Livv
Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 11 février 2004, n° 2001-14955

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bucadis (SARL)

Défendeur :

Jaudoin

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

MM. Faucher, Picque

Avoués :

SCP Narrat-Peytavi, SCP Gibou-Pignot-Grappotte-Benetreau

Avocats :

Mes Wade, Michel.

TGI Evry, 1re ch., du 5 févr. 2001

5 février 2001

La société Bucadis ayant résilié le 17 février 1998 à effet du 17 mars suivant le mandat qu'elle lui avait confié Pierre-Raymond Jaudouin l'a attraite le 26 juillet 1999 devant le Tribunal de grande instance d'Evry aux fins de l'entendre condamner, dans le dernier état des prétentions formulées devant les premiers juges, à lui payer 4 744,40 F d'indemnité de préavis, 94 420 F HT au titre de l'indemnité de cessation du contrat et 24 549,20 F HT au titre des frais de réemploi, le tout augmenté des intérêts au taux légal à compter du 17 février 1997. Il a aussi sollicité qu'il soit enjoint à sa mandante de communiquer sous astreinte l'intégralité des documents lui permettant de calculer sa rémunération.

La société Bucadis a réclamé quant à elle, 80 000 F de dommages et intérêts et la résiliation du contrat aux torts exclusifs de Monsieur Jaudouin, en invoquant un dol dont celui-ci se serait rendu coupable. Subsidiairement, elle a sollicité la désignation d'un expert pour faire les comptes entre les parties.

Par jugement contradictoire du 5 février 2001 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a fait droit à toutes les demandes de Monsieur Jaudouin, l'astreinte étant fixée à 1 000 F (152,45 euro) par jour, passé un délai d'un mois à compter de la signification de la décision et a, en outre, condamné la société Bucadis à verser 12 000 F (1 829,39 euro) de frais non compris dans les dépens.

Appelante le 21 juin 2001, la société Bucadis expose, aux termes de conclusions signifiées le 19 octobre suivant, qu'elle est spécialisée dans la distribution d'objets et d'articles décoratifs, l'essentiel de son activité se concentrant à Noël et lors de la fête des mères, 90 % de son chiffre d'affaires étant réalisé par la vente de brûle-parfums aux grandes surfaces, l'enseigne Auchan absorbant à elle-seule, 80 % de sa production.

Invoquant le décret du 23 décembre 1958 et la loi du 25 janvier (sic) 1991, elle conteste le statut d'agent commercial revendiqué par l'intimé, au motif que l'accord, purement verbal entre les parties, n'a pas été constaté par un écrit. Elle en déduit que ses rapports avec Pierre-Raymond Jaudouin "relèvent du droit commun des contrats et des principes généraux du droit". L'appelante justifie la "fin des relations d'affaires" par la baisse "vertigineuse" du chiffre d'affaires réalisé par l'intéressé à Noël 1997 par rapport à celui atteint lors de la même période de l'année précédente.

Dans l'exposé de ses moyens, la société Bucadis invoque la nullité "de tous engagements la liant avec Monsieur Jaudouin" au motif que celui-ci s'est, selon elle, rendu coupable d'un dol ayant vicié son consentement, en ne l'informant pas, au moment de la conclusion de leur accord, de ce qu'il intervenait déjà en région parisienne pour le compte de la société Denis et Fils commercialisant des diffuseurs de parfum directement en concurrence avec ses propres produits. Elle attribue au surplus la chute du chiffre d'affaires réalisé par Pierre-Raymond Jaudouin, à cette activité concurrente.

L'appelante conteste aussi la réalité du préjudice invoqué par ce dernier en prétendant que l'essentiel des ventes était réalisé directement par son gérant auprès des grandes centrales d'achat et des centres de distribution, Monsieur Jaudouin se contentant, d'après elle, "de relancer la clientèle Bucadis déjà existante". Elle reproche à ce dernier de ne pas avoir versé aux débats, "toutes les factures et pièces comptables justificatives des commissions versées par la société Denis et Fils de 1996 à 1998 inclusivement", pour permettre l'évaluation du dommage allégué, et estime qu'il est indispensable de recourir à une mesure d'instruction pour évaluer l'éventuel dommage.

