ART, 10 octobre 2002, n° 02-901
ART (DEVENUE L'ARCEP)
Avis
Demande d'avis du Conseil de la concurrence portant sur les demandes de mesures conservatoires présentées par la société Bouygues, par l'association UFC Que Choisir et par l'association CLCV visant à faire cesser des pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par la société Orange France
L'Autorité de régulation des télécommunications,
Vu le Code des postes et télécommunications, et notamment ses articles L. 36-7 et L. 36-10 ; Vu la lettre en date du 10 septembre 2002 par laquelle le Conseil de la concurrence a communiqué à l'Autorité la saisine de la société Bouygues Télécom assortie d'une demande de mesures conservatoires ; Vu la lettre en date du 20 septembre 2002 par laquelle le Conseil de la concurrence a communiqué à l'Autorité un complément de saisine de l'association UFC Que Choisir assorti d'une demande de mesures conservatoires ; Vu la lettre en date du 2 octobre 2002 par laquelle le Conseil de la concurrence a communiqué à l'Autorité un nouveau complément de saisine de l'association CLCV assorti d'une demande de mesures conservatoires ; Après en avoir délibéré le 10 octobre 2002,
La société Orange France a mis en place une nouvelle tarification pour les appels émis depuis son réseau, tarification entrée en vigueur le 15 septembre 2002 (voir description en annexe), dont les principaux éléments sont une tarification à la seconde dès la première seconde et une surtarification des appels émis par ses abonnés à destination des abonnés des autres opérateurs mobiles.
La société Bouygues Télécom, l'association UFC Que Choisir et l'association CLCV ont saisi le Conseil de la concurrence de demandes dirigées contre ces nouvelles mesures tarifaires et ont assorti leur saisine d'une demande de mesures conservatoires.
Ils demandent notamment au Conseil, au titre des mesures conservatoires :
- de suspendre les mesures de surtarification vers les réseaux mobiles tiers jusqu'à la décision au fond ;
- d'interdire à Orange France de procéder pendant cette période à toute promotion, publicité et commercialisation de sa nouvelle tarification pour les appels à destination des autres réseaux mobiles ;
- de prescrire qu'Orange France informe les consommateurs (clients ou non d'Orange France) de cette suspension selon un vecteur de communication adapté.
Les saisines reçues par le Conseil de la concurrence comportant des griefs et demandes sensiblement identiques, l'Autorité produira un seul avis, dont la teneur suit.
L'Autorité indique par ailleurs au Conseil qu'elle a entendu séparément, dans le cadre de la préparation de cet avis, et dans un but strictement informatif, les sociétés Bouygues Télécom et Orange France ainsi que l'association UFC Que Choisir.
1. Situation du marché de la téléphonie mobile
1.1 Le marché pertinent
Considérant que la modification tarifaire visée par la présente saisine (surtarification des appels émis depuis le réseau Orange France vers les autres réseaux mobiles) emporte des conséquences sur l'ensemble des segments de clientèle (clientèle résidentielle ou professionnelle, offres prépayées ou post-payées) pour les opérateurs mobiles détenteurs d'une licence d'opérateur de 2e génération en métropole, l'Autorité estime que le marché pertinent concerné par la présente saisine est celui de la téléphonie mobile sur le territoire métropolitain.
1.2. Un marché dont la croissance a atteint un rythme mesuré
Le marché des mobiles semble aujourd'hui avoir atteint un rythme de croissance mesurée :
- en terme de demande : le téléphone mobile constitue un service de consommation courante, largement diffusé dans la population ; selon les chiffres de l'observatoire de l'Autorité, au 30 juin 2002, le parc de clientèle en France métropolitaine s'élève à 36,6 millions, soit un taux de pénétration par rapport à la population de 62,6 %. A titre indicatif, le parc de clientèle du mobile a désormais dépassé le nombre d'abonnés à la téléphonie fixe. D'après une enquête réalisée pour le compte de l'Autorité par la société Taylor-Nelson-Sofres, à la fin 2001, plus de 60 % des ménages possédaient un téléphone mobile, dont un tiers était multi-équipé.
Du fait notamment de ce taux d'équipement, la croissance en terme de nombre d'utilisateurs, qui a été très forte au cours des années antérieures, s'est fortement ralentie depuis décembre 2001.
- en terme de structuration du marché : le marché s'est structuré autour de trois opérateurs de réseaux depuis 1996, une structuration similaire semblant s'établir pour les réseaux de 3ème génération ;
- les offres des opérateurs : les offres des opérateurs apparaissent relativement homogènes : offres forfaitaires, avec une large gamme de durée de forfaits, offres prépayées, offres avec abonnement (très minoritaires).
1.3. Une certaine normalisation des conditions économiques
Parallèlement, le marché se normalise économiquement. Le fort développement qu'il a connu ces dernières années a été facilité par un déséquilibre des tarifs des appels sortants par rapport à ceux des appels entrants, ces derniers " subventionnant " les premiers. Cet écart tarifaire s'est très sensiblement réduit au fur et à mesure que le marché gagnait en maturité. Le prix des appels entrants des " opérateurs puissants " (1), Orange France et SFR, a ainsi baissé régulièrement depuis 1999 sous l'impulsion de l'Autorité :
- baisse de 20 % à l'automne 1999, à la suite d'une table ronde que l'Autorité avait engagée avec les trois opérateurs mobiles ;
- baisse de 20 % en 2000, à la suite du règlement de différend prononcé par l'Autorité entre MFS WorldCom et France Télécom Mobiles ;
- baisses annuelles de l'ordre de 15 % entre 2001 et 2002, 15 % entre 2002 et 2003, et 12,5 % entre 2003 et 2004, suite aux décisions n°01-970 et n°01-971 prises en 2001 et conformément aux lignes directrices établies par l'Autorité.
