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Décisions

CA Douai, 2e ch. civ., 14 décembre 1989, n° 5843-88

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Blamengin&Cie (SARL)

Défendeur :

Couque

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bononi

Conseillers :

M. Besse, Mme Giroud

Avoués :

SCP Levasseur-Castille, SCP Le Marc'Hadour-Pouille

Avocats :

Mes Bourgain, Gerard.

T. com. Boulogne-sur-Mer, du 13 sept. 19…

13 septembre 1988

Le 26 septembre 1982, l'arrière port de plaisance de Boulogne-sur-Mer s'étant vidé accidentellement, le bateau de M. Couque s'échoue sur la vase.

Ayant constaté des infiltrations d'eau et des désordres des deux lignes d'arbres, M. Couque en accord avec l'expert de la compagnie d'assurances, confie aux Etablissements Blamengin la réparation des avaries ; les travaux sont exécutés en janvier-février-mars 1983 et facturés 27 248,35 F. Le bateau est remis à l'eau le samedi 31 mars 1983 ; le lundi 2 avril, M. Couque adresse aux Etablissements Blamengin une lettre recommandée protestant contre les négligences dans la protection des aménagements intérieurs du bateau et l'inachèvement ou la mauvaise exécution d'un certain nombre de travaux (liste).

La société Blamengin répond le 2 mai " nous sommes intervenus sur votre bateau pour la remise en état de quelques prescriptions ", réclame les clefs et demande une rencontre sur le bateau " afin de mettre les choses au clair ".

Faute de solution, M. Couque assigne la société Blamengin en référé devant Monsieur le Président du Tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer qui désigne expert le 5 septembre 1984.

M. Delahen établit le 29 mars 1985 un rapport indiquant :

- que les Etablissements Blamengin ont fait preuve de négligence en ne prenant pas soin des tentures et de l'ameublement du bateau dont ils avaient la garde pendant les réparations ;

- que les réparations de la chaise babord n'ont pas été faites avec tout le savoir-faire que l'on pouvait attendre de ce chantier naval ;

- que les revêtements intérieurs des emménagements sont à refaire ainsi que les 2 lignes d'arbres, coût total 78 380 F.

Monsieur Couque assigne au fond la société Blamengin le 20 août 1985 devant le Tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer en paiement de la somme susvisée et de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le tribunal par jugement du 13 septembre 1988 déclare prescrite l'action relative aux réparations et condamne la société Blamengin à payer à M. Couque:

- la somme de 23 380 F pour les dégradations des tentures et ameublements avec intérêt de l'assignation,

- 1 500 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- refuse l'exécution provisoire et condamne la société Blamengin aux dépens.

La société Blamengin a relevé appel limité aux dispositions du jugement prononçant condamnations pécuniaires à son encontre ; elle demande l'annulation du rapport d'expertise pour absence de contradiction et le débouter de M. Couque de toutes ses demandes ; subsidiairement elle demande de constater que la preuve de sa faute n'est pas rapportée ; elle réclame condamnation de M. Couque aux dépens et au paiement de 3 500 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Monsieur Couque demande à la cour de débouter la société Blamengin, de réformer le jugement en ce qui concerne la prescription de l'action relative aux réparations, d'entériner le rapport d'expertise, de condamner la société Blamengin au paiement de :

- 78 383 F avec intérêts du 29 mars 1985,

- 15 000 F de dommages-intérêts pour trouble de jouissance et procédure abusive et dilatoire,

- de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- des entiers dépens.

Sur la prescription :

La société Blamengin souligne que M. Couque, connaissant les prétendus vices le 2 avril 1983 n'a assigné que le 20 août 1985, soit plus de deux ans après, et qu'il ne s'agit nullement d'un vice caché.