En requérant le rejet de toutes les prétentions de Pierre-Raymond Jaudouin, la société Bucadis conclut implicitement à l' infirmation de la décision entreprise. Elle prie la cour :

- " de prononcer la résiliation du contrat aux torts exclusifs de Monsieur Jaudouin ", en conséquence du dol dont il s'est rendu coupable,

- de lui donner acte de ce qu'elle ne réclame pas la répétition des commissions déjà versées,

- et sans formuler de demandes précises dans le dispositif de ses écritures de la dire bien fondée en toutes ses demandes reconventionnelles " tant sur l'absence de contrat écrit d'agent commercial, que sur le dol, la déloyauté commerciale et la mauvaise foi du sieur Jaudouin ".

Elle sollicite 50 000 F de dommages et intérêts "pour toutes les exceptions sus-indiquées" et 20 000 F de frais irrépétibles.

Subsidiairement, elle requiert la désignation d'un expert.

"Extrêmement" subsidiairement, elle réclame la réduction "substantielle" de l'indemnité allouée par le tribunal en estimant que, du fait de son activité saisonnière, les relations entre les parties n'ont, en fait, duré qu'une seule année.

Intimé, Pierre-Raymond Jaudouin réplique, dans ses écritures signifiées le 18 février 2002, qu'exerçant son activité d'agent commercial sous la dénomination "PJ Distribution", il a reçu mandat de représenter la société Bucadis essentiellement auprès de la grande distribution et des magasins spécialisés, l'intéressée ayant été préalablement informée de l'identité de ses autres mandants et du montant du chiffre d'affaires qu'il réalisait avec chacun d'entre eux. Il estime qu'au demeurant, les produits n'étaient pas concurrents et que les secteurs géographiques étaient distincts. Il précise avoir contesté dès le 2 mars 1998, la rupture du mandat, la contestation étant ultérieurement confirmée par la mise en demeure adressée le 15 décembre suivant par son conseil. Il estime qu'en observant un préavis lors de la résiliation du contrat, la société Bucadis a implicitement admis qu'aucune faute grave n'était imputable à l'agent, d'autant qu'il n'est pas démontré que celui-ci, débiteur d'une simple obligation de moyen, ait commis une faute, la seule diminution du volume des ventes étant insuffisante à l'établir, l'évolution du chiffre d'affaires dépendant, selon l'intimé, de paramètres qui ne sont pas maîtrisés par l'agent commercial.

Monsieur Jaudouin considère, au regard du caractère civil de son activité, que la société Bucadis est défaillante dans l'administration des preuves qui lui incombent, les documents comptables de l'appelante, non certifiés par un expert-comptable indépendant, ne lui étant pas opposables et les attestations produites devant, à ses yeux, être écartées en raison du lien économique ou de subordination existant entre les "attestants" et l'appelante.

Il estime "que deux années sont nécessaires pour rentabiliser une carte et recouvrer les frais des investissements réalisés" de sorte que le mode d'évaluation de l'indemnité de cessation du contrat d'agent commercial doit être, selon son analyse, indépendant de la durée du mandat, "la résiliation après une courte durée représentant un dommage plus important" ;

Monsieur Jaudouin sollicite aussi les intérêts moratoires à compter de la rupture effective du contrat le 17 février 1998 et invoque la fiscalité applicable à l'indemnité de cessation de contrat, pour revendiquer des frais de réemploi à hauteur de 26 % du montant de l'indemnité allouée.

Il conclut à la confirmation du jugement entrepris et sollicite l'allocation des intérêts au taux légal, calculée sur le montant des condamnations allouées par le tribunal à compter du 17 février 1998, outre 3 000 euro de frais non compris dans les dépens.

