CA Paris, 21e ch. B, 30 mai 2002, n° 00-33687
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Robe, Theno, Chia
Défendeur :
ERCA (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Marc
Conseillers :
M. Léo, Mme Virotte Ducharme
Avocats :
Mes Dolfi Missaka Minchella, Hyest, Minchella, Lafarge Flecheux.
Rappel des faits et de la procédure
Vu le jugement du 20 avril 2000 du Conseil de prud'hommes de Longjumeau, section encadrement, qui a:
- déclaré irrecevable l'exception de litispendance soulevée par les défendeurs.
- condamné in solidum MM. Robe, Theno et Chia à payer à la SA ERCA:
- 5 000 000 F à titre de préjudice subi pour inobservation d'un engagement contractuel;
- 4 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
- ordonné l'exécution provisoire à hauteur d'un million de francs;
- débouté MM. Robe, Theno et Chia de leurs demandes reconventionnelles et les a condamnés aux dépens.
Vu la déclaration d'appel du 2 mai 2000 de MM. Chia, Robe et Theno portant sur la totalité de la décision
Vu les conclusions du 28 mars 2002 de M. Chia aux termes desquelles il demande à la cour:
- d'infirmer le jugement et d'ordonner le remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire;
- de condamner la SA ERCA à lui payer 1 524,90 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive;
- de condamner la SA ERCA à lui payer 3 048,98 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Vu les conclusions du 28 mars 2002 de M. Robe aux termes desquelles il demande à la cour:
- d'infirmer le jugement et d'ordonner le remboursement des sommes versées et des frais exposés au titre de l'exécution provisoire;
- de condamner la SA ERCA à lui payer 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Vu les conclusions du 28 mars 2002 de M. Theno aux termes desquelles il demande à la cour:
- d'infirmer le jugement et d'ordonner le remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire;
- de condamner la SA ERCA à lui payer 304 898,03 euro à titre de dommages et intérêts pour manque à gagner;
- de condamner la SA ERCA à lui payer 22 867,35 euro à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral;
- de condamner la SA ERCA à lui payer 7 622,45 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Vu les conclusions du 28 mars 2002 de la SA ERCA Formseal, anciennement dénommée ERCA, aux termes desquelles elle demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter MM. Robe, Chia et Theno de leurs demandes et de les condamner "conjointement et solidairement" à lui payer 7 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La SA ERCA conçoit, fabrique et commercialise des machines de conditionnement automatique de produits laitiers.
La SA ERCA a créé, en 1982, un département de révision, rénovation et transformation de ce matériel dans lequel M. Robe a été engagé le 9 septembre 1965 et M. Theno le 18 octobre 1965.
Par ailleurs, M. Chia a été embauché, le 1er octobre 1989, au sein du bureau d'études de la SA ERCA.
Ces trois salariés ont quitté cette société pour rejoindre, fin 1991, la société Marc qui a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, le 2 avril 1992, puis de liquidation judiciaire le 22 octobre 1992.
MM. Robe, Chia et Theno ayant été licenciés par la société Marc, ils ont décidés de créer, en mai 1992, une société dénommée France Conditionnement Automatique (FCA).
Le 12 février 1992, la SA ERCA a déposé une plainte avec constitution de partie civile contre X auprès du Tribunal de grande instance d'Evreux des faits de vols, recels, abus de confiance et communication de secret de fabrique.
Par ordonnance du 16 février 1999, MM. Robe, Chia et Theno ont été renvoyés par le juge d'instruction devant le tribunal correctionnel sous la prévention de vol au préjudice de la société ERCA.
La Cour d'appel de Rouen, par arrêt du 14 mai 2001, saisie de l'appel du jugement du 27 mars 2000 du Tribunal de grande instance d'Evreux, a renvoyé MM. Chia, Robe et Theno des fins de la poursuite du chef de recel de vol au préjudice de la société ERCA et a confirmé le jugement en ce qu'il avait débouté la société ERCA de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral.
Sur ce, LA COUR
Sur la demande de la société ERCA
La société ERCA sollicite la confirmation du jugement qui a condamné solidairement MM. Chia, Robe ET Theno à lui payer notamment 5 000 000 F au titre du préjudice qu'elle a subi pour inobservation par les appelants d'un engagement contractuel.
Elle prétend que la cour d'appel de Rouen a prononcé leurs relaxes au bénéfice du doute puisqu'il est précisé dans l'arrêt que seuls les faits antérieurs au 15 novembre 1991 ont été examinés et que la preuve n'était rapportée que MM. Chia, Robe ET Theno avaient dérobé les documents litigieux.
