Cass. soc., 16 février 2005, n° 02-45.027
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Erca (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mazars (faisant fonctions)
LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu qu'employés par la société Erca, qui a pour activité la conception, la fabrication et la commercialisation de machines de conditionnement automatique de produits laitiers, MM. X, Y et Z ont démissionné et ont été dispensés d'exécuter leur préavis ; que n'étant pas liés par une clause de non-concurrence, ils ont été engagés, en novembre 1991, par la société Marc ; que cette dernière ayant été mise en redressement judiciaire, ils ont créé en mai 1992 une société France conditionnement automatique ; que reprochant à ses anciens salariés d'avoir commis des actes de concurrence déloyale et violé la clause de secret professionnel qu'ils s'étaient engagés à respecter après la fin du contrat de travail, la société Erca a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de dommages-intérêts ;
Attendu que la société Erca fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué (Paris, 30 mai 2002) d'avoir rejeté sa demande et de l'avoir condamnée à rembourser les sommes qu'elle a perçues au titre de l'exécution provisoire, alors, selon le moyen : 1°) que le salarié, qui, immédiatement embauché par un concurrent à l'issue de la cessation de son contrat de travail, permet à son nouvel employeur d'obtenir des commandes de clients de son ancien employeur, en proposant à ces derniers des services identiques à un moindre coût, a nécessairement préparé, au détriment de son ancien employeur, son départ de la société avant la cessation effective de son contrat de travail et dès lors commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de son ancien employeur ; que la société Erca avait fait valoir dans ses écritures que MM. X, Z et Y avaient été immédiatement embauchés par la société Marc après leur départ quasi-simultané de la société et que la société Marc avait exécuté une commande pour le compte de la société Yoplait avec laquelle la société Erca était en discussion depuis un certain temps pour réaliser une commande identique en vue de la transformation de machines d'un modèle TK3 en RK3, par le biais d'une technique de transformation mise au point par la société Erca, cette captation de commande démontrant que les salariés avaient nécessairement préparé leur départ pour la concurrence quand ils étaient encore sous la subordination de leur ancien employeur ; que la cour d'appel, qui n'a pas recherché si, indépendamment des faits invoqués au soutien de la prévention de recel de vol de documents ayant donné lieu à la saisine du juge pénal et au prononcé d'une relaxe, les salariés n'avaient pas effectivement méconnu leur obligation de loyauté à l'égard de leur ancien employeur en permettant dans des délais très brefs à leur nouvel employeur d'obtenir une commande au détriment de la société Erca, ce qui attestait de la commission de faits, ne relevant pas nécessairement de la prévention tenant à un recel de vol de documents, mais caractérisant néanmoins des actes de concurrence déloyale, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil ; 2°) que l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, corollaire éventuel du prononcé d'une relaxe, est limitée aux seuls faits qui ont servi de base aux poursuites, de sorte que le juge civil a toute latitude pour rechercher l'existence d'une faute sur le fondement de faits dont la matérialité n'a pas été examinée par le juge pénal ; qu'en l'espèce, la société Erca avait fait valoir dans ses conclusions, que la méconnaissance par ses anciens salariés de leur engagement contractuel, comme les actes de concurrence déloyale commis par eux, s'étaient poursuivis après le 15 novembre 1991, date au-delà de laquelle aucune prévention n'avait été soumise au magistrat instructeur ; que la cour d'appel, qui, rappelant les termes de la décision rendue par la chambre correctionnelle le 14 mai 2001, a déduit de l'affirmation du juge pénal selon laquelle les charges réunies ne suffisaient pas à établir que les documents provenant de la société Erca découverts le 15 janvier 1992 dans les locaux de la société Marc dans le bureau de M. Z auraient été dérobés avant le 15 novembre 1991, date de l'arrivée de ce dernier dans cette société, ou par MM. Y ou X, et qu'il n'était pas avéré par le contenu des lettres adressées à la société Yoplait les 17 et 20 septembre 1991 par M. X pour le compte de la société à responsabilité limitée Marc que leur envoi ait été pénalement répréhensible ou que l'usage frauduleux des documents précités ait été nécessaire à leur rédaction ou à l'échange de correspondance concernant les télécopies transmises à M. X le 14 novembre 1991 par la société Yoplait, que les relaxes prononcées par la Cour d'appel de Rouen du chef de recel de vol s'imposaient à la cour d'appel