Livv
Décisions

TPICE, 3e ch. élargie, 22 octobre 1996, n° T-79/95

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société nationale des chemins de fer français, British Railways Board, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, Channel Tunnel Group Ltd, France Manche (SA), Eurotunnel (Sté), British Railways Board, European Passenger Services Ltd

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Briët

Juges :

MM. Vesterdorf, Potocki, Cooke, Mme Lindh

Avocats :

Mes Rapp-Jung, Flandin, Héron Schwaighofer, Roth.

TPICE n° T-79/95

22 octobre 1996

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre élargie),

Faits à l'origine du litige

1 Par traité signé le 12 février 1986, la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (ci-après "Royaume-Uni") se sont engagés à autoriser la construction et l'exploitation par des concessionnaires privés d'une liaison ferroviaire sous la Manche (ci-après "lien fixe" ou "tunnel") entre Fréthun dans le Pas-de-Calais et Cheriton dans le Kent.

2 En vertu d'un contrat signé le 14 mars 1986 avec le secrétaire d'État aux Transports du Royaume-Uni et le ministre de l'Urbanisme, du Logement et des Transports français, les sociétés Channel Tunnel Group et France Manche ont obtenu la concession pour la construction et l'exploitation du tunnel sous la Manche. A cette fin, elles ont créé une société en participation sous le nom de "Eurotunnel". La durée de la concession, initialement fixée à 55 ans, a été portée à 65 ans en 1994.

3 L'annexe I au contrat de concession prévoit les conditions d'exploitation d'un service de navettes entre Fréthun et Cheriton (ci-après "navettes"). Il incombe à Channel Tunnel Group et à France Manche (ci-après "Eurotunnel"), en tant que concessionnaires, d'assurer les fréquences minimales de navettes définies par le contrat (article A.I.32 du contrat de concession). Par ailleurs, il ressort des dispositions de l'annexe I au contrat de concession que le tunnel sera également utilisé pour assurer le passage de trains internationaux des compagnies de chemins de fer autres que Eurotunnel entre des localités situées au Royaume-Uni et des localités situées sur le continent (ci-après "trains internationaux").

4 Le 29 juillet 1987, Eurotunnel, d'une part, et les requérantes, d'autre part, ont conclu une convention relative à l'utilisation du lien fixe (ci-après "convention"). La convention a été conclue dans le cadre et pour la durée de la concession obtenue par Eurotunnel.

5 Aux termes de son article 6.2, les requérantes "auront droit à tout moment pendant la durée de la [...] convention à cinquante pour cent (50 %) de la capacité du lien fixe, pour chaque heure et dans chaque sens [...], à moins qu'[elles] ne donnent leur accord pour renoncer à une partie de leur droit, un tel accord ne devant pas être refusé de façon injustifiée". La capacité restante du tunnel, mesurée en sillons standards par heure, demeure à la disposition d'Eurotunnel, gestionnaire de l'infrastructure. En contrepartie de l'utilisation du lien fixe, les requérantes doivent payer à Eurotunnel des charges comprenant un élément fixe et un élément variable calculé en fonction du trafic effectif et présentant un caractère dégressif. Pendant les douze premières années, ces charges ne peuvent être inférieures à un certain seuil. Conformément à l'article 10 de la convention, les requérantes doivent également rembourser à Eurotunnel une partie des coûts d'exploitation du lien fixe, tels que décrits à l'annexe V. Elles s'engagent par ailleurs à faire des investissements importants visant à aménager leurs infrastructures ferroviaires respectives dans la mesure nécessaire à l'utilisation du tunnel, ainsi qu'à disposer de matériel spécifique adapté à cette utilisation.

6 Le 2 novembre 1987, Eurotunnel, en accord avec les requérantes, a notifié la convention à la Commission, afin d'obtenir une déclaration de non-applicabilité de l'interdiction édictée par l'article 2 du règlement (CEE) n° 1017-68 du Conseil, du 19 juillet 1968, portant application de règles de concurrence aux secteurs des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable (JO L 175, p. 1, ci-après "règlement n° 1017-68"). La Commission a publié un résumé de la notification au Journal officiel des Communautés européennes du 16 novembre 1988 (JO C 292, p. 2), conformément à l'article 12, paragraphe 2, du règlement n° 1017-68. Elle a décidé de laisser s'écouler le délai de 90 jours prévu à l'article 12, paragraphe 3, dudit règlement sans soulever de doutes sérieux, accordant ainsi une exemption de trois années à compter de la date de publication au Journal officiel du résumé de la notification.

7 Par lettre du 25 janvier 1989, Eurotunnel a sollicité de la Commission une décision formelle d'exemption pour une durée égale à celle de la convention. La Commission a publié un résumé de cette demande au Journal officiel du 17 juillet 1990 (JO C 176, p. 2), conformément à l'article 26, paragraphe 3, du règlement n° 1017-68.

8 Le 20 septembre 1991, Eurotunnel a communiqué un mémorandum à la Commission, dans lequel il était expliqué que les dispositions de la convention étaient compatibles avec l'article 2 du règlement n° 1017-68.

