CA Paris, 5e ch. A, 22 septembre 2004, n° 02-11490
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Maclock (SARL)
Défendeur :
Seiko France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
MM. Picque, Roche
Avoués :
SCP Goirand, SCP Roblin Chaix de Lavarene
Avocats :
Mes Maury, Meyer.
La société Seiko France, distributeur exclusif des montres et pendulettes Seiko pour la France, les Dom-Tom, la Belgique et le Luxembourg au travers d'un réseau de distribution sélective sur ces territoires, a engagé le 29 mai 1998 à l'encontre de la société Maclock, revendeur à Paris d'articles Seiko acquis auprès de la société Time and Diamonds (société TAD), une action en concurrence déloyale, demandant qu'il soit interdit à la société Maclock de poursuivre ses activités et qu'elle soit condamnée à lui payer divers dommages-intérêts. La société Maclock s'est opposée à ces demandes, faisant valoir que le réseau de distribution sélective Seiko est illicite et lui est inopposable.
Par jugement du 25 mai 2000, le Tribunal de commerce de Paris a :
- confirmé la validité du réseau de distribution sélective de la société Seiko France,
- déclaré la société Maclock en infraction avec les dispositions de l'article L. 113-3 du Code de la consommation,
- déclaré la société Maclock coupable d'actes de concurrence déloyale envers la société Seiko France,
- interdit à la société Maclock la présentation et la vente de produits portant la marque Seiko et assorti cette interdiction d'une astreinte de 1 000 F par infraction constatée,
- condamné la société Maclock à verser à la société Seiko 200 000 F de dommages-intérêts,
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
- ordonné l'exécution provisoire à l'exclusion des dommages-intérêts,
- condamné la société Maclock à verser à la société Seiko 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens.
Régulièrement appelante le 28 juin 2000, la société Maclock prie la cour, par conclusions enregistrées le 2 juin 2004, d'infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, de :
- débouter la société Seiko de toutes ses demandes,
- la recevoir en ses demandes reconventionnelles,
En conséquence,
- condamner la société Seiko à lui verser 7 622 euro de dommages-intérêts pour procédure abusive, 4 573 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Dans ses conclusions déposées le 16 juin 2004, la société Seiko France, intimée, conclut à la confirmation de la décision entreprise demandant toutefois que l'astreinte soit définitive et que son montant soit porté à 7 623 euro par infraction constatée et par jour de retard.
Subsidiairement, elle demande à la cour de :
- ordonner à la société Maclock de remettre à la clientèle lors de la vente de montres de marque Seiko des bons de garantie qui mentionnent explicitement le remplacement de la garantie mondiale Seiko par une garantie spécifique,
- ordonner que le bon de garantie porte la mention suivante "les montres Seiko vendues dans notre magasin ne bénéficient pas de la garantie mondiale Seiko offerte par les seuls agents officiels Seiko, elles bénéficient de notre seule garantie assurée exclusivement dans notre magasin, à l'exclusion de tout autre revendeur ",
- ordonner que le débiteur de l'obligation de garantie soit clairement identifié par la mention de sa raison sociale, de son adresse et de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés,
- ordonner que la société Maclock affiche obligatoirement dans chacune des vitrines où sont exposées des montres de marque Seiko, un panonceau qui ne devra en aucun cas être camouflé même partiellement, par un produit exposé, ou par un éloignement de la vitrine, comportant en caractères gras et lisibles les mentions suivantes "les montres Seiko vendues dans ce magasin ne bénéficient pas de la garantie mondiale Seiko offerte par les seuls agents officiels Seiko, elles bénéficient de notre seule garantie assurée exclusivement dans notre magasin à l'exclusion de tout autre revendeur ",
- ordonner que ce panonceau soit d'une taille de 21 x 29,7 cm de telle sorte que le consommateur ait l'attention portée sur ce document,
- assortir ces injonctions d'une astreinte définitive de 7 623 euro par jour de retard et par infraction constatée,
- condamner la société Maclock à lui payer 3 100 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Sur ce,
Sur les conditions de distribution des montres Seiko par la société Maclock
Considérant que la société Maclock fait valoir qu'elle était en droit de vendre des montres de marque Seiko, qu'elle se procurait régulièrement auprès de la société Time and Diamonds (TAD) elle-même approvisionnée par le fabricant qui a constitué un réseau parallèle de distribution de ses produits, aux termes d'un protocole d'accord signé entre la société Seiko et les sociétés TAD et Le Spécialiste le 20 juin 1995, l'authenticité des montres mises en vente n'étant pas discutée ; qu'elle ajoute que le réseau de distribution sélective alors constitué par la société Seiko était lui-même illicite dès lors que seuls les horlogers-joailliers-bijoutiers étaient acceptés comme revendeurs des produits de la marque à l'exclusion de la grande distribution à l'époque des faits et qu'il lui est dès lors inopposable ; qu'elle affirme enfin exercer une activité de gros et demi-gros qui la place en dehors du champ d'application des dispositions du Code de la consommation, et conteste en bloc les griefs de la société Seiko tenant aux conditions d'affichage de ses prix et d'environnement de ses produits;
