CJCE, 5e ch., 29 février 1996, n° C-56/93
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Royaume de Belgique
Défendeur :
Commission des Communautés européennes, Royaume des Pays-Bas
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Edward
Avocat général :
M. Fennelly
Juges :
MM. Moitinho de Almeida, Gulmann, Jann, Sevón
Avocat :
Me Gonthier.
LA COUR (cinquième chambre),
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 2 mars 1993, le Royaume de Belgique a, en vertu de l'article 173 du traité CEE, demandé l'annulation de la décision de la Commission au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité CEE, adressée le 29 décembre 1992 aux autres États membres et aux autres intéressés, concernant un système tarifaire préférentiel appliqué par les Pays-Bas pour les livraisons de gaz naturel aux fabricants néerlandais d'engrais azotés (JO C 344, p. 4, ci-après la "décision").
2 Le 25 octobre 1983, la Commission avait engagé la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité à l'encontre d'un système tarifaire préférentiel pour des livraisons de gaz naturel appliqué en faveur des producteurs néerlandais d'engrais azotés par la NV Nederlandse Gasunie (ci-après "Gasunie"), entreprise de droit privé dont le capital est détenu à 50 %, directement ou indirectement, par l'État néerlandais.
3 Au cours de cette procédure, Gasunie avait modifié sa structure tarifaire notamment en y ajoutant rétroactivement, avec effet au 1er novembre 1983, un nouveau tarif, dit "tarif F", à l'usage des très grands utilisateurs industriels établis aux Pays-Bas, à l'exclusion de ceux du secteur de l'énergie, remplissant des conditions tenant à la quantité de gaz consommé, au facteur de charge présenté et à l'acceptation d'une éventuelle interruption des livraisons ainsi que de la fourniture de gaz de valeur calorifique différente. En pratique, le tarif F devait essentiellement bénéficier aux producteurs néerlandais d'ammoniac destiné à la fabrication d'engrais azotés. Il correspondait au tarif appliqué aux grands clients industriels, diminué d'un rabais variable dont la valeur maximale était 5 cents/m3.
4 Le 17 avril 1984, la Commission avait décidé de clore la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité, au motif que le tarif F ne contenait aucun élément d'aide étatique. Elle avait notamment estimé que Gasunie opérait de considérables économies de fourniture en raison de l'importance du facteur de charge et des conditions de fourniture présentées par les grands usagers industriels et plus particulièrement par les producteurs d'engrais azotés.
5 A la suite d'un recours introduit par des producteurs français d'ammoniac, la Cour a annulé cette décision par arrêt du 12 juillet 1990, CdF Chimie AZF/Commission (C-169-84, Rec. p. I-3083). L'arrêt était fondé sur un rapport d'expertise, demandé par la Cour, dont il résultait que les économies réalisées par Gasunie lors des livraisons de gaz naturel faites sous le tarif F se chiffraient tout au plus à 0,5 cent/m3 pour des facteurs évalués par la Commission à plus de 5 cents/m3 et que les rabais accordés aux clients bénéficiant du tarif F devaient donc procéder d'autres considérations. La Cour en a donc conclu que la Commission avait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des faits.
6 Au terme d'un nouvel examen de la compatibilité du tarif F avec les articles 92 et 93 du traité auquel elle a alors procédé, la Commission est parvenue à la conclusion que ce tarif pouvait se justifier par des raisons commerciales, qu'il n'avait pas favorisé les producteurs néerlandais d'ammoniac par rapport à ceux des autres États membres et que l'État néerlandais n'avait pas eu d'influence sur la fixation des tarifs qui dépasserait celle d'un actionnaire normal dans la mesure où il n'avait pas subi de perte de revenu. Elle a donc estimé que ce tarif était compatible avec le Marché commun et a décidé de clore la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité.
7 Contre cette décision de clôture, le Royaume de Belgique a introduit le présent recours. A l'appui de celui-ci, il soulève trois moyens tirés respectivement d'une erreur manifeste dans l'appréciation des faits, d'une interprétation erronée de l'article 92 du traité et d'un défaut de motivation.
8 Il ressort du dossier que Gasunie a introduit un nouveau système tarifaire, de sorte que le tarif F n'est plus utilisé depuis le 31 décembre 1991.
Sur le moyen tiré d'une erreur manifeste dans l'appréciation des faits
9 Par ce moyen, le Royaume de Belgique conteste les deux conclusions de la Commission selon lesquelles le tarif F était justifié par des raisons commerciales et n'a pas favorisé les producteurs néerlandais d'ammoniac par rapport à ces mêmes producteurs des autres États membres.
Sur la conclusion de la Commission selon laquelle le tarif F se justifiait par des raisons commerciales
10 Il convient de rappeler, à titre liminaire, qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour que l'application, par un État membre ou par l'entité qu'il influence, d'un tarif fixé à un niveau inférieur à celui qui aurait été normalement choisi peut être qualifiée d'aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité. Dans une telle situation, l'État ou l'entité n'agit pas comme un opérateur économique ordinaire, mais utilise le tarif préférentiel pour faire bénéficier certaines entreprises d'un avantage pécuniaire en renonçant au profit qu'il pourrait normalement réaliser. En revanche, ne constitue pas une mesure d'aide un tarif préférentiel qui, dans le contexte du marché concerné, est objectivement justifié par des raisons économiques telles que la nécessité de lutter contre la concurrence exercée sur ce marché (voir, en ce sens, arrêt du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission, 67-85, 68-85 et 70-85, Rec. p. 219, points 28 à 30).
11 S'agissant là d'une appréciation économique complexe, il y a également lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le contrôle juridictionnel d'un acte de la Commission impliquant une telle appréciation doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l'exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation de ces faits ou de l'absence de détournement de pouvoir (voir, notamment, arrêts du 29 octobre 1980, Roquette Frères/Conseil, 138-79, Rec. p. 3333, point 25; du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds/Commission, 142-84 et 156-84, Rec. p. 4487, point 62; du 10 mars 1992, Ricoh/Conseil, C-174-87, Rec. p. I-1335, point 68, et du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225-91, Rec. p. I-3203, point 25).