9 La Commission a, par lettre du 28 février 1994, demandé à la Société nationale des chemins de fer français (ci-après "SNCF") de lui communiquer "les prévisions du trafic de passagers et marchandises entre le Royaume-Uni et le continent au cours des douze premières années d'exploitation du tunnel" ainsi que "le nombre de sillons horaires, selon les heures de la journée, que [les requérantes envisageaient] d'utiliser pour réaliser ce trafic". Par lettre du 29 mars 1994, la SNCF a répondu:

"A l'horizon de douze ans, et dans les limites que comportent naturellement de telles prévisions, la capacité nécessaire pour assurer l'ensemble de ces trafics représente en moyenne approximativement 75 % de la capacité réservée aux [requérantes] par la convention d'utilisation passée avec Eurotunnel. Ce chiffre tient compte des caractéristiques diverses en termes de vitesses des différents types de circulation dans le tunnel. Le taux moyen de 75 % est par ailleurs susceptible de varier autour de cette valeur selon les moments de la journée, sans qu'il soit pour l'instant possible d'être plus explicite étant donné les incertitudes sur le schéma de la demande."

10 Par lettre du 2 mai 1994, la Commission a communiqué aux requérantes le projet d'une nouvelle communication qu'elle s'apprêtait à publier au Journal officiel concernant la possible exemption de la convention. La SNCF a formulé des observations sur ce projet par lettres des 19 mai et 13 juin 1994. British Railways Board (ci-après "BR") a fait de même par lettre du 14 juin 1994.

11 Dans le Journal officiel du 30 juillet 1994 (JO C 210, p. 15), la Commission a publié une communication conformément à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), et à l'article 26, paragraphe 3, du règlement n° 1017-68. Dans cette communication (point 19), la Commission relève que les conditions de fonctionnement du secteur des transports ferroviaires ont été sensiblement modifiées par l'adoption de la directive 91-440-CEE du Conseil, du 29 juillet 1991, relative au développement de chemins de fer communautaires (JO L 237, p. 25, ci-après "directive 91-440"). La communication souligne ensuite (point 21) que la convention comporte deux aspects différents: une répartition de la capacité de l'infrastructure qui relèverait du règlement n 17 et une répartition du marché du transport qui relèverait du règlement n° 1017-68. Elle fait état (point 24) d'une réduction de 20 % du pourcentage de sillons horaires attribués aux requérantes, afin que la convention puisse bénéficier d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité CE.

12 La directive 91-440, à laquelle fait référence la communication de la Commission du 30 juillet 1994, introduit deux innovations en vue d'améliorer l'efficacité et la compétitivité du réseau de chemins de fer communautaire. D'une part, elle prévoit une séparation comptable entre l'exploitation des services de transport et la gestion de l'infrastructure (article 6). D'autre part, elle vise dans une certaine mesure à promouvoir la liberté de prestation des services dans le secteur ferroviaire. Ainsi, son article 10 institue, au profit des entreprises ferroviaires, à compter du 1er janvier 1993 et sous certaines conditions, un droit d'accès aux infrastructures ferroviaires situées dans la Communauté. Ultérieurement, le Conseil a encore adopté la directive 95-19-CE, du 19 juin 1995, concernant la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire et la perception de redevances d'utilisation de l'infrastructure (JO L 143, p. 75, ci-après "directive 95-19").

13 Par lettres des 11 et 14 octobre 1994, la Commission a informé la SNCF et BR qu'elle s'apprêtait à réduire les capacités attribuées aux requérantes de 25 % et non de 20 %, à la suite des remarques qu'elle avait reçues de dix tiers intéressés. Les requérantes ont formulé des observations sur cette intention de la Commission par lettres datées du 19 octobre 1994.

Décision litigieuse

14 La Commission a adopté la décision litigieuse le 13 décembre 1994. Celle-ci (point 49) est fondée sur le règlement n° 1017-68 dans la mesure où la convention concerne les services de transports, et sur le règlement n 17 dans la mesure où elle concerne la mise à disposition de capacités de l'infrastructure.

15 La décision distingue les différents marchés en cause (points 51 à 67):

- d'une part, le marché de la fourniture de sillons horaires pour le transport ferroviaire dans le tunnel, eu égard au fait que le tunnel sous la Manche constituerait une facilité essentielle pour les entreprises ferroviaires souhaitant fournir des services de transport entre le Royaume-Uni et le continent, la dimension géographique de ce marché étant limitée au tunnel et à ses zones d'accès;

- d'autre part, plusieurs marchés de services de transport international de passagers et de marchandises entre le Royaume-Uni et le continent.

16 Elle fait ensuite état (points 69 à 84) des deux restrictions de concurrence suivantes qui résulteraient de la convention.

17 Sur les marchés de transport, la convention consacrerait une répartition des marchés entre, d'une part, Eurotunnel, qui se concentrerait sur l'exploitation des navettes, et, d'autre part, les requérantes, qui exploiteraient des trains internationaux de transport de passagers et de marchandises. Eu égard au fait que chaque partie à la convention aurait juridiquement la possibilité d'exploiter les services réservés à l'autre partie, cette répartition de marché restreindrait la concurrence entre Eurotunnel et les requérantes.