La société Bouygues Télécom a suivi ce mouvement de baisse.
Ainsi, au 8 octobre 2002, le revenu moyen provenant de la terminaison d'appel sur les mobiles s'élève à [...] euro par minute pour Orange France et SFR, et à [...] euro par minute pour Bouygues Télécom.
2. La situation des acteurs sur le marché
2.1. Des parts de marchés déséquilibrées
Les chiffres dont dispose l'Autorité au titre de l'Observatoire des mobiles laissent apparaître les parts de marchés respectives en parc de clientèle (nombre de clients) des trois opérateurs mobiles, sur un an :
L'Observatoire des mobiles constitue un instrument de suivi de l'évolution du marché, existant depuis 1994 ; il est fondé sur un système déclaratif des opérateurs mobiles de leur parc de clients en fin de période. Cette méthode et ces résultats n'ont jamais été contestés.
Toutefois, il convient de signaler que ces chiffres prennent en compte, depuis le premier trimestre 2002, un effort de normalisation des déclarations des trois opérateurs mobiles relatives aux cartes prépayées et, dans le cas spécifique de Bouygues Télécom, un changement de la durée de validité de ses propres cartes prépayées (2). Cette diminution de la durée de validité a amené un effet exceptionnel de " double résiliation " dont il est résulté une diminution de la part de marché relative de Bouygues Télécom, laquelle n'aurait sans doute pas eu lieu sans cette modification.
D'après d'autres chiffres produits par Bouygues Télécom dans sa saisine, la part de marché des opérateurs mobiles serait pour Orange France de 55,7 % et pour Bouygues Télécom de 16,5 %. Ces chiffres sont issus de son " Panel Pack Mobiles, Taylor, Nelson - SOFRES ". Il s'agit d'un système de sondage que Bouygues Télécom fait réaliser depuis plusieurs années, à des fins de suivi et d'évaluation du marché (sondage trimestriel par téléphone, auprès de 10 000 personnes abonnées au téléphone fixe âgées de 15 ans et plus). La part de marché d'Orange France apparaît en première lecture plus importante selon ce mode d'évaluation.
L'écart constaté entre les résultats issus de ces deux sources d'informations peut en grande partie s'expliquer par les différences de méthode dans la collecte des données (système déclaratif des opérateurs versus sondage auprès d'un panel de population) et les différences de périmètre (clientèle globale versus personnes abonnées au téléphone âgées de 15 ans et plus).
En tout état de cause, et quelle que soit la source considérée, ces chiffres laissent apparaître un déséquilibre entre les trois opérateurs métropolitains.
2.2 La situation de Bouygues Télécom sur le marché
Une société de téléphonie mobile supporte des coûts fixes provenant du déploiement du réseau, alors que ses revenus dépendent principalement de sa part de marché et donc, en grande partie, de l'importance de son parc de clientèle.
Pour ce qui est des coûts fixes, la société Bouygues Télécom, arrivée sur le marché après ses deux concurrents, a dû déployer un réseau de téléphonie mobile sur l'ensemble du territoire, utilisant à l'origine une technologie (DCS 1800) sensiblement plus coûteuse en terme d'infrastructures que celle de ses concurrents (GSM 900), même si un rééquilibrage en terme de technologie a été réalisé depuis (accès de Bouygues Télécom aux fréquences GSM 900 et accès d'Orange France et de SFR aux bandes de fréquences DCS 1800). La couverture du territoire, facteur déterminant pour l'attractivité de l'offre vis à vis des clients potentiels, doit être assurée indépendamment du nombre effectif de clients.
Par ailleurs, la disparité des parts de marché peut produire des effets de seuil, notamment en terme d'efficacité commerciale : un opérateur dont les parts de marchés sont jugées trop faibles par la grande distribution risque notamment de voir ses offres écartées de la vente (risque de " déréférencement "), ou d'avoir à encourir des coûts supplémentaires pour y rester.
Ainsi, la situation du troisième opérateur à ce jour sur le marché de la téléphonie mobile ne peut être considérée comme stabilisée, et toute initiative de ses concurrents propre à fragiliser la structure du marché doit être évaluée avec vigilance.
2.3 La situation d'Orange France sur le marché
Les chiffres issus de l'Observatoire des mobiles montrent qu'Orange France rassemble presque la moitié des utilisateurs de radiotéléphones, tous segments de clientèle confondus (professionnels ou résidentiels, post-payés ou prépayés). Son plus proche concurrent, SFR, détient un parc de clientèle inférieur d'environ 15 points.
La part de marché des opérateurs peut également s'apprécier en fonction de leur chiffre d'affaires et des volumes de trafic acheminé par les réseaux.
C'est ainsi que les informations dont dispose l'Autorité au titre de l'enquête relative à la désignation des opérateurs puissants font ressortir que le prix moyen par minute payé par les clients d'Orange France est supérieur au prix moyen par minute de ses concurrents.
Cet écart peut provenir d'une structure de clientèle et de consommation différente selon les opérateurs. Toutefois, les barèmes de prix des opérateurs mobiles, publiés dans leurs documents commerciaux, laissent également apparaître des prix supérieurs pour Orange France au regard de ceux de ses concurrents, notamment pour les forfaits de 2 heures à 10 heures.
Le fait, pour Orange France, de pratiquer des prix en moyenne plutôt plus élevés que ceux de ses concurrents, ne fait cependant pas obstacle à la prédominance de sa part de marché en terme de parc de clientèle. Ce constat suggère qu'Orange France pourrait se comporter de manière indépendante de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs en général, ce qui constitue une indication de la position dominante d'un opérateur.