Sur ce,

Sur le dol invoqué par la société Bucadis :

Considérant qu'en sollicitant " la résiliation du contrat aux torts exclusifs de Monsieur Jaudouin ", en conséquence du dol invoqué, la société Bucadis ne tire pas toutes les conséquences du vice dont elle prétend qu'il aurait affecté son consentement;

Qu'au demeurant il appartient à cette dernière d'en rapporter la preuve ;

Considérant que la société Bucadis se borne à prétendre qu'elle était, au moment de la passation des accords, dans l'ignorance de ce que Pierre-Raymond Jaudouin représentait déjà une autre entreprise distribuant des produits concurrents des siens ;

Mais considérant qu'elle n'a pas contredit l'intimé lorsque celui-ci a indiqué qu'il lui avait remis à l'époque de l'élaboration de leur accord, une fiche décrivant l'activité de son agence commerciale, laquelle visait expressément la société Denis-La Chat dont la société Bucadis se plaint de la concurrence ;

Qu'elle a ainsi implicitement admis avoir été, dès l'origine, informée de l'existence des rapports antérieurs entre Monsieur Jaudouin et cette entreprise, ce qui exclut toute réticence de ce dernier, qui aurait vicié le consentement donné le 14 août 1996 ;

Sur la qualification de l'accord ayant existé entre les parties :

Considérant, contrairement à ce que soutient l'appelante, qu'en matière d'agence commerciale, l'exigence d'un contrat écrit a disparu depuis la survenance de la loi n° 91-593 du 25 juin 1991, de sorte que l'existence d'un écrit ne conditionne pas l'application des nouvelles dispositions législatives, aujourd'hui re-codifiées sous les articles L. 134-1 à L. 134-17 du Code de commerce ;

Que par ses deux lettres du 14 août 1996 à Pierre-Raymond Jaudouin et l'avenant n° 1 du 9 octobre suivant, la société Bucadis lui a assigné un secteur géographique en lui précisant la liste de ses clients y existant et lui a décrit minutieusement ses différents produits en fixant sa rémunération par différents taux de commissions ;

Qu'il en résulte que la société Bucadis a, de manière permanente pour une durée indéterminée, confié à Pierre-Raymond Jaudouin la mission de la représenter et éventuellement de conclure pour son compte, des contrats de vente de ses produits ;

Qu'il s'en déduit que c'est à bon droit que les premiers juges ont qualifié l'accord des parties de contrat d'agent commercial ;

Sur la durée du contrat d'agence, les modalités de sa cessation et l'indemnisation de celle-ci :

Considérant que la nature saisonnière de l'activité du mandant est sans incidence sur l'appréciation de la durée du contrat d'agence commerciale ;

Qu'il ressort des pièces du dossier, que celui-ci s'est déroulé du 14 août 1996 au 17 mars 1998, soit pendant 19 mois environ;

Qu'en application du troisième alinéa de l'article L. 134-11 du Code de commerce, le préavis était d'une durée de deux mois, de sorte que la société Bucadis n'ayant accordé qu'un mois, Pierre-Raymond Jaudouin est fondé à solliciter la rémunération correspondant au deuxième mois de préavis ;

Considérant par ailleurs, qu'en application de l'article L. 134-12 du Code précité, la cessation des relations avec le mandant ouvre droit au profit de l'agent commercial, à la perception d'une indemnité compensatrice en réparation du préjudice résultant de la perte patrimoniale qu'il subit ;

Que pour échapper à cette obligation, il appartient à la société Bucadis de rapporter la preuve d'un des faits visés à l'article L. 134-13 ;

Que l'appelante se borne à invoquer une baisse sensible de chiffre d'affaires entre les deux périodes de Noël 1996 et 1997 ;

Mais considérant que la diminution du volume des ventes n'est pas en soi, à elle seule, la preuve d'une faute de l'agent et que la société Bucadis ne démontre pas que la baisse constatée était due à une activité insuffisante de Monsieur Jaudouin;

Qu'il convient dès lors de déterminer le montant de l'indemnité de cessation du contrat d'agence ;

Considérant que l'exercice, par l'agent commercial, de mandats similaires susceptibles de lui procurer des ressources de substitution, est sans incidence sur l'évaluation de l'indemnité de cessation de contrat, de sorte que la demande de production de "toutes les factures et pièces comptables justificatives des commissions versées par la société Denis et Fils de 1996 à 1998 inclusivement" ne sera pas accueillie, les pièces correspondantes étant sans intérêt pour la solution du présent litige ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que pendant la durée des relations contractuelles, Pierre-Raymond Jaudouin a perçu au total 70 815,32 F de commissions auxquelles il convient d'ajouter la rémunération des deux mois de préavis à hauteur de 4 744,40 F chacun, soit globalement 80 304,12 F (12 242,28 euro) ;

