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Décisions

CA Lyon, 3e ch., 4 février 1994, n° 92-05239

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Barriquand (SA)

Défendeur :

Teintureries Tournier (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schumacher

Conseillers :

M. Durand, Mme Robert

Avocats :

Mes Chantelot, Robert.

T. com. Roanne, du 2 sept. 1992

2 septembre 1992

Faits procédure et prétentions des parties

La société Teintureries Tournier qui désire acquérir un séchoir de bobines de fil prend contact avec la société Barriquand laquelle le 14 janvier 1986 lui propose, pour lui permettre d'atteindre ses objectifs, un séchoir type RSC - H 200 D 80 dont les principales caractéristiques sont les suivantes séchage rapide des bobines sur porte-matière teinture, capacité 240 kg, matière coton, bobines bi-coniques, emboîtables 33-35 Zimmermann sur porte matière diamètre 800, hauteur 2 000, 14 bobines avant pressage, 18 bobines après pressage, 12 piles, poids par passe 180 à 240 kg, pile de 15 à 20 kg, temps de séchage 1 heure 15 à i heure 30 suivant caractéristiques des bobines.

La société Barriquand indique à la société Tournier qu'elle peut obtenir une subvention de 15 Z du prix de l'installation de la part de l'Agence Nationale pour le Développement et la Production Appliquée (ADEPA).

Le 14 avril 1986, la société Tournier confirme la commande dont le financement est convenu ainsi :

50 000 F à la commande - TVA à la livraison - solde en 24 traites égales.

Le 20 mai 1986, l'ADEPA indique à la société Tournier qu'elle ne peut prendre en compte cet investissement car il ne s'agit pas d'un matériel nouveau.

La société Barriquand propose alors un chauffage électrique.

Le 2 juillet 1986, la société Tournier confirme la commande en reprenant les spécifications du matériel et le prix en précisant que le financement sera fait par Sofinabail 30 % à la livraison, 70 % à 90 jours.

L'installation du matériel est effectuée en juillet et août 1986.

Le 25 septembre 1986, la société Tournier écrit au fabricant pour se plaindre du mauvais fonctionnement de l'installation et lui adresse une facture de frais non prévus.

Dans une lettre du 17 octobre 1986, la société Tournier fait état de plusieurs problèmes techniques et par des télex des 14 novembre 1986 et 18 novembre 1986 précise qu'il est impossible de dépasser 180 kg que les temps de séchage ne sont pas respectés ; réclamations renouvelées par des lettres des 8 décembre 1986 et 13 janvier 1987, 31 mars 1987, 4 juin 1987.

Le 22 janvier 1987, la société Tournier écrit à l'AUEPA qui lui a notifié une subvention de 10 % que malgré les problèmes que présente le matériel le retour du séchoir n ' est pas envisagé et que le travail de mise au point restant ne met pas en cause les principes de l'installation.

Le 29 janvier 1987, la société Tournier écrit à Sofinabail pour lui dire qu'elle est d'accord pour le règlement de la traite prévue et que le matériel installé est en état de marche.

Le 30 avril 1987, un surpresseur du séchoir tombe en panne.

La société Tournier s'adresse à la société Barriquand puis au constructeur des surpresseurs, la société Continental Industrie.

Par ordonnance de référé du 15 juillet 1987, Monsieur Gruet est désigné comme expert par le Président du Tribunal de commerce de Pau.

Le 27 décembre 1989, la société Tournier assigne, après le dépôt du rapport d'expertise, la société Barriquand devant le Tribunal de commerce de Roanne en paiement de la somme de 6 227 000 F pour le préjudice arrêté au 30 octobre 1989 jusqu'à la solution technique des problèmes, de la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Barriquand demande en référé la désignation d'un nouvel expert et le 17 janvier 1990, Monsieur Gruet est maintenu comme expert avec mission complémentaire, compte-tenu des observations de la société Barriquand, sur les conséquences des modifications effectuées sur l'installation à l'initiative de la société Tournier en modifiant les arrivées d'air du séchoir et en faisant procéder au changement des turbines par la société Continental Industrie.

Le 5 juillet 1990, le Président du Tribunal de commerce de Roanne confirme l'expert dans sa mission en apportant des compléments et des précisions

Le 12 avril 1991, l'expert a déposé son second rapport.

La société Tournier a porté sa demande principale à la somme de 8 691 688,24 F.

La société Barriquand a conclu au rejet des demandes et a sollicité la somme de 128 313,34 F en paiement des factures impayées.

Par jugement du 2 septembre 1992, le tribunal a condamné la société Barriquand à payer à la société Tournier la somme de 1 195 903,70 F HT outre intérêts depuis le 12 juin 1987 jusqu'à complet paiement de la somme et la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Barriquand a relevé appel de cette décision.

Elle soutient que l'expert a accumulé les erreurs et les contradictions et que le parti pris le dispute à l'imprécision ; qu'il n'a pas vérifié si l'installation existante avait ou non les mêmes performances que celle d'origine et s'est contenté d'affirmer que les performances actuelles sont identiques ; qu'il a dénaturé les conventions des parties.