Enfin, la " proximité " d'Orange France avec France Télécom, notamment au regard des forces commerciales (agences propres du groupe France Télécom, points de vente propres à Orange France, position de force vis-à-vis de la grande distribution), est également de nature à lui donner un avantage concurrentiel.
Ainsi, l'Autorité en conclut qu'il n'est pas exclu qu'Orange France puisse être regardée comme détenant une position dominante sur le marché pertinent de la téléphonie mobile.
3. L'analyse de l'Autorité
3.1 Sur le principe et les modalités de la tarification à la seconde
L'adoption de la tarification à la seconde, demandée par les associations de consommateurs, procurera un rapport plus juste entre la consommation effective des clients et la consommation qui leur est facturée, ainsi qu'une meilleure lisibilité des prix. L'Autorité ne peut donc qu'approuver son adoption, en faveur de laquelle elle s'est exprimée à plusieurs reprises.
Ce passage à la tarification à la seconde ne s'accompagne cependant pas nécessairement d'une baisse des prix : les opérateurs l'ont d'ailleurs conçu de telle sorte que cette opération se réalise pour eux à revenus constants ou, du moins, en minimisant la perte de leurs revenus. A titre d'exemple, le passage à une tarification à la seconde a été accompagné :
- pour Bouygues Télécom, par une augmentation de 3 euro du prix mensuel du forfait pour les forfaits tarifiés à la seconde (nouveaux forfaits de 2 heures et 4 heures), par rapport aux forfaits analogues tarifiés selon l'ancien mode (et toujours disponibles au catalogue) ;
- pour SFR, par le maintien de la première minute indivisible avant décompte du reste de la communication à la seconde ;
- pour Orange France, par la surtarification des appels vers les réseaux mobiles tiers.
L'estimation du montant permettant aux opérateurs de maintenir le même niveau de revenu global, après adoption d'une tarification à la seconde, n'est pas aisée à réaliser : elle dépend essentiellement du comportement des clients.
En effet, si la tarification à la seconde dès la première seconde conduit, selon les évaluations de l'Autorité, à une baisse moyenne de l'ordre de 25 % du temps facturé, celle-ci n'a cependant d'effet visible sur la facture du consommateur qu'en cas de dépassement de forfait, ou en cas de changement de forfait pour un forfait de plus courte durée. En d'autres termes, un consommateur ne tire pas avantage, en terme de prix effectivement payé, de se voir facturé moins de minutes s'il est conduit à rester sur le même forfait et s'il ne dépassait pas son forfait précédemment. Il lui est ainsi simplement offert une capacité à consommer plus pour le même prix.
Les opérateurs estiment l'effet du passage à la seconde sur leurs revenus à une baisse comprise entre 4 et 5 euro par mois et par abonné. Les forfaits de Bouygues Télécom tarifés à la seconde sont vendus 3 euro par mois de plus que les forfaits équivalents tarifés par paliers : Bouygues Télécom escompte que la " baisse des prix réels " de 1,5 euro par mois et par abonné pourra être compensée par une hausse du nombre d'appels et de la consommation, due aux effets du passage à la seconde sur le comportement du consommateur.
L'Autorité note enfin que la modification du système de tarification peut ne pas être sans risque pour les opérateurs, notamment lorsqu'ils laissent à leurs clients le choix entre le nouveau ou l'ancien système, dans la mesure où les clients peuvent rationaliser leur choix en optant pour le système qui leur est le plus favorable.
Ainsi, l'Autorité :
- soutient pleinement la modification des conditions de tarification, en ce qu'elle procure aux consommateurs une meilleure adéquation entre le prix payé et la consommation effective ;
- comprend que les opérateurs, en procédant à cette modification, maintiennent une certaine stabilité du niveau de leurs revenus globaux, en recherchant des mesures compensatrices à l'éventuelle perte de revenu issue de la modification de leur système de tarification ;
- mais s'interroge sur le système de compensation mis en œuvre par Orange France et les effets qu'il peut avoir notamment pour ses concurrents et les consommateurs.
3.2 Sur le détournement de clientèle et le renforcement de la position dominante
L'Autorité étudie ici le grief de Bouygues Télécom, selon lequel la surtarification imposée par Orange France vers les réseaux tiers se traduira non seulement par une baisse du volume des appels des abonnés d'Orange France vers son réseau, mais surtout et principalement par un désabonnement des clients des autres réseaux pour rejoindre Orange France.
Selon le modèle exposé dans le rapport du professeur [...], rapport établi pour la société Bouygues Télécom et que l'on peut trouver en annexe à sa saisine, il s'agirait d'un " effet de tribu " dû à la surtarification vers les réseaux tiers : si les principaux correspondants d'un utilisateur de services mobiles sont abonnés auprès d'un opérateur déterminé, cet utilisateur aura tendance à rejoindre ce même opérateur afin d'éviter une surtarification lorsqu'il appelle ces correspondants.
Or, toujours selon le rapport du professeur [...], la part de marché d'Orange France serait telle qu'il existe une importante probabilité que le plus grand nombre des correspondants d'un client soient abonnés au réseau d'Orange France. Les utilisateurs de téléphonie mobile devraient donc majoritairement rejoindre Orange France lors de l'arrivée à terme de leur contrat, ou de la souscription d'un premier abonnement.
La propension à rejoindre Orange France serait alors d'autant plus forte que l'effet " tribu Orange " est bénéfique à l'utilisateur Orange, c'est-à-dire que sa part de marché est grande. Le phénomène s'accélérerait ainsi au fil du temps.
