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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 24 mars 2004, n° 2002-18701

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Canal+ Régie (SAS), Canal+ (SA), Canal Satellite (SA)

Défendeur :

AEPM (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Carre-Perrat

Conseillers :

Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Gibou-Pignot-Grappotte-Benetreau

Avocats :

Mes Cohen, Vatine, Kouchnir-Gargill.

T. com. Paris, 8e ch., du 25 sept. 2002

25 septembre 2002

Vu l'appel interjeté le 24 octobre 2002, par les sociétés Canal+, Canal Satellite et Canal+ Régie d'un jugement rendu le 25 septembre 2002 par le Tribunal de commerce de Paris qui:

* a débouté les sociétés Canal+, Canal Satellite et Canal+ Régie de l'ensemble de leurs demandes,

* les a condamnées solidairement à payer à la société Audiences Etudes sur la Presse Magazine, dite AEPM, la somme de 22 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les dernières écritures en date du 24 février 2004, par lesquelles les sociétés Canal+, Canal Satellite et Canal+ Régie, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, demandent à la cour de:

* rejeter la demande de rejet des débats de la pièce 76,

* constater l'intérêt à agir de la société Canal+ Régie,

* dire la définition d'un "magazine", stipulée au règlement de l'AEPM du 23 octobre 2000, illicite au regard des dispositions de l'article L. 442-6-1 du Code de commerce,

* dire la définition d'un " magazine ", stipulée au règlement de l'AEPM du 23 octobre 2000, constitutive d'une entente illicite au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce,

En conséquence:

* débouter l'AEPM de ses demandes,

* dire que la définition d'un "magazine" stipulée au règlement de l'AEPM du 23 octobre 2000, est entachée de nullité et leur est inopposable,

* dire que la décision de l'AEPM du 11 mai 2001 leur est inopposable,

* ordonner à l'AEPM de maintenir dans ses études les mensuels " Plus " le magazine de Canal+" et "Canal Satellite Magazine" ainsi qu'en publier les résultats sur tous supports, sous astreinte définitive de 10 000 euro par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,

* leur donner acte de ce qu'elles formulent toutes les réserves sur la réparation de leur préjudice,

* condamner l'AEPM à payer, à chacune d'elles, la somme de 35 000 euro à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

* condamner l'AEPM au paiement de 30 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les dernières écritures en date du 24 février 2004, aux termes desquelles la société AEPM, poursuivant la confirmation de la décision déférée, prie la cour de:

* rejeter des débats la pièce n° 76 communiquée la veille de l'ordonnance de clôture et des plaidoiries,

* déclarer la société Canal+ Régie irrecevable à agir,

* condamner in solidum les sociétés Canal+, Canal Satellite et Canal+ Régie au paiement de la somme de 40 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Sur ce, LA COUR,

Sur la procédure:

Considérant que la société AEPM est fondée à solliciter le rejet de la pièce n° 76 communiquée la veille de l'ordonnance de clôture;

Qu'en effet, il résulte de la combinaison des articles 15 et 16 du nouveau Code de procédure civile que le respect du principe de la contradiction impose que, pour assurer la loyauté des débats, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense;

Qu'en l'espèce, force est de constater que les sociétés Canal+, Canal Satellite et Canal+ Régie produisent une pièce n° 76 intitulée "conséquence du report de l'entrée de Plus dans l'étude AEPM"qui fait état d'une progression du chiffre d'affaires du 2e trimestre 2000 au 1er septembre 2003, dont il n'est pas justifié par ces parties qu'elles étaient dans l'impossibilité de la produire aux débats en temps utile; qu'elles ne justifient pas plus les raisons pour lesquelles elle ont été amenées à produire une ultime pièce sous le n° 77 "Lettre adressée à Gérai-ci Mareuil, expert", le jour de l'ordonnance de clôture, mettant ainsi leurs contradicteurs dans l'impossibilité d'y répliquer;

Qu'il s'ensuit que les pièces signifiées les 23 et 24 février 2004 à la requête des sociétés Canal+, Canal Satellite et Canal+ Régie seront rejetées des débats;

