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Décisions

CA Rennes, 7e ch., 24 novembre 2004, n° 03-00327

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lemire

Défendeur :

Gerhard Busch (Sté), Bonte France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Laurent

Conseillers :

M. Garrec, Mme Lafay

Avoués :

SCP Bazille & Genicon, SCP Castres Colleu & Perot, SCP Chaudet & Brebion

Avocats :

Mes Salaun, Lallement, SCP Baum & Cie.

T. com. Nantes, du 26 juin 1998

26 juin 1998

Le 4 mai 1998, M. Lemire, massicotier, a été victime d'un accident du travail alors qu'il utilisait une banderoleuse de marque Gerhard Busch GmbH que son employeur, la société imprimerie Bretecher avait acquise auprès de la société Bonte France.

A la suite de cet accident, la société Imprimerie Bretecher a obtenu par ordonnance de référé du Tribunal de commerce de Nantes en date du 26 juin 1998 rendue au contradictoire de la société Bonte France et de la société de droit allemand Gerhard Busch GmbH la désignation de M. Pressence en qualité d'expert, ce technicien recevant notamment pour mission de décrire les causes de l'accident survenu le 4 mai 1998 et de dire si la machine était conforme aux normes de sécurité.

Au résultat du rapport déposé par l'expert le 25 mai 2000, Monsieur Lemire a assigné en référé la société Bonte France et la société Gerhard Busch GmbH sur le fondement des articles 145 du nouveau Code de procédure civile et 1386-1 et suivants du Code civil à l'effet:

- d'ordonner une mesure d'expertise médicale; de les condamner solidairement à lui payer une provision de 4 573,47 euro à valoir sur la réparation de son préjudice et une indemnité de 1 067,14 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par acte d'huissier du 23 août 2002, Monsieur Lemire a appelé en intervention la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Nantes aux fins de lui déclarer opposable l'ordonnance à intervenir.

La société Bonte France, par conclusions verbales a, formulé protestations et réserves sur l'expertise sollicitée et s'en rapporte sur la demande de provision.

La société Gerhard Busch GmbH a laquelle l'assignation avait été notifiée le 28 juin 2002 n'a pas comparu ni personne pour elle.

Par décision du 31 octobre 2002, le Juge des référés a ordonné une expertise, mais a débouté M. Lemire de sa demande de provision en relevant que les dispositions de l'article 1386-1 et suivants du Code civil, sur lesquelles se basait exclusivement le demandeur, n'étaient pas applicables au dommage dont il avait été victime le 4 mai 1998.

Monsieur Lemire a relevé appel de cette ordonnance.

Il soutient:

- que la société Gerhard Busch GmbH ne pouvait ignorer que la banderoleuse pouvait être utilisée dans un autre Etat que l'Allemagne et que la loi française est donc applicable.

- qu'en application des articles 1147 et 1384 alinéa 1 du Code civil le vendeur professionnel et le fabricant sont tenus de livrer des produits exempts de tout vice.

- que la machine utilisée avait une lacune dans le système de sécurité.

- que lui-même n'a commis aucune faute.

La SA Bonte France fait valoir:

- que la société Gerhard Busch GmbH est irrecevable à soulever une exception d'incompétence alors qu'elle ne l'a pas fait avant toute défense au fond.

- qu'elle n'est pas fabricant de la machine mais seulement venderesse de cet élément et ne peut être tenue d'un éventuel dysfonctionnement dès lors que le fabricant lui-même est à la cause.

- à titre subsidiaire que la société Gerhard Busch GmbH doit être tenue à la garantie.

La société Gerhard Busch GmbH conclut à la confirmation de la décision en ce qu'elle a débouté M. Lemire de sa demande de provision et sur l'appel en garantie de la société Bonte France à l'incompétence de la juridiction française au profit des tribunaux allemands.

Elle expose:

- que seule la loi allemande est applicable, dans la mesure où elle a vendu la machine à une autre société allemande et donc elle ne pouvait prévoir que cette machine serait en définitive utilisée dans un autre Etat;

- que la machine livrée est conforme aux normes de sécurité européenne et n'était donc affectée d'aucun défaut;

- que M. Lemire a commis des fautes en procédant à un mauvais réglage et en tentant de retirer par la force le matériel coincé sous la barre de soudure.

- que la Cour d'appel de Rennes est incompétente pour statuer sur l'appel en garantie de la société Bonte France contre la société Gerhard Busch GmbH compte tenu de l'existence d'une clause attributive de juridiction au profit du Tribunal de Winsen/Luhe (Allemagne).

La cour se réfère aux conclusions déposées le 8 octobre 2004 par M. Lemire, le 11 octobre 2004 par la SA Bonte France et le 7 octobre 2004 par la société Gerhard Busch GmbH pour plus ample exposé des prétentions, moyens et arguments des parties.