L'Autorité attire l'attention du Conseil sur quelques points qu'il pourra prendre en compte lorsqu'il examinera ce rapport :
- le modèle repose en grande partie sur l'hypothèse suivante : " si deux de ses trois principaux correspondants sont chez un opérateur, l'abonné choisira cet opérateur pour lui-même ". La décision de l'utilisateur n'est probablement pas aussi mécanique ;
- les probabilités que les correspondants d'un utilisateur soient abonnés à un opérateur ou à un autre sont prises en compte proportionnellement à l'importance des parts de marché de cet opérateur, et ce quel que soit l'opérateur de l'utilisateur. Or ce client a peut-être plus de chances d'avoir d'ores et déjà ses principaux correspondants chez son opérateur (achat groupé pour la famille par exemple) ;
- le modèle ne différencie pas les forfaits des formules prépayées ; une analyse plus fine se doit de prendre en compte l'hétérogénéité du marché en terme de valeur et de taux de rotation (appelé taux de " churn " dans le rapport). En particulier, les utilisateurs inactifs de formules prépayées n'ont pas la même tendance à rester chez un opérateur que les adhérents à des formules forfaitaires dans le cas exposé au § 3.1. à la page 20 du rapport du professeur [...] ;
- l'Autorité a relevé en page 24 du rapport une confusion entre les parts de marché globales et la répartition des parts de marché en acquisition qui ne sont pas nécessairement égales.
Néanmoins, malgré ces atténuations possibles à la pertinence du modèle présenté par Bouygues Télécom dans sa saisine, l'Autorité estime que ses conclusions générales ne sont pas radicalement remises en cause :
- Bouygues Télécom se trouve très probablement dans l'impossibilité de pratiquer la surtarification vers les réseaux tiers qu'a choisie Orange France, sous peine de se retrouver évincée du marché à plus ou moins long terme ;
- dans le cas où Bouygues Télécom n'adopterait pas cette surtarification, il est toutefois plus délicat d'affirmer que la mesure tarifaire d'Orange France jouerait en la faveur de cette dernière ;
- en revanche, dans le cas où SFR déciderait à son tour d'appliquer systématiquement la surtarification vers les réseaux tiers, Bouygues Télécom se trouverait probablement en position d'éviction progressive.
Dans tous les cas, l'Autorité souligne que la perte éventuelle de part de marché subie par Bouygues Télécom provient du fait qu'un opérateur, Orange France, dispose d'une part de marché importante. Si les trois opérateurs avaient des parts de marchés équivalentes, la mise en place d'une surtarification par l'un d'eux lui serait néfaste, et la mise en place d'une surtarification par les trois n'aurait d'incidence pour aucun d'entre eux (jeu à somme nulle). Ce phénomène s'observe par exemple sur le marché britannique.
L'effet potentiel d'éviction provient aussi du caractère généralisé de l'offre d'Orange France, qui s'applique à une large partie de sa gamme tarifaire. Les deux autres opérateurs proposent à leurs clients des offres d'incitation aux appels à l'intérieur du réseau (en offrant par exemple 50 % de temps de communication en plus pour les appels vers les mobiles du même réseau), mais ces offres touchent une clientèle plus restreinte ou sont limitées dans le temps (offre " Millenium " de Bouygues Télécom par exemple).
L'Autorité attire donc l'attention du Conseil sur le fait que la surtarification vers les réseaux tiers est susceptible d'entraîner un effet d'éviction, particulièrement accentué sur les segments de marchés où la part de marché de l'opérateur est la plus prononcée.
3.3 Sur l'éventuel caractère discriminatoire de la pratique tarifaire mise en œuvre par Orange France
Une différenciation de tarif pratiquée par un opérateur économique vis-à-vis de ses clients n'est pas interdite de façon générale et absolue.
A titre d'exemple, une différence de tarification est déjà pratiquée par Orange France, comme par l'ensemble des opérateurs mobiles en France et en Europe, entre les tarifs appliqués aux abonnés pré-payés et les abonnés post-payés. Certains opérateurs mobiles pratiquent également des tarifs préférentiels vis-à-vis de certains de leurs clients, souvent dans le cadre d'offres promotionnelles à durée limitée ou alors à certaines heures, généralement pendant les heures dites " creuses " (soir et week-end) au cours desquelles le trafic est moins intense.
L'Autorité ne considère pas que de telles offres constituent des pratiques discriminatoires répréhensibles, notamment lorsque les clients se trouvent, objectivement, dans des situations de consommation différentes (durée d'engagement différente, trafic inférieur, utilisation en heures creuses,...).
En revanche, une mesure de différenciation tarifaire vis-à-vis d'un client final, qui ne serait pas justifiée par une différence objective de situation, notamment d'ordre économique, peut être considérée comme créant des conditions de vente discriminatoires et donc constitutive d'un abus de position dominante, au titre de l'alinéa 1er de l'article L. 420-2 du Code de commerce, lorsqu'elle est mise en œuvre par un opérateur en position dominante.
Tel pourrait être le cas de la surtarification des appels depuis le réseau d'Orange France vers les autres réseaux mobiles, si cette mesure n'était pas justifiée économiquement (discrimination dans les conditions de vente au client final en fonction du réseau de destination).
De plus, sont interdites au titre de l'article L. 442-6 du même Code les pratiques discriminatoires mises en œuvre vis-à-vis de " partenaires économiques " lorsqu'elles ne sont pas justifiées par des différences objectives de situation. L'interdiction d'une telle pratique, qui vaut pour tout acteur économique indépendamment de sa position sur le marché, est également constitutive d'un abus de position dominante et à ce titre explicitement citée au 2e alinéa de l'article L. 420-2.
