CA Paris, 8e ch. A, 20 octobre 1998, n° 1996-09162
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Forgeon
Défendeur :
Lefebvre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Sauteraud
Conseillers :
MM. Piquard, Jardel
Avoués :
Me Kieffer-Joly, SCP Fanet
Avocats :
Mes Brossier, Haas.
Le 18 mars 1993, M. Denis Forgeon a vendu à M. Michel Lefebvre un véhicule de marque Jaguar type XJ6 de l'année 1979 pour un prix de 60 000 F.
Le 12 mai 1993 alors que M. Lefebvre circulait à Lyon, son véhicule a été victime d'une panne ayant imposé son immobilisation au garage "l'Automobile" à Lyon.
Ce garagiste après avoir effectué immédiatement des constatations adressait le même jour une lettre à M. Lefebvre faisant état d'un important manque de pression d'huile ; il ajoutait "pour pouvoir déterminer l'état réel du moteur, il est impératif de le déposer et de le démonter, les frais de démontage pour devis de remise en état s'élevant à environ 2 000 F hors taxes. A première vue, la remise en état du moteur, au vu de son fonctionnement, pourrait s'élever à environ 15 000 F hors taxes".
Dès le 27 mai 1993, M. Lefebvre informait par lettre recommandée avec avis de réception M. Forgeon de la panne et le mettait en demeure de faire connaître ses intentions quant à la prise en charge des frais de réparation, cette démarche et d'autres demandes tendant à un arrangement amiable n'étaient pas suivies d'effet.
Afin de lever toute ambiguïté sur les causes exactes de la panne, M. Lefebvre sollicitait l'avis d'un technicien, le cabinet d'expertise Larnaud Delaville à Lyon.
Aux termes d'un rapport du 16 décembre 1994, ce cabinet confirmait le diagnostic du garage l'Automobile touchant le défaut de lubrification et sur l'origine de l'avarie émettait plusieurs hypothèses à savoir
1) une rupture fortuite du tendeur de chaîne de distribution avec détérioration de la pompe à huile après absorption des particules métalliques véhiculées par l'huile moteur,
2) un manque d' investigations lors de la réfection antérieure tenant :
a) soit à une insuffisance de rinçage moteur ayant engendré le passage de particules métalliques dans la pompe à huile,
b) soit à une absence de contrôle de cette pompe lors d'une précédente réfection de celle-ci,
3) une utilisation éventuelle d'une huile non conforme aux prescriptions du constructeur après une première réparation.
Il précisait encore que la réfection du moteur appelait le remplacement de la pompe à huile, du vilebrequin et de l'ensemble des coussinets.
Aucun accord n'ayant été possible, M. Lefebvre a, par exploit du 23 juin 1994, fait citer M. Forgeon devant le Tribunal d'instance de Corbeil Essonnes en paiement de 32 081,30 F somme ramenée en suite à 30 000 F pour réparation des désordres causés au véhicule vendu, 3 000 F à titre de dommages-intérêts et 4 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a subsidiairement sollicité une expertise judiciaire.
Par jugement du 8 septembre 1995 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a :
- rejeté l'exception d'incompétence,
- déclaré recevable la demande de M. Lefebvre,
- condamné M. Forgeon à payer à M. Lefebvre la somme de 22 821,75 F à titre de dommages- intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 27 mai 1993,
- débouté les parties de leurs autres demandes,
- et condamné M. Forgeon aux dépens.
