Livv
Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 21 janvier 2003, n° 01-07238

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Technisynthèse (Sté)

Défendeur :

Système U Centrale Nationale (SA), Système U Centrale Régionale Ouest (Sté), Celton France (Sté), Celton Limited (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Letouze

Conseillers :

MM. Christien, Patte

Avoués :

SCP Gauvain & Demidoff, SCP Bazille & Genicon, Me Bourges

Avocats :

Mes Menage, Antoine-Lalance, Perez.

TGI Nantes, du 6 sept. 2001.

6 septembre 2001

Le 26 novembre 1999, la société Technisynthèse, titulaire des marques TBS déposées en 1983 et 1986 pour désigner notamment des vêtements et produits textiles, le dernier enregistrement portant sur les seules lettres TBS formées de caractères majuscules épais et inclinés vers la droite, a fait constater qu'un magasin à l'enseigne Super U proposait à la vente des anoraks matelassés, dits "doudounes", pour enfants et juniors jusqu'à 16 ans, portant, au niveau de la poitrine à gauche, la marque BST calligraphiée d'une manière analogue à sa propre marque, la fiche-produit désignant en qualité de fournisseur la société Celton, 21 rue Béranger, 75003 Paris.

Le 9 décembre 1999, la société Technisynthèse a fait assigner les sociétés Système U - Centrale Nationale, Système U - Centrale Régionale Ouest et Celton France devant le Tribunal de grande instance de Nantes pour contrefaçon de marques et concurrence déloyale, sollicitant, outre les mesures d'interdiction, de suppression de marque et de publication, la condamnation conjointe et solidaire de ces sociétés au paiement de soixante-seize mille deux cent vingt-cinq euro de dommages et intérêts pour chacun des deux préjudices.

La société Celton Limited, ayant son siège à Hong-Kong, est intervenue volontairement pour défendre à l'action en sa qualité revendiquée de fournisseur des vêtements incriminés et poursuivre contre la demanderesse des réparations pécuniaires et par publication.

- Vu le jugement déféré, rendu le 6 septembre 2001 par le Tribunal de grande instance de Nantes qui a:

* déclaré recevable l'intervention volontaire de la société Celton Limited;

* débouté la société Technisynthèse de l'ensemble de ses demandes;

* débouté les sociétés Système U et Celton France de leurs demandes de mise hors de cause;

* condamné la société Technisynthèse à payer aux sociétés Système U - Centrale Nationale, Système U - Centrale Régionale, Celton France et Celton Limited, chacune la somme de mille deux cent vingt euro (1 220 euro) (8 002,68 F), au titre des frais irrépétibles;

* débouté la société Celton Limited de sa demande de publication et les sociétés Système U et Celton de leurs demandes en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive;

- Vu les conclusions d'appel déposées le 9 octobre 2002 par la société Technisynthèse, tendant à:

* confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a:

- débouté les sociétés Système U et Celton France de leurs demandes de mise hors de cause;

- débouté la société Celton Limited de su demande de publication;

- débouté les sociétés Celton France, Celton Limited, Système U - Centrale Nationale et Système U - Centrale Régionale Ouest de leurs demandes reconventionnelles en paiement de dommages et intérêts ;

* l'infirmer en toutes ses autres dispositions;

en conséquence:

* dire et juger la société Celton Limited irrecevable en son intervention volontaire faute de prouver son intérêt à agir; en tout état de cause:

* dire et juger que les sociétés Celton France, Celton Limited, Système U - Centrale Nationale et Système U - Centrale Régionale Ouest ont commis au préjudice de la société Technisynthèse des actes constitutifs de contrefaçon de marques au sens des articles L. 713-3-b et L. 716-1 du Code de la propriété intellectuelle;

en conséquence:

* interdire aux sociétés Celton France, Celton Limited, Système U - Centrale Nationale et Système U - Centrale Régionale Ouest fout usage de la dénomination BST inscrite en lettres identiques à celles des marques TBS numéro 96.629948 et numéro 1249409 de la société Technisynthèse, sous astreinte définitive de cent cinquante euro par infraction constatée, chaque infraction étant constituée par la détention, l'offre en vente ou la vente de tout produit sous la dénomination susvisée et ce, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir;