Sur l'intérêt à agir de la société Canal+ Régie:

Considérant que lors de l'introduction de l'instance, la société Canal+ Régie s'était vue confier par les sociétés Canal + et Canal Satellite la vente des espaces publicitaires des magazines Plus et Canal Satellite Magazine; que cette société justifie dès lors d'un intérêt à agir au sens de l'article 31 du nouveau Code de procédure civile;

Sur le fond:

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il suffit de rappeler que:

* la société Canal+ est une chaîne de télévision, distribuée par la voie hertzienne, accessible par souscription d'un abonnement,

* elle édite un mensuel " Plus, le Magazine de Canal+ ",

* la société Canal Satellite, distributeur de services audiovisuels par satellite, édite également un mensuel " Canal Satellite Magazine ",

* l'AEPM, créée en 1992 à l'instigation du conseil d'administration de l'Association pour la Promotion de la Presse Magazine, dite AEPM, rassemble des éditeurs et a pour objet la promotion de la presse magazine,

* elle réalise une enquête dont les résultats sont publiés deux fois par an, permettant aux éditeurs de connaître les évolutions de leur lectorat et à l'ensemble des acteurs économiques, annonceurs, agences de publicité, de mieux connaître les qualités des supports de communication de la presse magazine,

* les conditions d'accès à cette enquête sont définies dans le règlement adopté par l'assemblée des associés de l'AEPM,

* un règlement adopté le 11 mai 1995, a été modifié le 23 octobre 2000,

* au regard des dispositions du nouveau règlement, par un courrier du 11 mai 2001, l'AEPM a informé la société Canal+ du retrait de l'enquête de ses publications;

Considérant que les sociétés Canal+, Canal Satellite et Canal+ Régie soutiennent que l'intégration d'un magazine dans les études de l'AEPM outils de référence, est indispensable au financement par voie publicitaire de ce magazine et que de sorte, l'exclusion d'un magazine de l'enquête AEPM empêche nécessairement son insertion dans les plans média des annonceurs et autres professionnels, ce qui engendre une perte d'efficacité commerciale qui ne peut être compensée que par de lourds investissements;

Qu'elles en concluent que la décision discriminatoire de l'AEPM de retrait de l'enquête de leurs magazines leur crée un désavantage illicite dans la concurrence ;

Qu'au soutien de ce moyen, elles font valoir que la définition d'un magazine stipulée au règlement de l'AEPM retient des critères très imprécis, subjectifs, à des fins volontairement restrictives qui ne peuvent se justifier au regard de la finalité des études réalisées;

Considérant en droit que l'article L. 442-6, 1 du Code de commerce dispose qu'"engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers de pratiquer, à l'égard d'un partenaire économique, ou d'obtenir de lui, des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence";

Qu'aux termes des dispositions de l'article L. 420-1 du même Code "sont prohibées lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises";

Considérant en l'espèce, que le règlement modifié de l'AEPM définit par " magazine " : " toute publication périodique qui répond aux critères suivants:

- avoir un caractère d'intérêt général quant à la diffusion de la pensée (instruction, éducation, information, récréation du public) ce qui implique une pluralité d'informations;

En conséquence ne sont pas visées les publications dont l'objet serait principalement la promotion d'un ou de plusieurs services ou de leur marque ou dénomination, fournis par une personne physique ou morale, une entreprise industrielle ou commerciale, un établissement public à caractère industriel ou commercial ou une association, cette promotion étant financée directement ou indirectement, en tout ou partie, par les personnes physiques ou morales visées ci-avant, fournisseurs du produit ou du service et/ou titulaires de la marque ou dénomination;

- satisfaire aux obligations de la loi du 29 juillet 19881 sur la liberté de la presse,

- faire l'objet en France d'une vente effective au public, au numéro ou par abonnement, à un prix marqué, ayant un lien réel avec les coûts, correspondant à 50 % au moins de sa diffusion France totale,

