CA Aix-en-Provence, 2e ch., 10 octobre 1991, n° 89-7365
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ainouze, La Chaumière (SARL), Bonardi (ès qual.)
Défendeur :
Timoteo, Morlas
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mistral
Conseillers :
MM. Degrandi, Chalumeau
Avoués :
SCP De Saint Ferreol & Touboul, SCP Martelly
Avocats :
Mes Dubourg, Lachaume.
Exposé du litige
Pour l'exploitation d'un fonds de commerce de divertissements, prestations de services, organisations de réunions, cérémonies, mariages, festivités, M. Morlas a obtenu, par acte du 19 septembre 1984, l'autorisation d'ouvrir une issue de secours débouchant sur la propriété des époux Gagliano.
Les parties ont précisé que le droit ainsi accordé ne devrait s'exercer qu'en cas d'urgence et pour tous exercices et essais de secours, à l'exclusion de tout usage, même momentané ou périodique, de passage et stationnement.
Lors d'une visite du 7 novembre 1984, la sous-commission de contrôle de la ville de Marseille, considérant que ce document créait un droit de passage concernant l'issue de secours dans la parcelle mitoyenne, a donné un avis favorable à l'augmentation de la capacité d'accueil de 50 à 190 personnes et l'activité a été autorisée avec un effectif théorique de cette importance.
Le 2 novembre 1985, M. Morlas a vendu le fonds à Mme Anne Marie Timoteo.
Le 9 janvier 1987, cette dernière a obtenu du maire de Marseille, la possibilité d'organiser des soirées avec un maximum de 190 personnes pour six mois.
Le 18 mai 1987, elle a cédé le fonds à la SARL La Chaumière, gérée par Mlle Eléonore Ainouze, pour un prix de 160 000 F dont 110 000 F réglés sous forme de reprise du crédit accordé par M. Morlas lors du précédent transfert de propriété.
M. Roger Ainouze s'est porté caution des engagements de l'acquéreur envers Mme Timoteo et M. Morlas.
Peu après, l'établissement a été fermé pendant un mois par l'Administration en raison de contraventions imputables à Mme Morlas, qui, de ce fait, a accepté un dédommagement de 12 000 F à prélever sur le prix.
Sur ce, la commission communale de sécurité, considérant que l'issue de secours sur la parcelle des époux Gagliano ne pouvait être prise en compte du fait de l'absence de droit de passage sur celle-ci, a décidé que, sous réserve de la transmission d'un document établissant un tel droit, l'accueil devrait être limité à 50 personnes.
M. Gagliano a fait connaître le 1er décembre 1987 qu'il n'avait jamais été question de droit de passage.
En cet état, la SARL La Chaumière n'a pas réglé le solde du prix.
Le 3 octobre 1988, Mme Timoteo et M. Morlas l'ont citée avec M. Ainouze devant le Tribunal de commerce de Marseille.
Les défendeurs ont reconventionnellement sollicité la résolution de la vente pour vice caché.
Par jugement contradictoire du 12 avril 1989, cette juridiction a condamné solidairement ces derniers à régler, à Mine Timoteo, 20 000 F avec intérêts au taux convenu de 4 % l'an à compter du 1er novembre 1987 et 2 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à M. Morlas, la somme de 85 638 F avec intérêts au taux de 10 % l'an à compter de l'échéance de chacune des mensualités impayées, ainsi que 2 000 F pour frais non répétibles.
La SARL La Chaumière et M. Ainouze ont interjeté appel par acte du 11 mai 1989.
Ils ont demandé la réformation, la résolution de la cession litigieuse, la condamnation de Mme Timoteo à restituer une somme de 120 000 F, dont 100 000 F réglés, de manière occulte, et à payer 50 000 F de dommages et intérêts, celle de M. Morlas à restituer les échéances honorées et à verser 20 000 F de dommages et intérêts, en faisant valoir que le fonds était affecté d'un vice caché lié à la dissimulation de l'accord Morlas/Gagliano, au lien entre celui-ci et la capacité d'accueil de l'établissement, à l'existence de difficultés avec l'Administration et au risque de diminution de l'effectif théorique.
M. Ainouze a été mis en liquidation judiciaire le 24 octobre 1990. Maître Martine Bonardi, assigné en intervention forcée en qualité de liquidateur, n'a pas constitué avoué et n'a pas conclu.