12 La Commission, soutenue par le Royaume des Pays-Bas, fait valoir que le tarif F se justifiait par la nécessité pour Gasunie de lutter contre la concurrence exercée sur le marché de l'ammoniac par les importations d'ammoniac des pays tiers.
13 La Commission explique que le gaz naturel constitue la matière première principale pour la production d'ammoniac et représente environ 75 % du prix de revient de celui-ci. L'ammoniac est, quant à lui, le produit de base pour la fabrication des engrais azotés et intervient à concurrence de 60 % environ dans leur prix de revient. Les producteurs néerlandais d'engrais azotés produisent généralement eux-mêmes l'ammoniac dont ils doivent disposer et consomment annuellement environ 30 % du gaz naturel livré par Gasunie à l'industrie néerlandaise. Cependant, si le prix du gaz naturel utilisé pour produire l'ammoniac est trop élevé, les producteurs d'engrais choisiront de l'acheter ailleurs plutôt que de le produire eux-mêmes.
14 D'après la Commission et le Royaume des Pays-Bas, dans les années 1980, la situation de l'industrie de l'ammoniac dans la Communauté était telle que, si Gasunie n'avait pas accordé de tarifs spéciaux aux producteurs néerlandais d'engrais azotés, elle aurait risqué de perdre cet important débouché. Ils estiment ainsi qu'aucun élément ne permettait de conclure que, en livrant du gaz naturel au tarif F aux producteurs néerlandais d'engrais azotés, Gasunie se soit comportée autrement qu'une entreprise privée dans des conditions normales de marché.
15 Le Royaume de Belgique soutient que le tarif F n'était pas justifié par des raisons commerciales mais a été appliqué pour des raisons politiques, afin de conférer un avantage aux producteurs néerlandais d'ammoniac. Il conteste à cet égard sur plusieurs points la motivation de la décision litigieuse.
16 Tout en admettant que le tarif F n'était pas confidentiel et qu'il constituait le prix directeur du gaz naturel livré aux producteurs d'ammoniac en Europe continentale du Nord-Ouest, le Royaume de Belgique avance, en premier lieu, que, n'étant pas publié - contrairement aux autres tarifs de Gasunie -, ce tarif n'était pas public.
17 Cet argument doit être rejeté. Il suffit à cet égard de renvoyer, comme l'a fait la Commission, au point 15 de l'arrêt CdF Chimie AZF/Commission, précité, dans lequel il a été constaté que le tarif F était un tarif public dont les conditions d'accès étaient publiques et parfaitement transparentes.
18 Le Royaume de Belgique soutient, en second lieu, que l'affirmation de la Commission, selon laquelle Gasunie a toujours réalisé des bénéfices au cours de la période où le tarif F était en vigueur (voir seizième alinéa de la décision), ne peut servir à justifier le fait que ce tarif était une pratique commerciale courante parce que économiquement soutenable. Il renvoie, à cet égard, au fait que le bénéfice annuel de Gasunie est fixé de façon forfaitaire à 80 millions de HFL en vertu d'un accord passé entre les actionnaires de Gasunie et les producteurs de gaz naturel néerlandais. Gasunie s'approvisionne en gaz auprès de la Nederlandse Aardolie Maatschappij (ci-après la "NAM"), un consortium détenu principalement par les sociétés Shell et Esso. La NAM exploite les gisements de gaz naturel néerlandais pour le compte de l'association Groningen, dans laquelle elle détient 60 % des parts et l'État néerlandais 40 %. Ce dernier perçoit environ 80 % des bénéfices provenant des ventes de gaz naturel. Conformément au mécanisme de fixation des prix dénommé "netback", Gasunie achète du gaz naturel à la NAM à un prix qui correspond à son prix de vente final dans ses divers marchés, déduction faite de ses coûts de transport et autres frais et de son bénéfice annuel forfaitaire. Gasunie ne constitue donc qu'un centre de coûts et ne supporte aucun risque, ses coûts et son bénéfice étant assurés quel que soit le prix facturé à ses clients.
19 La Commission, soutenue par le Royaume des Pays-Bas, fait valoir que le bénéfice annuel de 80 millions de HFL représente le maximum que Gasunie peut conserver, tout surplus étant versé à la NAM. En fait, ses bénéfices effectifs pendant la période d'application du tarif F ont été nettement plus élevés et c'était à ces bénéfices effectifs que la Commission faisait référence dans sa décision.
20 Comme l'a observé le Royaume de Belgique lors de l'audience, les bénéfices effectifs auxquels se réfère la Commission sont en réalité les bénéfices des fournisseurs de Gasunie, en sorte que la décision de la Commission manque effectivement de clarté et de précision sur ce point. Il ne saurait toutefois en être tiré la conclusion que la Commission a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des faits. Comme l'a relevé le Royaume des Pays-Bas, l'affirmation de la Commission visait à montrer que l'application du tarif F constituait une pratique commerciale courante et économiquement soutenable. A cet égard, le fait de savoir si les bénéfices ont été réalisés en dernier lieu par l'association Groningen plutôt que par Gasunie ne revêt pas une importance décisive. L'argument du Royaume de Belgique doit donc être rejeté.
21 En troisième lieu, le Royaume de Belgique conteste la thèse de la Commission selon laquelle les coûts variables et les coûts fixes de Gasunie se situaient largement en dessous du tarif F, de sorte que la société était en mesure d'accroître son revenu net par les ventes à ce tarif tout en s'assurant le maintien d'une clientèle importante qu'elle risquait de perdre sans l'octroi de ce tarif (voir dix-septième alinéa de la décision). Selon lui, cette affirmation est contredite par les rapports annuels de Gasunie de 1990 et 1991, dont il ressort que le prix d'achat moyen du gaz naturel de Gasunie était supérieur au tarif F.
