CA Versailles, 4e ch. civ., 11 février 1994, n° 2178-92
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Préservatrice Foncière Assurances (Sté)
Défendeur :
Les Mutuelles du Mans (Sté), Chavanne, Lambert Distribution (SA), Chicot Tuileries de Saint- Rémy (Sté), Munaux, Berault, SMABTP (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Stephan
Conseillers :
M. Maron, Mme Bruel
Avoués :
SCP Lissarrague- Dupuis, SCP Keime-Guttin, SCP Gas, SCP Merle-Doron, Me Bommart
Avocats :
Mes Gourrier, Blanc, Martineau, Ben Zenou, Mothu.
Monsieur Chavanne, procédant en tant que "castor" à la restauration de sa maison, située à Joue du Plain (Orne), a acheté en février 1979 un lot de tuiles à la société Lambert Distribution, et les a posées lui-même.
Ces tuiles, fabriquées par la société des Tuileries de Saint-Rémy, ayant présenté des désordres, Monsieur Chavanne a obtenu en référé, le 22 mai 1985, à l'encontre du fournisseur, du fabricant et de la Cie La Préservatrice, assureur des Tuileries de Saint-Rémy, la désignation d'un expert en la personne de Monsieur Gourdin.
Celui-ci a déposé le 20 octobre 1986 un rapport faisant apparaître que la couverture, présentant des exfoliations et des cassures, devait être entièrement remplacée, et que le sinistre était uniquement imputable à un vice de fabrication.
L'expert chiffrait à 65 000 F le montant des remises en état.
Monsieur Chavanne a assigné le 14 avril 1988 la société Lambert Distribution devant le Tribunal de Commerce de Pontoise, arguant de la non-conformité du matériau, et demandant qu'elle soit condamnée à lui payer, outre cette somme, celle de 5 000 F pour préjudice technique, celle de 12 000 F pour trouble de jouissance, outre intérêts au taux légal à compter du jour de la demande.
La société Lambert Distribution a appelé en garantie la société des Tuileries de Saint-Rémy, en règlement judiciaire, ses syndics Maîtres Munaux et Berault, la société La Préservatrice Foncière et la SMABTP, autre assureur du fabricant.
La procédure ayant été renvoyée devant le Tribunal de Grande Instance de Pontoise, la Cie La Préservatrice Foncière a elle-même assigné en garantie la Cie Les Mutuelles du Mans, anciennement MGFA, également assureur du fabricant, faisant valoir que sa police couvrait le même période que la sienne.
La société Lambert Distribution a fait valoir que la demande était irrecevable, car non introduite dans le bref délai de l'article 1648 du Code civil, et soutenu subsidiairement qu'elle ne pouvait être tenue pour responsable du défaut de fabrication.
La Cie La Préservatrice Foncière a soutenu que Monsieur Chavanne était irrecevable en sa demande principale, à défaut de justifier de sa qualité de propriétaire de l'immeuble et subsidiairement que son action était tardive ; que la société Lambert Distribution était également irrecevable en sa demande de garantie, par application de l'article L 124-3 du Code des Assurances ; qu'en toute hypothèse, elle ne couvrait pas le sinistre, qui a donné lieu à réclamation postérieurement à la résiliation de la police qu'enfin, la défectuosité du matériau n'était pas établie de manière incontestable.
La SMABTP a soulevé à l'égard de la société Lambert le même moyen d'irrecevabilité et invoqué pour le même motif sa non-garantie, faisant valoir au surplus que les opérations d'expertise lui étaient inopposables et que son plafond de garantie était atteint.
Les Mutuelles du Mans ont également soulevé diverses exceptions d'irrecevabilité et dénié leur garantie au motif qu'elles n'ont été saisies d'aucune réclamation pendant la période de validité du contrat.