Les opérateurs mobiles se trouvent dans une situation de " partenaires économiques " pour un appel d'un réseau vers un autre, notamment puisqu'ils sont tenus d'acheminer les communications, du fait de l'obligation d'interopérabilité entre réseaux imposée par le 9° de l'article L. 32 et le I de l'article L. 34-8 du Code des postes et télécommunications.
Si cette mesure entraînait des effets discriminatoires susceptibles de procurer un désavantage concurrentiel aux partenaires économiques d'Orange France que sont SFR et Bouygues Télécom (ses concurrents directs), elle pourrait également être considérée comme constitutive d'un abus de position dominante au titre du 2e alinéa de l'article L. 420-2.
3.4 Sur la justification économique de la surtarification des appels à destination des réseaux mobiles tiers
Orange France a publiquement justifié la surtarification mise en œuvre par les coûts supérieurs encourus du fait de la terminaison de ces appels sur les réseaux des opérateurs tiers (cf. § 3.5 ci-dessous).
L'Autorité relève tout d'abord qu'aujourd'hui, les forfaits comprennent des communications qui encourent des prix de terminaison très différents entre appels mobiles vers fixes et appels mobiles vers mobiles (3). Les opérateurs mobiles ont ainsi calculé leur forfait (en prix et en durée) en prenant en compte une certaine répartition des appels (mobile vers mobile et mobile vers fixe) : le prix des forfaits est déterminé en fonction d'un panier moyen de consommation et tient compte de la disparité des coûts des communications inclues dans ce forfait. L'Autorité considère donc qu'il n'est pas inéluctable que des communications encourant des coûts supérieurs donnent automatiquement lieu à une surtarification à l'extérieur du forfait, puisque cela n'est pas le cas aujourd'hui.
L'Autorité examine maintenant, en fonction de l'architecture et du coût des appels entre mobiles, la justification éventuelle d'une surtarification des appels à destination des réseaux tiers.
3.4.1 L'économie des appels entre opérateurs mobiles
Un appel mobile vers mobile met en jeu plusieurs éléments de réseau : boucle radio, traitement d'appel, lien d'interconnexion sortante, lien d'interconnexion entrante, lien entre commutateurs, localisation, messagerie vocale.
Ainsi, si l'on considère deux opérateurs A et B :
- un appel d'un mobile du réseau de A vers un autre mobile du réseau de A (traditionnellement appelé appel " on-net ") met en jeu une boucle radio de A au départ, un traitement d'appel par A, puis une terminaison sur A constituée par une localisation de l'abonné par A, un lien entre commutateurs de A et une boucle radio de A à l'arrivée (ou un renvoi sur messagerie si l'abonné n'est pas disponible) ;
- un appel d'un mobile du réseau de A vers un mobile du réseau de B (traditionnellement appelé appel " off-net ") met en jeu une boucle radio de A au départ, un traitement d'appel par A, un lien d'interconnexion sortante pour A puis une terminaison sur B constituée par un lien d'interconnexion entrante sur B, une localisation de l'abonné par B, un lien entre commutateurs de B et une boucle radio de B à l'arrivée (ou un renvoi sur messagerie si l'abonné n'est pas disponible).
Le coût unitaire d'usage d'un appel est établi comme la somme, pondérée par les différents " facteurs de routage " (4), des coûts unitaires des éléments de réseau.
Conformément aux lignes directrices publiées en annexe de la décision n° 01-458 de l'Autorité en date du 11 mai 2001, les opérateurs puissants SFR et Orange France transmettent chaque année à l'Autorité une documentation sur leurs coûts de réseaux, habituellement appelée " reporting ".
De ces " reporting ", il ressort que le coût d'un appel mobile vers mobile est principalement supporté par deux éléments du réseau : la boucle radio et la fonction de localisation ; les coûts des autres éléments de réseau éventuellement mis en jeu (liens d'interconnexion par exemple dans le cas d'un appel " off-net ") sont de l'ordre de [...] d'euro par opération, à comparer avec les coûts d'une boucle radio ou d'une localisation qui sont de l'ordre de quelques [...] d'euro par opération.
En terme de coût, on peut donc conclure :
- qu'un appel d'un mobile du réseau de A vers un mobile du réseau de A (appel " on-net ") met principalement en jeu une boucle radio de A au départ puis une terminaison sur A ;
- qu'un appel d'un mobile du réseau de A vers un mobile du réseau de B (appel " off-net ") met principalement en jeu une boucle radio de A au départ puis une terminaison sur B.
Ainsi, ces deux catégories d'appels mettent en jeu strictement les mêmes éléments de réseau, d'autant que les réseaux mobiles se " chevauchent " : il n'y a pas de raison pour qu'un appel " on-net " soit physiquement plus court qu'un appel " off-net ".
Les différences de coût ne peuvent donc résulter que des différents coûts unitaires des éléments de réseau. L'Autorité étudie alors ces différences éventuelles dans une situation de " bill and keep " puis en cas de sortie du système de " bill and keep ".
3.4.2 Dans la situation actuelle de " bill and keep "
Le système de " bill and keep " est celui actuellement pratiqué par les opérateurs mobiles, dans lequel ils échangent entre eux les prestations de terminaison d'appel sur leur réseau, sans que cela donne lieu à rémunération effective de la terminaison. Les opérateurs se rendent mutuellement un service équivalent, qu'ils décident de ne pas se facturer, par simplicité.
Il s'agit donc d'un système de " troc " fondé sur une symétrie du volume de trafic échangé entre les opérateurs mobiles. Pour que le système soit équitable entre deux opérateurs A et B, il suffit que le volume de trafic allant de A à B soit identique au volume de trafic allant de B à A, quel que soit le volume total de trafic généré par A ou par B (les opérateurs pouvant donc être de taille très différente).