* ordonner la suppression des étiquettes comportant la mention litigieuse sur tous les vêtements sur lesquels elles sont cousues et ce, dès la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de mille cinq cent euro par jour de retard;

* condamner conjointement et solidairement les sociétés Celton France, Celton Limited, Système U - Centrale Nationale et Système U - Centrale Régionale Ouest à payer à la société Technisynthèse la somme de soixante quinze mille euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice consécutif aux faits de contrefaçon et d'atteinte aux marques de cette dernière;

* dire et juger que les sociétés Celton France, Celton Limited, Système U - Centrale Natianale et Système U - Centrale Régionale Ouest ont commis au préjudice de la société Technisynthèse des faits constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire au sens de l'article 1382 du Code civil;

* condamner conjointement et solidairement les sociétés Celton France, Celton Limited, Système U - Centrale Nationale et Système U - Centrale Régionale Ouest à payer à la société Technisynthèse la somme de soixante quinze mille euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial résultant des faits de concurrence déloyale et parasitaire;

* ordonner aux frais conjoints et solidaires des sociétés intimées, la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux au choix de la société Technisynthèse et ce, à titre de complément de dommages et intérêts;

* condamner conjointement et solidairement les sociétés Celton France, Celton Limited, Système U - Centrale Nationale et Système U - Centrale Régionale Ouest à payer à la société Technisynthèse la somme de sept mille cinq cent euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

* les condamner sous la même solidarité en tous les dépens de première instance et d'appel, comprenant notamment les frais des deux saisies-contrefaçon;

- Vu les conclusions déposées le 19 avril 2002 par les sociétés Système U - Centrale Nationale et Centrale Régionale Ouest, tendant à:

* confirmer la décision rendue le 6 septembre 2001 en ce qu'elle a purement et simplement rejeté les demandes de la société Technisynthèse fondées sur de prétendus actes de contrefaçon de marque et sur de prétendus actes de concurrence déloyale et parasitaire;

* infirmer la décision en ce qu'elle n'a pas mis hors de cause les sociétés Système U - Centrale Nationale et Système U - Centrale Régionale Ouest;

* infirmer ladite décision en ce qu'elle n'a pas fait droit à la demande reconventionnelle des sociétés concluantes;

* constater que la procédure engagée par la société Technisynthèse à l'encontre des sociétés concluantes présente un caractère manifestement abusif;

* condamner en conséquence la société Technisynthèse à payer aux sociétés concluantes la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts;

* condamner la société Technisynthèse à payer aux sociétés concluantes la somme de 4 600 euro à titre d'indemnité complémentaire en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

* condamner la société Technisynthèse en tous les dépens de première instance et d'appel;

A titre infiniment subsidiaire:

Si la cour estimait devoir faire droit en tout ou partie à l'action engagée par la société Technisynthèse à l'encontre des sociétés concluantes:

* constater que la société Celton Limited s'est contractuellement engagée à garantir les sociétés concluantes des conséquences de toute action qui pourra être engagée à leur encontre par des tiers concernant la commercialisation des produits litigieux;

* condamner en conséquence la société Celton Limited à garantir les sociétés Système U de toute condamnation qui pourra être prononcée à leur encontre en principal, intérêts et frais au profit de la société Technisynthèse;

* condamner en conséquence la société Celton Limited à leur payer 4 600 euro à titre d'indemnité en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

* condamner en conséquence la société Celton Limited en tous les dépens de première instance et d'appel.

- Vu les conclusions déposées le 24 octobre 2002 par les sociétés Celton France et Celton Limited, tendant à:

* confirmer le jugement rendu le 6 septembre 2001 par le Tribunal de grande instance de Nantes en ce qu'il a déclaré recevable l'intervention volontaire de la société Celton Limited;

* réformer ce jugement en ce qu'il a débouté la société Celton France de sa demande de mise hors de cause;

* mettre purement et simplement hors de cause la société Celton France;

* confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Technisynthèse de l'ensemble de ses demandes présentées à l'encontre de la société Celton France et de la société Celton Limited;

Y ajoutant:

* recevoir la société Celton France et la société Celton Limited en leurs appels incidents et les dire bien fondés;