18 Sur le marché de la fourniture de sillons horaires pour le transport ferroviaire dans le tunnel sous la Manche, la convention permettrait aux requérantes de disposer à tout moment de 50 % de la capacité du tunnel. Compte tenu du fait que, aux termes de la convention, la moitié de la capacité du tunnel serait réservée aux services de navettes et que l'autre moitié serait réservée aux trains internationaux de passagers et de marchandises, les requérantes disposeraient, en fait, de 100 % des sillons horaires disponibles pour cette dernière catégorie de transports. D'autres entreprises ferroviaires ne pourraient pas, dès lors, obtenir du gestionnaire d'infrastructure les sillons horaires nécessaires pour exploiter des trains internationaux de transport de passagers ou de marchandises en concurrence avec les requérantes.

19 La décision déclare les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité, de l'article 2 du règlement n° 1017-68 et de l'article 53, paragraphe 1, de l'accord EEE inapplicables à la convention pour une période de 30 ans à compter du 16 novembre 1991. Eu égard au fait que la Commission estime que la réservation aux requérantes de la totalité des sillons horaires disponibles pour les trains internationaux n'est pas indispensable pour que celles-ci puissent réaliser leurs prestations de transport et participer à la réussite du projet (point 102 de la décision litigieuse), elle assortit l'exemption de conditions et de charges.

20 Les conditions (ci-après "conditions litigieuses") sont énoncées à l'article 2, sous A, de la décision litigieuse:

"a) En application des dispositions de l'article 6.2 de la convention d'utilisation, BR et la SNCF ne peuvent s'opposer à ce que le gestionnaire de l'infrastructure en cause vende à d'autres entreprises ferroviaires les sillons horaires nécessaires pour fournir des services de transport international de passagers et de marchandises.

b) BR et la SNCF doivent toutefois pouvoir disposer des sillons horaires nécessaires pour assurer un niveau de service approprié au cours de la période expirant au 31 décembre 2006, soit jusque 75 % de la capacité horaire du tunnel dans chaque sens, réservée aux trains internationaux de transport de passagers et de marchandises aux fins d'opérer leurs propres services et ceux de leurs filiales.

c) Au cours de la période visée au point b), les autres entreprises ferroviaires et regroupements d'entreprises ferroviaires doivent pouvoir disposer d'au moins 25 % de la capacité horaire du tunnel dans chaque sens pour exploiter des trains internationaux de passagers et de marchandises.

d) Les conditions visées aux points b) et c) ne s'opposent pas à ce que BR et la SNCF pendant la période visée au point b) utilisent plus de 75 % de la capacité horaire si les autres entreprises ferroviaires n'utilisent pas 25 % de la capacité restante.

e) Les conditions visées aux points b) et c) ne s'opposent pas non plus à ce que les autres entreprises ferroviaires utilisent pendant la période visée au point b) plus de 25 % de la capacité horaire si BR et la SNCF n'utilisent pas 75 % de la capacité qui leur est réservée.

f) Ces ajustements ne doivent toutefois pas s'opposer au droit de BR et de la SNCF d'utiliser en tant que de besoin pendant la période visée au point b) jusque 75 % des sillons horaires réservés pour les trains internationaux ni au droit des autres entreprises d'utiliser jusqu'à 25 % de la capacité en cause.

g) La proportion de sillons horaires réservés à BR et à la SNCF sera réexaminée par la Commission avant le 31 décembre 2006."

Procédure et conclusions des parties

21 Par requêtes déposées au greffe du Tribunal respectivement les 7 et 8 mars 1995, la SNCF et BR ont introduit les présents recours.

22 Chacune d'elles a également introduit une demande de sursis à l'exécution de l'article 2, sous A, de la décision attaquée, en vertu des articles 185 et 186 du traité. Par ordonnance du président du Tribunal du 12 mai 1995 (SNCF et British Railways/Commission, T-79-95 R et T-80-95 R, Rec. p. II-1433), les demandes ont été rejetées et la décision sur les dépens a été réservée.

23 Par requêtes déposées au greffe du Tribunal respectivement le 31 juillet 1995 et le 18 août 1995, le Royaume-Uni et Eurotunnel ont demandé à intervenir à l'appui des conclusions des parties requérantes dans les deux affaires. Par requête déposée le 18 août 1995, European Passenger Services Ltd (ci-après "EPS") a demandé à intervenir à l'appui des conclusions de la partie requérante dans l'affaire T-80-95. Les requérantes ont sollicité un traitement confidentiel de certains éléments de la requête à l'égard d'Eurotunnel. Les demandes en intervention et les demandes de traitement confidentiel ont été admises par ordonnances du Tribunal (troisième chambre élargie) datées du 18 décembre 1995.