A partir des chiffres dont elle dispose (provenant notamment du service universel) l'Autorité confirme la quasi-symétrie du volume de trafic échangé entre les opérateurs mobiles métropolitains en 1999, 2000 et 2001. L'écart de trafic par rapport à un trafic rigoureusement symétrique fluctue dans un sens ou dans l'autre suivant les années : il est donc impossible d'affirmer que le " bill and keep " profite à un opérateur précis.
Dès lors, dans un système de " bill and keep " où chaque opérateur mobilise sur son réseau les ressources nécessaires à la terminaison des appels provenant des autres réseaux, un appel aboutissant sur le réseau d'un opérateur tiers coûte à l'opérateur à l'origine de l'appel le prix d'une terminaison qu'il mobilise sur son propre réseau pour l'opérateur tiers.
Ainsi, pour un opérateur A, dans le système de " bill and keep " :
- un appel d'un mobile du réseau de A vers un mobile du réseau de A (appel " on-net ") coûte à l'opérateur A une boucle radio au départ augmentée d'une terminaison sur son réseau ;
- un appel d'un mobile du réseau de A vers un mobile du réseau de B (appel " off-net ") coûte à l'opérateur A une boucle radio au départ augmentée d'une terminaison sur son réseau qu'il mobilise par réciprocité pour recevoir les appels de l'opérateur B.
Dans les conditions actuelles du système de " bill and keep ", le coût d'un appel " on-net " et le coût d'un appel " off-net " sont donc rigoureusement identiques.
Si toutefois le volume de trafic échangé venait à ne plus être symétrique, certains opérateurs trouveraient avantage au système de " bill and keep " au dépend d'autres opérateurs. En particulier, si les abonnés d'un réseau A n'appellent plus les abonnés d'un réseau B, l'opérateur A devient perdant puisqu'il fournit un service à B (la terminaison d'appel sur son réseau) que l'opérateur B ne lui fournit plus en quantité égale.
Or la surtarification imposée par Orange risque de décourager les appels vers les réseaux tiers, entraînant une baisse du volume de trafic partant d'Orange pour rejoindre les réseaux tiers. Ce volume sera alors inférieur au volume de trafic partant des réseaux tiers pour rejoindre Orange, ce qui signifie que cette mesure lui sera économiquement défavorable.
Ainsi, l'Autorité estime que, dans le cadre d'un système de " bill and keep ", une surtarification des appels émis depuis un réseau mobile à destination d'un réseau mobile tiers n'est pas économiquement justifiée.
3.4.3 Dans l'hypothèse d'une sortie du système de " bill and keep "
En cas d'abandon du système de " bill and keep ", les charges de terminaison d'appel donneraient lieu à des transactions financières réelles entre opérateurs, pouvant dès lors révéler des coûts d'usage différents entre opérateurs pour un même élément de réseau.
Les opérateurs sont en cours de négociation sur ce thème depuis quelques années, sans que ces négociations n'aient abouti, probablement parce que :
- les volumes de trafic échangés ne font pas apparaître de manière claire de dissymétrie en faveur d'un opérateur particulier ;
- la valorisation comptable des flux financiers provenant de la terminaison d'appel mobile vers mobile dégraderait mécaniquement certains ratios regardés de près par les analystes financiers (notamment le rapport excédent brut d'exploitation sur chiffre d'affaire).
Si le système de " bill and keep " devait être abandonné, il semblerait légitime, conformément à l'avis du Conseil de la concurrence n° 01-A-01 en date du 16 mars 2001 sur le prix des appels du réseau fixe vers les mobiles, qu'un opérateur pratique des tarifs de détails différenciés vers les réseaux concurrents, dès lors que les coûts d'acheminement de ces appels sont différents.
Comme il ressort du § 3.4.1, en terme de coût :
- un appel d'un mobile du réseau de A vers un mobile du réseau de A (appel " on-net ") met en jeu une boucle radio de A au départ puis une terminaison sur A ;
- un appel du réseau de A vers le réseau de B (appel " off-net ") met en jeu principalement une boucle radio de A au départ puis une terminaison sur B.
La seule différence significative de coût entre un appel " on-net " et un appel " off-net " réside donc dans le prix de la terminaison d'appel.
Comme cela est établi au § 1.3, à la date du 8 octobre 2002, les charges de terminaison d'appel facturées par Orange France et SFR sont identiques et correspondent à un revenu moyen de [...] euro par minute ; la charge de terminaison d'appel facturée par Bouygues Télécom correspond à un revenu moyen de [...] euro par minute, soit [...] euro par minute de plus que les deux autres opérateurs.
Si les opérateurs mobiles sortaient du système de " bill and keep ", on peut déduire des éléments précédents :
- qu'un appel d'un mobile Orange France vers un mobile SFR engendrerait le même coût à Orange France qu'un appel d'un mobile Orange vers son propre réseau ; en effet, dans le premier cas, Orange France utilise une terminaison d'appel que SFR lui facture [...] euro par minute ; dans le deuxième cas, Orange France mobilise une terminaison d'appel sur son réseau qu'il aurait pu facturer [...] euro par minute s'il l'avait vendue à un autre opérateur ;
- qu'un appel d'un mobile Orange France vers un mobile Bouygues Télécom engendrerait pour Orange France un coût supérieur de [...] euro par minute comparé à un appel d'un mobile Orange France vers son propre réseau ; le raisonnement est identique ;
En conclusion de ce paragraphe, une différenciation du prix de détail des appels en fonction du prix de terminaison des réseaux appelés peut être justifiée, pour autant qu'elle reflète les seuls coûts réellement encourus. Or il ressort des éléments précédents qu'une surtarification des appels vers les autres réseaux mobiles de 0,12 euro par minute est, d'une part, excessive par rapport à l'écart des coûts encourus dans le cas des appels vers le réseau de Bouygues Télécom et, d'autre part, non justifiée dans le cas des appels vers le réseau de SFR.