- avoir au plus 2/3 de sa surface consacrés à la publicité, aux annonces judiciaires et légales et aux annonces classées sans que ces dernières excèdent la moitié de la surface totale.";

Considérant que si les sociétés Canal+, Canal Satellite et Canal+ Régie font valoir que la notion "d'intérêt général quant à la diffusion de la pensée ", admise pour l'attribution d'aides publiques à la presse, est imprécise et subjective, dès lors que les objectifs poursuivis par une étude à vocation commerciale sont totalement différents, elles omettent cependant que ce critère adopté par l'AEPM est complété:

* d'une part, par le second paragraphe du règlement, qui exclut de manière claire, objective et précise, exempt de toute critique d'opacité ou d'ambiguïté, les publications dont l'objet est principalement la promotion d'un ou plusieurs produits ou services lorsque cette promotion est financée directement par le fournisseur du produit ou du service,

* d'autre part, par le quatrième paragraphe qui se reporte à la vente au public, au numéro ou par abonnement, à un prix marqué, correspondant à 50 % au moins de sa diffusion France totale, critère précis qui ne souffre d'aucune interprétation;

Considérant de sorte, que la définition retenue par l'AEPM, qui a pour objet de diligenter une enquête sur la presse magazine, répond à des critères objectifs et précis permettant de déterminer quels types de publications ont vocation à être intégrés dans son enquête,peu important le débat instauré par les parties sur la faisabilité pragmatique d'une enquête et la fiabilité de ses résultats par l'intégration de magazines dits "de marque";

Qu'il s'ensuit que la définition d'un magazine au sens du règlement adopté par l'AEPM le 23 octobre 2000 n'est aucunement constitutive d'une discrimination illicite;

Considérant qu'il n'est pas contesté et est par ailleurs démontré par les articles de presse produits aux débats (journal CB News publié le 29 octobre 2001, Le Monde en date du 16 janvier 2004, page du site Internet emapmedia.com) qu'est reconnue une distinction entre les magazines dénommés " presse magazine kiosque " et les " magazines de marque " parfois désignés " consumers ", dont les supports et la finalité sont la promotion d'un produit, d'un service ou d'une enseigne;

Que les sociétés Canal+, Canal Satellite soutiennent toutefois que les magazines qu'elles éditent ne sont pas des " magazines de marque ", mais au contraire des publications à caractère informatif et récréatif, de sorte que l'AEPM ne pourrait les exclure de son enquête;

Considérant cependant, que l'examen de leurs publications démontre qu'elles ont pour objet principal la promotion des services de la chaîne Canal+ et du bouquet des chaînes Canal Satellite, à l'inverse d'autres magazines consacrés aux programmes télévisuels lesquels présentent les programmes de toutes les chaînes et non particulièrement ceux de l'une d'entre elles;

Que les articles rédactionnels publiés par les sociétés Canal+ et Canal Satellite dans leurs magazines, sur le contenu des émissions et thèmes de leurs chaînes, ont pour finalité essentielle de proposer aux lecteurs les programmes de ces chaînes télévisuelles ainsi que le rappelle sur chacun de ces articles la mention du jour et de l'heure de la programmation de ces programmes et ne se détachent pas de la promotion des services offerts par Canal+ et Canal Satellite;

Que par ailleurs, ces magazines édités directement par les sociétés Canal+ et Canal Satellite, sont adressés gratuitement et accessoirement à tous les clients de ces sociétés par la poste, sans aucune démarche de leur part, dès lors que ceux-ci s'abonnent à leurs services; qu'il n'est pas contesté que la vente en kiosque de ces magazines ne présente qu'un caractère insignifiant et marginal;

Qu'au demeurant, par un arrêt du 24 octobre 2001, le Conseil d'Etat a jugé " Qu'il ressort des pièces du dossier que les magazines Canal+ et Canal Satellite, adressés aux personnes abonnés à ces chaînes, consistent en une présentation des programmes qu'elles diffusent, assortie le cas échéant, d'un bref résumé ou plus rarement, d'une notice biographique ou d'une interview; que ces publications n'ont pas pour objet de proposer aux personnes auxquelles elles sont adressées des articles d'information ou d'opinion, mais de fournir un service de présentation et de promotion des programmes des chaînes de télévision du groupe Canal+ ";