Mais considérant, en premier lieu, que selon le protocole du 20 juin 1995 versé aux débats, les sociétés du groupe TAD et la société Le Spécialiste revendeurs parallèles, d'une part et la société CGH (devenue Seiko France, ci-après société Seiko), d'autre part, ont acquiescé aux termes de l'arrêt rendu le 2 octobre 1992 par cette cour, déclarant licite le contrat de distribution sélective établi par la société CGH, rejetant la demande des sociétés TAD et Le Spécialiste de bénéficier de la garantie mondiale Seiko et les condamnant au paiement de 200 000 F de dommages-intérêts pour concurrence déloyale à raison des conditions de vente des produits Seiko, la société CGH renonçant au surplus de ses demandes et notamment à celle portant sur l'interdiction de vente de ses produits par ces revendeurs parallèles ; qu'il n'est fait aucune mention dans ce protocole d'un accord donné par la société CGH (Seiko France) à la distribution de ses produits par ces sociétés, cette transaction ayant pour unique objet de mettre fin à la procédure engagée entre les signataires ; qu'elle n'a pu dès lors donner naissance à un " second réseau de distribution ", contrairement aux prétentions de la société appelante ; que pour autant, il n'est pas établi par la société Seiko que les conditions dans lesquelles la société Maclock a acquis les produits Seiko auprès de la société TAD aient été en elles-mêmes illicites;
Considérant, en second lieu, que si le contrat-type de distribution établi par la société Seiko à l'époque des faits et modifié depuis, prévoit indépendamment de conditions sélectives objectives portant sur l'aménagement du point de vente et de son environnement, sur la capacité professionnelle du revendeur et sur la technicité des services pour le suivi, des stipulations réservant la vente des produits Seiko au circuit des seuls horlogers-bijoutiers-joailliers et instituant une exclusion notamment de la grande distribution sans qu'il soit établi que cette exclusion était objectivement justifiée, la lettre administrative de classement notifiée à la société CGH devenue Seiko France par la Commission européenne le 30 juin 1989 dans des circonstances ou à l'égard de parties différentes n'étant pas de nature à constituer une telle justification, il demeure que ces dispositions discriminatoires et par suite entachées de nullité ne sont pas de nature à affecter la validité du contrat-type dans son ensemble; qu'il y a lieu dès lors de rejeter les demandes de la société Maclock tendant à ce que le réseau de distribution sélective mis en place par la société Seiko lui soit déclaré inopposable à ce titre;
Considérant, en troisième lieu, que si le fait de vendre des produits relevant d'un réseau de distribution sélective ne constitue pas, en lui-même, un acte de concurrence déloyale dès lors que l'authenticité des produits n'est pas en cause et que l'irrégularité de leur acquisition n'est pas établie, les conditions dans lesquelles sont commercialisés ces produits sont susceptibles de constituer des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, s'il apparaît que le revendeur hors réseau a profité sans aucune contrepartie des efforts et du savoir-faire des distributeurs agréés par le fabricant, eux-mêmes tenus à de strictes obligations, et du prestige qui en est résulté pour la marque;
Considérant que les griefs énoncés par la société Seiko à ce titre concernent la vente au détail de ses produits dans un environnement dévalorisant et par un personnel incompétent, l'information déloyale fournie au public sur les prix affichés hors taxes et sur l'absence de garantie mondiale Seiko attachée aux produits vendus, enfin l'utilisation de ses produits comme produit d'appel ; que la société Maclock soutient pour sa part n'être concernée ni par les règles relatives à l'affichage des prix dès lors qu'elle exerce une activité de grossiste, ni par les obligations incombant aux distributeurs agréés par le fabricant puisqu'elle est extérieure au réseau, et verse aux débats une dizaine de factures ainsi que quatre attestations émanant respectivement de la société TAD et de trois commerçants vendeurs-détaillants d'articles d'horlogerie et autres objets (textiles, gadgets) déclarant s'approvisionner auprès d'elle;
Mais considérant que selon procès-verbal établi le 20 février 1998, Maître Peraldi, huissier, a constaté dans le magasin exploité par la société Maclock 4 rue Michel Lecomte à Paris 3e que :