3.5 Sur l'atteinte à l'image de Bouygues Télécom
Cette surtarification, qui ne peut donc pas se justifier économiquement par le coût des réseaux concurrents, risque pourtant être perçue comme telle par le client.
En particulier, lorsque le client d'Orange France recevra des factures où apparaîtra le prix des communications à destination de ses correspondants abonnés aux réseaux mobiles tiers, il constatera le prix plus élevé de ces appels, et risque d'en reporter la responsabilité sur les coûts du réseau appelé. Il se produira vraisemblablement un " effet facture " défavorable à l'image de Bouygues Télécom et à celle de SFR, et ce d'autant plus que la fourniture au client d'une facturation détaillée gratuite fait partie des obligations des opérateurs depuis le 1er septembre 2002.
La réalité de ce risque est corroborée par les annonces publiques des représentants de la société Orange France qui justifient officiellement la surtarification imposée aux appels vers les réseaux concurrents en tirant argument des coûts d'utilisation de ces réseaux (cf. les annexes de la saisine de l'association UFC Que choisir : magazine " 01 Réseaux " du 11 septembre 2002 ou retranscription de l'émission " le téléphone sonne " du 26 août 2002).
Cette présentation peut conduire l'utilisateur à penser à tort que l'utilisation du réseau des concurrents est plus onéreuse, ce qui est de nature à leur causer un préjudice immédiat, et notamment à Bouygues Télécom.
3.6 Sur les conséquences pour les utilisateurs
Orange France a annoncé à ses abonnés, par un courrier qui leur a été adressé dans la deuxième quinzaine d'août, la mise en place au 15 septembre 2002 de son nouveau système de facturation. Ses abonnés aux forfaits pouvaient manifester avant le 6 septembre leur souhait de conserver l'ancienne tarification. Ce nouveau système a plusieurs effets immédiats pour les consommateurs :
- cette offre a un champ très large. Elle concerne, sans possibilité de choix, tous les utilisateurs prépayés et abonnés " compte mobile ". Le mode opératoire consistant à faire migrer tous les autres abonnés (forfaits classiques) vers la nouvelle tarification, sauf refus exprès de leur part, peut conduire à faire relever du nouveau système une très forte proportion d'entre eux. Ce procédé renforce donc vraisemblablement le nombre total d'abonnés d'Orange France qui seront facturés en fonction du réseau appelé et accentue par là même mécaniquement " l'effet tribu " ;
- la surtarification a un impact important pour le consommateur en ce qu'elle supprime de fait la notion de " forfait ", le consommateur ne pouvant plus anticiper le montant prévisible de ses dépenses ;
- enfin, la présentation faite par Orange France, notamment dans ses publicités, de la surtarification comme étant très faible (" deux millièmes d'euro par seconde ", cf. les annexes de la saisine de l'association UFC Que Choisir) peuvent induire les consommateurs en erreur sur les montants réellement en jeu. Cette présentation est donc de nature à limiter l'effet attendu, en matière de visibilité et de comparabilité, de la facturation à la seconde.
3.7 Sur les risques potentiels pour le marché
L'Autorité souligne l'importance de la décision que prendra le Conseil, certes vis à vis des parties concernées, mais également pour le marché de la téléphonie mobile.
L'Autorité craint que la pratique de surtarification d'Orange France puisse porter une atteinte grave et immédiate au secteur en général et in fine aux consommateurs.
En effet, compte tenu de sa part de marché, et si la pratique de surtarification d'Orange France n'était pas suspendue, SFR pourrait adopter, par choix ou par contrainte économique, une pratique identique à celle d'Orange de surtarification des appels à destination des réseaux concurrents.
Tout autre opérateur mobile serait alors placé face à deux opérateurs puissants, occupant plus de 80 % de parts de marché et appliquant une surtaxe vers les appels à destination de ses mobiles, ce qui lui serait gravement préjudiciable.
Enfin, tous les utilisateurs seraient finalement les victimes de telles pratiques : dans l'obligation d'accepter une surtarification lors d'un appel vers un réseau autre que celui auquel ils sont raccordés, les consommateurs perdraient la maîtrise de leur consommation ; cette pratique pourrait ainsi contribuer à une augmentation généralisée de la facture de l'abonné.
Par ailleurs, les nouvelles mesures tarifaires de la société Orange France qui entrent en vigueur à la mi-septembre, toucheront particulièrement la période de fin d'année, qui au cours des années précédentes, a représenté environ 40 % de la croissance annuelle du marché.
4. Sur les demandes de Bouygues Télécom, de l'UFC Que Choisir et de la CLCV au titre des mesures conservatoires
L'Autorité conclut des analyses précédentes :
- qu'Orange France occupe sur le marché de la téléphonie mobile en France une position forte dont il n'est pas exclu qu'elle puisse être qualifiée de dominante ;
- que le nouveau mode de facturation des appels vers les réseaux tiers, tel qu'imposé par Orange France, risque d'avoir un effet immédiat, préjudiciable à la concurrence et ainsi de porter gravement atteinte à l'équilibre du marché de la téléphonie mobile en France ;
- que le nouveau mode de facturation des appels vers les réseaux tiers, tel qu'imposé par Orange France, ne trouve pas de justification économique dans le système actuel de " bill and keep " qui régit les relations entre opérateurs pour la facturation des appels mobile vers mobile ;
- qu'en cas de sortie du système de " bill and keep ", la surtarification des appels vers les réseaux tiers imposée par Orange France serait d'un niveau excessif au vu des coûts réellement encourus dans le cas d'un appel vers le réseau de Bouygues Télécom, et non justifiée économiquement dans le cas d'un appel vers le réseau de SFR ;
- que le nouveau mode de facturation des appels vers les réseaux tiers, tel qu'imposé par Orange France, ne semble donc pas relever d'une concurrence par les mérites ;
- qu'il n'est ainsi pas exclu que le nouveau mode de facturation des appels vers les réseaux tiers, tel qu'imposé par Orange France, puisse constituer un abus de position dominante.
