CA Versailles, 1re ch. sect. 1, 21 septembre 1995, n° 12059-93
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Le Garreres (Consorts)
Défendeur :
Machtelinck (Epoux), Parent
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mazars
Conseillers :
Mme Gabet-Sabatier, M. Martin
Avoués :
SCP Lissarrague & Dupuis, SCP Lefevre & Tardy, SCP Keime & Guttin
Avocats :
Me Fatras, SCP Courtaigne, SCP Kuhn
Par acte sous seing privé du 23 juin 1989, les époux Machtelinck ont promis de vendre aux consorts Le Garreres450 parts de la SCI du 20 route de la Faisanderie au Vesinet leur donnant droit à la jouissance pendant le cours de la société et à l'attribution en pleine propriété à sa dissolution d'un appartement avec cave et jardin privatif dans un immeuble en copropriété, immeuble ancien comportant trois habitations.
Les époux Machtelinck se sont retirés de la SCI le 13 octobre 1989 devenant alors propriétaires des lots 1, 4 et 9 de l'immeuble.
La vente a été réalisée selon acte authentique du 6 novembre 1989 reçu par Maître Parent, notaire au Vesinet. Les époux Machtelinck, absents le jour de la vente, étaient représentés par le clerc du notaire auquel ils avaient donné procuration.
L'acte de vente contient la clause suivante:
"Travaux - Le vendeur déclare qu'il a été, à ce jour, décidé des travaux de ravalement et de réfection des volets et persiennes, décidés lors de l'assemblée du 23 mai 1989, évalués à 18 000 F, dont le coût incombe au vendeur. En tout état de cause, le vendeur s'engage à supporter le paiement de tous travaux régulièrement décidés par les assemblées de copropriétaires jusqu'à ce jour et relatifs aux biens immobiliers vendus, que ces travaux aient été exécutés ou non, et qu'ils soient ou non révélés par les déclarations ci-dessus faites."
Estimant qu'en exécution de leurs engagements, les vendeurs devaient payer un montant total de 52 141 F pour les travaux de réfection des volets et fenêtres et pour le ravalement, puis qu'il leur avait été dissimulé que l'immeuble était dépourvu de raccordement à l'égout, les consorts Le Garreres ont, le 25 octobre 1991, fait assigner les époux Machtelinck, ainsi que le notaire Maître Parent, devant le Tribunal de grande instance de Versailles pour obtenir leur condamnation in solidum au paiement de 75 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 1990.
Ils reprochaient au notaire d'avoir commis des fautes engageant sa responsabilité d'une part en interdisant aux époux Machtelinck de régler le coût des travaux après avoir consulté le Cridon et d'autre part en dissimulant l'absence de raccordement à l'égout, pourtant obligatoire en vertu des dispositions réglementaires applicables au Vesinet.
Par jugement réputé contradictoire rendu le 7 septembre 1993, le Tribunal de grande instance de Versailles a débouté les consorts Le Garreres de toutes leurs demandes, a débouté Maître Parent de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts et a condamné les consorts Le Garreres à payer au notaire la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Madame Gaétane Le Garreres et Monsieur Allen Le Garreres ont interjeté appel de cette décision.
Aux termes de leurs écritures ils demandent à la cour d'infirmer le jugement déféré et statuant à nouveau de:
- condamner les époux Machtelinck à leur payer 30 793 F au titre du ravalement, 21 348 F pour les fenêtres, au besoin à titre de dommages-intérêts la somme de 12 500 F, coût de la quote-part du financement du raccordement à l'égout, ainsi qu'une somme totale de 10 000 F à titre de dommages-intérêts et une indemnité de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
- condamner Maître Parent, notaire, in solidum avec les époux Machtelinck au paiement des sommes ci-dessus énumérées outre 10 000 F à titre de dommages-intérêts supplémentaires.
Les époux Machtelinck, intimés, concluent à la confirmation du jugement et à la condamnation des appelants au paiement d'une indemnité de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Ils demandent, très subsidiairement, pour le cas où il serait partiellement ou totalement fait droit aux demandes des consorts Le Garreres que Maître Parent soit condamné à les garantir de toutes condamnations ou à leur régler des dommages-intérêts équivalents et une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Maître Parent, intimé et appelant incidemment, conclut à la confirmation du jugement en son principe et à sa réformation partielle en ce qu'il a été débouté de sa demande reconventionnelle et demande à la cour, statuant à nouveau sur ce point, de condamner les consorts Le Garreres à lui payer la somme de 30 000 F de dommages- intérêts pour procédure abusive, il sollicite en outre une indemnité supplémentaire de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce LA COUR :
Sur la clause de l'acte de vente,
Considérant que les consorts Le Garreres font valoir que la clause "Travaux", ci-dessus intégralement énoncée, est une stipulation claire précise et dépourvue de toute ambiguïté qui ne laisse place à aucune interprétation; qu'elle fait la loi des parties et que le juge ne peut en aucun cas la modifier ou en méconnaître le sens ou la portée;
Qu'ils ajoutent que ni le statut de la copropriété, ni le règlement de copropriété "ne comportent une contre-indication mettant en cause la validité de cette clause" [sic]
Que les fenêtres et les volets sont des parties privatives et que la convention des parties contenue dans l'acte de vente doit être appliquée; qu'il s'ensuit que les intimés doivent payer la quote-part de financement des travaux de ravalement ainsi que des travaux de peinture des fenêtres et des persiennes;