24 Les parties requérantes ainsi que le Royaume-Uni et EPS concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

- annuler la décision de la Commission;

- à titre subsidiaire, annuler la décision en tant qu'elle est assortie de conditions (article 2, sous A);

- condamner la Commission aux dépens.

25 Eurotunnel conclut à ce qu'il plaise au Tribunal annuler la décision de la Commission du 13 décembre 1994 relative à Eurotunnel (IV/32.490).

26 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter les recours;

- condamner les parties requérantes aux dépens.

27 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Toutefois, il a invité les parties à répondre à certaines questions écrites avant l'audience, auxquelles il a été répondu dans les délais.

28 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée le 25 juin 1996.

29 Les parties entendues sur ce point à l'audience, le Tribunal (troisième chambre élargie) décide de joindre les deux affaires aux fins de l'arrêt.

Sur le fond

Observations liminaires

30 Les requérantes invoquent six moyens identiques en vue d'obtenir l'annulation de la décision ou, à titre subsidiaire, des conditions litigieuses. Le premier moyen est tiré de la méconnaissance de la portée du règlement n° 1017-68, le deuxième d'une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, de l'article 2 du règlement n° 1017-68 et de l'article 53, paragraphe 1, de l'accord EEE, le troisième d'une violation de l'article 85, paragraphe 3, du traité, de l'article 5 du règlement n° 1017-68 et de l'article 53, paragraphe 3, de l'accord EEE, le quatrième d'un excès de pouvoir, le cinquième d'une violation des droits de la défense et le sixième d'une violation de l'article 190 du traité. La SNCF se fonde également sur une violation des articles 8, paragraphe 3, du règlement n 17 et 13, paragraphe 3, du règlement n° 1017-68, relatifs à la révocation d'une exemption. Enfin, dans ses mémoires en intervention, Eurotunnel s'interroge sur la compétence de la Commission pour adopter la décision litigieuse.

31 Le Tribunal constate que dans leurs deuxième et troisième moyens, les requérantes font d'abord valoir que le raisonnement juridique de la Commission a été fondé sur une erreur de fait, de sorte que non seulement l'évaluation des effets anticoncurrentiels de la convention aurait été viciée, mais également l'examen de cette convention au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, de l'article 5 du règlement n° 1017-68 et de l'article 53, paragraphe 3, de l'accord EEE.

32 Le Tribunal estime opportun d'examiner d'abord le bien-fondé des branches des deuxième et troisième moyens relatives à une erreur de fait.

Quant à la prétendue erreur de fait

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

33 Les parties requérantes font valoir que l'appréciation de la Commission au point 84 de la décision litigieuse, selon laquelle la convention "a pour objet et pour effet de restreindre la concurrence sur le marché de la fourniture de sillons horaires pour le transport ferroviaire dans le tunnel ainsi que sur les marchés de transports" est fondée sur la considération que "la moitié de la capacité du tunnel est réservée aux services de navettes et que l'autre moitié est réservée aux trains internationaux de passagers et de marchandises" (point 81) et que, dès lors, les requérantes disposent de 100 % des sillons horaires disponibles pour cette dernière catégorie de transports (point 82). Soutenues par toutes les parties intervenantes, elles insistent sur le fait que la convention ne contient aucune disposition réservant la moitié de la capacité du tunnel à Eurotunnel en vue de l'exploitation de navettes et réservant le solde aux requérantes en vue de l'exploitation de trains internationaux de voyageurs et de marchandises.

34 La Commission se serait fondée presque uniquement sur une déclaration isolée figurant dans la notification [point III.1.c ii) de la notification] pour conclure à une prétendue impossibilité pour des entreprises ferroviaires tierces d'obtenir des sillons dans le tunnel à l'effet d'exploiter des trains internationaux. Par ailleurs, la Commission aurait passé sous silence les déclarations ultérieures faites par Eurotunnel dans son mémorandum du 20 septembre 1991 (voir ci-dessus, point 8) contredisant l'interprétation que donnait la Commission de la convention. Les requérantes relèvent à cet égard que le point 3.1.3 du mémorandum énonce:

"Eurotunnel n'a aucun intérêt à favoriser un moyen de transport plutôt qu'un autre, puisqu'ils pourvoient à des besoins différents. En réalité, la répartition de la capacité sera décidée à l'avenir par la demande des usagers."

35 Elles font observer que Eurotunnel pourrait tenir le tunnel ouvert à d'autres entreprises ferroviaires en mettant à leur disposition une partie de la capacité dont elle dispose. Il incomberait à Eurotunnel, en tant que gestionnaire de l'infrastructure, de permettre aux entreprises ferroviaires tierces qui le demandent d'accéder au tunnel. Comme il n'y aurait aucune obligation d'Eurotunnel d'affecter les 50 % de la capacité dont elle dispose au service de navettes, la possibilité des entreprises tierces de demander l'accès du tunnel serait pleinement conforme à l'économie de la convention.