Motifs de la décision

Sur la demande de M. Lemire dirigée contre la société Gerhard Busch GmbH et la SA Bonte France

* Sur la loi applicable

Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la convention de La Raye, la loi applicable à la responsabilité des fabricants pour les dommages causés par un produit est celle de l'Etat sur le territoire duquel le fait dommageable s'est produit;

Que l'article 7 de cette convention prévoit une dérogation à cette règle si la personne dont la responsabilité est invoquée établit qu'elle ne pouvait raisonnablement prévoir que le produit serait mis en service dans l'Etat considéré;

Considérant que la société Gerhard Busch GmbH, qui selon l'expert est le leader des banderoleuses d'étiquettes et en a fabriqué 3 000 depuis 1963, ne peut valablement soutenir qu'elle ne pouvait "raisonnablement" prévoir que son produit serait mis en service en France;

Que les instructions de service sont d'ailleurs établies en langue française et que la société Gerhard Busch GmbH a dépêché lors de la livraison à l'imprimerie Bretecher un technicien pour effectuer la mise en service de la machine;

Que la loi française est applicable entre M. Lemire et la société Gerhard Busch GmbH.

* Sur les responsabilités

Considérant que le fabricant est tenu de livrer un produit exempt de tout défaut de nature à causer un danger pour les personnes ou pour les biens, c'est-à-dire un produit qui offre la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre;

Que le vendeur est tenu de livrer des produits exempts de tout vice ou de tout défaut de fabrication de nature à créer un danger pour les personnes ou pour les biens, et qu'il en est responsable tant à l'égard des tiers qu'à l'égard de ses acquéreurs;

Considérant que s'il y a un défaut sur un produit, la victime tiers au contrat peut demander réparation in solidum au fabricant et au vendeur;

Considérant que l'expert conclut qu'il y avait une lacune dans les dispositifs de sécurité, laquelle n'était aucunement signalée et que le fait qu'il y ait une grande sécurité apparente (et pour le reste réelle) constituait un piège pour l'utilisateur;

Que M. Lemire, en relevant le capot de la machine pour ajuster les étiquettes ne pouvait prévoir que la barre de soudure descendrait brutalement, alors que sur l'écran s'était affichée la mention "Arrêt machine par capot";

Que d'ailleurs pour éviter le renouvellement de l'accident, la société Gerhard Busch GmbH a ajouté une temporisation de descente de la barre de soudure dans le programme et une électrovanne supplémentaire;

Que dans les instructions il est mentionné " Ouverture du Capot-Arrêt immédiat de tous les mouvements " (avec affichage "Arrêt Machine par capot");

Considérant que l'expert précise que si M. Lemire a, probablement, effectué une erreur de réglage, cette erreur était raisonnablement prévisible et qu'en ouvrant, dans le but de remettre manuellement en ordre les piles d'étiquettes, il n'avait pas à craindre de mouvement intempestif;

Qu'aucune faute ne saurait être reprochée à la victime;

Qu'il importe peu en l'espèce que la machine fabriquée par la société Gerhard Busch GmbH et vendue par la société Bonte France soit conforme aux normes de sécurité dans la mesure où il n'est pas sérieusement contestable qu'elle était atteinte d'un défaut de nature à créer un danger pour les personnes;

Qu'il convient de condamner la société Bonte France et la société Gerhard Busch GmbH à verser une provision de 4 500 euro;

Sur l'appel en garantie dirigé par la société Bonte France contre la Gerhard Busch

Considérant que la société Gerhard Busch GmbH se prévaut d'une clause attributive de juridiction en faveur des Tribunaux de Winsen en Allemagne, cette clause figurant aux conditions générales de vente qui seraient opposables à la société Bonte France dans la mesure où cette dernière tient ses droits de la société Schneider Senator qui a acheté la machine litigieuse et qui avait connaissance de cette clause à laquelle elle ne s'était pas opposée;

Considérant qu'aux termes de l'article 74 du nouveau Code de procédure civile, les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées immédiatement et avant toute défense au fond;

Considérant que la société Bonte France a formulé sa demande en garantie contre la société Gerhard Busch GmbH pour la première fois en appel par conclusions du 5 octobre 2004 ;

Que la société Gerhard Busch GmbH a répondu à cette demande en soulevant l'incompétence du tribunal français par conclusions du 7 octobre 2004 et donc avant toute défense au fonds, les premières conclusions du 9 février 2004 n'étant dirigée que contre la demande formulée par M. Lemire;

Considérant que l'exception d'incompétence est recevable;

Considérant qu'il existe une contestation sérieuse quant à la compétence des tribunaux français pour statuer sur l'appel en garantie formée par la SA Bonte France à la société Gerhard Busch GmbH qu'il appartiendra au loge du fond de trancher;

Considérant que l'équité commande de condamner la société Bonte France et la société Gerhard Busch GmbH à verser à M. Lemire la somme de 1 500 euro pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, - Confirme la décision déférée en ce qu'elle a ordonné une expertise médicale. La réformant pour le surplus et statuant à nouveau, - Condamne in solidum la société Bonte France et la société Gerhard Busch GmbH à payer à Monsieur Lemire une provision de quatre mille cinq cents euros (4 500 euro) outre la somme de mille cinq cents euros (1 500 euro) pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel. Constate qu'il existe une contestation sérieuse sur la compétence du tribunal français poux statuer sur l'appel en garantie présentée par la société Bonte France contre la société Gerhard Busch GmbH. - Déboute la société Bonte France de cette demande. - Condamne la société Bonte France et la société Gerhard Busch GmbH aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.