22 Il convient de relever, à cet égard, que le fait, d'ailleurs confirmé par la Commission et le Royaume des Pays-Bas, que le prix d'achat moyen était supérieur au tarif F n'infirme pas la thèse de la Commission. Il suffit, en effet, de constater que le prix d'achat moyen de Gasunie est composé des différents prix de vente finals sur ses divers marchés, déduction faite de ses coûts et de son bénéfice. Des informations relatives au prix d'achat moyen ne peuvent donc constituer une base suffisante pour contredire l'affirmation de la Commission concernant les coûts variables et fixes de Gasunie. Cet argument doit donc également être rejeté.
23 En quatrième lieu, le Royaume de Belgique fait valoir que la Commission ne saurait justifier la nécessité pour Gasunie de fidéliser la clientèle des producteurs néerlandais d'engrais azotés par le fait que, en 1982, elle venait de perdre une part importante du marché français (voir vingt-quatrième alinéa de la décision). En fait, cette perte était une conséquence de la politique de Gasunie elle-même, les Pays-Bas ayant décidé dans les années 1970, pour faire face à la première crise pétrolière de 1973-1974, de réduire les volumes de gaz naturel destinés à l'exportation.
24 Ainsi que l'ont fait valoir à juste titre la Commission et le Royaume des Pays-Bas, le Royaume de Belgique n'a pas démontré l'existence d'un lien pertinent entre la décision prise en 1974 et le fait qu'en 1982 Gasunie venait de perdre une part du marché français. Cet argument doit donc être rejeté.
25 Le Royaume de Belgique conteste, en cinquième lieu, l'affirmation suivante de la Commission: "... Si le prix du gaz qu'il utilise pour fabriquer l'ammoniac dont il a besoin est trop élevé, [un producteur d'engrais azotés] choisira d'acheter cet ammoniac, s'il le peut, ailleurs et à un prix de revient moins élevé que celui qui serait le sien s'il le produisait lui-même (situation de la Belgique, par exemple, en 1983)..." (vingt et unième alinéa de la décision). Il relève à cet effet que les producteurs belges d'engrais azotés importent chaque année de l'ammoniac afin de couvrir un déficit entre production et consommation et qu'il n'est indiqué ni que les importations de 1983 avaient une autre cause ni que le niveau de production avait été anormalement bas.
26 La Commission a produit des données relatives aux importations belges d'ammoniac entre 1980 et 1991, qui démontrent un déclin important de la production belge d'ammoniac. Ainsi, la part couverte par les importations des besoins belges en ammoniac est passée de 38 % en 1982 à 51 % en 1983, puis à plus de 70 % au début des années 1990. Ces chiffres, qui n'ont pas été réfutés par le Royaume de Belgique, montrent que la Commission a pu raisonnablement renvoyer à l'exemple de la Belgique pour soutenir sa thèse concernant les réactions des producteurs d'engrais azotés face au prix relativement élevé du gaz naturel. Cet argument doit donc également être rejeté.
27 En sixième lieu, le Royaume de Belgique estime que la Commission se réfère à des marchés qui ne sont pas comparables quand elle affirme que, de 1981 à 1991, les prix des livraisons de gaz naturel, notés ou estimés, consentis aux producteurs d'ammoniac aux États-Unis, au Venezuela, à Trinité et Tobago, et au Moyen-Orient se sont toujours largement situés en dessous des tarifs néerlandais (voir vingt-deuxième alinéa de la décision). Selon lui, les prix bas pratiqués dans ces pays représentent la valeur réelle du gaz naturel dans leurs marchés respectifs, alors que le tarif F se situait en dessous de la valeur du gaz naturel dans le marché européen. Il produit, à cet effet, des chiffres démontrant que le tarif F était inférieur au prix appliqué dans différents pays européens pour le marché de la fourniture interruptible de gros consommateurs industriels disposant de brûleurs bi-fuel.
28 De plus, selon le Royaume de Belgique, à la différence de ce dernier marché, les éventuelles interruptions de livraison sur le marché de l'ammoniac se heurtent à des obstacles techniques et commerciaux difficilement surmontables, puisque les producteurs d'ammoniac ne disposent pas de matière première de substitution. Comme ces fournitures doivent être régulières et continues, le gaz naturel a une valeur intrinsèque plus élevée pour les producteurs d'ammoniac que pour ceux d'autres secteurs industriels.
29 Ces arguments doivent être rejetés. D'abord, c'est à juste titre que la Commission observe qu'elle n'a pas cherché à comparer les marchés des pays tiers cités et celui de la Communauté mais qu'elle s'est bornée à montrer que les producteurs d'ammoniac originaires de ces pays tiers sont des concurrents réels et importants pour les producteurs d'ammoniac établis dans la Communauté.
30 Il convient ensuite de constater que l'affirmation du Royaume de Belgique, selon laquelle le tarif F était inférieur à la valeur du gaz naturel sur le Marché communautaire, est sans importance compte tenu du système de formation des prix du gaz naturel. Comme la valeur du gaz naturel est déterminée par le marché auquel celui-ci est destiné - à savoir, en l'espèce, le segment des producteurs d'ammoniac -, le rapport entre le tarif F et le prix du gaz naturel destiné au marché des grands clients industriels disposant de brûleurs bi-fuel n'est pas pertinent pour prendre position sur la question de savoir si la Commission pouvait ainsi motiver sa décision. En fait, la question décisive est de savoir si les conditions concurrentielles du marché étaient telles qu'elles justifiaient que Gasunie accorde aux producteurs néerlandais d'ammoniac un prix inférieur à celui applicable à d'autres secteurs industriels. Cette question sera cependant examinée ci-après.
31 L'argument du Royaume de Belgique tiré de l'absence de possibilité réelle d'interrompre les livraisons de gaz aux producteurs d'ammoniac et de l'influence qu'exerce ce fait sur la valeur du gaz destiné à ce marché n'est pas davantage pertinent. A supposer même que cet argument soit fondé, il n'infirme en rien la conclusion de la Commission selon laquelle, si le prix du gaz est trop élevé par rapport au prix de l'ammoniac importé, les producteurs d'engrais azotés choisiront d'abandonner leur propre production d'ammoniac.