36 Dans ses mémoires en intervention (point 4 et points 80 à 86) ainsi qu'à l'audience, Eurotunnel a également affirmé qu'aucune stipulation de la convention n'impose de réserver aux services de navettes les 50 % de la capacité qui n'ont pas été attribués aux requérantes. Par conséquent, la convention n'empêcherait pas Eurotunnel de mettre à la disposition de tiers une partie de sa propre capacité pour l'exploitation de trains internationaux. Physiquement le tunnel offrirait en moyenne suffisamment de disponibilité pour les demandes éventuelles des tiers. Juridiquement, en vertu des directives 91-440 et 95-19, les entreprises tierces bénéficieraient en tout état de cause d'un droit d'accès aux infrastructures des États membres.

37 Les requérantes estiment que l'erreur de fait consistant à considérer qu'elles disposeraient de 100 % des sillons horaires disponibles pour les trains internationaux, excluant ainsi toute possibilité pour les entreprises tierces d'obtenir les sillons horaires nécessaires pour cette catégorie de transport, a eu pour conséquence que la Commission a assorti la décision d'exemption de conditions qu'elles qualifient de superflues et de disproportionnées.

38 La Commission rejette l'argumentation des parties requérantes et intervenantes en citant plusieurs documents, dont certains prouveraient l'existence d'un partage de marché entre les requérantes et Eurotunnel - point qui n'est pas traité dans le cadre du présent moyen - et dont certains autres tendraient à démontrer la réalité d'une répartition de la capacité du tunnel, à parts égales, entre les navettes et les trains internationaux. En ce qui concerne cette prétendue répartition de la capacité du tunnel, la Commission se réfère particulièrement au point III.1.c ii) de la notification.

39 Elle se réfère également aux points 3.1.1 et 3.1.2 du mémorandum du 20 septembre 1991 (voir ci-dessus point 8), qui sont rédigés dans les termes suivants:

"3.1.1 Étant donné que la capacité du tunnel est nécessairement limitée, la capacité devait être divisée entre les deux modes de transport. Selon la répartition actuelle, ni les trains ni les navettes ne peuvent en utiliser plus de 50 %.

3.1.2 Cette répartition 50/50 n'a pas été établie définitivement. Si l'expérience montre que l'un des modes de transport fait l'objet d'une demande plus grande, sa part de la capacité peut être augmentée; voir l'article 6.2 (i) de la convention."

40 Au vu de ces différents éléments, la Commission estime que, en vertu de la convention, les 50 % de la capacité du tunnel qui n'ont pas été attribués aux requérantes doivent être utilisés pour l'exploitation de navettes. Eu égard au fait que les autres 50 % doivent être utilisés pour l'exploitation des trains internationaux et que la totalité de la capacité destinée à l'exploitation de "trains internationaux" est réservée aux requérantes, les entreprises tierces désirant exploiter des trains internationaux en utilisant le tunnel ne seraient pas en mesure d'obtenir les sillons horaires nécessaires.

41 Elle ajoute que, à supposer même que l'accord n'ait pas procédé à une telle répartition des marchés de transport et que les compagnies ferroviaires tierces conservent par conséquent la possibilité de recourir aux sillons d'Eurotunnel pour exploiter des trains internationaux, la clause réservant 50 % de la capacité du tunnel aux requérantes pendant 65 ans restreint, en tout état de cause, la concurrence.

Appréciation du Tribunal

42 Dans la décision litigieuse (points 73 à 79), la Commission a d'abord constaté l'existence d'un partage de marché entre Eurotunnel et les requérantes, en vertu duquel ces parties se seraient engagées à se concentrer respectivement sur le marché des navettes et sur le marché des trains internationaux. Elle a considéré (points 86 à 103) que ces restrictions de concurrence sur le marché des transports remplissent les quatre conditions nécessaires pour pouvoir bénéficier d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

43 Ensuite (points 80 à 84 et 101 à 103), elle a constaté l'existence, sur le prétendu marché de la fourniture de sillons horaires pour le transport ferroviaire dans le tunnel, de restrictions de concurrence qui n'étaient pas en tant que telles "exemptables" au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, de l'article 5 du règlement n° 1017-68 et de l'article 53, paragraphe 3, de l'accord EEE.

44 Le raisonnement suivi pour évaluer les effets anticoncurrentiels sur ce marché de la réservation, au profit des requérantes, de 50 % de la capacité est repris aux points 81 à 83 de la décision litigieuse dans les termes suivants:

"(81) [...] il résulte des dispositions de la convention que la moitié de la capacité du tunnel est réservée aux services de navettes et que l'autre moitié est réservée aux trains internationaux de passagers et de marchandises.

(82) Par ailleurs, BR et la SNCF ont droit à tout moment à 50 % de la capacité du tunnel pour exploiter des trains internationaux, soit en fait à 100 % des sillons horaires disponibles pour cette catégorie de transports, à moins qu'elles ne renoncent à une partie de leur droit. En vertu de ces dispositions, BR et la SNCF ne s'engagent pas à acheter 50 % de la capacité du tunnel, mais le gestionnaire s'engage à vendre cette capacité en tant que de besoin.