* condamner la société Technisynthèse à payer à la société Celton France la somme de 7 623 euro en réparation du préjudice occasionné par la procédure abusive et vexatoire;

* condamner la société Technisynthèse à payer à la société Celton Limited la somme de 15 245 euro à titre de dommages et intérêts;

* autoriser la société Celton Limited à publier l'arrêt à intervenir par extraits dans trois journaux ou magazines de son choix aux frais de la société Technisynthèse, sans que le coût de chaque insertion ne dépasse la somme de 2 300 euro hors taxe; en tout état de cause:

* condamner la société Technisynthèse à payer à la société Celton France et à la société Celton Limited la somme de 2 300 euro chacune sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Sur ce:

1°) Sur l'intervention de la société Celton Limited:

Faite en première instance, cette intervention obéit aux conditions de recevabilité posées par les articles 325 et 329 du nouveau Code de procédure civile, à savoir le droit d'agir de son auteur relativement aux prétentions qu'il a formées et l'existence d'un lien suffisant entre ces prétentions et la demande principale.

Or le tribunal, par des motifs pertinents que la cour adopte, a justement déclaré cette intervention recevable, la qualité, revendiquée par la société Celton Limited, de fournisseur et expéditeur des marchandises arguées de contrefaçon, étant suffisamment établie en l'espèce.

2°) Sur les demandes de mise hors de cause :

Ces demandes sont formées par chacune des trois sociétés défenderesses initiales.

Elles ne sont toutefois pas susceptibles, en tant que telles, de donner lieu à décision juridictionnelle.

En effet, la mise hors de cause d'une partie régulièrement attraite devant une juridiction ne peut être que la conséquence de l'accueil, soit d'une fin de non-recevoir, soit d'un moyen de défense au fond que cette partie a soumis avec succès à la juridiction saisie.

Aucune fin de non-recevoir n'étant proposée en l'espèce, les mises hors de cause sollicitées ne pourront intervenir que comme conséquence de l'absence de participation des sociétés intimées à des actes de contrefaçon de marques ou de concurrence déloyale ou des deux à la fois, dont il importe préalablement de déterminer s'ils sont matériellement constitués;

3°) Au fond :

A - bemandes principales

a) Sur la contrefaçon par imitation :

Il est définitivement jugé en vertu de l'arrêt de la Cour de cassation rendu le 18 mai 1999 entre les sociétés Technisynthèse et Boston Market que le signe dénominatif BST, formé de lettres majuscules droites incluses dans un logo comportant d'autres inscriptions, ne contrefait pas la marque TBS en ce qu'elle se présente sous la forme semi-figurative enregistrée avant le dépôt, le 14 juin 1996, de la marque simplement dénominative TBS, dont les caractéristiques sont énoncées au premier paragraphe du présent arrêt.

Il reste donc à déterminer si le signe BST calligraphié sur les étiquettes des vêtements par des majuscules épaisses inclinées vers la droite, est contrefacteur du signe TBS dans sa dernière forme protégée.

La marque BST, exploitée par la société Celton Limited avec l'autorisation de la société Boston Market, appartient à la catégorie complexe dans la mesure où ces trois lettres sont immédiatement suivies de la sous-inscription "Boston Sport", qui est apte à dissiper toute ambiguité en dépit de son caractère accessoire, alors que le signe TBS n'est assorti d'aucune inscription complémentaire.

En outre, les ensembles de trois lettres à comparer ne présentent pas de ressemblances suffisantes pour provoquer un risque de confusion.

D'une part, sur le plan visuel, la lettre T est initiale pour TBS, finale pour BST et les documents produits aux débats révèlent que la boucle rentrante de la lettre B est quasi filiforme pour TBS alors qu'elle reste épaisse pour BST, étant observé en outre que la société appelante ne conteste pas que les lettres BST, sont prolongées vers la gauche par des lignes évoquant l'effilochure ou le mouvement.

D'autre part la lecture, mentale ou prononcée, se termine par un son radicalement différent: ès pour TBS, té pour BST.

Ces différences, essentielles eu égard au caractère bref et purement littéral du signe, ne peuvent échapper à l'attention d'un consommateur, même moyennement attentif et n'ayant pas les deux marques sous les yeux en des temps rapprochés, et ne peuvent être effacées ni par la similitude du graphisme ni par le fait que chaque marque s'applique à des vêtements de même genre.

