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Décisions

CA Nîmes, 1re ch. A, 2 mai 2000, n° 1384-98

NÎMES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Groupama (Sté), CRAMA Nord (Sté), Etablissements Blondeau (Sté)

Défendeur :

Silvestre, Ferrato, du Grand Arbaud (SCA), Jonquet (époux), Kolsto, Association Cat Le Grand Real (Sté), Marchetti

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Deltel

Conseillers :

MM. Bouloumie, Nicolai, Mme Miquel-Pribile

Avoués :

SCP Guizard-Servais, SCP Fontaine-Macaluso-Jullien

Avocats :

Mes Stoeber, Chaix

TGI Tarascon, du 2 août 1991

2 août 1991

Faits, procédure et prétentions des parties :

Courant 1986, les intimés, agriculteurs dans la région d'Arles, ont acquis de la société Epi de Provence, des semences de pois "Colvert" provenant de la société les Etablissements Blondeau, assurée auprès de la compagnie la CRAMA du Nord. Après ensemencement, la germination normalement commencée s'est brusquement arrêtée.

L'expert judiciaire Bourdin, désigné par ordonnance de référé du président du Tribunal de grande instance de Paris en date du 19 février 1987, a conclu que le blocage de la végétation avait pour origine la pollution du matériel utilisé par les Etablissements Blondeau lors du traitement des semences et que celles-ci ne présentaient pas, en conséquence, les qualités germinatives prévues.

Trois procédures distinctes ont été engagées devant le Tribunal de grande instance de Tarascon par les agriculteurs concernés contre les Etablissements Blondeau et leur assureur la CRAMA du Nord, pour obtenir réparation des dommages culturaux subis par exploits des 19 et 25 juin 1990 par Monsieur Raymond Silvestre, par exploits des 25 et 27 juin 1990 par la SCA du Grand Arbaud, par exploits des 25 et 27 juin 1990 par l'hoirie Jonquet, par l'Association Cat Le Grand Real et par Monsieur Robert Marchetti.

Par trois jugements prononcés le 2 août 1991, le Tribunal de grande instance de Tarascon a:

- déclaré les Etablissements Blondeau responsables des dommages culturaux subis par les demandeurs du fait de défaut de conformité des semences produites et délivrées par eux sur la base de l'article 1147 du Code civil,

- condamné en conséquence cette société ainsi que la CRAMA du Nord, celle-ci dans la limite de son contrat d'assurance, à payer:

* à Monsieur Silvestre la somme de 28 265,71 F et celle de 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

* à la SCA du Grand Arbaud la somme de 64 572,28 F et celle de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

* à l'hoirie Jonquet la somme de 33 351,18 F et celle de 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à l'Association Cat Le Grand Real la somme de 5 130,95 F et celle de 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

*à Monsieur Marchetti la somme de 26 654,76 F et celle de 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les trois jugements étaient assortis de l'exécution provisoire, sauf pour les condamnations prononcées sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par déclarations du 27 septembre 1991, la société des Etablissements Blondeau et la Compagnie d'Assurance CRAMA du Nord ont relevé appel de ces trois jugements.

La Cour d'appel d'Aix-en-Provence, après avoir ordonné la jonction des trois procédures a, par arrêt du 14 mars 1995 :

- rejeté la fin de non recevoir présentée par les appelants, tendant à faire déclarer l'action prescrite en vertu de l'article 1684 du Code civil,

- confirmé le jugement entrepris,

- dit que la Compagnie CRAMA du Nord n'était pas fondée à se prévaloir de la clause de police souscrite par la société les Etablissements Blondeau excluant la valeur des semences livrées,

- condamné les appelantes à payer aux intimés des sommes supplémentaires de 3.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur le pourvoi formé par la société Etablissements Blondeau et la Compagnie CRAMA du Nord, la Cour de cassation, Première chambre civile, par arrêt du 18 novembre 1997, a cassé dans toutes ses dispositions l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, en lui faisant grief d'avoir alloué des dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1147 du Code civil, alors que les défauts qui rendent la chose impropre à sa destination normale constituent les vices cachés de la chose vendue.