(83) Dès lors, d'autres entreprises ferroviaires ne peuvent pas obtenir du gestionnaire d'infrastructure les sillons horaires nécessaires pour exploiter des trains internationaux de transport de passagers ou de marchandises en concurrence avec BR et la SNCF."

45 Il est constant que, en vertu de l'article 6.2 i) de la convention, les requérantes ont droit, pendant la durée de celle-ci, à 50 % de la capacité du tunnel.

46 Les requérantes et Eurotunnel contestent toutefois les prémisses de fait reprises aux points 81 et 82 de la décision, qui sous-tendent l'appréciation faite par la Commission des possibilités d'accès au tunnel des entreprises ferroviaires tierces.

47 Ainsi, toutes les parties à la convention font valoir devant le Tribunal que, contrairement à la constatation faite au point 81 de la décision litigieuse, la convention ne prévoit nulle part que la moitié de la capacité du tunnel est réservée aux navettes. Quant à la conclusion mentionnée au point 82 de ladite décision, selon laquelle les requérantes disposeraient de la totalité des sillons pour les trains internationaux, elle serait également inexacte. A cet égard, tant dans ses mémoires en intervention qu'à l'audience, Eurotunnel a explicitement affirmé qu'aucune disposition de la convention ne l'empêche de mettre des capacités à la disposition des entreprises ferroviaires tierces désirant exploiter des trains internationaux en prélevant les sillons nécessaires à cet effet sur ses propres capacités.

48 De prime abord, il ressort donc des affirmations de toutes les parties à la convention que la Commission a commis une erreur dans l'interprétation de ladite convention. On ne saurait toutefois exclure que l'interprétation proposée par les requérantes et Eurotunnel constitue en réalité une modification de la convention intervenue postérieurement à l'adoption de la décision litigieuse, modification qui pourrait, le cas échéant, donner lieu à une révocation de la décision par la Commission, mais non à son annulation par le Tribunal. Eu égard au fait que la légalité d'une décision s'apprécie au moment de l'adoption de celle-ci (voir, notamment, arrêts de la Cour du 7 février 1973, Schroeder, 40-72, Rec. p. 125, point 14, et du 5 octobre 1994, Crispoltoni e.a., C-133-93, C-300-93 et C-362-93, Rec. p. I-4863, point 43), il y a donc lieu de vérifier si, au moment de l'adoption de la décision litigieuse, la Commission a commis une erreur de fait en constatant l'existence d'une répartition de la capacité du tunnel entre navettes et trains internationaux à concurrence de 50/50, de sorte que la capacité attribuée à Eurotunnel serait exclusivement réservée aux navettes, et celle des requérantes exclusivement aux trains internationaux.

49 Force est de constater qu'aucune disposition de la convention ne réserve ni explicitement ni implicitement la moitié de la capacité du tunnel aux services de navettes et l'autre moitié aux trains internationaux de passagers et de marchandises, alors même que le point 81 de la décision litigieuse affirme qu'une telle répartition "résulte des dispositions de la convention".

50 La Commission fait valoir que son interprétation de la convention repose sur le texte de la notification ainsi que sur quelques passages du mémorandum d'Eurotunnel du 20 septembre 1991 (voir point 8 ci-dessus). Selon elle, la notification permet aux parties à un accord de lui transmettre leur interprétation de la nature et de la teneur de cet accord. Dès lors, elle estime que si les requérantes étaient d'avis que la notification faite par Eurotunnel donnait une interprétation erronée de la convention, elles n'auraient pas approuvé le contenu de ladite notification.

51 Le point III.1.c ii) de la notification auquel se réfère la Commission (affaire T-79-95, mémoire en défense, point 107; affaire T-80-95, duplique, point 36) est rédigé comme suit:

"La convention a pour but d'aménager un partage équitable et réalisable de la nouvelle infrastructure que représente la liaison fixe entre, d'une part, les marchés de transport voyageurs et marchandises par train et, d'autre part, le marché du transport de véhicules automobiles accompagnés par un système spécifique de navettes."

52 Bien que ce passage fasse état d'un "partage équitable et réalisable" du tunnel, le Tribunal constate néanmoins qu'il ne soutient pas la thèse de la Commission, selon laquelle la convention prévoirait un partage à parts égales entre les services de navettes et les services de trains internationaux.

53 Les termes du mémorandum du 20 septembre 1991 ne sont, quant à eux, pas sans équivoques. Force est de constater, en effet, que la Commission ainsi que les parties requérantes se fondent sur des passages du mémorandum du 20 septembre 1991 pour démontrer l'exactitude de leurs interprétations respectives. Bien que l'extrait cité par la Commission (voir ci-dessus point 39) semble soutenir son interprétation, il met également en évidence que la "répartition 50/50 n'a pas été établie définitivement" et qu'elle pourrait varier en fonction de la demande.

54 Il convient de constater par ailleurs que les requérantes ont, au cours de la procédure administrative devant la Commission, explicitement attiré l'attention de celle-ci sur le fait que la convention ne prévoyait pas de réservation de la moitié du tunnel aux navettes et de l'autre moitié aux trains internationaux, de sorte que les entreprises ferroviaires tierces pourraient recourir aux sillons d'Eurotunnel pour exploiter des trains internationaux.