Exposant, d'uns part, que le préjudice de la SARL La Chaumière résultant de la fermeture administrative consécutive à des plaintes de voisins pour bruits excessifs a été compensé par l'abandon partiel de la créance de Mme Timoteo, d'autre part, que le dossier de sécurité a été remis aux acquéreurs lors de l'achat du fonds tandis que ceux-ci sont à l'origine de la décision de M. Gagliano de révoquer l'accord du 19 septembre 1984 et de l'absence de prorogation de l'autorisation de recevoir 190 personnes faute de demande de renouvellement en temps utile, Mme Timoteo et M. Morlas soutiennent qu'il n'y a pas de vice caché et souhaitent en conséquence la confirmation du jugement entrepris et la condamnation solidaire des appelants à leur verser 8 500 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 septembre 1991.
Motifs de la décision
Sur la recevabilité de l'appel
La recevabilité de l'appel n'est pas discutée et la cour est en mesure de s'assurer grâce aux dates du jugement et de l'acte d'appel qu'il a été interjeté en temps utile.
Sur la procédure
Lors de l'audience du 28 février 1991, l'attention des parties a été attirée sur les conséquences procédurales de la mise en redressement puis en liquidation judiciaire de M. Ainouze.
La clôture de la mise en état a été rapportée une première fois à cette date et une seconde fois le 30 mai 1991 pour permettre la régularisation par la justification de la déclaration de créance des consorts Morlas/Timoteo et la reprise éventuelle du procès par le liquidateur.
Maître Bonardi a accusé réception de la déclaration de créance par courrier du 10 juin 1991 communiqué aux appelants le 20 juin 1991. A cette occasion, il a fait connaître au conseil des intimés son intention de conclure.
Cette volonté n'a pas été suivie d'effet. L'acte de constitution d'avoué n'a pas été versé au dossier et seul un jeu d'écriture au nom de M. Ainouze a été établi, dans des conditions ignorées puisqu'il ne porte ni date de signification, ni trace de dépôt au greffe.
Le mandataire liquidateur de l'intéressé est donc défaillant.
Or, en application de l'article 152 de la loi 85-98 du 25 janvier 1985, les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés à partir du jugement prononçant la liquidation et pendant toute la durée de celle-ci, par le liquidateur.
La cour n'est donc pas valablement saisie des moyens et prétentions de M. Ainouze.
Sur les demandes de la SARL La Chaumière
La mise en œuvre des règles de sécurité dans les établissements recevant du public est, s'agissant d'un fonds de commerce, indissociablement liée à l'exploitation de sorte que la non-conformité, qu'elle affecte l'immeuble ou ses aménagements, constitue un vice entachant le fonds lui-même susceptible de disparaître purement et simplement en cas d'impossibilité, pour une raison quelconque, d'assurer le respect des prescriptions légales et réglementaires en la matière.
Il est dès lors impératif que le vendeur d'un tel fonds révèle à l'acquéreur toute difficulté inhérente à la sécurité qui est de nature à le rendre impropre à l'usage auquel il est destiné ou à diminuer très sensiblement cet usage.
L'examen du procès-verbal dressé le 17 octobre 1984 par la sous-commission de contrôle de la ville de Marseille révèle sans ambiguïté que la capacité d'accueil du fonds de M. Morlas est liée à l'existence d'un droit de passage sur la propriété Gagliano depuis l'issue de secours ouverte sur celle-ci.
Force est de relever, même si la commission communale de sécurité a interprété extensivement l'acte du 19 septembre 1984 intitulé " Concession d'un Droit d'Issue de Secours " en considérant qu'il établissait " un droit de passage concernant l'issue de secours ", que M. et Mme Gagliano n'ont jamais entendu accorder un droit de passage. Ils l'ont expressément confirmé dans la lettre du 1er décembre 1987 versée aux débats. Cette seule circonstance était en elle-même de nature à précariser l'autorisation administrative de recevoir 190 personnes. En outre, l'accord passé avec le seul M. Morlas était susceptible d'être mis en cause en cas de changement de titulaire du fonds de sorte que tout transfert de propriété rendait nécessaire l'intervention des époux Gagliano pour s'assurer de leur volonté. Enfin, l'attention de tout acquéreur devait spécialement être attirée sur les conditions de mise en œuvre de l'effectif théorique alors qu'en dernier lieu, l'autorisation donnée par le maire de Marseille avait été limitée à six mois.