Devant la Cour de céans, Cour de renvoi, les appelants demandent à la cour de dire que les rapports liant les parties sont de nature contractuelle, que les intimés n'ont pas exercé leurs actions à bref délai, et qu'en conséquence, en vertu de l'article 1648 du Code civil, leurs actions sont prescrites. Ils concluent à la condamnation de chacun des intimés à leur payer la somme de 2 500 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Ils contestent à titre subsidiaire le montant du préjudice, la phytotoxicité ayant été accentuée par les dégâts du gel de la neige, des remontées de sel en Camargue, de la pluviosité importante et de l'inondation des parcelles.

La CRAMA du Nord soutient que la police qu'elle a souscrit avec les Etablissements Blondeau, exclut la garantie de la valeur des semences livrées.

La SCA du Grand Arbaud, l'hoirie Jonquet et Monsieur Marchetti demandent à la cour de :

- Dire et juger recevable leur action comme non prescrite ;

- Débouter en conséquence les Etablissements Blondeau et la Compagnie d'Assurance CRAMA du Nord de leur appel ;

- Réformer le jugement entrepris sur l'évaluation du préjudice concernant la SCA du Grand Arbaud, et condamner les Etablissements Blondeau et leur assureur à payer à la SCA du Grand Arbaud la somme de 107 618,17 F augmentée de 10 000 F à titre de dommages et intérêts supplémentaires ;

- Confirmer le jugement entrepris quant aux condamnations principales allouées à l'hoirie Jonquet et à Monsieur Robert Marchetti, et y ajoutant, condamner les Etablissements Blondeau et leur assureur à payer à l'hoirie Jonquet et à Monsieur Robert Marchetti la somme de 10 000 F chacun à titre de dommages et intérêts supplémentaires ;

- Condamner en outre les Etablissements Blondeau et la Compagnie d'Assurance CRAMA du Nord à payer à chacun des concluants la somme de 20 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Madame Silvestre née Poncino et Madame Ferrato née Silvestre, prises en leur qualité d'héritières de Monsieur Raymond Silvestre, et l'Association Cat Le Grand Real, assignées le 2 février 2000, n'ont pas constitué avoué.

Motifs :

Attendu qu'il convient dans l'intérêt d'une bonne justice, d'ordonner la jonction des trois procédures d'appel ;

Sur la recevabilité des actions :

Attendu que les Etablissements Blondeau, qui ont fourni les semences de pois Colvert à l'origine du litige, sont responsables à l'égard des agriculteurs concernés sur le fondement de l'article 1641 du Code civil, des défauts cachés de la chose vendue, que l'action résultant des vices rédhibitoires, doit être intentée dans le bref délai de l'article 1648 du même Code ;

Attendu que les Etablissements Blondeau, les défauts de germination des semences apparus en décembre 1986, leurs ayant été signalés de plusieurs régions ont pris rapidement l'initiative pour empêcher le dépérissement des preuves, car telle est la justification du bref délai, d'attraire devant le Juge des Référés la société La Quinoleine, fournisseur des produits qu'ils avaient utilisés pour traiter les semences, aux fins d'obtenir la désignation d'un expert ;

Attendu que par ordonnance de référé du 19 février 1987, le président du Tribunal de grande instance de Paris a commis l'expert phytosanitaire Bourdin pour notamment vérifier la faculté germinative des divers lots de pois litigieux, visiter les principales parcelles ensemencées livrées par les distributeurs revendeurs, en particulier la société Epi de Provence à Arles, et chiffrer le préjudice subi par les agriculteurs ;

Attendu que cette expertise, à travers la société Quinoleine, concernait les agriculteurs utilisateurs des semences puisque l'expert avait reçu pour mission de chiffrer leur préjudice ;

Attendu que ces agriculteurs ont participé à l'expertise, l'expert ayant visité les principales parcelles ensemencées et leur ayant demandé de lui fournir les documents comptables dont il avait besoin pour chiffrer leur préjudice;

Attendu que pour les intimés, l'expert Bourdin a procédé à ces évaluations aux pages 138, 140, 143, 146, 180 et 181 de son rapport;