32 En septième lieu, le Royaume de Belgique conteste la thèse de la Commission selon laquelle les livraisons à l'exportation, et notamment vers la Belgique, l'Allemagne et la France, étaient, du point de vue du prix et de la nécessité de réaliser de nouveaux investissements, moins intéressantes (voir vingt-quatrième alinéa de la décision). Il fait valoir que les prix à l'exportation étaient plus élevés que le tarif F, que l'infrastructure existante permettait d'augmenter les volumes à l'exportation sans investissements nouveaux et qu'il existait une demande suffisante dans les marchés à l'exportation pour compenser une diminution des ventes aux producteurs néerlandais d'engrais azotés. En effet, selon le Royaume de Belgique, cette diminution aurait probablement été progressive, eu égard aux investissements importants réalisés par les producteurs d'engrais azotés aux Pays-Bas.
33 Le Royaume de Belgique ajoute que le Royaume des Pays-Bas aurait également pu décider de limiter la production de gaz naturel néerlandais de manière à allonger la durée de vie de ses gisements de gaz naturel.
34 La Commission et le Royaume des Pays-Bas soutiennent que, sans l'application du tarif F, Gasunie aurait subitement perdu un débouché important sans pouvoir le remplacer par des débouchés à l'exportation. Les contrats à l'exportation de gaz naturel sont conclus à long terme dans un souci de sécurité d'approvisionnement et, pour cette raison, il aurait été impossible pour Gasunie de remplacer, dans un court laps de temps, ses ventes aux producteurs néerlandais d'ammoniac par des exportations. En effet, les ventes de Gasunie aux producteurs néerlandais d'ammoniac représentent un tiers des ventes à l'industrie néerlandaise et sont pratiquement égales en volume à la totalité du gaz naturel vendu par Gasunie en Belgique. Une augmentation des exportations se serait heurtée, en outre, à des problèmes techniques relatifs à la qualité du gaz naturel, sa pression etc. Par ailleurs, le prix à l'exportation était supérieur au tarif F parce qu'il reflétait la moyenne des différents prix sur les divers marchés sectoriels dans le pays d'importation. Puisque le marché à l'exportation était saturé, les importants volumes supplémentaires de gaz naturel n'auraient pu être exportés qu'à des prix sensiblement plus bas. Selon la Commission, la preuve du risque auquel Gasunie était confrontée a été apportée par la fermeture, au cours des années 1992 et 1993, de nombreuses usines d'ammoniac dans la Communauté à cause d'importations massives d'ammoniac en provenance des pays de l'Est.
35 A la lumière des arguments présentés par la Commission et le Royaume des Pays-Bas, il convient de constater que le Royaume de Belgique n'a pas établi que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant que Gasunie n'était pas en mesure de compenser une diminution des ventes aux producteurs néerlandais d'engrais azotés par une augmentation des ventes à l'exportation.
36 Quant à la possibilité de restreindre la production, il y a lieu de relever, ainsi que l'a fait M. l'Avocat général au point 71 de ses conclusions, qu'une telle restriction aurait entraîné une baisse des revenus et, en conséquence, un retour moins rapide de l'argent investi. Dans ces conditions, il y a lieu de constater que le Royaume de Belgique n'a aucunement mis en évidence que la solution proposée par lui aurait été commercialement raisonnable.
37 Le Royaume de Belgique a enfin contesté la substance même du raisonnement de la Commission selon lequel le tarif F était justifié par la nécessité de lutter contre la concurrence exercée sur le marché de l'ammoniac par les importations des pays tiers. Il fait valoir que cette conclusion est infirmée par le fait que le tarif F a été accordé aux producteurs néerlandais d'engrais azotés même lorsqu'il n'y avait aucune nécessité de lutter contre la concurrence de l'ammoniac importé puisque le prix de l'ammoniac était élevé. Le Royaume de Belgique se fonde, à cet égard, sur des tableaux fournis par la Commission, dont il ressort que le rabais maximal de 5 cents/m3 du tarif F avait été accordé à des moments où le prix de l'ammoniac importé était élevé et qu'un rabais moins élevé avait été accordé à d'autres moments, alors que les prix de l'ammoniac étaient bas.
38 Comme l'ont fait valoir à juste titre la Commission et le Royaume des Pays-Bas, les variations du tarif F doivent être appréciées en faisant référence aux prix relatifs du gaz industriel et de l'ammoniac importé quels que soient leurs niveaux absolus. Lorsque le prix du gaz naturel est relativement élevé par rapport à celui de l'ammoniac importé, il peut être commercialement intéressant pour un producteur d'engrais azotés d'acheter de l'ammoniac au lieu de le produire lui-même.
39 Or, comme l'a constaté M. l'Avocat général aux points 86 à 91 de ses conclusions, les tableaux fournis par la Commission font apparaître que le tarif F suivait, de manière générale, les fluctuations des marchés du gaz naturel et de l'ammoniac, certains décalages dans le temps pouvant s'expliquer par des problèmes d'adaptation occasionnels. En l'absence de précisions et de preuves supplémentaires de la part du Royaume de Belgique, il convient donc de constater qu'il n'est pas démontré que, en estimant que le tarif F était nécessaire pour lutter contre la concurrence exercée sur le marché de l'ammoniac par les importations des pays tiers, afin de garder une clientèle existante importante, la Commission a dépassé les limites de son pouvoir d'appréciation dans cette matière.
40 Il résulte de ce qui précède que la première branche de ce moyen n'est pas fondée.
Sur la conclusion de la Commission selon laquelle le tarif F n'a pas favorisé les producteurs néerlandais d'ammoniac par rapport à ces mêmes producteurs des autres États membres
41 Il est constant entre les parties que la détermination du prix frontière convenu entre Gasunie et la compagnie de distribution belge Distrigaz était basée sur le mécanisme dénommé "netback", selon lequel le prix d'achat est déterminé à partir de la valeur de marché du gaz naturel en fonction des différentes utilisations qui en sont faites dans le pays d'importation, déduction faite des coûts de transport et de distribution de Distrigaz et de sa marge bénéficiaire. Le prix frontière représentait une moyenne des diverses valeurs de marché du gaz naturel pondérée par les volumes prévus pour chaque secteur. La valeur de marché du gaz naturel dans chaque secteur était, quant à elle, largement dictée par le prix des produits pétroliers concurrents - le gasoil pour le secteur domestique/commercial et le fuel lourd pour le secteur industriel - augmenté d'un prémium prenant en compte les avantages plus grands du gaz naturel.