M. Couque conteste une réception du bateau le 2 avril 1983 au sens de la loi du 3 janvier 1967; il fait valoir :

* que les travaux étaient alors totalement inachevés et les embellissements dégradés, ainsi que constaté par l'expert,

* que si la société Blamengin avait reconnu dès le 2 mai 1983 la nécessité d'effectuer des réparations nouvelles, elle restait en conflit sur la nature et l'étendue des travaux alors inachevés,

* que le témoin Roland Hennequin atteste avoir remis à plusieurs reprises les clés du bateau à la société Blamengin afin que soit remédié aux dégâts occasionnés dans le cadre des travaux de réparation,

* que cette reconnaissance de responsabilité écrite de la part de la société Blamengin emporte suspension de tous les délais de prescription,

* que le point de départ du délai de prescription n 'a pu commencer à courir qu'à compter du dépôt du rapport d'expertise, la découverte des vices cachés ne pouvant être effective que par l'expert judiciaire.

Il n'est pas contestable que le propriétaire du bateau, après travaux, a pu constater des défectuosi- tés mais, n'étant pas un professionnel, il n'a pas été à même de découvrir la nature et l'étendue exacte des malfaçons, notamment de déterminer si elles avaient le caractère de vices cachés.

Seule l'expertise judiciaire a permis de préciser les dégâts consécutifs à des travaux mal réalisés et qui empêchaient un fonctionnement normal du bateau. Il s'agit donc bien de vices cachés révélés par l'expertise.

Leur découverte datant du rapport d'expertise, l'action intentée 5 mois après n'est pas prescrite.

Sur le rapport d'expertise :

La société appelante en conteste la validité au motif qu'il n'y aurait pas eu de réunion contradictoire d'expertise.

L'expert indique dans son rapport qu'il a convoqué les parties pour le 20 octobre 1984, qu'a la demande de M. Blamengin la réunion a été reportée au 10 novembre et qu'à cette date M. Blamengin ne s'est pas présenté.

Le conseil de la société Blamengin ayant fait part à l'expert le 16 avril 1985 de l'étonnement de sa cliente devant le dépôt du rapport alors qu'aucune date n'avait été fixée après le report de la réunion du 20 octobre, l'expert précisait dans sa réponse du 26 avril 1985 que M. Blamengin lui avait demandé oralement le 18 octobre 1984 de reporter la réunion au 10 novembre 1984 et qu'il avait noté cette date devant lui en disant même qu'il était inutile d'envoyer une seconde lettre recommandée.

Cette réponse, communiquée aux deux conseils, n'a jamais fait l'objet du moindre démenti.

Dans ces conditions, la société Blamengin est mal tenue à contester une expertise à laquelle elle s'est abstenue, en connaissance de cause; de participer.

Sur l'indemnisation :

L'expert comme les parties distinguent deux sortes de préjudice :

I - les aménagements intérieurs : selon l'expert, les dommages à la moquette proviennent de l'eau répandue dans le compartiment avant et se sont produits lorsque le bateau séjournait à terre; le manque d'aération pendant les travaux a fait que l'humidité s'est répandue causant décollements et décolorations des tissus de revêtement.

La société réparatrice conteste être responsable de ces dégâts apparents, faisant observer que l'avarie technique se situant au niveau de l'hélice arrière son personnel n'a jamais eu à pénétrer dans les aménagements intérieurs et n'accédait qu'au compartiment arrière, que les travaux ont été effectués fin mars 1983, qu'elle n'a pas été chargé de l'hivernage ni du nettoyage du bateau.

Deux témoins, MM. Dulieux et Monsigny, présents lorsque M. Rivenet expert de la compagnie d'assurances du propriétaire, a visité le bateau le 6 avril 1983 ont constaté état de saleté, humidité, tâches et présence d'eau dans les cales ; un autre témoin M. Cranham, qui a vu le bateau au chantier Blamengin pendant les réparations, note la position inclinée vers l'avant du bateau, d'où stagnation de l'eau (plus de 20 cms), importante condensation et moisissures de l'habillage interne.