Attendu que le 27 janvier 1987, l'ingénieur Thibaudat qui suivait les opérations d'expertise pour le compte de la CRAMA du Nord, assureur des Etablissements Blondeau, écrivait à la société Epi Provence qui avait revendu les semences aux intimés :"Cette procédure est en cours et doit donner toute garantie aux agriculteurs lésés et à nous même quant à l'indemnisation du préjudice de chacun dont le montant sera fixé par l'expert judiciaire" ;

Attendu que cette expertise ordonnée dans les mois qui ont suivi la découverte du vice caché, a donc interrompu, à l'égard des intimés, le bref délai de l'article 1648 du Code civil et a fait courir la prescription de droit commun ;

Attendu en conséquence que les actions engagées par assignations des 19, 25 et 27 juin 1990 sont recevables;

Sur la garantie du vendeur et sur l'évaluation des préjudices :

Attendu que l'expert Bourdin a conclu, sans être contesté sur ce point, que le blocage de la germination avait pour origine la pollution du matériel (cuve et ensemble de l'appareil vétuste et extrêmement encrassé du fait de son usage intensif) utilisé par les Etablissements Blondeau lors du traitement des semences;

Attendu que de ce fait, les semences ne présentaient pas les qualités germinatives prévues, qu'il s'agit là d'un vice caché pour lequel les Etablissements Blondeau sont tenus à garantie;

Attendu, pour répondre aux critiques des appelants, que l'expert Bourdin a évalué les préjudices par comparaison aux rendements obtenus avec une variété de référence Frisson, communiqués par Epi Provence, lesquels étaient tributaires des facteurs climatiques de l'année (page 137 du rapport);

Attendu en ce qui concerne la SCA du Grand Arbaud que l'expert a fixé la perte de rendement à 28,8 quintaux l'hectare qui est la moyenne des rendements obtenus avec la variété de référence Frisson sur une surface importante comportant les propriétés Marchetti, SCA Millet, SA Foret et Sylvestre (page 137 du rapport), que rien ne prouve que le rendement sur la SCA du Grand Arbaud aurait été supérieur;

Attendu que les jugements entrepris qui ont reproduit les évaluations de l'expert, seront confirmés de ces chefs ;

Sur la garantie due par la Compagnie CRAMA du Nord aux Etablissements Blondeau :

Attendu que si la police souscrite par la société Etablissements Blondeau, exclut la valeur des semences livrées, il convient d'observer qu'aucune somme n'a été accordée à ce titre aux intimés, dont le préjudice ne consiste qu'en une perte de rendement; que la Compagnie CRAMA du Nord doit en conséquence sa garantie pour les condamnations prononcées ;

Sur les dommages et intérêts supplémentaires et sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Attendu que les intimés ne justifient pas de l'existence d'un préjudice financier autre que celui déjà réparé par les sommes qui leur ont été allouées par le Tribunal ;

Attendu qu'il convient d'accorder à chacun d'entre eux ayant constitué avoué, une somme supplémentaire de 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, en matière civile et en dernier ressort, Chambres réunies sur renvoi de Cassation, Vu l'arrêt de la Cour de Cassation du 18 novembre 1992 ; Ordonne la jonction des trois procédures d'appel Déclare les appels recevables; Déclare les actions recevables sur le fondement des articles 1641 et 1648 du Code civil ; Confirme dans toutes leurs dispositions, par substitution de motifs, les trois jugements du Tribunal de grande instance de Tarascon du 2 août 1991 portant les numéros n° 1040-1041 et 1082 de 90; Y ajoutant; Dit que la Compagnie CRAMA du Nord n'est pas fondée à se prévaloir de la clause de police souscrite par la société Etablissements Blondeau excluant la valeur des semences livrées; Condamne la société Etablissements Blondeau et la Compagnie CRAMA NORD à payer au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à la SCA du Grand Arbaud, à l'hoirie Jonquet et à Monsieur Marchetti, à chacun une somme supplémentaire de 3 000 F ; Condamne les mêmes aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP Fontaine-Macaluso-Jullien, avoués.