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Décisions

CA Paris, 14e ch. B, 17 décembre 2004, n° 04-16791

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Justerini & Brooks Private Limited Company (Sté)

Défendeur :

Association nationale de prévention de l'alcoolisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cuinat

Conseillers :

MM. Seltensperger, Maunaud

Avoués :

SCP Duboscq & Pellerin, Me Melun

Avocats :

Mes Canat, Giafferi.

TGI Paris, du 12 juill. 2004

12 juillet 2004

Considérant que dans le cadre d'une campagne publicitaire, la société Justerini & Brooks Ltd a fait paraître en mai 2004 deux publicités en faveur du whisky J&B dans la revue Technikart (en page 31 du numéro 80 de mai 2004) et dans l'hebdomadaire Télérama (en page 23 du numéro du 15 au 21 mai 2004);

Que la publicité parue dans la revue Technikart présente en partie centrale un sac du soir en paillettes de couleur argent, posé sur un siège rouge, portant une étiquette "J&B ", empli de glaçons et dans lequel est couchée une bouteille de whisky J&B présentée de face avec l'étiquette portant la mention "Rare J&B Justerini & Brooks "; que quelques glaçons sont posés à côté du sac; qu'en bas à droite de l'image figure la mention "seau à glace "sac" édition limitée"; qu'en partie inférieure et centrale sont portées la mention "J&B + glace" et la formule sanitaire;

Que la publicité parue dans l'hebdomadaire Télérama présente en partie centrale un carton ouvert portant la reproduction de l'étiquette "J&B" d'où sortent des disques de format trente-trois tours de couleur noire, portant également la marque "J&B ", posés sur un siège de couleur grise; qu'un verre empli de boisson jaune et de glaçons est posé au-dessus de ces disques ; qu'en bas à droite de l'image figure la mention "plateau de service "33 cm" édition limitée" ; qu'en partie inférieure centrale sont portées la mention "J&B + pomme + glace" et la formule sanitaire;

Considérant qu'estimant que ces publicités contrevenaient aux dispositions de l'article L. 3323-4 du Code de la santé publique régissant la, publicité en faveur des boissons alcooliques, l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme (ci-après l'ANPA) a fait assigner le 9 juin 2004 la société Justerini & Brooks Ltd, la SA Télérama et la SA Idéo-Clean Technipark devant le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris afin de voir interdire la poursuite de la diffusion de ces publicités;

Que par ordonnance de référé rendue le 12 juillet 2004 le président du Tribunal de grande instance de Paris a:

- fait interdiction aux sociétés Justerini & Brooks Ltd, Télérama et Idéo-Clean Technipark de diffuser les visuels susmentionnés sur le territoire français, sur tout support publicitaire, à compter de la signification de l'ordonnance, sous astreinte de 5 000 euro par infraction constatée, dont le premier juge s'est réservé la liquidation;,

- condamné in solidum les sociétés Justerini & Brooks Ltd, Télérama et Idéo-Clean Technipark au paiement de la somme de 3 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens;

Que la société Justerini & Brooks Ltd a relevé appel de cette ordonnance le 23 juillet 2004;

Considérant que le 7 septembre 2004, la société Justerini & Brooks Ltd s'est désistée de son appel formé à l'encontre des sociétés Télérama et Idéo-Clean Technipark;

Qu'une ordonnance rendue le 21 octobre 2004 a constaté ce désistement partiel;

Considérant que par dernières conclusions signifiées le 24 novembre 2004, la société Justerini & Brooks Ltd, appelante, demande à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise, de lui donner acte de ce qu'elle se réserve le droit de demander ultérieurement réparation de son préjudice commercial à l'ANPA et de condamner cette dernière au paiement de la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens;

Que par dernières conclusions signifiées le 19 novembre et 2 décembre 2004 par l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme, intimée, demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise et, en conséquence, de:

- faire interdiction à la société Justerini & Brooks Ltd de diffuser, de réitérer ou poursuivre la publication des deux publicités précitées, dans tout support publicitaire à compter du lendemain du prononcé de l'ordonnance de référé sous astreinte de 7 000 euro par infraction constatée, dont le juge des référés se réserve la liquidation;

- débouter la société Justerini & Brooks Ltd de ses prétentions et la condamner au paiement de la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens;

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'en vertu de l'article L. 3323-4, alinéa 1er, du Code de la santé publique, la publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit;

Considérant qu'à l'appui de ses prétentions, la société Justerini & Brooks Ltd soulève l'incompétence de la juridiction des référés motif pris de l'absence d'urgence et de trouble manifestement illicite ; qu'elle indique à cette fin que la campagne n'était plus en cours au moment de la saisine du juge et que le trouble allégué par l'ANPA n'était ni évident ni manifeste; que l'appelante soutient, en effet, que les publicités litigieuses ne font que reproduire les matériels de service existants, ne sont pas choquantes, ne jettent le discrédit sur aucun produit ni aucune marque et ne portent pas atteinte à la morale; qu'elle fait observer qu'il n'y a pas de slogan publicitaire ni d'incitation à la consommation d'alcool et que le Tribunal correctionnel de Paris a validé plusieurs visuels publicitaires concernant des boissons alcooliques qui n'étaient pas fondamentalement différents des visuels incriminés;