- les articles litigieux sont disposés dans une vitrine sur rue visible par le public ainsi que le confirment les photographies jointes à ce constat, exclusivement utilisée à usage d'exposition des montres de marque Seiko, d'autres vitrines du même magasin contenant de nombreuses montres de marque Maclock, Minitz, Aqua, Hastines, Casio, Le Griffon, Vuillern-Regnier,
- une poubelle de la ville de Paris est disposée à l'intérieur du magasin, à droite de la porte d'entrée, les murs de la boutique portant des casiers de rangement sur lesquels sont disposées diverses marchandises telles que réveils, radio-réveils et horloges, petits articles de maroquinerie d'un prix unitaire inférieur à 100 F, stylos et briquets ainsi que compositions florales de senteurs, le sol du magasin étant encombré de divers cartons et casiers en plastique de couleurs diverses selon les photographies jointes au constat,
- le personnel présent dans le magasin n'a pu fournir aucune explication sur le fonctionnement de l'article - une montre chronomètre Seiko - demandé par l'huissier qui se présentait comme un simple particulier, et a répondu de manière erronée à la question portant sur la possibilité d'ajuster le bracelet-montre de cet article,
- une affichette de format 4 x 10 cm est apposée en encoignure basse et gauche de la vitrine sur rue contenant les montres Seiko et porte la mention " Seiko - Garantie un an - Ne bénéficie pas de la garantie internationale Seiko" ; une autre affichette apposée sur une vitrine disposée à l'intérieur du magasin, contenant également des montres Seiko, mentionne "les montres Seiko vendues dans ce magasin ne bénéficient pas de la garantie internationale Seiko elles bénéficient de la seule garantie assurée par notre magasin";
Qu'il est constant que les étiquettes portées sur les produits ainsi mis en vente au détail par la société Maclock ne mentionnent pas leur prix TTC en infraction avec les dispositions de l'article L. 113-3 du Code de la consommation, cette commercialisation étant effectuée dans des conditions trompeuses et ambiguës pour les consommateurs;
Considérant que ces constatations établissent que les montres Seiko, dont il ne peut être contesté qu'il s'agit de produits de luxe et de haute technicité bénéficiant d'une notoriété certaine liée à ces deux caractères, ont été proposées à la vente par la société Maclock dans le magasin qu'elle exploite à Paris par un personnel incompétent et dans des conditions dévalorisantes pour l'image de la marque et préjudiciables au réseau de distribution qu'elle a mis en place ;que ces faits qui portent atteinte au prestige et au renom des produits Seiko et constituent des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, justifient l'allocation de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil;
Sur les demandes de la société Seiko France
Considérant que la société Seiko France demande tout d'abord à la cour d'interdire à l'appelante toute revente de ses produits ; qu'il sera fait droit à cette demande et enjoint à la société Maclock de retirer de la vente l'ensemble des produits de marque Seiko distribués dans son magasin dans un délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision, et ce sous astreinte dans les conditions fixées par les premiers juges, les nouvelles demandes formées à ce titre devant la cour par l'intimée n'apparaissant pas justifiées;
Que le préjudice subi par la société Seiko et l'atteinte à sa réputation résultant des actes de concurrence déloyale commis à son détriment par la société Maclock, sont établis par les pièces versées aux débats, le rapport d'expertise-comptable adressé au comité d'entreprise de la société Seiko, en mai 1998, confirmant la chute de ses ventes, passées de 127 MF en 1992/1993 à moins de 100 MF en 1998, les pratiques reprochées à la société Maclock n'ayant pu que contribuer à cette dégradation;
Qu'en définitive, la cour dispose d'éléments suffisants pour chiffrer à 30 489,80 euro le préjudice subi par la société Seiko;
Considérant qu'il y a lieu de confirmer, par substitution de motifs, la décision entreprise;
Qu'il serait inéquitable que la société Seiko conserve la charge de ses frais irrépétibles d'appel, pour lesquels lui sera allouée une somme complémentaire de 2 000 euro;
Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels principal et incident jugés réguliers en la forme, Au fond, les rejetant, Confirme, par substitution de motifs, la décision entreprise, étant seulement précisé que l'injonction faite à la société Maclock de retirer de la vente l'ensemble des produits de marque Seiko distribués dans son magasin prendra effet dans un délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision, et ce sous astreinte dans les conditions fixées par les premiers juges, Y ajoutant, Déboute la société Maclock de toutes ses demandes et la société Seiko de ses demandes plus amples ou contraires, Condamne la société Maclock payer à la société Seiko 2 000 euro pour ses frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Roblin Chaix de Lavarene, avoués.