Les Tuileries de Saint-Rémy et Maîtres Munaux et Berault n'ont pas constitué avocat. Le tribunal, admettant, par jugement du 23 septembre 1991, la non-conformité des tuiles :
- a déclaré Monsieur Chavanne recevable et bien fondé en son action à l'encontre de la société Lambert Distribution,
- a condamné celle-ci à lui payer :
* 65 000 F pour les remises en état, avec actualisation en fonction de l'évolution de l'indice INSEE du coût de la construction depuis le 20 octobre 1986,
* 5 000 F en réparation de son préjudice technique,
* 8 000 F au titre des troubles de jouissance subis,
* 8 000 F en application de l'article 700 du NCPC,
- a déclaré la société Tuileries de Saint-Rémy totalement responsable du préjudice subi par Monsieur Chavanne du fait de sa fourniture de tuiles défectueuses,
- a déclaré la société Lambert Distribution irrecevable à agir en garantie contre la Préservatrice Foncière et la SMABTP, mais recevable en ses demandes tendant à obtenir remboursement au vu d'une quittance subrogatoire établie par Monsieur Chavanne,
- a dit que la Préservatrice Foncière serait tenue de lui rembourser les sommes versées à celui-ci au vu d'une telle quittance,
- a débouté la société Lambert Distribution de sa demande contre la SMABTP,
- a déclaré la Préservatrice Foncière irrecevable en son action en garantie contre les Mutuelles du Mans, recevable mais mal fondée en sa demande de remboursement au vu d'une quittance subrogatoire,
- l'a condamnée à payer à celle-ci la somme de 2 000 F en application de l'article 700 du NCPC.
La Cie La Préservatrice Foncière a interjeté appel le 7 février 1992 de cette décision. Elle demande que la cour, statuant à nouveau :
- constate qu'aucune pièce ne lui a été communiquée par le demandeur principal ni la société Lambert Distribution et dise la procédure irrecevable à son égard pour violation des articles 15 et 16 du NCPC,
- constate notamment que Monsieur Chavanne ne rapporte pas la preuve de sa qualité de propriétaire et dise en conséquence irrecevable toute demande dirigée contre elle,
- constate que la société Lambert Distribution n'a pas la qualité de tiers lésé ni celle de bénéficiaire d'une subrogation dans les droits de la victime et dise en conséquence irrecevable son appel en garantie en application de l'article L 124-3 du Code des assurances,
- constate qu'en toute hypothèse Monsieur Chavanne n'a pas agi à bref délai conformément à l'article 1648 du Code civil et le déclare en conséquence irrecevable et l'appel en garantie de la société Lambert Distribution sans objet,
- constate que la police souscrite auprès d'elle par la société Tuileries de Saint-Rémy a pris effet le 1er janvier 1978 pour être résiliée à compter du 23 avril 1982, qu'elle exclut les dommages qu' elle qu'en soit l'origine qui surviendraient postérieurement à la date de résiliation de la police,
- constate qu'aucune preuve n'est fournie de la survenance des désordres en 1981 ni d'une réclamation à cette date, qu'il n'en a été adressé aucune à la société des Tuileries de Saint-Rémy ou à elle-même pendant la période de validité du contrat et qu'il n'est pas établi que les désordres se soient produits pendant cette période,
- dise qu'en conséquence sa garantie n'est pas acquise,
- constate que la responsabilité de la société des Tuileries de Saint-Rémy n'est pas démontrée,
- dise par suite mal fondée la demande dirigée contre cette société, et sa mise en cause sans objet,
- en toute hypothèse la reçoive en son appel en garantie à l'encontre de la Mutuelle Du Mans Assurances et pour le cas où le sinistre serait situé dans le courant de l'année 1981, dise et juge qu'elle devra prendre en charge le coût de la réfection à hauteur de moitié, ce par application des règles relatives aux assurances cumulatives,
- dise et juge qu'en toute hypothèse elle ne saurait être tenue au-delà des limites de son contrat,
- condamne la société Lambert Distribution ou tout succombant à lui verser une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
La société Lambert Distribution demande à titre incident que l'action de Monsieur Chavanne soit jugée tardive, par application de l'article 1648 du Code civil comme n'ayant pas été introduite à bref délai à compter de la révélation du vice affectant les tuiles, et qu'il soit débouté de toutes ses demandes à son encontre.
Elle conclut subsidiairement à la confirmation du jugement dont appel en ce qu'il a condamné la Cie La Préservatrice Foncière à la relever et garantir des condamnations prononcées au bénéfice de Monsieur Chavanne dont elle demande qu'elles soient confirmées en leur montant.