L'appelante fait valoir que le séchoir est conforme au cahier des charges et que le rapport d'expertise ne peut être homologué, comme le démontre le rapport de Monsieur Moiroux, expert judiciaire, dont les conclusions sont accablantes pour les travaux de Monsieur Gruet.

La société Barriquand considère que les demandes de la société Tournier sont irrecevables car elle a accepté trois réceptions de l'installation :

- réception technique après essai contradictoire du 24 octobre 1986

- réception à l'égard de l'ADEPA selon courrier du 22 janvier 1987

- réception à l'égard de Sofinabail selon courrier du 29 janvier 1987

Qu'ainsi la société Tournier ne peut prétendre que le séchoir n'est pas conforme à la commande.

Elle souligne que la procédure a été engagée sans que Sofinabail soit appelée alors que le contrat de crédit-bail prévoit que le bailleur doit être appelé dans toutes les instances visant à obtenir du fournisseur une indemnité pécuniaire.

L'appelante invoque la clause d'exclusion de garantie du contrat en raison des travaux exécutés par un tiers, la société Continental Industrie, sans son accord préalable.

Elle se prévaut de la clause contractuelle de limitation de garantie qui prévoit que si les résultats industriels ou économiques ne sont pas atteints et à défaut de pénalités spécifiées, celles-ci ne pourront dépasser une somme totale égale au maximum à 5 % de la valeur HT du matériel, garantie qui ne pourrait être mise en œuvre que selon la durée et le point de départ définis à l'article 8-2 des conditions de la FIMTM.

La société Barriquand conteste les motivations du jugement qui a considéré que la limitation de garantie constituait une clause léonine et que le fabricant avait commis une faute lourde en soulignant que s'il y avait eu faute lourde la société Barriquand avait la possibilité dans un délai de 3 mois de restituer l'appareil alors qu'elle a procédé à une triple réception du matériel.

Elle demande le paiement de la somme de 128 313,84 F outre intérêts, montant de factures, la restitution de la somme de 1 872 501,45 F outre intérêts dont le paiement a été exigé au titre de l'exécution provisoire.

La société Tournier conclut à la confirmation du jugement sur le principe de la responsabilité de la société Barriquand et formant appel incident sur le montant de son préjudice réclame la somme de 8 283 883 F outre intérêts de droit et la somme de 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle soutient que les deux rapports d'expertise démontrent le non respect par le fabricant du cahier des charges et des performances du séchoir qui n'a jamais rempli les fonctions prévues.

Sur la recevabilité de ses demandes, la société Tournier conteste la réalité d'une réception technique le 24 octobre 1986 et se réfère aux motifs du jugement qui représentent la réalité de ce qui s est passé, les essais du 24 octobre qui ne constituaient pas une réception technique ayant démontré que le séchoir n'était pas conforme à la commande.

Sur la prétendue réception à l'égard de l'ADEPA, l'intimée observe que dans sa lettre du 22 janvier 1987 elle formule des réserves et qu'à cette époque elle avait fait état de son mécontentement à la société Barriquand qui lui faisant des promesses.

Sur la lettre du 29 janvier 1987 à Sofinabail elle se réfère à la motivation du jugement en soulignant que le fabricant a tout fait à cette époque pour faire croire qu'il était en mesure de régler les problèmes.

Sur le fait qu'elle n'a pas appelé Sofinabail dans la procédure, la société Tournier soutient que la procédure a été engagée avec l'accord de Sofinabail qui a été réglée des échéances et qui est totalement désintéressée de sorte que la procédure ne la concerne pas.

Sur le fond, l'intimée fait valoir que la société Barriquand n'a pas livré la machine correspondant aux spécificités de la commande ; qu'aux termes du paragraphe 8-1 du contrat le fabricant doit garantir les défectuosités du matériel livré et remédier à tout vice de fonctionnement provenant d'un défaut dans la conception ou l'exécution ; qu'elle a avisé conformément au contrat le vendeur sans retard et par écrit des vices qui se sont manifestés dans les six mois ; qu'ainsi le fabricant qui n'a pas remédié aux vices de la machine ne peut se décharger de ses obligations en invoquant la clause des 5 % relative à des résultats industriels alors qu'il n'a pas exécuté le contrat.

Elle considère que l'appelante ne peut invoquer aucune exclusion de garantie ; qu'en effet l'expert a clairement indiqué que l'intervention de Continental Industries qui a remplacé à l'identique des éléments détériorés n'a eu aucune incidence sur les performances du séchoir.

Elle soutient que le fabricant qui n'a pas fait d'étude, ni de calculs aéronautiques, ni aucun essai permettant d'obtenir les résultats annoncés, a commis une faute lourde.

Sur le préjudice subi, la société Tournier considère que le tribunal l'a largement sous estimé en réduisant le rôle du séchoir à une quelconque machine alors qu'une usine de teinture ne peut fonctionner sans son séchoir.