Considérant que les époux Machtelinck exposent que la clause litigieuse a été insérée à l'acte à leur insu; qu'ils avaient donné procuration au clerc de notaire pour signer l'acte authentique mais qu'ils n'ont pas eu connaissance du projet d'acte; que le notaire Maître Parent explique dans ses écritures que la clause a été rédigée à partir de renseignements erronés qui lui avaient été donnés par le syndic de copropriété selon lequel l'assemblée des copropriétaires avait voté des travaux représentant des dépenses d'environ 18 000 F pour les lots détenus par les vendeurs;
Considérant qu'en effet, il résulte de la seule lecture du procès-verbal de l'assemblée générale du 23 mai 1989 évoqué dans la clause "Travaux" que comme les premiers juges l'ont exactement relevé, s'agissant du ravalement, cette assemblée générale n'a pris aucune décision; que la résolution adoptée est la suivante "l'assemblée souhaite que le syndic contacte de façon comparative d'autres entreprises";
Que pour les fenêtre et les persiennes, aucune décision n'a non plus été prise; qu'il est indiqué: "Monsieur Machtelinck constate les dégradations de la peinture sur volets et portes-fenêtres ainsi que sur la fenêtre du sous-sol, côté façade. Il prend des dispositions pour y remédier" ;
Considérant que la clause litigieuse en son premier alinéa contient donc des informations inexactes et contraires au contenu du procès-verbal d'assemblée générale à laquelle il est fait expressément référence;
Qu'étant contredite par le document interne à la copropriété, et donc viciée, cette clause n'est pas susceptible d'exécution;
Sur la faute du notaire,
Considérant que les consorts Le Garreres, qui ne critiquent pas le notaire quant à la rédaction de la clause litigieuse, reprochent à Maître Parent d'avoir pris l'initiative de conseiller aux époux Machtelinck de ne pas régler les montants des travaux, d'avoir consulté le Cridon, et de tenir pour nulle et de nul effet la clause de l'acte de vente qu'il avait lui-même rédigé;
Mais considérant qu'il ressort des éléments du dossier qu'en réalité le notaire a reçu du syndic des informations inexactes; que s'apercevant de l'erreur commise, le notaire a justement retardé le règlement du syndic sur les fonds qu'il avait conservés; qu'il n'a commis aucune faute professionnelle en s'abstenant de prendre partie sur le litige existant entre les parties et en consultant le Cridon;
Sur l'absence de raccordement à l'égout,
Considérant que les consorts Le Garreres soutiennent que l'absence de raccordement à l'égout, qu'ils ont eu la surprise de découvrir, constitue un vice caché ou une charge occulte ; qu'ils sont fondés à invoquer la garantie du vendeur sur le fondement de l'article 1643 du Code civil;
Considérant que les intimés rétorquent qu'une telle action est irrecevable car elle n'a pas été intentée à bref délai en application des dispositions de l'article 1648 du Code civil;
Considérant qu'il ressort d'une correspondance versée aux débats que les consorts Le Garreres ont pris possession de l'appartement en juillet 1989, date à laquelle ils y ont effectué des travaux;
Que les travaux de raccordement effectués postérieurement à la vente ont été décidés par l'assemblée des copropriétaires du 12 mai 1990, à laquelle Monsieur Le Garreres participait, selon un devis du 29 août 1989, à la suite d'une injonction du maire du Vesinet en date du 17 avril 1990; Considérant qu'à juste titre les intimés opposent que l'action n'a pas été engagée à bref délai;
Mais considérant surtout que le vice caché de la chose vendue, selon les termes de l'article 1641 du Code civil, la rend impropre à l'usage auquel on la destine ou diminue tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il l'avait connu;
Que l'absence de raccordement à l'égout de l'immeuble, construit au XIXe siècle, ne rend pas l'appartement des acquéreurs impropre à son usage et n'en diminue pas plus l'usage;
Considérant que les premiers juges ont exactement décidé que les vendeurs étaient bien fondés à se prévaloir de la clause de non-garantie insérée à l'acte de vente;
Sur la faute du notaire,
Considérant que le notaire n'est pas tenu de renseigner l'acquéreur sur les divers éléments d'équipement d'un immeuble et leur conformité avec les règlements administratifs et notamment sur l'existence d'un raccordement au réseau d'assainissement communal dans un immeuble ancien;
Qu'en l'espèce aucune faute n'est imputable au notaire;
Considérant que les consorts Le Garreres étant déboutés de leurs prétentions, il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes subsidiaires des époux Machtelinck dirigées contre Maître Parent;
Sur l'appel incident,
Considérant que les consorts Le Garreres ont pu se méprendre sur l'étendue de leurs droits et que leur action n'a pas de caractère abusif;
Qu'il n'y a pas lieu d'allouer des dommages-intérêts pour procédure abusive;
Considérant que succombant en leur appel principal, les consorts Le Garreres seront condamnés aux dépens d'appel;
Considérant que compte tenu de la situation respective des parties, il est équitable d'allouer aux époux Machtelinck d'une part et à Maître Parent d'autre part, une somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en indemnisation des frais non répétibles qu'ils ont exposés en cause d'appel;
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris; Condamne Madame Gaétane Le Garreres et Monsieur Allen Le Garreres à payer, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, une indemnité de cinq mille Francs (5 000 F) aux époux Machtelinck et une indemnité de cinq mille Francs (5 000 F) à Maître Parent; Condamne les consorts Le Garreres aux dépens d'appel et dit qu'ils pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.