Que l'indemnité compensatrice doit correspondre à la réalité du préjudice éprouvé par l'agent du fait de la cessation du contrat d'agence ;

Que Pierre-Raymond Jaudouin ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, des frais et des investissements réalisés qu'il invoque, ni la démonstration que la résiliation après une courte durée représente un dommage plus important ;

Qu'en l'espèce, les relations ayant duré 19 mois, il apparaît que l'indemnité doit être fixée à l'équivalent d'environ neuf mois moyens d'activité, soit le montant arrondi de 5 800 euro ;

Que s'agissant d'une indemnité ne résultant pas de l'exécution d'une clause contractuelle, les intérêts moratoires au taux légal, ne sont dus qu'à compter de la décision du tribunal qui en a fixé le principe ;

Considérant par ailleurs que l'intimé, fait état du régime fiscal applicable aux indemnités de fin de contrat versées aux agents commerciaux, pour revendiquer une indemnité supplémentaire "de ré-emploi" ;

Mais considérant que l'assujettissement d'une ressource à l'impôt n'est pas constitutif d'un préjudice réparable ;

Qu'en conséquence, Pierre-Raymond Jaudouin sera débouté de cette partie de ses prétentions ;

Sur la communication des documents comptables, requise par Pierre-Raymond Jaudouin :

Considérant qu'aux termes de l'article 3 du décret n° 58-1345 du 23 décembre 1958, dans la rédaction issue du décret n° 92-506 du 10 juin 1992, l'agent peut exiger les extraits des documents comptables nécessaires pour la vérification du montant des commissions qui lui sont dues ;

Que Pierre-Raymond Jaudouin n'a pas cru devoir préciser les documents exacts dont il requiert communication;

Considérant par ailleurs, qu'il ressort des bordereaux de pièces communiquées en appel, que les copies des factures des campagnes Noël 1996, fête des mères 1997 et Noël 1997 ont été versées aux débats ;

Que compte tenu de l'activité principalement saisonnière de la distribution des produits de la société Bucadis, Monsieur Jaudouin ne justifie pas des documents qui seraient manquants pour lui permettre d'effectuer les vérifications concernant le montant des commissions ;

Qu'en conséquence, cette demande sera rejetée ;

Sur les dommages et intérêts et les frais irrépétibles :

Considérant que succombant principalement dans ces prétentions, les demandes de dommages et intérêts et de frais irrépétibles de la société Bucadis seront rejetées ;

Que par ailleurs, compte tenu de la minoration significative de l'indemnité initialement allouée par les premiers juges, il apparaît équitable de laisser à Pierre-Raymond Jaudouin, la charge définitive des frais non répétibles qu'il a dû exposer en cause d'appel et de partager les dépens d'appel par moitié ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a admis le principe de l'indemnité compensatrice à verser à l'agent commercial et a condamné la SARL Bucadis aux dépens de première instance et à payer à Pierre-Raymond Jaudouin, 4 744,40 F (723,28 euro) au titre de l'indemnité [du deuxième mois] de préavis et 12 000 F (1 829,39 euro) de frais irrépétibles, Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau, Condamne la SARL Bucadis à payer à Pierre-Raymond Jaudouin, 5 800 euro, majorés des intérêts au taux légal à compter du 5 février 2001, au titre de l'indemnité de cessation du contrat d'agent commercial, Déboute Pierre-Raymond Jaudouin du surplus de ses prétentions, Ordonne le remboursement le cas échéant du trop-perçu par Pierre-Raymond Jaudouin augmenté d'intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt, Fait masse des dépens d'appel et les met à la charge des parties, chacune pour moitié, Admet les SCP Narrat- Peytavi et Gibou-Pignot & Grappotte- Benetreau, chacune pour ce qui la concerne, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.