42 Il est également constant que ce modèle ne fournissait que la base sur laquelle ont eu lieu des négociations commerciales entre les parties au cours desquelles chacune d'elles a tenté d'obtenir de l'autre le prix le plus avantageux. Ces négociations ont abouti à l'établissement d'un prix global s'appliquant pour toutes les ventes de gaz naturel de la part de Gasunie à Distrigaz. Ce prix frontière était renégocié tous les trois ans.
43 Le Royaume de Belgique conteste l'affirmation de la Commission selon laquelle les sociétés de distribution française, belge et allemande bénéficiaient, de la part de Gasunie, pour les quantités destinées à l'industrie des engrais azotés, d'un prix frontière qui correspondait sensiblement au tarif F (voir huitième alinéa, quatrième tiret, de la décision).
44 A cet égard, il soutient, en premier lieu, que le prix frontière pour les exportations de gaz naturel néerlandais en Belgique a été pendant de longues périodes supérieur au tarif F.
45 Cet argument ne saurait être accueilli. Ainsi que l'ont relevé la Commission et le Royaume des Pays-Bas, il existe des marchés sectoriels, tels que le marché domestique, qui permettent d'obtenir des prix de vente plus élevés que ceux s'appliquant aux secteurs industriels, y compris celui des producteurs d'engrais azotés. Il est donc naturel que le prix frontière, en tant que prix global tenant compte d'une moyenne des différents prix sur les divers marchés sectoriels, puisse être plus élevé que le tarif F.
46 Le Royaume de Belgique fait valoir, en deuxième lieu, que le prix frontière était un prix unique négocié pour l'ensemble du marché sans qu'il soit possible d'en séparer objectivement les composantes correspondant aux divers marchés sectoriels. Au soutien de cet argument, il prétend que le prémium payé pour le gaz naturel par rapport aux énergies de substitution était un prémium global convenu pour l'ensemble du marché. En outre, l'indemnité à payer en cas de sous-enlèvement (principe du "take or pay") ou le prix de vente en cas d'achat de quantités complémentaires par rapport aux quantités annuelles contractuelles était facturé au prix frontière unique quel que soit le segment de marché connaissant une réduction ou une augmentation de volume.
47 Cette argumentation doit également être rejetée. A supposer même que le prix frontière soit un prix unique dont il serait impossible de déduire rétrospectivement les composantes initiales, cela ne saurait être décisif dans la mesure où il est constant que ce prix frontière est partiellement déterminé sur la base d'un mécanisme de formation des prix qui prend en compte la valeur de marché du gaz naturel dans les divers secteurs du marché.
48 En troisième et dernier lieu, le Royaume de Belgique conteste que, lors des négociations entre Gasunie et Distrigaz sur le prix frontière, il ait été spécifiquement tenu compte du marché des producteurs belges d'engrais azotés. Selon lui, la valeur de marché prise en considération pour les quantités destinées à ce marché n'était pas différente de celle prise en compte pour les autres utilisations industrielles et n'était donc pas située à un niveau sensiblement égal à celui du tarif F.
49 Il convient à cet égard de rappeler que, selon la Commission et le Royaume des Pays-Bas, la valeur de marché du gaz naturel qui n'est pas utilisé en tant que combustible ou carburant mais comme matière première est influencée non seulement par le prix des produits pétroliers concurrents, mais également par celui d'autres matières premières dont, en l'espèce, l'ammoniac importé.
50 Le Royaume de Belgique ne semble pas contester le fait que la valeur de marché du gaz naturel destiné aux producteurs d'engrais azotés soit également influencée par le prix de l'ammoniac importé. Il fait d'ailleurs observer lui-même que Distrigaz a accordé un rabais analogue au tarif F aux producteurs belges d'engrais azotés pendant une grande partie de la période en cause.
51 En outre, cette thèse se trouve confirmée par le rapport d'expertise élaboré à la demande de la Cour dans le cadre de l'affaire CdF Chimie AZF/Commission, précitée, dont le passage pertinent est cité au dix-huitième alinéa de la décision litigieuse. Ainsi, les experts ont constaté que, lorsque le gaz naturel est utilisé comme matière première dans un processus industriel et lorsque le prix de cette matière première joue un rôle essentiel dans la détermination du coût du produit fini - comme c'est le cas dans la production de l'ammoniac -, ce n'est pas seulement le prix des matières premières de substitution qui est déterminant pour la fixation de celui de la matière première sur le marché, mais également le prix du marché du produit fini, qui est un facteur primordial. Les experts ajoutent que l'appréciation du prix maximal que l'usine d'ammoniac est disposée à payer pour la matière première (par exemple le gaz naturel), tout en restant concurrentiel sur le marché du produit fini (par exemple l'ammoniac), relève d'un processus complexe.
52 Le Royaume de Belgique soutient, en revanche, que, au cours des négociations entre Gasunie et Distrigaz, les ventes de gaz naturel aux producteurs belges d'engrais azotés n'étaient pas considérées comme formant un segment séparé du marché pour la fixation du prix frontière. Selon lui, ces ventes étaient simplement inclues dans les ventes de gaz naturel sur le marché industriel en général et leur prix n'était donc influencé que par celui du fuel lourd et non par celui de l'ammoniac. En fait, Gasunie avait toujours refusé de tenir compte du prix de vente du gaz naturel aux secteurs industriels les moins valorisants, tels que le secteur de l'ammoniac, estimant que des réductions pour les quantités vendues à ces secteurs devaient être obtenues auprès des fournisseurs norvégien et algérien de Distrigaz.
53 En outre, le Gouvernement belge prétend que le prix frontière contractuel était uniquement indexé sur l'évolution du prix des produits pétroliers. Aucune indexation n'était prévue sur l'évolution du prix de l'ammoniac.
