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Décisions

CA Dijon, 1re ch. sect. 1, 23 octobre 1996, n° 1925-95

DIJON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

La Tour d'Auxois (SARL)

Défendeur :

Périé (Consorts)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Ruyssen

Conseillers :

M. Kerraudren, Mlle Clerc

Avoués :

SCP Bourgeon-Kawala, SCP Fontaine-TRanchand

Avocats :

Mes Gambier, Nicolai-Jeunet.

T. com. Dijon, du 27 sept. 1994

27 septembre 1994

Exposé de l'affaire

Propriétaires d'un hôtel-restaurant à Saulieu, les consorts Périé ont vendu par deux actes notariés du 14 mars 1994 d'une part l'immeuble à la SCI La Tour d'Auxois, d'autre part le fonds de commerce, pour 1 million de francs, à la SARL La Tour d'Auxois.

Le 27 septembre 1994, la SARL La Tour d'Auxois a saisi le Tribunal de commerce de Dijon d'une action en réduction de prix, mais un jugement du 1er juin 1995 l'a déboutée et condamnée à payer le solde du prix. Ayant fait appel, elle demande à la cour :

- de réduire le prix de vente de 900 000 F,

- de lui donner acte de ses réserves concernant une éventuelle action en dommages-intérêts pour perte d'exploitation, perte de marchandises et frais,

- de condamner dès à présent les consorts Périé à lui verser 100 000 F à titre de dommages-intérêts et 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- de les condamner en outre au paiement des frais de notaire et des frais d'intervention de l'APAVE, outre intérêts de droit à compter du jour de la vente.

A l'appui de ces prétentions, la SARL La Tour d'Auxois soutient :

- que le fonds vendu est impropre à sa destination et devra être fermé si des travaux très importants, représentant au total 1 046 280,50 F, ne sont pas réalisés,

- que les consorts Périé ont manqué à leurs obligations réglementaires, du temps de leur exploitation, en ne réalisant pas les travaux de mise en conformité et en ne provoquant pas la visite régulière de la commission de sécurité,

- que son action en réduction de prix pour vices cachés et manquement à l'obligation de délivrance est ainsi bien fondée,

- que la clause d'exclusion de garantie contenue dans l'acte de vente est sans application dès lors- que les vendeurs connaissaient les vices de la chose et qu'elle-même n'avait pas la possibilité d'effectuer les vérifications nécessaires,

- que les bilans fournis par leurs adversaires comportent en outre des anomalies.

Les consorts Périé concluent de leur côté à la confirmation du jugement, sauf à obtenir 50 000 F à titre de dommages-intérêts et 10 000 F supplémentaires pour leurs frais irrépétibles. Ils souhaitent en outre que la SARL La Tour d'Auxois soit condamnée à leur payer immédiatement le solde du prix de vente du fonds, avec intérêts de retard, et, subsidiairement, Si l'action pour vice caché était accueillie dans son principe, qu'une expertise soit ordonnée pour chiffrer précisément les travaux de remise en état.

Pour l'essentiel, les consorts Périé font valoir :

- que la SARL La Tour d'Auxois à l'usage normal du fonds depuis son acquisition,

- que les défauts allégués, qui concernent l'agencement et l'aménagement du fonds, étaient apparents au moment de la vente, d'autant que les frères Guillier, porteurs des parts de la SARL, avaient les compétences nécessaires et qu'ils ont occupé les lieux pendant presque un mois avant leur acquisition,

- que leur hôtel-restaurant, établissement de famille depuis 1947, avait été classé comme hôtel de tourisme en 1993 après une inspection minutieuse et qu'ils n'avaient pas à provoquer d'autres visites,

- que la clause limitative de garantie contenue dans l'acte de vente doit s'appliquer entre professionnels de la même spécialité,

- que la carence de la SCI et de la SARL La Tour d'Auxois, qui ont cessé l'une et l'autre de régler leur dû, les met dans une situation dramatique.

En fin de procédure, la SCI La Tour d'Auxois est intervenue volontairement aux débats. Elle déclare s'associer aux conclusions et demandes de la SARL et elle réclame elle-même 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les consorts Périé répliquent en concluant à l'irrecevabilité et au mal fondé de cette intervention.

Discussion

Attendu que la SARL La Tour d'Auxois ne saurait reprocher aux consorts Périé d'avoir manqué à leur obligation de délivrance alors qu'elle est entrée en possession du fonds dès la vente du 14 mars 1994 et qu'elle n'a jamais cessé de l'exploiter depuis lors que le débat se situe en fait sur le terrain de la garantie des vices cachés due par le vendeur ; que selon les articles 1641 et 1644 du Code civil, en effet, l'acquéreur peut se faire rendre une partie du prix si la chose vendue est affectée de défauts cachés qui en diminuent tellement l'usage qu'il n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus ;

Attendu qu'au soutien de sa demande, la SARL La Tour d'Auxois invoque :