55 Ainsi, dans une lettre de BR à la Commission datée du 19 octobre 1994 (requête dans l'affaire T-80-95, annexe 16), il est fait état de ce que:

"It is a fundamental misconception to consider for the purposes of directive 91-440 and competition policy, that the capacity of the tunnel available for the passage of through trains is limited to the capacity reserved by the contract that BR and SNCF made with Eurotunnel. It is the case [...] that the contract puts us under obligations to pass the trains of other railway operators. But the contract in no way prevents Eurotunnel from making other capacity available to other railways operators and the contract does not give to BR and SNCF any right to oppose that course of action. For Eurotunnel to refuse to do so would no doubt be abusive." ("Il est manifestement erroné de considérer qu'aux fins de la directive 91-440 et de la politique de la concurrence la capacité du tunnel disponible pour le passage des trains internationaux est limitée à la capacité réservée par la convention que BR et la SNCF ont conclue avec Eurotunnel. En effet, [...] la convention nous oblige à laisser passer les trains d'autres compagnies ferroviaires. Mais, la convention n'empêche nullement Eurotunnel de mettre de la capacité à la disposition d'autres compagnies ferroviaires et la convention n'accorde pas le droit à BR et à la SNCF de s'opposer à un tel déroulement des faits. L'éventuel refus d'Eurotunnel d'agir ainsi serait sans doute abusif.")

56 De même, dans une lettre de BR à la Commission du 25 octobre 1994 (requête dans l'affaire T-80-95, annexe 16), la requérante dans l'affaire T-80-95 a fait valoir:

"There is a profound misunderstanding about the nature of the usage contract [...] The usage contract does not in any way prevent third parties from entering the same market [as BR and SNCF]. It provides for BR and SNCF to pass the trains of other railways through the tunnel, as we are keen to do. But as well as that, there is nothing in the contract to stop Eurotunnel from giving access to third parties. The contract that Eurotunnel made with BR and SNCF secures us entitlement to only half the capacity [...]" ("Il existe un malentendu profond quant à la nature de la convention d'utilisation [...] La convention d'utilisation n'empêche nullement des parties tierces de pénétrer le même marché [que BR et la SNCF]. Elle dispose que BR et la SNCF doivent laisser passer à travers le tunnel les trains d'autres compagnies ferroviaires, et nous tenons à respecter cette disposition. En outre, aucune clause dans la convention ne permet d'empêcher Eurotunnel de donner accès à des parties tierces. La convention que Eurotunnel a conclue avec BR et la SNCF nous accorde uniquement des droits sur la moitié de la capacité [...]")

57 La lettre de la SNCF à la Commission en date du 19 octobre 1994 contredit elle aussi la thèse selon laquelle les requérantes disposeraient de la totalité des sillons horaires pour l'exploitation de trains internationaux (requête dans l'affaire T-79-95, annexe 8):

"Eurotunnel [...] disposant des autres 50 % de la capacité du tunnel peut les utiliser soit pour son activité d'exploitation des services de navettes, soit pour satisfaire à sa tâche de gestionnaire d'infrastructure du tunnel, [...] à savoir de satisfaire des demandes d'accès provenant d'entreprises ferroviaires tierces. En effet, Eurotunnel n'est soumise par les Gouvernements français et britannique à aucune obligation d'utiliser un pourcentage déterminé de la capacité d'infrastructure en cause pour l'exploitation des services de navettes. Or, la flotte de navettes dont dispose potentiellement Eurotunnel ne requiert nullement l'intégralité des 50 % qui sont la part d'Eurotunnel en vertu de la convention d'utilisation."

58 Il résulte de ce qui précède que les affirmations de toutes les parties à la convention, au cours de la procédure devant le Tribunal, selon lesquelles les points 81 et 82 sont inexacts en fait (voir ci-dessus point 47) reposent non seulement sur une interprétation de la convention qui est compatible avec les termes mêmes de celle-ci et de la notification du 2 novembre 1987, mais correspondent en outre aux précisions données par les requérantes au dernier stade de la procédure administrative devant la Commission. Dans ces circonstances, l'interprétation que les requérantes et Eurotunnel ont donnée à leur convention ne peut être considérée comme une modification de la convention qui serait intervenue postérieurement à l'adoption de la décision litigieuse.

59 Il s'ensuit que les constatations que la Commission a faites aux points 81 et 82 de la décision litigieuse, selon lesquelles, d'une part, la moitié de la capacité du tunnel serait réservée aux navettes et l'autre aux trains internationaux, et, d'autre part, les requérantes disposeraient de la totalité de la capacité réservée aux trains internationaux, sont entachées d'une erreur de fait.

60 Le Tribunal constate, ensuite, que l'appréciation des effets anticoncurrentiels de la convention à laquelle il a été procédé dans la décision litigieuse repose sur cette erreur de fait (points 83 et 84 de la décision litigieuse). Ainsi, en évaluant les effets restrictifs de la convention vis-à-vis des entreprises ferroviaires tierces, la Commission n'a pas tenu compte de l'hypothèse selon laquelle Eurotunnel pourrait encore céder une part de sa propre capacité à des entreprises tierces désirant exploiter des trains internationaux à travers le tunnel.