en ce que la matérialité des faits pouvant servir de support à une violation supposée du secret professionnel par les appelants n'était pas établie, sans rechercher si les différents manquements reprochés par la société Erca à ses anciens salariés, et notamment une concurrence déloyale par l'utilisation de documents lui appartenant et couverts par le secret professionnel, n'étaient pas caractérisés à une date postérieure au 15 novembre 1991, a privé sa décision de base légale au regard des articles 4 du Code de procédure pénale, et 1382 et 1383 du Code civil ; 3°) que la clause qui impose à des salariés, sans limitation de durée après la cessation de leur contrat de travail, d'observer un secret professionnel absolu concernant les procédés, techniques, brevets, adaptations, compositions, savoir-faire, modèles, know how, logiciel de production, et plus largement tout ce qui concerne la propriété intellectuelle, industrielle et artistique de l'entreprise de leur employeur, de sorte qu'ils ne sauraient ni divulguer, ni révéler, ni utiliser ou faire utiliser, à aucun moment, aucune information portée dans ses domaines à leur connaissance, n'a ni l'objet, ni la portée d'une clause de non-concurrence et doit recevoir application après la cessation de la relation de travail afin de protéger notamment le savoir-faire et les techniques propres d'une entreprise ; que la société Erca avait fait valoir dans ses écritures que MM. Y, X et Z étaient liés par une telle clause de secret professionnel, applicable même après la cessation de la relation de travail, qui leur imposait notamment de garder un secret absolu sur les procédés techniques et les procédés de fabrication utilisés par la société Erca ; que la cour d'appel, qui s'est bornée à retenir que MM. Y, X et Z n'étaient pas liés à la société Erca par une clause de non-concurrence et que ses différentes constatations lui permettaient d'affirmer que MM. Y, X et Z n'avaient pas violé leur engagement d'observer le secret professionnel auquel ils étaient tenus vis-à-vis de la société anonyme Erca, sans rechercher si la découverte dans des locaux d'une société autre que la société Erca de documents lui appartenant et dont l'utilisation, au demeurant non contestée par ses anciens salariés, avait permis de réaliser des commandes empruntant le savoir-faire de la société Erca, ne suffisait pas à caractériser la violation de leur engagement contractuel par ces salariés, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ; 4°) que la société Erca avait indiqué dans ses écritures qu'elle reprochait à ses anciens salariés d'avoir méconnu leur obligation de secret professionnel et commis à son préjudice, des actes de concurrence déloyale, faisant notamment grief à ses anciens salariés d'avoir utilisé des documents lui appartenant, en vue de lui causer un préjudice dont elle réclamait réparation ; que la cour d'appel, qui a retenu qu'il n'était ni soutenu ni démontré que les appelants auraient utilisé les documents litigieux avec l'intention de nuire à la société à responsabilité limitée Erca, a statué par un motif inopérant et méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ; 5°) que la société Erca avait encore fait valoir dans ses écritures, que l'action concertée de ses trois anciens salariés l'avait contrainte à procéder au mois de mars 1992 à un licenciement collectif pour motif économique de 39 personnes et à se voir privée de plusieurs millions de francs de marge bénéficiaire (conclusions d'appel, page 11, alinéa 2) ; que la cour d'appel, qui a affirmé que la société Erca n'établissait pas que les causes de la baisse alléguée de ses commandes au cours du premier semestre 1991 résulterait de l'attitude des appelants qui faisaient valoir qu'elle se désintéressait de ce secteur et rappelaient que la note du 16 mars 1992 de la direction générale de l'entreprise imputait ses mauvais résultats économiques à la stagnation du marché des produits laitiers, la guerre des prix menée par les grandes chaînes de distribution et la récession économique mondiale et ses répercussions, sans répondre aux écritures de la société Erca desquelles il résultait que c'était bien le départ de ces trois anciens salariés et les pertes de commandes engendrées par leur action qui avaient conduit à une baisse de son chiffre d'affaires et au prononcé de nombreux licenciements, n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel, après avoir rappelé les motifs de la décision pénale ayant relaxé les trois anciens salariés des chefs de vols, répondant aux conclusions et appréciant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a retenu que MM. Y, Z et X n'avaient pas violé leur engagement d'observer le secret professionnel et que ces salariés, notamment par les actes de concurrence allégués et non établis, n'avaient causé aucun préjudice à leur ancien employeur ;que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.