Mais considérant que l'ANPA fonde ses prétentions sur le trouble manifestement illicite que constituent les publicités litigieuses au sens de l'article 809, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile de sorte que les développements de l'appelante sur l'absence d'urgence sont inopérants ; que l'intimée est, en toute hypothèse, bien fondée à faire valoir que la saisine du juge des référés était en l'espèce justifiée par la nécessité de faire interrompre sans tarder la publicité parue dans les deux magazines susmentionnés;

Que la société Justerini & Brooks Ltd ne peut valablement soutenir que les visuels incriminés respecteraient les critères posés par l'article L. 3323-4 du Code de la santé publique quant au mode de consommation et aux modalités de vente du produit au motif d'une part, que le visuel du seau à glace évoquerait le mode de consommation du whisky frappé et que ce seau aurait été diffusé comme matériel de service auprès de certains établissements et, d'autre part, que le visuel des plateaux de service évoquerait une modalité de vente du produit;

Que l'ANPA est, en effet, bien fondée à faire observer que la bouteille dans un sac à glace en forme de sac à main n'illustre pas un mode de consommation du produit alors que la bouteille n'est pas placée comme dans un sac à glace mais posée sur un lit de glaçons et que le sac à main, qui a été détourné de son usage normal, ne figure sur l'image que pour créer un choc visuel en raison de l'ambiance festive de boîte de nuit qu'il évoque ;qu'il importe peu à cet égard que trois établissements de nuit parisiens aient attesté, dont deux sous la même signature, de l'usage du sac à main fourni par la société appelante comme seau a glace alors que cette dernière ne justifie pas du nombre de sacs à main, correspondant au visuel, qu'elle aurait diffusés dans les établissements de nuit et les débits de boissons ni de l'usage généralisé de ces sacs comme seaux à glaçons ;que, de surcroît, il est constant que le matériel litigieux n'est pas diffusé dans le public et, à supposer qu'il soit diffusé dans les boîtes de nuit et les débits de boissons, il convient de relever que la publicité litigieuse s'adresse au plus grand nombre et non aux seuls usagers de ces établissements;

Que les mêmes observations peuvent être faites pour le visuel des plateaux de service alors que la société appelante ne peut valablement soutenir que ce visuel illustrerait une modalité de vente du produit au motif qu'elle aurait adressé, dans le cadre de la campagne publicitaire litigieuse, à quelques établissements de nuit ou débits de boissons des plateaux identiques à ceux représentés sur la publicité incriminée ;qu'en outre, l'ANPA fait justement observer que la présentation de plusieurs des éléments les uns posés sur les autres accentue la représentation du disque et non celle du plateau de service;

Que l'appelante ne peut, enfin, se prévaloir utilement des dispositions de l'article 3 du décret du 29 mars 1993 dès lors qu'elles ne concernent pas la publicité dans la presse, mais celle figurant sur le matériel utilisé dans les débits de boissons;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les publicités litigieuses n'ont pas pour objet d'informer le consommateur sur de nouveaux modes de consommation ou sur les modalités de vente du produit, mais en représentant des éléments non prévus par la loi, véhiculant une part de rêve et d'évasion, à savoir l'ambiance d'une boîte de nuit pour l'une et celle d'un club de musique pour l'autre, elles n'ont pour but que de transmettre un message donnant une représentation valorisante des boissons alcoolisées et d'inciter à la consommation d'alcool, peu important qu'elles ne soient accompagnées d'aucun slogan;que les publicités litigieuses constituent en conséquence un trouble manifestement illicite au sens de l'article 809, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile qu'il appartenait au premier juge de faire cesser en prononçant une mesure d'interdiction sous astreinte;

Que l'ordonnance entreprise sera par conséquent confirmée en toutes ses dispositions sans qu'il y ait lieu d'augmenter l'astreinte qu'elle a fixée;

Considérant qu'il n'y a pas lieu de donner à l'appelante l'acte qu'elle requiert;

Considérant que la société Justerini & Brooks Ltd, qui succombe dans ses prétentions devant la Cour, sera condamnée aux dépens d'appel ; qu'elle ne peut donc prétendre à l'indemnité qu'elle sollicite au titre de ses frais de procédure non compris dans les dépens;

Que l'équité commande sa condamnation au paiement de la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Considérant que les dépens comprendront les frais de traduction des actes conformément aux dispositions de l'article 695-2° du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs, Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise; Rejette le surplus des prétentions des parties; Condamne la société Justerini & Brooks Ltd à payer à l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme la somme de 5 000 euro (cinq mille euro) à titre d'indemnité de procédure en cause d'appel; Rejette la demande formée par la société Justerini & Brooks Ltd et la condamne aux dépens d'appel; admet Me Melun, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile; Rappelle que les dépens comprennent les frais de traduction des actes prévus par l'article 695-2° du nouveau Code de procédure civile.