Elle sollicite que cette Cie soit condamnée à lui payer une somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
A titre plus subsidiaire encore, elle entend être garantie de toutes condamnations par la SMABTP, ou à défaut par la Cie Les Mutuelles du Mans.
La SMABTP conclut à ce que la Cie La Préservatrice Foncière, qui ne forme aucune demande contre elle, soit déboutée de son appel, et sollicite que la cour :
- déclare irrecevables tous contestants par application de l'article 5614 du NCPC,
- déclare irrecevable et mal fondée l'action directe de la société Lambert Distribution,
- constate que le sinistre est survenu en une période antérieure à l'application de son contrat,
- constate, plus subsidiairement, que son plafond de garantie est dépassé.
Elle demande l'allocation d'une somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
La Cie Les Mutuelles du Mans demande qu'il soit jugé :
- que la société La Préservatrice est forclose en son appel interjeté le 7 février 1992, alors qu'elle a procédé le il octobre 1991 à la signification du jugement,
- qu'elle est irrecevable par application de l'article L 124-3 du Code des assurances,
- que Monsieur Chavanne, n'ayant pas assigné à bref délai, est d'ailleurs irrecevable en sa demande, par application de l'article 1648 du Code civil, et l'action dirigée contre elle par la Préservatrice sans objet,
- que son contrat, à effet du 1er janvier 1981 jusqu'au 31 décembre 1982, ne peut s'appliquer qu'aux sinistres survenus et ayant fait l'objet d'une réclamation pendant cette période, et que la date d'apparition des désordres n'est pas démontrée,
- que la demande formée à son encontre par la société Lambert Distribution est irrecevable, s'agissant d'une prétention nouvelle, et à tout le moins infondée.
Elle sollicite l'allocation d'une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Monsieur Chavanne conclut à la confirmation du jugement entrepris. Il demande qu'il soit jugé :
- que l'appel interjeté par la Cie La Préservatrice Foncière est tardif, et que la société Lambert Distribution, qui a reçu signification du jugement, le 13 février 1992, est également forclose en ses demandes formulées hors du délai pour agir à titre principal, ceci par application des articles 550 et suivants du NCPC ; qu'il en est de même des appels incidents de la société Lambert Distribution, et des Cies la SMABTP et les Mutuelles du Mans ;
- subsidiairement, que son action étant fondée sur un défaut de conformité de la chose vendue à l'usage auquel elle était destinée, ce défaut est établi par le rapport d'expertise ; que sa demande est donc recevable sans qu'il y ait lieu de rechercher si elle a été introduite à bref délai.
Il sollicite que soit ordonnée la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil et demande que la Cie La Préservatrice Foncière, la société Lambert Distribution et tout contestant soient condamnés à lui payer la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
La Cie La Préservatrice Foncière fait valoir en réponse, sur la tardiveté de l'appel, que ni Monsieur Chavanne, ni aucune autre partie, ne peuvent se prévaloir de la signification effectuée par la Cie Les Mutuelles du Mans.
La société des Tuileries de Saint-Rémy ayant été déclarée en liquidation de biens, Maîtres Munaux et Berault ont été assignés en leur qualité de syndics par la Cie La Préservatrice Foncière, ainsi qu'en appel provoqué par la société Lambert Distribution et la Cie Les Mutuelles du Mans, mais n ont pas constitué avoué.
Discussion :
Il y a lieu de statuer par arrêt réputé contradictoire à l'égard de Maîtres Munaux et Berault, de la société des Tuileries de Saint-Rémy qui ont été régulièrement assignés.
Il doit être relevé que les parties ont procédé en cours d'instance à toutes communications de pièces nécessaires.
I - Sur la forclusion invoquée :
La notification du jugement n'ayant été effectuée qu'à la diligence de la Cie Les Mutuelles du Mans, le délai d'appel fixé à l'article 538 du NCPC n'a couru qu'à son seul profit.
Le jugement ne profitant pas solidairement ou indivisiblement à la Cie la M.G.F.A. et à Monsieur Chavanne, ce dernier n~est pas fondé à se prévaloir de la notification à laquelle elle a procédée.
L'appel, régularisé le 7 février 1992 par la Cie La Préservatrice Foncière, est donc tardif à l'égard de la Cie Les Mutuelles du Mans, mais recevable à l'égard des autres parties.