Que par voie de conséquence, au vu des critères retenus par son règlement du 23 octobre 2000, l'AEPM a pu légitimement décider, sans discrimination, que les magazines édités par les sociétés Canal+ et Canal Satellite, ressortant de la catégorie des magazines de marque, ne pouvaient être pris en compte dans le cadre de son activité d'enquête sur la seule presse magazine, ainsi qu'elle l'a fait pour d'autres publications de marque retirées de l'enquête (Play Station, TPS, le magazine des abonnés), appliquant ainsi ce règlement de manière uniforme et objective à l'égard de tous les candidats à son étude;

Considérant que les sociétés Canal+, Canal Satellite et Canal+ Régie ne sont pas davantage fondées à prétendre que la position de l'AEPM les empêcherait d'agir à armes égales sur le marché de la publicité;

Qu'en effet, si l'AEPM ne conteste pas que son enquête est un outil apprécié par les éditeurs de la presse magazine, elle fait justement valoir que cette enquête n'est pas indispensable à la survie des publications non admises selon les critères objectifs de son règlement et qu'il existe d'autres solutions alternatives à son enquête, tout éditeur pouvant faire étudier l'audience de ses magazines par des organismes, tels que les sociétés Sofres, Simm, IPSOS qui réalisent également des sondages;

Considérant que les sociétés Canal+ et Canal Satellite prétendent enfin que l'AEPM ferait une application discriminatoire de son règlement, en intégrant à son étude, parmi une liste de 153 titres, les magazines Nova, Apel, dont l'objet est principalement la promotion de leurs services, les magazines régionaux Pariscope et L'Officiel des spectacles, des publications n'ayant aucun prix de vente propre, tels que les suppléments des journaux Le Figaro, L'Equipe;

Mais considérant que la société AEPM fait pertinemment observer que:

* l'examen du magazine Nova démontre que celui-ci ne présente pas un caractère promotionnel de la station de radio " Nova ",

* le magazine Apel, bénéficie d'un numéro accordé par la Commission paritaire dont l'organisation est réglementée par décret et dont elle ne peut remettre en cause la décision,

* les magazines Pariscope et L'Officiel des spectacles ont vocation à être pris en compte dans son étude compte tenu de leur diffusion nationale,

* si les suppléments de la presse accessoires sont dépourvus de tout prix de vente, en revanche le prix du quotidien, produit principal, est sensiblement majoré;

Considérant ainsi qu'il ne résulte d'aucun des arguments invoqués par les sociétés appelantes la démonstration d'une application discriminatoire du règlement du 23 octobre 2000 par la société AEPM;

Considérant de sorte, que les sociétés Canal+, Canal Satellite et Canal+ Régie ne justifient à l'égard de la société AEPM d'aucune pratique discriminatoire et d'aucune entente illicite, puisque ne peut être démontré un quelconque objet anticoncurrentiel au règlement attaqué ; que la décision entreprise qui les a déboutées de leurs demandes sera ainsi confirmée;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la société AEPM ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme complémentaire de 30 000 euro ; que les sociétés Canal+, Canal Satellite et Canal+ Régie qui succombent en leurs prétentions doivent être déboutées de leurs demandes formées sur ce même fondement;

Par ces motifs, Ecarte des débats les pièces communiquées par les sociétés Canal+, Canal Satellite et Canal+ Régie les 23 et 24 février 2004, sous les n° 76 et 77; Déclare la société Canal+ Régie recevable à agir; Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré Y ajoutant; Condamne in solidum les sociétés Canal+, Canal Satellite et Canal+ Régie à payer à la société AEPM la somme complémentaire de 30 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel; Rejette toutes autres demandes; Condamne in solidum les sociétés Canal+, Canal Satellite et Canal+ Régie aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.