1) une lettre du Service d'hygiène alimentaire de la Côte d'Or, du 9 mai 1994, qui prescrit une réfection de la cuisine de son établissement (suppression des matériels et rayonnages en bois ou stratifiés, séparation des secteurs "propre" et "sale" et des secteurs "chaud" et "froid"),

2) un diagnostic "sécurité-incendie" dressé par l'APAVE le 1er septembre 1992, qui rappelle les prescriptions réglementaires en matière d'activité hôtelière et de restauration, qui conseille divers travaux importants et qui propose un calendrier,

3) un avis de la commission de sécurité de l'arrondissement de Montbard en date du 12 septembre 1994, faisant suite à une visite du 4 août précédent, qui se déclare défavorable à la poursuite de l'exploitation jusqu'à réalisation complète des travaux de mise en conformité des installations existantes en matière d'isolement, d'alarme, d'éclairage de sécurité, de cuisine, de chaufferie,

4) des devis de travaux, s'élevant au total à 1 123 510 F (extincteurs, transformation de la cuisine, faux plafonds, portes, escalier de service),

5) une facture de 3 479,72 F pour des extincteurs et une facture d'électricité de 2 213,67 F ;

Mais attendu que les consorts Périé répliquent que les défauts de conformités relevés par le Service d'hygiène, l'APAVE et la commission de sécurité n'étaient pas "cachés", lors de la vente, au sens de l'article 1641 du Code civil ; qu'ils font observer, sans être contredits, d'une part que l'un des trois associés de la SARL La Tour d'Auxois exerçait le métier de chef de cuisine et était donc un professionnel de la restauration, d'autre part que les frères Guillier ont passé plusieurs semaines dans l'établissement avant de signer leur acquisition ;

Attendu que cette défense apparaît pertinente ; que la SARL La Tour d'Auxois doit être considérée comme un acquéreur professionnel qui aurait dû s'apercevoir que l'hôtel-restaurant des consorts Périé était ancien et nécessitait des travaux de modernisation pour être conforme aux normes de sécurité et d'hygiène les plus récentes ; que l'importance des devis, à comparer avec les modestes factures versées aux débats, ne saurait d'ailleurs faire illusion ; qu'en dépit de l'avis défavorable de la commission de sécurité, il faut croire que les travaux préconisés n'ont pas pour la plupart de caractère urgent puisqu'il est acquis que l'établissement continue de fonctionner et de recevoir du public depuis plus de deux ans ;

Attendu au surplus que les consorts Périé se prévalent à juste titre de la clause d'exclusion de garantie contenue dans l'acte de vente du fonds de commerce ; qu'une telle disposition est valable, par application de l'article 1643 du Code civil, lorsqu'elle concerne, comme en l'espèce, des professionnels de même spécialité, sauf mauvaise foi du vendeur ; qu'il n'est pas établi, dans le cas présent, que les consorts Périé aient volontairement dissimulé les défauts de leur établissement ou qu'ils aient donné à leur cocontractant des assurances fallacieuses quant à sa conformité aux normes d'hygiène et de sécurité ;

Attendu que les autres moyens invoqués par la SARL La Tour d'Auxois sont inopérants ; qu'à supposer que les consorts Périé aient manqué à des obligations réglementaires en matière de conformité aux normes ou qu'ils aient présenté des bilans comportant des anomalies, ces faits ne sauraient justifier une action en réduction de prix fondée sur la garantie des vices cachés ;

Qu'il s'ensuit la confirmation du jugement, y compris en ce qu'il a condamné la SARL La Tour d'Auxois à verser le solde du prix de vente du fonds de commerce et à payer 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que les intérêts produits par les sommes encore dues par l'acquéreur sont ceux prévus dans l'acte du 14 mars 1994 ;

Attendu que l'appelante, qui succombe, ne peut prétendre à des dommages-intérêts ni au bénéfice de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; qu'il n'y a pas à lui donner acte de ses réserves ;

Attendu que les consorts Périé ne produisent aucun document justifiant d'un préjudice distinct de celui que doivent réparer les intérêts conventionnels ; qu'ils seront donc déboutés de leur demande de dommages-intérêts ; qu'en revanche, il y a lieu, en équité, de leur allouer une somme supplémentaire de 5 000 F pour leurs frais d'appel non compris dans les dépens ;

Attendu que la SCI La Tour d'Auxois est intervenue inutilement aux débats puisque les consorts Périé ne lui demandaient rien et qu'elle ne fait valoir elle-même aucune réclamation ; qu'elle gardera donc à sa charge les frais de son intervention et sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Décision

Par ces Motifs, LA COUR, - confirme le jugement attaqué, - déboute la SARL La Tour d'Auxois et la SCI La Tour d'Auxois de leurs demandes, - déboute les consorts Périé de leur demande de dommages-intérêts, - condamne la SARL La Tour d'Auxois à payer aux consorts Périé une somme supplémentaire de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - la condamne également aux dépens d'appel, à l'exception de ceux afférents à l'intervention de la SCI La Tour d'Auxois qui resteront à la charge de celle-ci.