, 33 F au titre des frais de location,
+ 1 695, 98 F au titre des frais d'expertise amiable, outre la somme de 10 000 F au titre de l'application de l'article 700 du NCPC.
La cour se réfère pour l'exposé des faits et de la procédure à la relation exacte qu'en ont fait les premiers juges; il suffit de rappeler que cette décision faisait suite à un jugement du 15 avril 1991 qui avait donné mission à un expert d'examiner le véhicule litigieux et de faire le compte entre les parties.
La Société Provence Transports Affretement, appelante, reprend devant la cour sa demande en résolution de la vente pour vices cachés en soutenant qu'elle n'a pas la qualité de professionnelle de la mécanique et que le maquillage du véhicule et la fausse annonce publicitaire d'un échange standard du moteur l'ont induite en erreur, la venderesse, ayant en outre manqué à son devoir de conseil en s'abstenant de lui indiquer que le moteur avait été "refait" mais non changé.
Aussi, prie-t-elle la cour de confirmer la décision déférée du chef de la reconnaissance de vices cachés et après avoir prononcé la résolution de la vente, de lui donner acte de son acceptation de restituer le véhicule en l'état, de condamner la société Chrétien et Gervais à lui rembourser la somme de 142 320 F TTC augmentée des intérêts au taux légal courus à compter de la date d'achat du 28 novembre 1989, de condamner la même société à lui régler:
+ la somme de 18 870,48 F correspondant aux intérêts sur le prêt souscrit en vue du financement de l'achat litigieux,
+ la somme de 8 436,44 F du chef des factures de remise en état du véhicule,
+ 1 695,95 F au titre des frais d'expertise amiable,
+ 9 471,40 F au titre du remboursement des frais d'expertise judiciaire payés par la Société PTA,
+ 3 721,33 F correspondant aux factures de location d'un camion de remplacement, "sauf à parfaire",
+ 100 000 F au titre du trouble de jouissance et du manque à gagner,
+ 30 000 F. destinés à l'indemnisation du préjudice né de la résistance abusive de la Société Chrétien et Gervais,
+ 20.000 F. en application de l'article 700 du NCPC.
La société Chrétien et Gervais. ci-après dénommée Société "CG" intimée, conclut à la confirmation de la décision entreprise en formant contre l'appelante une demande en paiement de ses frais irrépétibles chiffrée à 10 000 F ainsi qu'une demande de partage par moitié des dépens.
A ces fins, elle fait valoir que les anomalies techniques du véhicule ne peuvent donner lieu à résolution de la vente parce qu'ils doivent être classés dans l'une des catégories suivantes:
-ils ne peuvent pas même être qualifiés de défauts,
- il s'agit de défauts apparents,
- il s'agit de désordres cachés ne rendant pas le camion inapte à l'usage auquel il est destiné.
L'intimé affirme en outre que la qualité de professionnelle du transport routier de l'acheteuse exclut toute possibilité de méprise de cette dernière sur les termes de l'annonce publicitaire "moteur 20 000 kms", la même qualité mettant à sa charge une vigilance particulière pour l'achat d'un véhicule d'occasion.
Sur ce, la cour:
1°) Sur la qualité de chacune des parties:
Considérant que la qualité de professionnelle du véhicule automobile qui n'est pas contestée par la Société CG résulte de son activité commerciale de garagiste spécialisé dans les poids lourds;
Que cette qualité fait présumer de la connaissance qu'elle a dû avoir des éventuels vices affectant le véhicule qu'elle vendait;
Considérant que bien qu'elle soit un usager éclairé de véhicules poids lourds en raison de son activité de transporteur, la société PTA n'était pas pour autant présumée connaître les vices du véhicule qu'elle achetait; qu'il lui appartenait seulement de procéder avant son achat aux vérifications techniques d'un usager normalement diligent;
Qu'il y a lieu en conséquence d'examiner si les diligences ont été accomplies et si le véhicule présentait ou non des vices cachés répondant aux conditions d'application des articles 1641 et suivants du Code de commerce;
2°) Sur l'existence et la nature des vices:
Considérant que comme le souligne à bon droit la venderesse, l'application sans précaution particulière de peinture comme par exemple sur des épaisseurs de boue ou l'absence de protecteurs de freins sur le moyeu arrière gauche auraient dû attirer l'attention d'un acheteur normalement diligent; qu'il en est de même pour ce qui concerne l'importante émission de fumée au moment de la mise en fonctionnement du moteur; qu'il s'agit là de défauts apparents;
Considérant que les ondulations en la partie centrale des longerons décelables après un examen minutieux ne sont pas davantage susceptibles d'entraîner la résolution de la vente, puisqu'elles sont estimées normales par le constructeur DAF;
Considérant qu'en revanche, si un minimum de vigilance consistant en l'essai du véhicule sur une dizaine de kms aurait permis aisément à la Société PTA de déceler l'anomalie liée à la consommation très importante de gazoil et d'huile et le manque total de puissance de camion, ces faits n'auraient pas pour autant informé l'acheteuse sur leur cause;