61 Il convient d'ajouter que la possibilité pour les entreprises ferroviaires tierces d'obtenir des sillons horaires prélevés sur la capacité d'Eurotunnel constitue une opportunité réaliste. Ainsi, le service de navettes minimal que Eurotunnel est tenu d'exploiter en vertu du contrat de concession (voir ci-dessus point 3) ne représente que 40 % de sa propre capacité (point 113 du mémoire en intervention d'Eurotunnel dans l'affaire T-79-95 et point 112 du mémoire en intervention d'Eurotunnel dans l'affaire T-80-95). Par ailleurs, il a été explicitement affirmé pendant l'audience que Eurotunnel n'utilise actuellement que 66 % de sa capacité.

62 En ce qui concerne l'argument de la Commission selon lequel la réservation de 50 % de la capacité aux réseaux pendant 65 ans constitue, en tout état de cause, une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, il convient de relever que, même si une telle réservation constituait une restriction de concurrence, il n'en reste pas moins que dans la décision litigieuse la Commission n'a pas correctement évalué les effets anticoncurrentiels de la convention vis-à-vis des entreprises ferroviaires tierces.

63 L'erreur de fait commise par la Commission a également influencé l'appréciation qu'elle a faite de la convention au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, de l'article 5 du règlement n° 1017-68 et de l'article 53, paragraphe 3, de l'accord EEE. Il ressort en effet de la décision litigieuse que "la réservation à BR et à la SNCF de la totalité des sillons horaires disponibles pour les trains internationaux n'apparaît pas indispensable pour que celles-ci puissent réaliser leurs prestations de transport et participer à la réussite du projet" (point 102) et qu'elle risque, de plus, d'éliminer toute concurrence (point 103). Afin de rendre la convention "exemptable", la Commission a cru nécessaire d'imposer des conditions (points 102 et 103 de la décision litigieuse) afin de garantir aux entreprises ferroviaires tierces la possibilité d'obtenir des sillons horaires pour exploiter des trains internationaux. En vertu de ces conditions formulées à l'article 2, sous A, de la décision litigieuse, les parties requérantes peuvent être obligées de céder jusqu'à 25 % de la capacité qui leur avait été réservée par l'article 6.2 i) de la convention.

64 Le Tribunal estime que si la Commission avait correctement évalué les possibilités offertes aux entreprises ferroviaires tierces d'obtenir des sillons horaires nécessaires à l'exploitation des trains internationaux à travers le tunnel, il n'est pas exclu qu'elle n'aurait pas estimé nécessaire d'imposer des conditions aux requérantes. Alternativement, elle aurait pu imposer des conditions aussi bien aux requérantes qu'à Eurotunnel, ce qui aurait pu avoir pour effet de permettre l'imposition aux requérantes de conditions moins onéreuses que les conditions actuelles. Toutefois, dès lors qu'il n'appartient pas au Tribunal, dans le cadre du contentieux de l'annulation, de substituer sa propre appréciation à celle de la Commission (voir, notamment, arrêts du Tribunal du 24 mars 1994, Air France/Commission, T-3-93, Rec. p. II-121, point 113, et du 18 septembre 1995, Ladbroke Racing/Commission, T-548-93, Rec. p. II-2565, point 54), il convient d'annuler l'article 2, sous A, de la décision litigieuse imposant aux requérantes les conditions litigieuses.

65 Le Tribunal constate que les conditions litigieuses constituent une partie essentielle de la décision litigieuse, non séparable des autres dispositions de cette décision. Il y a donc lieu de faire droit aux conclusions principales des requérantes et d'annuler la décision dans sa totalité, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens d'annulation.

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

66 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie défenderesse ayant succombé en ses conclusions et les parties requérantes ayant conclu à sa condamnation, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux relatifs à la procédure en référé.

67 Aux termes de l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Dans ces conditions, le Royaume-Uni supportera ses propres dépens. En ce qui concerne les autres parties intervenantes, le Tribunal constate que Eurotunnel n'a pas conclu sur les dépens. Elle supportera donc ses propres dépens. Les dépens d'EPS, qui a conclu à la condamnation de la Commission, seront supportés par celle-ci.

Dispositif

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie),

déclare et arrête:

1) Les affaires T-79-95 et T-80-95 sont jointes aux fins de l'arrêt.

2) La décision 94-894-CE de la Commission, du 13 décembre 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE et de l'article 53 de l'accord EEE (IV/32.490 - Eurotunnel) est annulée.

3) La Commission supportera ses propres dépens et les dépens exposés par les parties requérantes, y compris ceux relatifs à la procédure en référé. Elle supportera également les dépens de la partie intervenante European Passenger Services Ltd.

4) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ainsi que Channel Tunnel Group Ltd et France Manche SA (Eurotunnel) supporteront leurs propres dépens.