Elle souligne que pendant que cette affaire paralysait son activité, la concurrence s'est développée, elle a dû licencier plus de la moitié de son personnel et elle estime qu'il serait normal qu'elle soit aujourd'hui au minimum au même point qu'en 1985-86. Elle demande que son préjudice soit évalué ainsi :

- coûts directs 561 708,70 F

- surcoût de séchage

a) 1 188 750,00 F

b) 900 000 F

- non atteinte de performances 245 000 F

- remise en état du matériel 550 000 F

- préjudice commercial 3 420 000 F

- frais financiers 1 418 425 F

Motifs et décision

Attendu que contrairement à ce que soutient la société Barriquand, aucune réception technique n'est intervenue le 24 octobre 1986 ; que les pièces versées aux débats établissent que des essais se sont déroulés du 20 au 24 octobre 1986 en présence des parties et que ces essais ne sont pas conformes aux performances annoncées par le fabricant ;

Attendu que dans sa lettre adressée le 22 janvier 1987 à l'ADEPA, la société Tournier indique qu'elle n'envisage pas de retourner la machine mais elle fait état des travaux de mise au point qui restent à effectuer ; que motivé par la volonté de l'acquéreur d'obtenir une subvention, ce courrier, qui comprend des réserves ne peut être considéré comme une réception du matériel à l'égard du fabricant ;

Attendu que la lettre adressée le 29 janvier 1987 à la société Sofinabail par laquelle la société Tournier précise que l'ensemble du matériel est en état de marche, a pour but d'obtenir le financement du matériel et ne constitue pas davantage une réception du matériel à l'égard du fabricant alors que de novembre 1986 jusqu'à la procédure de référé de juin 1987 la société Tournier n'a pas cessé de dénoncer au fabricant les insuffisances de la machine ;

Attendu que la société Barriquand ne conteste pas que la société Sofinabail qui n'a pas été appelée dans la procédure par la société Tournier, contrairement aux stipulations contractuelles, a été totalement désintéressée par l'intimée et n'a donc plus intérêt à agir ;

Attendu qu'il résulte des constatations de l'expert que le séchoir à fils en bobines n'atteint pas les performances annoncées par le fabricant lors de la vente capacité de séchage de 18 bobines de fil après pressage de 180 à 240 kg en un temps de 1 heure 15 à 1 heure 30 selon les caractéristiques des bobines ; qu'aucun séchage n'a pu être réalisé avec 18 bobines ; que deux essais sur six ont correspondu aux prévisions contractuelles pour le poids et la durée du séchage ; que la consommation électrique est de 13 % supérieure aux données contractuelles ; que les prévisions qualitatives ne sont pas atteintes (manque d'homogénité du séchage sur certaines passes, migration de couleurs avec certaines matières, phénomène de jaunissement des blancs) vieillissement prématuré du matériel ;

Attendu que les modifications apportées par la société Tournier à l'installation d'origine n'ont eu selon l'expert, aucune incidence sur les performances du séchoir ; que dès lors l'appelante ne peut se prévaloir de la clause contractuelle d'exclusion de garantie en raison de travaux exécutés par un tiers ;

Attendu que dans ces conditions la demande de dommages-intérêts de la société Tournier est fondée dans son principe ;

Attendu la société Tournier ne démontre pas que le fait que les performances obtenues dans la configuration d'origine ne correspondent pas aux performances annoncées par la société Barriquand lors de la vente constitue une faute lourde ;

Attendu qu'en effet n'ayant pas demandé la résolution de la vente, la société Tournier qui utilise la machine malgré ses performances insuffisantes ne peut invoquer l'inexécution du contrat par le fabricant pour voir écarter la clause limitative de responsabilité dont se prévaut l'appelante, qui stipule que lorsque les résultats industriels ne sont pas atteints les pénalités ne pourront dépasser une somme totale égale au maximum à 5 % de la valeur HT en atelier du matériel ;

Attendu qu'il n'est pas contesté que la valeur hors taxe du matériel était de 1 060 300 F ; que dès lors il sera alloué à la société Tournier la somme de 53 015 F à titre de dommages-intérêts ;

Attendu que la demande reconventionnelle de la société Barriquand n'est pas justifiée ; qu'elle sera rejetée ; que par contre l'appelante est fondée à demander la restitution de la somme qu'elle a payée au titre de l'exécution provisoire ;

Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser aux parties la charge des frais non compris dans les dépens qu'elles ont exposés ;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement sur le principe de la demande de dommages-intérêts de la société Tournier et sur les dépens de première instance comprenant les frais d'expertise Le réformant sur le montant du préjudice Condamne la société Barriquand à payer à la société Tournier la somme de 53 015 F à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 1989 ; Condamne la société Tournier à restituer à la société Barriquand la somme de 1 872 501,45 F avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt Rejette la demande reconventionnelle Rejette les demandes d'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Dit que les dépens d'appel seront supportés par moitié par chacune des parties avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause.