Livv
Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 21 février 1996, n° 9401647

ROUEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Teinturier (Epoux)

Défendeur :

Rolland (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Falcone

Conseillers :

Mme Valantin, M. Grandpierre

Avoué :

SCP Greff-Curat

Avocats :

Mes Julia, De Bezenac.

TGI Rouen, du 17 mars 1994

17 mars 1994

Statuant sur l'appel interjeté par Jean-Marie Teinturier et Véronique Sicot, son épouse, contre le jugement rendu le 17 mars 1994 par le Tribunal de grande instance de Rouen qui, après avoir déclaré qu'ils étaient tenus de garantir Christian Rolland et Christine Buckingham, son épouse, des vices cachés affectant la structure de bois et le système d'assainissement de l'immeuble vendu le 10 août 1989, les a condamnés à payer auxdits époux Rolland la somme de 95 778,66 F correspondant au coût des travaux de remise en état et indexée sur l'indice BT 01 du 26 novembre 1991 jusqu'à la date du jugement, ainsi que la somme de 8 000 F en réparation du trouble de jouissance, ensemble a décidé que ces sommes porteraient intérêts au taux légal ;

Attendu que les époux Teinturier, qui sollicitent l'infirmation du jugement, demandent que les époux Rolland soient déboutés de toutes leurs réclamations ;

Qu'à l'appui de leur recours, et après avoir exposé que, par acte du 10 août 1989, ils ont vendu aux époux Rolland une chaumière sise à Allouville-Bellefosse moyennant le prix de 500 000 F, ils soutiennent que les acheteurs se sont engagés "à prendre les biens vendus dans l'état où ils existaient sans recours contre le vendeur pour raison... soit du mauvais état... des constructions, soit de vice apparent ou caché" et que, partant, ils ne sont pas recevables à agir alors surtout que le défaut d'entretien de l'immeuble qu'ils allèguent n'est pas, en soi, constitutif d'une faute ;

Qu'ils font encore valoir que l'immeuble n'était atteint d'aucun vice caché ;

Que, d'abord, comme l'a estimé le tribunal, les défauts affectant la toiture étaient apparents ;

Que, s'agissant de la structure de bois, seules certaines parties des soles ont été rebouchées et que l'application d'un enduit ne constituait pas une dissimulation de l'état des pièces de bois ; qu'en outre, les acheteurs auraient pu connaître l'état de la structure, s'ils avaient procédé à des vérifications sommaires ; qu'en réalité, il s'agissait de vices apparents qui, liés à l'âge de la chaumière, n'ont pas été dissimulés et dont les acheteurs auraient pu se convaincre ;

Qu'ils ajoutent que les époux Rolland n'ont pas agi dans le bref délai prévu par l'article 1648 du Code civil dès lors qu'ils ont fait délivrer l'assignation plus d'un an après le dépôt du rapport de l'expert désigné en référé ;

Qu'enfin, ils font valoir que, comme l'a indiqué l'expert, l'installation de la fosse septique est mal adaptée et non conforme ; que, cependant, ce vice existait au moment où eux-mêmes ont acheté l'immeuble et que l'action fondée sur la non conformité de la chose livrée, qui est attachée à la chose vendue, est prescrite de sorte que les époux Rolland ne sont plus recevables à agir contre eux, qu'en outre, l'installation a toujours rempli son office et continué à fonctionner pendant un an après la vente ; qu'il est, ainsi, démontré qu'à la date de la vente, il n'existait aucun vice caché dont ils auraient eu connaissance ; qu'enfin, et comme il a été dit à propos de la structure de la chaumière, l'action n'a pas été engagée dans un bref délai ;

Attendu que les époux Rolland forment appel incident et demandent que les époux Teinturier soient condamnés à leur verser la somme de 250 450 F au titre de la remise en état des lieux, cette somme devant être indexée sur l'indice BT 01 à compter du 1er novembre 1991 pour les travaux qui n'ont pas encore été exécutés, la somme de 30 000 F en réparation du trouble de jouissance et la somme de 50 000 F correspondant au coût des travaux de réfection intérieure des lieux ;

Qu'ils font valoir qu'ils agissent sur le fondement du dol qui leur permet de solliciter soit l'annulation de la vente, soit l'attribution de dommages et intérêts ; qu'ils demandent donc la réparation du préjudice subi en raison des manœuvres dolosives et frauduleuses des vendeurs qui n'ont pas entretenu leur immeuble et qui l'ont vendu sachant qu'il était affecté de vices ;

Qu'en particulier, ils exposent que la structure du bâtiment, la fosse septique et la couverture de chaume présentaient de graves défauts et qu'au moment de la vente, les vendeurs ont dissimulé l'existence des désordres liés aux vices du bâtiment ; qu'en particulier, les époux Teinturier ont, non seulement caché qu'en raison du mauvais état de la couverture, l'intérieur de la maison était atteint par l'humidité, mais également menti en assurant que les auréoles visibles étaient apparues antérieurement à des travaux d'étanchéité effectués à leur demande ;

Qu'ils font encore remarquer que les époux Teinturier n'étant pas de bonne foi, la clause de non garantie ne saurait recevoir effet ;

Attendu qu'en réplique, les époux Teinturier concluent à la validité de la clause de non garantie en soulignant qu'ils étaient de bonne foi ; que, subsidiairement, ils soutiennent que l'évaluation du préjudice allégué par leurs adversaires est particulièrement exagérée ;