54 Au soutien de cette argumentation, ce gouvernement fournit un tableau intitulé "Simplified Presentation of Netback Analysis", qui fait état de deux secteurs seulement: le secteur domestique/commercial, dont la valeur de marché est calculée par référence au prix du gasoil, et le secteur industriel, dont la valeur de marché est calculée par rapport au fuel lourd.
55 Le Royaume de Belgique conteste que le tableau sur le mécanisme de formation de prix, qui a été fourni par la Commission, puisse être utilisé en tant que base pour résoudre la présente affaire. En tout état de cause, ce tableau n'est pas, selon lui, de nature à étayer la thèse de la Commission. Il estime à cet effet que, à supposer même que, lors de la détermination du prix frontière, il ait été tenu compte d'une valeur de marché distincte pour chaque segment industriel, le tableau fait apparaître que, pour le segment des engrais azotés, la valeur de marché a également été déterminée par rapport au prix du fuel lourd et non en fonction du prix de l'ammoniac.
56 Enfin, le Royaume de Belgique relève que, en alignant son prix de vente du gaz naturel destiné aux producteurs belges d'engrais azotés sur le prix directeur néerlandais, Distrigaz a subi des pertes importantes sur ce segment de marché. C'est uniquement durant la période allant d'octobre 1984 à octobre 1986, au cours de laquelle Gasunie a concédé un rabais à Distrigaz pour une tranche dite "défensive" égale à 20 % du volume total de gaz naturel acheté, que Distrigaz a pu fournir du gaz naturel aux producteurs belges d'ammoniac à un prix correspondant au tarif F sans supporter de pertes. Quant au taux de bénéfice global de Distrigaz au cours de la période pertinente, il était nettement inférieur à celui de Gasunie.
57 La Commission et le Royaume des Pays-Bas soutiennent que la partie du prix frontière reflétant le marché sectoriel des clients industriels tenait compte de tous les segments de l'industrie, parmi lesquels figure celui des producteurs d'engrais azotés. De ce fait, le prix frontière octroyé à Distrigaz était de nature à lui permettre d'accorder aux producteurs belges d'engrais azotés un tarif comparable au tarif F. Il est donc possible d'affirmer que, pour les quantités destinées à l'industrie des engrais azotés, Gasunie appliquait un prix frontière sensiblement égal au tarif F. La Commission se fonde, à cet égard, sur un tableau élaboré par le ministère des Affaires économiques néerlandais, qui subdivise le secteur industriel en divers segments distincts dont les engrais, le papier, les constructions mécaniques, la chimie, etc.
58 Quant à la tranche défensive octroyée à Distrigaz, la Commission relève qu'elle constituait approximativement 7,5 % de la consommation belge de gaz naturel, ce qui correspond aux quantités de gaz naturel utilisées par les producteurs belges d'engrais azotés pendant la période de référence. La Commission souligne le parallélisme existant entre l'application de la tranche défensive pour les ventes à Distrigaz et le rabais octroyé aux producteurs néerlandais d'engrais azotés. En effet, ce n'est que pendant l'application de la tranche défensive que le rabais du tarif F, qui était examiné périodiquement et recalculé en fonction du prix de l'ammoniac, se trouvait à son niveau maximal de 5 cents/m3. Pour les autres périodes, il se situait à un niveau inférieur.
59 Concernant, enfin, les pertes de Distrigaz enregistrées sur les ventes aux producteurs d'engrais azotés, la Commission estime qu'elles étaient fictives et imputables à la pratique comptable de Distrigaz selon laquelle son bénéfice était calculé, dans tous les cas, par référence au prix frontière global. En réalité, ces pertes étaient compensées par les ventes à d'autres utilisateurs à un prix supérieur au prix frontière global. En effet, Distrigaz a réalisé des bénéfices globaux substantiels et croissants au cours de la période pertinente.
60 Il convient de relever d'abord que, comme l'a observé M. l'Avocat général au point 46 de ses conclusions, le tableau fourni par le Royaume de Belgique, qu'il déclare être de forme simplifiée, ne contredit pas directement celui fourni par la Commission, qui vise à rendre compte de manière plus détaillée de la formation des prix sectoriels. D'ailleurs, le Royaume de Belgique n'a pas présenté d'arguments susceptibles de démontrer que le tableau de la Commission ne constituait pas une représentation exacte de la base formelle sur laquelle les négociations entre Gasunie et Distrigaz avaient eu lieu.
61 En revanche, il est vrai que, comme l'a relevé le Royaume de Belgique, la deuxième colonne du tableau fourni par la Commission concernant la "détermination du fuel alternative" comporte l'indication "la plus grande partie fuel oil" pour tous les segments de l'industrie, y compris celui des engrais.
62 Il convient toutefois d'observer que le tableau contient, en outre, une troisième colonne concernant "la valeur de marché par segment", dont il ressort que la valeur de marché du gaz naturel est calculée séparément pour le segment des engrais. Ainsi qu'il a déjà été indiqué aux points 49 à 51, la valeur de marché du gaz naturel destiné au segment des engrais azotés est influencée non seulement par le prix des produits pétroliers concurrents, mais également par celui de l'ammoniac. Dans ces conditions, comme l'a relevé M. l'Avocat général au point 47 de ses conclusions, la seule absence d'indication expresse dans le tableau de l'influence du prix de l'ammoniac sur celui du gaz naturel destiné au secteur des engrais azotés ne suffit pas pour prouver qu'il n'en a pas été tenu compte lors de l'élaboration du prix frontière.
63 Ensuite, comme l'a fait valoir la Commission, le fait que Distrigaz ait enregistré des pertes sur ses ventes au secteur des engrais azotés ne démontre nullement que le prix frontière ne tenait pas compte de ce marché, ces pertes étant calculées par référence au prix frontière global et donc compensées par des bénéfices réalisés sur d'autres marchés sectoriels permettant d'obtenir un prix de vente supérieur au prix frontière. Concernant le fait que le taux de bénéfice global de Distrigaz était inférieur à celui de Gasunie, il pourrait s'expliquer, comme l'a relevé M. l'Avocat général au point 37 de ses conclusions, par d'autres facteurs et ne suffit donc pas non plus pour prouver la thèse du Royaume de Belgique.