Celui-ci a relevé appel de la décision et conclut par son infirmation à voir déclarer la demande de M. Lefebvre irrecevable du fait du non-respect du bref délai de l'article 1648 du Code civil, subsidiairement débouter M. Lefebvre de toutes ses demandes et le condamner à lui verser 5 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et 10 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
M. Lefebvre poursuit la confirmation du jugement demandant 11 267 F supplémentaires de dommages-intérêts au titre du gardiennage outre 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR :
Considérant, sur la recevabilité que c'est à bon droit alors que la vente a été conclue le 18 mars 1993, que le véhicule est tombé en panne le 12 mai 1993 et que l'assignation a été délivrée le 23 juin 1994 que le tribunal - eu égard aux examens techniques nécessaires pour déterminer la nature exacte de la panne définitivement révélée par l'expertise du 16 février 1994 du cabinet Larnaud Delaville et aux efforts en vain tentés pour aboutir à une solution amiable - a estimé que l'acheteur avait engagé son action dans le bref délai de l'article 1648 du Code civil ; que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a reçu M. Lefebvre en son action estimatoire ;
Considérant, au fond, que M. Forgeon ne saurait sérieusement prétendre que M. Lefebvre a parcouru plus de 3 200 km entre la date de cession du véhicule et celle de la panne alors que des 3 contrôles techniques versés aux débats au soutien de cette prétention les deux premiers (celui du 11 mars 1992 et celui du 26 mars 1992) laissent apparaître un kilométrage compteur respectivement de 39 221 et 40 560 et le troisième (celui du 14 avril 1993, seul postérieur à la vente et partant opposable à M. Lefebvre) un kilométrage de 42 198 ; qu'au moment de la vente et ainsi qu'il ressort des pièces produites, le kilométrage compteur était de 42 000 et à celui de la panne de 43 853 comme il résulte du rapport d'expertise du 16 février 1994 ; qu'il apparaît ainsi que contrairement à ce que soutient M. Forgeon M. Lefebvre a parcouru un peu moins de 1 200 km entre le 18 mars 1993 et le 12 mai 1993 ; qu'aussi et même s'il s'agit d'un véhicule considéré comme de collection, le faible kilométrage parcouru (1 200 km) n'exigeait pas d'entretien particulier, l'intervalle nécessaire entre deux vidanges étant en général de 5 000 km ; que pour ce premier motif le vendeur ne rapporte pas la preuve d'une cause susceptible de l'exonérer de sa garantie pour vice caché ;
Considérant qu'en l'état des constatations effectuées sur le véhicule tant par le garagiste qui a réceptionné celui-ci le 12 mai 1993 que par le cabinet d'expertise Larnaud Delaville le 16 février 1994 M. Forgeon n'est pas fondé à prétendre que le vice caché de la chose vendue ne serait pas établi ; qu'en effet lesdites constatations ont révélé après démontage de pièces mécaniques que la panne avait pour origine un défaut de lubrification du moteur, ce qu'un utilisateur non professionnel du véhicule ne pouvait par lui-même déceler, la détérioration du palier de vilebrequin étant seulement mise en évidence sur contrôle magnétoscopique peu important par ailleurs dans les rapports entre vendeur et acheteur que ladite détérioration ait ou non été secondaire à une mauvaise réfection antérieure du moteur puisque le faible kilométrage parcouru entre l'achat du véhicule et la panne exclut que des travaux de cette ampleur aient été entre ces deux événements exécutés et que la connaissance que M. Forgeon aurait eu de leur mauvaise qualité pour ceux éventuellement effectués avant la vente n'est pas démontrée ; que la garantie de l'article 1643 du Code civil doit par suite trouver application et, M. Lefebvre ayant choisi d'exercer l'action estimatoire, la réduction du prix de vente intervenir à hauteur du coût de la réparation s'élevant à 22 821,75 F selon devis du 2 novembre 1993 non contestés du garage l'Automobile et de GP Auto Parts (le second étant relatif à la fourniture du vilebrequin) ; que la décision sera dès lors confirmée quant au montant de la condamnation mais réformée en ce que d'une part la somme de 22 821,75 F ainsi allouée l'a été à titre de dommages-intérêts alors qu'elle doit l'être en restitution partielle du prix versé dans la mesure de la perte de qualité que le vice imprime à la chose et d'autre part que les intérêts au taux légal sur cette somme doivent porter non pas de la mise en demeure du 27 mai 1993 mais de la date du jugement du 8 septembre 1995 prononçant la condamnation ;
Considérant que la preuve n'étant pas rapportée que le vendeur connaissait le vice de la chose lors de la vente, l'acheteur sera débouté de sa demande en paiement de 11 267 F de dommages-intérêts pour le gardiennage du véhicule dans l'attente de sa réparation ;
Considérant qu'il sera en revanche équitablement attribué à M. Lefebvre 5 000 F pour frais irrépétibles tandis que M. Forgeon qui succombe verra écarter ses prétentions à dommages-intérêts et au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et supportera les entiers dépens ;
Par ces motifs : Confirme le jugement sauf en ce qu'il qualifie de dommages-intérêts la somme de 22 821,75 F au paiement de laquelle M. Denis Forgeon est condamné et fait partir les intérêts sur cette somme du 27 mai 1993. Le réformant et statuant à nouveau de ce double chef: Condamne M. Denis Forgeon à payer à M. Michel Lefebvre la somme de 22 821,75 F en restitution partielle du prix de vente avec intérêts au taux légal à compter du 8 septembre 1995. Y ajoutant : Déboute M. Lefebvre de sa demande en paiement de 11 267 F de dommages-intérêts pour gardiennage et M. Forgeon de ses prétentions à dommages-intérêts et au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne M. Forgeon à payer à M. Lefebvre 5 000 F pour frais irrépétibles. Le condamne en outre aux dépens d'appel. Admet la SCP Fanet, Avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.