Attendu qu'en vertu de l'article 1116 du Code civil, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; qu'il ne se présume pas et qu'il doit être prouvé ; qu'aux termes de l'article 1117 du même Code, la convention contractée par dol n'est point nulle de plein droit ; qu'elle donne seulement lieu à une action en nullité ou en rescision ;

Attendu toutefois qu'il est de règle que le droit de demander la nullité d'un contrat par application des dispositions susvisées n'exclut pas l'exercice, par la victime des manœuvres dolosives, d'une action en responsabilité délictuelle pour obtenir de leur auteur réparation du préjudice qu'elle a subi ; que cette action n'est pas soumise aux dispositions spéciales de l'article 1648 du Code civil qui soumettent l'exercice de l'action rédhibitoire à un bref délai, peut important que le dol invoqué fût lié à des vices cachés qui diminuent tellement l'usage de la chose que l'acheteur n'en aurait donné qu'un moindre prix ;

Attendu qu'il ressort du rapport dressé par l'expert désigné par ordonnance de référé en date du 13 juin 1991 que la couverture de la chaumière vendue par les époux Teinturier aux époux Rolland est en mauvais état ; que le chaume n'assure plus ses fonctions d'étanchéité au faîtage et au niveau des cheminées ; que son épaisseur est diminuée et que, dans l'ensemble, il est dégradé ;

Que ces défauts étaient apparents au moment de la vente et que les vendeurs n'ont pratiqué aucune dissimulation, ni autre manœuvre afin de surprendre les époux Rolland en vue de les amener à contracter la vente ; qu'en conséquence, les acheteurs, qui ont constaté l'état de la toiture et à qui il était loisible d'approfondir l'examen de cet élément de la construction, n'ont pas été, à cet égard, victimes de manœuvres dolosives ;

Attendu que, s'agissant de la structure de l'immeuble et selon l'expert, le sommier étayé ne joue plus son rôle de tirant ; que la sole recevant le poteau est vermoulue et crevassée ; qu'elle n'assure plus la stabilité du poteau qui s'affaisse et sur lequel repose le sommier ; qu'elle a été rebouchée avec de l'enduit ; que les enduits intérieurs, liaisonnant le poteau s'éclatent en raison de son basculement ; qu'en conclusion, les désordres survenus dans la structure de bois proviennent d'une absence d'entretien du colombage situé en façade de la maison ; que certaines parties des soles ont été rebouchées à l'enduit masquant la vermoulure et que la partie recevant le poteau aurait dû être remplacée et chevillée pour être liée avec cet élément ;

Que les enduits effectués partiellement ainsi que d'autres réparations sommaires étaient, d'une part, visibles et, d'autre part, nécessaires pour assurer un minimum d'étanchéité ; que les acheteurs étaient en mesure de constater ces faits en procédant d'autant plus attentivement que, comme le note l'expert, il s'agissait d'une habitation rurale ancienne ;

Que, surtout, les époux Rolland, sur qui pèse la charge de la preuve, ne démontrent nullement que les époux Teinturier, qui ne sont pas des vendeurs professionnels, aient procédé à des manœuvres frauduleuses, ni même à une réticence dolosive, pour dissimuler l'état de l'ossature de la maison, et partant, parvenir à la vente ;

Attendu que la fosse septique est mal adaptée au site et non conforme aux règles d'installation de sorte que l'évacuation des eaux résiduelles ne se fait pas normalement ;

Qu'à cet égard, même si des désordres ont pu se produire depuis la construction de la fosse septique, les vendeurs ne démontrent pas que les époux Teinturier aient eu connaissance, au moment de la vente, des vices affectant l'installation d'assainissement ;

Attendu qu'il suit de tout ce qui précède que les époux Rolland ne font pas la preuve des manœuvres et réticence dolosives qu'ils allèguent alors surtout que le contrat étant assorti d'une clause de non garantie, il leur appartenait d'être particulièrement vigilants ;

Qu'en outre, ils sont irrecevables à se prévaloir des dispositions des articles 1641 et suivants du Code civil comme n'ayant pas agi à bref délai dès lors qu'ils ont fait assigner leurs adversaires par acte du 27 janvier 1993 et qu'ils connaissaient les vices depuis le 26 novembre 1991, date du dépôt du rapport de l'expert ;

Que le jugement sera réformé et que les époux Rolland seront déboutés de toutes leurs réclamations ;

Et attendu que les parties sollicitent une indemnité en invoquant les dispositions de l'article 700 du NCPC ; que, succombant en leurs prétentions, et supportant les dépens, les époux Rolland seront déboutés de leur réclamation ; que l'équité ne commande pas qu'ils soient condamnés à verser aux époux Teinturier la somme qu'ils réclament ;

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement rendu le 17 mars 1994 par le Tribunal de grande instance de Rouen ; Faisant droit à nouveau Déboute Christian Rolland et Christine Buckingham, son épouse, de toutes leurs demandes dirigées contre Jean-Marie Teinturier et Véronique Sicot, son épouse ; Déboute les parties, chacune, de sa demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du NCPC Condamne les époux Rolland aux entiers dépens de première instance et d'appel et dit que les dépens d'appel seront recouvrés par la SCP Greff-Curat, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.