Qu'en effet, les investigations non contestées de l'expert judiciaire ont révélé que contrairement à ce qu'annonçait la publicité parue dans le journal à la demande de la venderesse, le moteur n'avait pas fait l'objet d'un échange standard ou d'une réfection complète mais avait été refait pour partie sans élimination des très importantes fuites;
Qu'il s'agit là d'un vice caché au sens de l'article 1641 du Code civil qui rendait le véhicule impropre à sa destination de véhicule de transport puisque ne peut être classée au nombre de conditions d'utilisation normale l'obligation dans laquelle se trouverait le chauffeur de remplir très souvent les réservoirs de gazoil et d'huile; que d'ailleurs, la cour constate que dès le premier jour d'utilisation, le véhicule a subi la panne devant nécessairement survenir dans le cas où comme en l'espèce, l'acheteur n'avait pas été averti de l'existence de vice;
Considérant que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont admis la réalité des vices rédhibitoires;
3°) Sur les conséquences du vice caché:
Considérant que c'est par une lecture inexacte de l'article 1244 du Code civil que les premiers juges ont admis la réduction du prix de vente au lieu d'accueillir la demande en résolution de celle- ci;
Qu'en effet, le choix devant être fait entre l'action rédhibitoire et l'action estimatoire appartient seulement à l'acheteur et non à la Juridiction saisie en vue de statuer sur ces demandes;
Qu'il y a donc lieu de prononcer la résolution demandée, un bref délai de cinq mois s'étant écoulé entre la date d'achat et l'assignation d'origine, et de tirer toutes les conséquences de son prononcé en tenant compte du fait que la qualité de professionnelle de la société CG permet en application de l'article 1645 du Code civil, l'indemnisation de l'acheteuse du chef de l'ensemble des préjudices subis outre la restitution du prix;
Considérant que la présente décision du fait qu'elle est constitutive de droits ne permet de faire courir les intérêts au taux légal sur le remboursement du prix de vente qu'à compter du jour de sa signification;
Considérant que la nécessité de remettre les parties dans leur état antérieur à la vente justifie la condamnation à la restitution du véhicule, proposée par l'acheteur;
Considérant qu'au nombre des préjudices subis par la société PTA, on doit admettre le coût global du crédit accordé en vue de l'achat soit la somme de 18 870,48 F le montant des factures de réparation inutilement exposé soit 8 436,44 F, celui des expertises amiable et judiciaire ainsi que celui des factures de location d'un camion de remplacement exposés pour 3 721,33 F;
Considérant que l'immobilisation inutile d'une somme importante sans contrepartie telle qu'un usage normal d'un véhicule de ce type aurait pu rapporter à la société PTA, justifie en outre l'accueil partiel de la demande de cette dernière pour un montant de 10 000 F;
Considérant qu'à supposer exact le fait pour l'appelante d'avoir abusé du droit de résister à la demande en résolution puis, de celui de former un recours contre la décision du 4 juillet 1994, l'intimée n'en démontre pas pour autant l'existence d'un préjudice né de cet abus et distinct de celui qui est déjà indemnisé;
Qu'il y a donc lieu de débouter la Société PTA de sa demande en dommages-intérêts formée de ce chef;
Considérant que la société Chrétien et Gervais qui succombe et qui sera condamnée aux dépens ne peut utilement prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 700 du NCPC;
Considérant qu'en revanche, l'équité commande de faire au profit de l'appelante une application de ce texte en fixant une indemnité de 5.000 F. complémentaire de celle déjà accordée par les premiers juges;
Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges: LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions la décision déférée à l'exception de celle qui a dit n'y avoir lieu à résolution de la vente et qui a ordonné la réduction du prix de vente de 120 000 F HT à 100 000 F HT ; Statuant de nouveau de ce seul chef : Prononce la résolution de la vente passée le 28 novembre 1989 entre les parties et portant sur le véhicule camion DAF; Condamne la société Chrétien et Gervais à rembourser à la société Provence Transports Affretement la somme de 142 320 F majorée des intérêts au taux légal courus à compter de la signification de la présente décision; Et y ajoutant :
Condamne la société Provence Transports Affretement à restituer à la société Chrétien et Gervais le véhicule litigieux dans les huit jours de la restitution du prix, les frais de déplacement restant à la charge de la société Chrétien et Gervais; Condamne la société Chrétien et Gervais à régler à la société Provence Transports Affretement les sommes complémentaires de 18 870,48 F, de 8 436,44 F, de 9 471,40 F et de 10 000 F d'une part et de 5 000 F d'autre part, aux titres respectifs de dommages-intérêts et de l'application de l'article 700 du NCPC ; Déboute les parties de leurs demandes incompatibles avec la motivation ci-dessus retenue; Condamne la société Chrétien et Gervais aux dépens d'appel; Admet la SCP Bourdais Virenque, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.