Il convient d'ajouter que les incidents ayant conduit à la fermeture administrative de l'établissement pendant un mois ont été de nature à fragiliser la permission d'accueillir un grand nombre de personnes dans la mesure où les désagréments dont se plaignait le voisinage (réf. les écritures de Mme Timoteo) avaient beaucoup plus de chance de se reproduire avec une capacité d'accueil accrue.
Le fonds cédé par Mme Timoteo était donc bien affecté d'un vice qui a conduit à en diminuer fortement l'usage.
Or, plusieurs éléments établissent que, contrairement à ce que soutiennent les intimés, la SARL La Chaumière n'a pu s'en convaincre avant l'achat.
Le contrat de vente ne comporte aucune référence à l'acte passé entre M. Morlas et les époux Gagliano ou à l'existence d'une autorisation administrative et les formules selon lesquelles l'acquéreur a déclaré parfaitement connaître le fonds pour avoir pris connaissance de la comptabilité.., et autres documents ou le prendre vendu est l'état où il se trouve et continuer tous les contrats ne sont nullement de nature à établir la communication du dossier sécurité et la connaissance du vice.
Par ailleurs, l'absence, d'une part, de mesures pour faire respecter strictement les limites imposées par M. et Mme Gagliano, qui ont précisé dans le courrier précité avoir été échaudés par leurs transgressions, d'autre part, de demande de renouvellement de l'autorisation administrative, ne peuvent s'expliquer que par l'ignorance de celles-ci. La négligence d'une personne ayant récemment acquis le fonds pour le faire prospérer serait en effet incompréhensible.
Il y a donc bien ou un défaut caché et il est évident que la SARL La Chaumière n'aurait pas contracté ou l'aurait fait sur des bases totalement différentes si elle avait connu le risque de réduction d'environ 3/4 de la capacité d'accueil qu'il engendrait.
Il convient en conséquence de réformer la décision entreprise, de résoudre la vente aux torts de Mme Timoteo, étant observé que celle-ci, titulaire de l'autorisation limitée dans le temps et responsable de la fermeture temporaire du fonds n'ignorait pas le vice.
Sur les conséquences de la résolution
Les sommes dont le versement est avéré doivent être restituées. Il va de soi que tel n'est pas le cas de celle de 100 000 F que la SARL La Chaumière prétend avoir réglée en espèces alors qu'une telle remise n'est établie et licitement causée par aucun document.
L'impossibilité d'amortir complètement les travaux exécutés dans les locaux comme l'obligation de faire face à des charges fixes dont le poids a été accru par la diminution de l'exploitation de ceux-ci a quant à elle engendré un préjudice dont, en exécution de l'article 1645 du Code civil, Mme Timoteo doit répondre.
Les éléments d'appréciation soumis, an particulier les factures des entreprises Modern Peinture, Provence Electricité, Protext, les réclamations de la société La Chevillonne (fournisseur), mais également le fait que les annulations de contrats évoquées sont antérieures à la réduction de capacité et la possibilité d'exploiter partiellement le fonds jusqu'à la restitution, permettent de fixer à 30 000 F toutes causes confondues le montant de l'indemnité compensatrice du dosage.
Dans la mesure où M. Morlas n'est intervenu à l'acte de cession qu'en qualité de fournisseur de crédit, il ne peut pas être tenu des conséquences d'une résolution pour vice caché de sorte que seule Mme Timoteo doit assumer la réparation.
Sur les demandes accessoires
Celle des consorts Morlas/Timoteo ne peut qu'être rejetée.
Les intéressés, qui succombent, doivent supporter les dépens.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire, Reçoit l'appel régulier en la forme Constate que la cour n'est pas régulièrement saisie des moyens et prétentions de M. Roger Ainouze et les déclare en conséquence irrecevables ; Réforme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau, Prononce la résolution de la vente intervenue le 18 mai 1987 entre la SARL La Chaumière et Mme Timoteo et ordonne la restitution du fonds à cette dernière ; Condamne Mme Timoteo à restituer à la SARL La Chaumière une somme de 20 000 F (vingt mille francs) et à payer une indemnité de 30 000 F (trente mille francs), Condamne M. Morlas à restituer à la SARL La Chaumière la somme de 24 468 F (vingt-quatre mille quatre cent soixante-huit francs), Rejette toutes autres prétentions, Condamne in solidum Mme Timoteo et M. Morlas aux dépens de première instance et d'appel et autorise la SCP d'avoués De Saint Ferreol & Touboul à recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.