Un expert maritime, M. Chevalier, mandaté par la société Blamengin pour étudier l'expertise judiciaire a établi le 13 février 1987 un rapport où il indique que requis lui-même en juillet 1984 par l'assureur corps du bateau il a contrôlé l'état de celui-ci et où il critique les dires de l'expert Delohen tant sur les aménagements que sur les réparations. Ce rapport sans aucun cachet d'avoué ou d'avocat ne semble pas avoir été communiqué et il n'en est pas fait état dans les conclusions de la société Blamengin. La cour n'en tiendra donc pas compte.

La cour observe qu'il n'a pas été dressé de constat de l'état du bateau en janvier 1983 lorsque la société Blamengin l'a pris en charge pour réparations; ce bateau était resté depuis plus de trois mois dans la vase, dans des conditions non précisées. Il n'a pas été demandé à la société Blamengin d'assurer son nettoyage et son entretien durant la période hivernale.

Dans ces conditions, la société Blamengin ne peut être tenue avec certitude pour responsable des dégâts internes.

II - les réparations : L'expert judiciaire parle - même si c'est sous forme non absolument affirmative- des dommages subis par les deux lignes d'arbres et les fixations des deux chaises lors de l'échouement; relevant la "construction vraiment rudimentaire sur ce type de bateau" des chaises, il explique que l'emplanture, ébranlée, a pris un certain jeu qui s'est amplifié avec les efforts appliqués par l'hélice ; il critique la méthode de réparation de la chaise babord et préconise la fabrication d'une nouvelle varangue servant à l'ancrage des chaises et l'installation de deux nouvel- les chaises d'un type renforcé : coût 45 000 F, ainsi que la remise en état des presse-etoupe et des travaux divers de contrôle, de rectification et nettoyage coût 10 000 F, total 55 000 F.

La société Blamengin objecte qu'elle n'a fait que procéder à la réparation demandée non seulement par M. et Mme Couque mais également par l'expert de leur compagnie d'assurances qui était l'organisme payeur, qu'il ne pouvait être question pour cette compagnie d'offrir un bateau neuf ou même des réparations trans- formant complètement la conception du lignage et qu'elle n'a pas commis de faute.

La cour note que l'expert affirme, sans être contredit, l'insuffisance des réparations ; elle note encore que la réponse de la société Blamengin le 2 mai 1983 à la lettre de protestation de M. Couque ne conteste pas formellement le griefs invoqués, elle tente seulement de minimiser l'importance des travaux confiés et réclame les clés du bateau, apparemment pour y effectuer des réfections ainsi que le confirme le témoin Hennequin disant avoir remis plusieurs fois les clés au personnel de la société Blamengin. Cette société conteste devoir les travaux mais ne démontre pas que les réfections préconisées par l'expert ont pour effet d'apporter une amélioration.

Elle devra donc payer à M. Couque la somme de 55 000 F. Cette somme ne peut produire intérêt à compter du rapport d'expertise gui ne vaut pas mise en demeure ; les intérêts courront de l'assignation du 20 août 1985.

Monsieur Couque ne justifie pas d'un trouble de jouissance précis et encore moins de sa durée sa demande de dommages-intérêts à ce titre sera donc rejetée.

L'équité commande d'accorder à M. Couque une indemnité pour frais personnels en appel.

Par ces motifs, Infirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne les dépens et l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu d'annuler l'expertise Delohen, Déboute M. Couque de sa demande de paiement concernant les aménagements intérieurs, Le recevant en sa demande concernant les réparations, Condamne la société Blamengin à lui payer la somme de 55 000 F avec intérêts du 20 août 1985, Déboute la société Blamengin de sa demande au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et M. Couque de sa demande de dommages- intérêts, Condamne la société Blamengin aux dépens d'appel, avec application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile au profit de la SCP Le Marc'hadour- Pouille Groulez et à verser à M. Couque la somme de 2 500 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.