64 Enfin, même si le Royaume de Belgique semble fondé à estimer que la partie du prix frontière reflétant le segment des engrais azotés était indexée sur l'évolution du prix des produits pétroliers et non sur celle du prix de l'ammoniac, cela ne saurait être déterminant.
65 Comme l'a relevé M. l'Avocat général aux points 41, 42, 48 et 49 de ses conclusions, il y a lieu de considérer, sur la base des informations dont la Cour dispose en l'espèce, que la tranche défensive était une mesure exceptionnelle visant à compléter le rabais accordé à Distrigaz à travers le prix frontière pour le gaz naturel destiné aux producteurs d'engrais azotés au moment où le rabais accordé aux Pays-Bas suivant le tarif F atteignait son maximum de 5 cents/m3, cette mesure exceptionnelle remplaçant donc un mécanisme d'indexation formel.
66 Il résulte de ces considérations que le Royaume de Belgique n'a pas démontré que, en estimant que le prix frontière octroyé à Distrigaz était de nature à lui permettre d'accorder aux producteurs belges d'engrais azotés un tarif comparable au tarif F, la Commission a fait une appréciation manifestement erronée des données économiques.
67 Dans son mémoire en réplique, le Royaume de Belgique fait valoir qu'il existait une distorsion au détriment du secteur belge de l'ammoniac du fait que le prix frontière incluait la taxe environnementale néerlandaise "milieuheffing", alors que cette taxe était remboursée aux producteurs néerlandais d'ammoniac. Le Royaume de Belgique fait état, en outre, d'une obligation pour les producteurs belges d'ammoniac de payer un supplément de 5 FB par gigajoule.
68 Il convient à cet égard de rappeler que, conformément à l'article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Tel n'étant pas le cas en l'espèce, ce moyen doit être rejeté.
69 Dans ces circonstances, la seconde branche du premier moyen n'est pas davantage fondée et il y a donc lieu de rejeter ce moyen dans son ensemble.
Sur le moyen tiré d'une interprétation erronée de l'article 92 du traité
70 Le Royaume de Belgique fait valoir, en premier lieu, que justifier le tarif F par les prix moins élevés du gaz naturel dans d'autres pays est contraire à la jurisprudence dégagée par la Cour dans l'arrêt du 22 mars 1977, Steinike & Weinlig (78-76, Rec. p. 595, point 24), selon laquelle un État membre ne peut justifier une violation de l'article 92 du traité par la circonstance que d'autres États membres ne respectent pas non plus cette disposition. De plus, la Commission n'aurait pas examiné les conditions spécifiques des marchés du gaz naturel ou de l'ammoniac des États membres sur lesquels les prix seraient moins élevés qu'aux Pays-Bas.
71 Le Royaume de Belgique fait allusion à cet égard à l'affirmation de la Commission selon laquelle les producteurs d'ammoniac en Italie, au Royaume-Uni et en Irlande obtenaient pour leurs besoins en gaz naturel des prix de livraison très largement inférieurs aux tarifs en vigueur aux Pays-Bas, en Belgique et en France (voir huitième alinéa, troisième tiret, de la décision).
72 Or, il convient de constater que la Commission ne prétend pas dans cet alinéa que les prix appliqués dans les États membres cités constituaient des aides d'État. Au contraire, elle y relève expressément que les prix en question étaient commercialement justifiés. Dès lors, cette première branche du deuxième moyen doit être rejetée.
73 Le Royaume de Belgique renvoie, en second lieu, à la thèse de la Commission reprise du rapport d'expertise cité au point 51, selon laquelle, si le gaz naturel est utilisé comme matière première et si son prix en tant que tel joue un rôle essentiel dans la détermination du coût du produit fini, son prix ne dépend pas seulement du produit de substitution mais également du produit final lui-même (voir dix-huitième alinéa de la décision). Selon lui, cette thèse est contraire à la position adoptée par la Cour dans l'arrêt du 14 février 1978, United Brands/Commission (27-76, Rec. p. 207, point 229), dans lequel elle a dit que le jeu de l'offre et de la demande ne devrait essentiellement s'appliquer qu'à chaque stade où celui-ci s'exprime réellement.
74 Cette deuxième branche du moyen doit également être rejetée. Par sa motivation de l'arrêt United Brands/Commission, précité, la Cour vise à établir que les mécanismes du marché sont altérés si le prix est calculé en prenant en considération non pas la loi de l'offre et de la demande entre le vendeur et l'acheteur, en l'occurrence des distributeurs, mais, en sautant un échelon du marché, entre le vendeur et le consommateur final (voir point 230 de l'arrêt). Cette motivation ne contredit donc nullement le raisonnement de la Commission selon lequel la demande en gaz naturel des producteurs d'engrais azotés est réellement influencée par la concurrence exercée par l'ammoniac importé.
75 Le Royaume de Belgique soutient, en troisième lieu, que la Commission n'a pas, contrairement à ce qu'exige en son point 30 l'arrêt Van der Kooy e.a./Commission, précité, tenu compte dans sa décision des frais à engager par les producteurs d'engrais azotés pour la conversion de la production d'ammoniac à partir de gaz naturel vers l'achat direct d'ammoniac.
76 Comme l'a observé la Commission, il ne s'agissait pas, en l'espèce, pour les producteurs d'engrais azotés de procéder à une transformation de leurs installations, mais seulement de renoncer à une phase de production, à savoir la production d'ammoniac. Selon la Commission, les frais à engager à cet égard ne pouvaient être que marginaux. Dès lors que le Royaume de Belgique n'a pas cherché à démontrer l'inexactitude de cette dernière affirmation de la Commission, il convient de rejeter cette troisième branche du moyen.