Compte tenu des éléments précédents, l'Autorité de régulation des télécommunications est d'avis qu'il y a lieu pour le Conseil de la concurrence d'enjoindre à Orange France, à titre de mesure conservatoire, de suspendre la surtarification pour les appels à destination des réseaux tiers, et d'assurer la bonne information du public selon des modalités qu'il estimera appropriées.
La formulation des mesures conservatoires par le Conseil pourrait également laisser à Orange France la faculté de mettre en œuvre le passage à la tarification à la seconde suivant des modalités qui, tout en prenant en compte les contraintes économiques de l'entreprise, soient conformes aux règles de la concurrence par les mérites.
[...] passages relevant du secret des affaires
(1) Les opérateurs Orange France et SFR sont désignés par l'Autorité, après avis du Conseil de la concurrence, comme " opérateurs puissants " au titre de l'article L. 36-7-7° du Code des postes et télécommunications.
(2) La durée de validité des cartes prépayée de Bouygues Télécom est passée de 12 à 8 mois dans un premier temps, puis à 8 mois, 6 mois ou 3 mois dans un deuxième temps. Ces nouvelles durées de validité rapprochent les offres de Bouygues Télécom de celles des autres opérateurs mobiles.
(3) Dans le système de " bill and keep ", même si les opérateurs mobiles ne se facturent pas entre eux, ils encourent tout de même un coût équivalent à l'immobilisation de ressources, par réciprocité (voir infra § 3.4.2.).
(4) Le facteur de routage désigne la quantité d'élément de réseau employé statistiquement par une catégorie de communication.
Annexe : L'offre de " tarification à la seconde " d'Orange France
A partir du 15 septembre 2002, la tarification des appels émis depuis la plupart des formules d'abonnement au réseau Orange France est modifiée. Le croisement des informations figurant dans divers documents commerciaux d'Orange France (site internet www.orange.fr, fiche tarifaire au 15 septembre 2002 " découvrir l'offre Orange France spécial rentrée ") permet de reconstituer la gamme tarifaire dont les principaux éléments concernant les présentes saisines sont présentés ci-après.
A. Pour les forfaits " Orange " (2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 heures et 15 heures)
- la durée des communications comprises dans le forfait (appels vers réseau fixe en France métropolitaine et Monaco, appels vers les mobiles Orange France), est décomptée du forfait à la seconde dès la première seconde ;
- les communications vers les autres réseaux mobiles métropolitains sont incluses dans les forfaits (leur durée est décomptée à la seconde dès la 1ère seconde) mais donnent lieu à une tarification supplémentaire de 0,002 euro par seconde (soit 0,12 euro par minute) ;
- les communications au-delà du forfait en métropole sont tarifés à la seconde, avec tarification supplémentaire de 0,002 euro par seconde (soit 0,12 euro par minute) lorsque les appels s'effectuent vers les autres réseaux mobiles ;
- les communications hors forfait, tels les appels internationaux ou vers les numéros spéciaux, sont tarifées à la seconde au-delà d'une première minute indivisible, les appels vers les DOM sont tarifés comme des appels vers la zone Europe. Pour les appels de roaming sortant, il n'y a pas de distinction en fonction du réseau de destination de l'appel.
La modification du régime de tarification se fait automatiquement sauf demande contraire de l'abonné avant le 6 septembre 2002. Le client aurait la possibilité de conserver l'ancien mode de tarification, s'il le demande avant le 15 décembre 2002 (1ère minute indivisible, palier de 30 secondes, pas de surtarification des appels vers les autres réseaux mobiles).
B. Pour les " offres avec compte mobile " (système prépayé rechargeable distinct de la Mobicarte)
Toutes les communications de cette gamme sont facturées à la seconde après une 1ère minute indivisible, sauf les communications du " forfait 1 heure avec compte mobile " où les minutes comprises dans le forfait sont décomptées à la seconde dès la première seconde. Au delà de l'heure comprise dans le forfait, la tarification intervient à la seconde après la 1ère minute indivisible, comme pour les autres " offres avec compte mobile ".
Le tarif des communications à destination du réseau fixe et des mobiles Orange France est de 0,3 euro par minute, celui des communications à destination des autres réseaux mobiles métropolitains est de 0,42 euro par minute, soit une surtarification de 0,12 euro par minute.
La possibilité de conserver l'ancien système de tarification n'est pas ouverte pour les clients des " offres avec compte mobile ".
C. Pour les " Mobicartes " (cartes prépayées rechargeables)
Les appels vers des réseaux fixes français ou étrangers, les appels vers les réseaux mobiles et les connexions Wap sont décomptées à la seconde au-delà de la 1ère minute indivisible. Mais le système de tarification est différencié selon le destinataire de l'appel.
La possibilité de conserver l'ancien système de tarification n'est pas ouverte pour les clients des " Mobicartes ".
D. Pour les anciennes offres
Les anciennes offres de type " Ola ", qui ne sont plus commercialisés depuis 2000 et représentent probablement aux alentours de 10 % du parc d'abonnés, ne sont pas concernées par le changement de tarification. Les clients sont incités par le site Internet d'Orange France à modifier gratuitement leur contrat, sans frais et sans modification du numéro.