II - Sur la recevabilité de la demande principale:
Il est soutenu à tort que Monsieur Chavanne ne justifie pas de sa qualité à agir en tant que propriétaire de l'immeuble, dès lors qu'il est établi par un acte notarié du 17 juin 1986, régulièrement communiqué et versé aux débats, que, déjà propriétaire d'une moitié indivise du pavillon, il a acquis à cette date la propriété de l'autre moitié.
Le sort qui doit être réservé à la seconde exception d'irrecevabilité soulevée à son encontre dépend de la nature des anomalies affectant les tuiles vendues, Monsieur Chavanne soutenant, ainsi que l'ont admis les premiers juges, qu'elles sont atteintes d'un défaut de conformité susceptible d'être invoqué dans le délai de droit commun, alors qu'il lui est opposé qu'elles présentent un vice rédhibitoire pour lequel n'est ouverte que l'action prévue par l'article 1648 du Code civil, qui doit être intentée dans un bref délai.
Or, le désordre affectant les tuiles, consistant. ainsi qu'il ressort du rapport d'expertise de Monsieur Gourdin, en un vieillissement anormal de ce matériau, provient en l'espèce d'un défaut de fabrication, sur l'origine duquel il s'explique en pages 5 et 6 de son rapport; si leur utilisation rend en l'occurrence la couverture non conforme à sa destination, cette impropriété résulte non pas de ce que les produits vendus sont différents de ceux objet de la commande, mais de ce qu'ils sont affectés d'un vice, au sens de l'article 1648 du Code civil.
Monsieur Chavanne avait donc, par application de ce texte, l'obligation d'agir dans un bref délai.
A supposer qu'il ait eu une parfaite connaissance de ce vice avant l'introduction de l'instance en référé, il n'existe aucun élément à son dossier, ou dans le rapport d'expertise qui permette d'établir avec certitude la date à laquelle celui-ci s'est manifesté, que le technicien commis situe en 1981, sans plus de précisions, donc bien avant l'assignation aux fins de désignation d'expert, délivrée le il avril 1985 ; dans l'hypothèse où Monsieur Chavanne n'aurait eu l'exacte révélation du désordre que par les constatations de celui-ci, il doit également être relevé que le rapport de Monsieur Gourdin ayant été établi le 20 octobre 1986, Monsieur Chavanne n'a assigné au fond la société Lambert Distribution que le 14 avril 1988.
Monsieur Chavanne doit donc être déclaré irrecevable en son action, qui n'a pas été introduite dans un bref délai.
III - Sur les appels en garantie :
Les appels en garantie doivent de ce fait être déclarés sans objet.
IV - Sur les dépens et les demandes formées au titre de l'article 700 du NCPC :
Les dépens de première instance et d'appel doivent incomber à Monsieur Chavanne, qui succombe, à l'exception de ceux afférents à l'appel interjeté contre la Cie Les Mutuelles du Mans et la SMABTP et aux frais exposés par ces dernières, qui seront à la charge de la Cie La Préservatrice Foncière, le recours étant tardif à l'égard de la première, et aucune demande n'étant formulée contre la seconde.
Pour des raisons tirées de l'équité, il n'y a lieu à aucune condamnation au titre de l'article 700 du NCPC.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire ; Déclare irrecevable comme tardif l'appel interjeté le 7 février 1992 par la Cie La Préservatrice Foncière à l'égard de la Cie Les Mutuelles du Mans ; le Déclare recevable à l'égard des autres parties. Infirmant le jugement du 23 septembre 1991, Dit que les défectuosités invoquées constituent un vice caché et non pas une non-conformité du matériau vendu. Constate que Monsieur Chavanne n'a pas agi dans un bref délai et le Déclare irrecevable en sa demande. Constate que les demandes de garantie sont sans objet. Condamne Monsieur Chavanne aux dépens de première instance et d'appel, à l'exception des frais afférents à l'appel interjeté contre la Cie Les Mutuelles du Mans et la SMABTP et de ceux exposés par celles-ci qui seront à la charge de la Cie La Préservatrice Foncière. Dit qu'il pourront être recouvrés directement par les avoués de la cause, conformément à l'article 699 du NCPC.