La société appelante invoque des facteurs de risque de confusion qui ne sont pas pertinents.

En effet, nonobstant la nature des produits, ceux-ci ne sont pas destinés "pratiquement" à la même clientèle comme le soutient l'appelante, Celton Limited commercialisant des anoraks de base pour enfants et juniors par le circuit de la grande distribution, Technisynthèse distribuant des vêtements de sport de haute technicité par des magasins d'articles de sport indépendants ou franchisés, les anoraks matelassés ne faisant partie que de la collection femme.

Isolé des signes figuratifs déposés en 1983 (cinq points répétés sur quatre lignes superposées), le graphisme de TBS ne peut être qualifié de "bien particulier ".

Enfin la notoriété de la marque TBS, suffisamment démontrée en l'espèce, fait précisément que le consommateur l'identifie aisément et la distingue d'un trio de mêmes lettres dont l'ordre différent a une incidence phonétique immédiatement perceptible. Il sera observé au surplus que les lettres de la marque BST ne résultent pas d'un assemblage arbitraire tendancieux mais proviennent de l'appellation Boston, nom de la société propriétaire de la marque.

Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il a déclaré la contrefaçon non constituée.

b) Sur la concurrence déloyale ou parasitaire :

Dès lors que la contrefaçon par imitation est écartée en raison de l'absence de risque de confusion entre les signes, il incombe à la société Technisynthèse d'établir l'existence de facteurs de confusion distincts de la ressemblance desdits signes.

Or l'appelante se borne à relever en termes généraux l'aspect " quasi semblable" des anoraks matelassés litigieux sans contester l'allégation adverse selon laquelle ils présentent des caractéristiques de fabrication et de matière différentes.

Elle souligne l'identité des gammes de couleurs sans illustrer cet argument. Il peut être observé en tous cas que la commande de Super U comportait des blousons ciel et marine alors que le catalogue TBS ne présente que des blousons de couleur noire ou grise et ce, dans la collection femme exclusivement.

Enfin le prix attractif des anoraks saisis, vendus en grandes surfaces dans des tailles enfant, ne peut constituer un acte de concurrence déloyale envers le titulaire de la marque TBS, dont la gamme, très étendue, de vêtements et chaussures de sport et de plein air vendus en magasins spécialisés, ne comporte que des modèles pour homme et femme.

Le simple rapprochement que peut éventuellement faire le consommateur entre les deux marques n'est pas de nature à entraîner une confusion entre les deux entreprises ou une erreur d'appréciation sur l'origine du produit, ni à parasiter le marché de la marque bénéficiant de la plus grande notoriété.

Le jugement sera dès lors confirmé sur la demande principale.

B - Demandes reconventionnelles:

Les sociétés Super U ne démontrent pas en quoi l'action de la société Technisynthèse à leur encontre, qui ne prospère pas, aurait dégénéré en abus, aucune autorité de chose jugée ne s'attachant à l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 23 mai 1997, dont le pourvoi a été rejeté le 18 mai 1999 par la Cour de cassation, les caractéristiques des marques en conflit étant alors différentes.

Les sociétés Celton ne démontrent pas que l'action de la société Technisynthèse altère leurs relations commerciales avec les sociétés Super U, celles-ci ne le prétendant d'ailleurs pas.

La société Technisynthèse n'a commis aucun abus en poursuivant Celton France, dont le nom figurait sur le bon de commande à l'importation et sur la fiche-produit éditée par la Centrale Nationale.

C'est donc à juste titre que le tribunal a rejeté les demandes reconventionnelles en paiement de dommages et intérêts ainsi que la demande de publication présentée par Celton Limited.

Partie perdante la société Technisynthèse supportera les dépens d'appel et aucune considération d'équité ne s'oppose à ce qu'il soit fait droit, à hauteur de 2 000 euro à la demande que forment, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, chacune des sociétés intimées.

Par ces motifs : Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris; Condamne la société Technisynthèse aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à chacune des sociétés intimées une indemnité complémentaire de 2 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Reconnaît à Maître Bourges, d'une part, à la SCP Bazille et Genicon, d'autre part, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.