Elle affirme que la 18e chambre de la Cour d'appel de Paris avait clairement délimité le domaine respectif des deux ordres de juridiction et dénié, par anticipation, à la décision pénale à intervenir une influence sur le fond du litige.
Les appelants répondent que la décision définitive de la Cour d'appel de Rouen s'impose au juge civil et commande donc la solution du litige puisque les faits sont les mêmes que ceux débattus devant cette juridiction et que, de surcroît, ils n'ont violé aucune obligation contractuelle.
Contrairement à ce que soutient la SA ERCA, la 18e chambre de la Cour d'appel de Paris, saisie uniquement d'un contredit, s'est bornée à juger que le conseil de prud'hommes de Longjumeau était compétent au motif que le litige portait sur l'inobservation du secret professionnel et des actes de concurrence déloyale invoqués par l'employeur à l'encontre de trois de ses anciens salariés et ne s'est pas prononcée sur les conséquences de la décision de la Cour d'appel de Rouen quant à la solution du litige.
Par ailleurs, la décision de la Cour d'appel de Rouen, qui doit être analysée en son entier, n'a pas été prononcée au bénéfice du doute et indique, dans ses motifs, que les charges réunies ne suffisent pas à établir que les documents provenant de la société ERCA découverts le 15 janvier 1992 dans les locaux de la société Marc dans le bureau de M. Theno auraient été dérobés avant le 15 novembre 1991, date de l'arrivée de ce dernier dans cette société, ou par MM. Chia ou Robe et précise qu'il n'est pas avéré par le contenu des lettres adressées à la société Yoplait les 17 et 20 septembre 1991 par M. Robe pour le compte de la SARL Marc que leur envoi ait été pénalement répréhensible ou que l'usage frauduleux des documents précités ait été nécessaire à leur rédaction ou à l'échange de correspondance concernant les télécopies transmises à M. Robe le 14 novembre 1991 par la société Yoplait.
Il s'ensuit que les relaxes prononcées par la Cour d'appel de Rouen du chef de recel de vol s'imposent à la cour en ce que la matérialité des faits pouvant servir de support à une violation supposée du secret professionnel par les appelants n'est pas établie.
En outre, la responsabilité contractuelle d'un salarié envers son employeur n'est engagée qu'en cas de faute lourde.
En l'espèce, il n'est ni soutenu ni démontré que les appelants auraient utilisé les documents litigieux avec l'intention de nuire à la SARL ERCA qui n'établit pas que les causes de la baisse alléguée de ses commandes au cours du premier semestre 1991 résulterait de l'attitude des appelants qui font valoir qu'elle se désintéressait de ce secteur d'activité et rappellent que la note du 16 mars 1992 de la direction générale de l'entreprise imputait ses mauvais résultats économiques à la stagnation du marché des produits laitiers, la guerre des prix menées par les grandes chaînes de distribution et la récession économique mondiale et ses répercussions.
Enfin, MM. Chia, Robe et Theno n'étaient pas liés à la SA ERCA par une clause de non concurrence.
Il résulte de ces constatations que MM. Chia, Robe ET Theno n'ont pas violé leur engagement d'observer le secret professionnel auquel ils étaient tenus vis-à-vis de la SA ERCA à qui ils n'ont, et notamment par des actes de concurrence déloyale allégués mais non établis, causé aucun préjudice.
La SA ERCA doit donc être déboutée de ses demandes et condamnée à rembourser les sommes qu'elle a perçues au titre de l'exécution provisoire.
Le jugement doit être infirmé sur ces points.
Sur les dommages et intérêts demandés par MM. Theno et Chia
M. Theno doit être débouté de sa demande de dommages et intérêts pour manque à gagner et préjudice moral, celui-ci ne démontrant pas que la SA ERCA aurait agi de mauvaise foi avec l'intention de lui nuire ou qu'elle serait directement responsable de la perte financière consécutive à son passage du statut de cadre à celui de professionnel exerçant dans un cadre libéral.
M Chia doit être débouté de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, celui-ci ne démontrant pas que la SA ERCA aurait agi de mauvaise foi avec l'intention de lui nuire.
Sur les demandes au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dépens
Il est équitable de condamner la SA ERCA à payer à MM. Chia, Robe ET Theno, à chacun, 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SA ERCA, qui succombe, doit être condamnée aux dépens.
Par ces motifs, Infirme le jugement du 20 avril 2000 du Conseil de prud'hommes de Longjumeau, section encadrement, dans toutes ses dispositions. Statuant à nouveau, Condamne la SA ERCA à rembourser à M. Chia, Robe ET Theno les sommes reçues au titre de l'exécution provisoire. Déboute les parties de leurs autres demandes. Condamne la SA ERCA à verser à MM. Chia, Robe et Theno, à chacun, 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne la SA ERCA aux dépens.