77 En quatrième lieu, le Royaume de Belgique, se fondant sur l'arrêt Van der Kooy e.a./Commission, précité, point 28, soutient que la Commission aurait dû examiner si Gasunie avait renoncé à un bénéfice qu'elle aurait pu réaliser. Il indique, en outre, que le tarif F conserve son caractère de mesure étatique visant à conférer un avantage pécuniaire à certaines entreprises, même si une décision politique visant à maintenir les producteurs d'engrais azotés aux Pays-Bas est peut-être aussi dans l'intérêt économique de Gasunie, ainsi que l'a constaté le rapport d'expertise élaboré dans le cadre de l'affaire CdF Chimie AZF/Commission, précitée.
78 Cette quatrième branche du moyen doit également être rejetée. D'abord, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir explicitement affirmé dans sa décision que Gasunie n'avait pas renoncé à un profit qu'elle aurait pu réaliser normalement, dans la mesure où elle a précisément énuméré les raisons pour lesquelles, selon elle, aucun élément ne permettait de conclure que Gasunie, en livrant du gaz au tarif F aux producteurs néerlandais d'engrais azotés, se soit comportée autrement qu'une entreprise privée dans les conditions du marché donné.
79 Ensuite, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'article 92 du traité ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions visées, mais les définit en fonction de leurs effets (arrêts du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173-73, Rec. p. 709, et du 24 février 1987, Deufil/Commission, 310-85, Rec. p. 901, point 8). Lorsqu'une pratique est objectivement justifiée par des raisons commerciales, le fait qu'elle réponde également à un objectif politique n'implique pas qu'elle constitue une aide d'État au sens de l'article 92 du traité.
80 En cinquième lieu, le Royaume de Belgique reproche à la Commission de ne pas avoir expliqué la contradiction existant entre les conditions officielles d'application du tarif F et la pratique de Gasunie qui, d'une part, n'appliquait pas ce tarif aux grands consommateurs répondant aux conditions prévues mais ne relevant pas du secteur des engrais azotés, et qui, d'autre part, l'appliquait à des producteurs d'engrais azotés qui ne remplissaient pas les conditions de volume requises.
81 Il convient de rappeler, à cet égard, que l'article 92 du traité ne s'applique qu'aux aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État, qui favorisent certaines entreprises ou certaines productions. Dans l'arrêt CdF Chimie AZF/Commission, précité, point 23, la Cour a constaté que le tarif F revêtait un caractère sectoriel en ce qu'il s'appliquait à certaines entreprises, à savoir les producteurs néerlandais d'ammoniac.
82 La Commission a reconnu dans sa décision le caractère sectoriel du tarif F. Ainsi, elle a indiqué que Gasunie avait également quelques autres clients dont la consommation de gaz, du point de vue des quantités, était comparable à celle de certains producteurs d'engrais, ceux-là n'étant toutefois pas menacés dans leur existence. Elle a expliqué qu'il relève d'une pratique commerciale courante qu'une entreprise accorde une remise de prix si celle-ci est économiquement soutenable, s'il y a une nécessité commerciale. Cette nécessité n'existait pas du chef de ces clients pour lesquels la menace d'une substitution ne jouait pas (voir quinzième alinéa de la décision).
83 Dans ces conditions, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir cherché à expliquer les raisons pour lesquelles Gasunie aurait pu avoir un quelconque intérêt à fixer des conditions formelles et apparemment neutres, au lieu d'affirmer expressément qu'il s'agissait d'un tarif sectoriel.
84 Cette dernière branche du deuxième moyen devant également être rejetée, il convient de rejeter ce moyen dans son ensemble.
Sur le moyen tiré d'un défaut de motivation
85 Le Royaume de Belgique fait valoir que la motivation de la décision ne répond pas aux exigences de l'article 190 du traité CEE puisqu'elle est incompréhensible et insuffisante et que, en outre, la conclusion de la Commission n'est pas fondée sur la motivation.
86 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l'article 190 du traité doit être adaptée à la nature de l'acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution, auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la Cour d'exercer son contrôle. Il résulte en outre de cette jurisprudence qu'il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 190 du traité doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir, notamment, les arrêts du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C-350-88, Rec. p. I-395, points 15 et 16, et du 9 novembre 1995, Atlanta Fruchthandelsgesellschaft e.a., C-466-93, non encore publié au Recueil, point 16).
87 Il convient, en l'espèce, de tenir compte du fait que la décision de la Commission est située postérieurement à une décision de la Commission, à un arrêt de la Cour annulant cette décision et à une communication de la Commission rouvrant la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité et invitant les parties intéressées à présenter leurs observations (JO 1992, C 10, p. 3), auxquels il y est en outre fait référence.
88 Le Royaume de Belgique relève que la décision ne décrit pas le tarif F et les conditions auxquelles son application était soumise, et ne précise pas que le rabais du tarif F était variable.
89 Il convient à cet égard de constater que ces éléments sont mentionnés à la fois dans l'arrêt de la Cour annulant la décision antérieure ou dans les conclusions de l'Avocat général M. Mischo y afférentes et dans la communication de la Commission rouvrant la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité. Il y a donc lieu de considérer que les intéressés ont été mis en mesure de les connaître et de faire valoir devant la Cour leur point de vue à cet égard.
90 Pour le reste, les éléments avancés par le Gouvernement belge dans le cadre de ce moyen constituent, comme l'a constaté M. l'Avocat général aux points 110 et 111 de ses conclusions, une répétition des arguments qu'il a invoqués précédemment à l'appui du moyen tiré d'une interprétation erronée de l'article 92 du traité. Ils doivent donc également être rejetés dans le présent contexte.
91 Il résulte de ce qui précède que ce troisième moyen doit être rejeté.
92 Aucun des moyens développés par le Royaume de Belgique n'ayant été retenu, il y a lieu de rejeter le recours comme non fondé.
Sur les dépens
93 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu en ce sens et le Royaume de Belgique ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens. En application du paragraphe 4, premier alinéa, de ce même article, le Royaume des Pays-Bas, qui est intervenu au litige, supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
Déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) La requérante est condamnée aux dépens.
3) La partie intervenante supportera ses propres dépens